Monsieur le Président, c’est avec grand plaisir que je prends la parole aujourd’hui au nom de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada sur le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois.
Ce projet de loi représente une étape clé de l’engagement du gouvernement à moderniser le système de justice pénale, à réduire les délais et à assurer la sécurité de tous les Canadiens. Les retards dans le système de justice pénale nuisent à la sécurité publique, minent la confiance du public dans l’administration de la justice, portent atteinte aux droits des accusés et n’offrent pas aux Canadiens une bonne optimisation des ressources.
Lorsque des poursuites sont suspendues à cause de retards, c'est le système de justice lui-même qui échoue. Les auteurs ne sont pas tenus responsables de leurs actes, les innocents n’ont pas la possibilité de blanchir véritablement leur nom et les victimes souffrent.
Le recours aux délais dans le système de justice pénale n’est pas nouveau. Au début des années 1990, des dizaines de milliers d’affaires ont été suspendues en raison de retards par suite de la décision historique de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Askov.
Comme nous le savons, les arrêts Jordan et Cody subséquents de la Cour suprême ont établi un nouveau cadre juridique pour évaluer les retards. Ce cadre prévoyait une période de transition pour l’évaluation des causes dans lesquelles des accusations avaient été portées avant la publication des décisions.
Étant donné que cette période prendra fin l’été prochain, nous n’avons pas de temps à perdre. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour augmenter l’efficacité de notre système de justice pénale.
Heureusement, nous disposons de nombreux rapports et études utiles, dont l’étude approfondie du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de juillet 2017, intitulé « Justice différée, justice refusée ». Après avoir entendu 138 témoins, le Comité a conclu que les causes des retards étaient nombreuses et variées. Il a lancé un appel aux acteurs du milieu juridique, y compris aux juges et aux ministres de la Justice et procureurs généraux fédéral, provinciaux et territoriaux, afin qu’ils prennent « des mesures décisives et immédiates pour s’attaquer aux causes des délais et moderniser notre système de justice ». Il a aussi invité la ministre de la Justice à faire preuve de leadership « pour entreprendre les réformes nécessaires ».
Je sais que la ministre se sent extrêmement privilégiée qu’on lui ait confié la responsabilité de régler ce problème urgent, qui était aussi un élément de la lettre de mandat que le premier ministre lui a remise. La ministre de la Justice a pris plusieurs mesures importantes pour améliorer le système de justice pénale. En tout, elle a déjà fait 240 nominations à la magistrature et promotions aux cours supérieures à l'échelle du pays. En 2017 seulement, la ministre a fait 100 nominations, soit plus que tout autre ministre de la Justice au cours des 20 dernières années. Cette année, elle est en bonne voie d’égaler ou de dépasser ce nombre.
Parallèlement, les deux derniers budgets présentés par le gouvernement ont engagé des fonds pour un nombre sans précédent de nouveaux postes de juges qui sont nécessaires pour permettre aux tribunaux de traiter les charges de travail croissantes, y compris en matière criminelle. En tout, le gouvernement a créé 75 postes de juge au cours des deux dernières années.
De fait, plus tôt cette année, les juges en chef de l’Alberta et du Québec ont souligné que pour la première fois depuis longtemps, ils commençaient à observer des tendances positives à l’égard des retards. C’est un signe très encourageant. Les efforts considérables déployés par les juges, les tribunaux, les gouvernements et d’autres intervenants du système judiciaire portent leurs fruits.
J’utiliserai le reste du temps dont je dispose aujourd’hui pour parler de la réponse législative du gouvernement aux retards du système de justice pénale.
Je tiens à remercier les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de leur examen approfondi de ce projet de loi.
Le Comité a entendu 95 témoins et s'est penché sur une quantité considérable de documents qui traitent d'un sujet extrêmement complexe, notamment 58 mémoires présentés par divers intervenants, dont des représentants de la police, de la Couronne, de la défense, des groupes d'aide juridique, des défenseurs des droits des victimes, des représentants de groupes autochtones et des académiciens.
La discussion sur l'admission de preuves de routine recueillies par la police dans le cadre de déclarations sous serment était particulièrement importante et notre gouvernement était à l'écoute.
Bien qu'elle ait eu une intention louable, nous admettons que notre approche, telle que proposée, aurait pu avoir des conséquences indésirables, en particulier pour les accusés non représentés.
Le Comité a dûment tenu compte de cette préoccupation, et nous avons accepté son amendement à ce sujet.
Les réformes contenues dans ce projet de loi ont également été généralement bien accueillies par toutes les parties concernées. Certaines préoccupations ont été exprimées au sujet de la disposition qui prévoit l’inversion du fardeau de la preuve proposé dans le contexte de la violence entre partenaires intimes en raison de problèmes opérationnels que certains ont éprouvés avec ce qu’on appelle la mise en accusation double, c’est-à-dire lorsque tant l'auteur que la victime sont accusés après qu’une victime a dû utiliser la force physique pour se défendre.
Soutenir les survivants de la violence conjugale et veiller à ce qu’un plus grand nombre d’agresseurs soient traduits en justice faisait partie de notre plateforme de 2015, et les dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve, qui visent exactement ces objectifs, ont été maintenues dans le projet de loi après l’étude en comité.
Nous savons que le problème n’est pas la loi elle-même, mais la façon dont elle a été appliquée, ce que la Cour suprême du Canada a confirmé plus récemment dans l’arrêt Antic. Il est important de souligner que les provinces et les territoires ont élaboré des politiques et de la formation dans ce domaine. Nous disposons d’un cadre juridique solide, mais un nombre disproportionné d’accusés autochtones, vulnérables et marginalisés se voient refuser leur libération sous caution. Ceux qui sont libérés sont tenus de respecter un trop grand nombre de conditions onéreuses et, dans un certain nombre d'administrations, on a largement recours aux cautionnements.
Le nouveau processus proposé dans le projet de loi C-75 parle d’audiences sur les renvois judiciaires. Il fournira une porte de sortie pour les infractions relatives à l’administration de la justice qui ne causent pas vraiment de tort à une victime. Cette proposition a été appuyée avec enthousiasme tant par les résidents de ma circonscription, Parkdale—High Park, que par des Canadiens d’un bout à l’autre du pays qui sont préoccupés par la surreprésentation disproportionnée des Autochtones et des personnes racialisées dans notre système de justice pénale.
Ce que nous avons présenté est un brillant exemple de ce que la Cour suprême du Canada réclamait, tout comme le comité sénatorial quand il recommandait dans son rapport « de faire évoluer la mentalité des intervenants du système de justice pénale: ils devront délaisser la culture de complaisance qui y règne au profit d’une autre, axée sur l’efficacité, la collaboration et l’équité ».
Mes collègues se rappelleront aussi que le projet de loi C-75 comporte deux propositions relatives aux enquêtes préliminaires. Premièrement, le projet de loi propose de limiter les enquêtes préliminaires pour les accusés adultes aux infractions passibles d’emprisonnement à perpétuité, par exemple le meurtre ou l’enlèvement. Deuxièmement, il permettra au juge qui préside l’enquête préliminaire de limiter les questions à examiner et le nombre de témoins à entendre à l’enquête préliminaire.
L’approche retenue dans le projet de loi C-75 en ce qui concerne les enquêtes préliminaires prend en compte l’examen approfondi de différentes options et les consultations sur celles-ci au fil des ans, ainsi que les meilleures données probantes disponibles. Il propose au bout du compte une approche équilibrée entre les différents intérêts en jeu. Il propose aussi une approche qui a été approuvée et appuyée par les ministres provinciaux et territoriaux de la Justice au cours de vastes consultations menées par la ministre auprès de ses homologues provinciaux et territoriaux.
Le reclassement des infractions est l’un des sujets sur lesquels le comité s’est particulièrement penché. Il entraînera des modifications à de nombreuses dispositions du Code, à la fois dans le but d’ériger en infractions mixtes des actes criminels actuellement passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou moins et de créer une peine maximale uniforme de deux ans moins un jour en cas de déclaration sommaire de culpabilité.
Les homologues provinciaux et territoriaux de la ministre ont souscrit aux modifications visant le reclassement. Ils étaient fermement convaincus que ces modifications donneraient aux poursuivants la souplesse dont ils avaient grandement besoin pour tenir compte de la gravité des causes qu’ils ont à traiter.
Les modifications visant le reclassement sont d’ordre procédural. Elles modifient la façon dont on peut traiter une conduite qui ne justifie pas une peine applicable à un acte criminel. Il est déjà bien connu dans notre système de justice pénale que les procureurs évaluent les faits de l’affaire et la situation du délinquant afin de déterminer le type de peine à demander au tribunal.
Il est important de souligner que rien dans le projet de loi ne propose d’alléger les peines qui seraient imposées en vertu de la loi. Ces réformes ne modifieraient pas les principes fondamentaux de la détermination de la peine. Nous valorisons la diversité des perspectives et des connaissances que les nombreux témoins ont apportées à l’étude du Comité permanent de la justice.
Le reclassement des actes criminels passibles d’une peine d’emprisonnement maximal de 10 ans ou moins qui est proposée dans le projet de loi C-75 ne traite pas ces infractions moins sérieusement aux fins de la détermination de la peine.
Néanmoins, le point est important. Le comité de la justice a entendu des témoignages convaincants sur les infractions de terrorisme et d'encouragement au génocide. Le gouvernement reconnaît qu’il s’agit de crimes contre l’État, contre la société dans son ensemble, dans le but de promouvoir un objectif politique quand il s’agit de terrorisme. Dans le cas de l'encouragement au génocide, ce sont non seulement des crimes contre la société dans son ensemble, mais des crimes contre l’humanité.
Je le dis avec une certaine expérience dans ce domaine, en tant qu’ancien procureur du tribunal des Nations unies pour les crimes de guerre au Rwanda. Je sais qu’on ne connaît pas en droit de crime plus répréhensible que le génocide, qui préconise la destruction, en tout ou en partie, d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
Le comité permanent a recommandé à l’unanimité que ces infractions soient exclues de l’approche de reclassement du projet de loi C-75. Nous remercions le comité de son travail diligent à cet égard et nous souscrivons entièrement à cet amendement.
À cet égard, le gouvernement a proposé des amendements corrélatifs afin de corriger une erreur dans l’un des amendements du comité afin de donner suite à l’objectif du comité de retirer ces infractions de la liste des infractions qui étaient reclassées.
Nous avons également accueilli favorablement les modifications que le comité a proposé d’apporter à l’article 802.1 du Code criminel afin de permettre aux provinces et aux territoires d’établir des critères permettant à un représentant, c’est-à-dire un non-juriste, comme un étudiant en droit, un stagiaire ou un technicien juridique, de comparaître pour des infractions passibles de plus de six mois d’emprisonnement et pour permettre à un représentant de comparaître pour toute infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire aux fins d'un ajournement.
L’une des conséquences imprévues de la proposition de reclassement des infractions dans le Code criminel est que les représentants n’auraient pas pu comparaître pour la plupart des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire sans l’autorisation des provinces et des territoires. Le comité de la justice a modifié utilement l’article 802.1 du Code criminel pour permettre aux provinces et aux territoires d’établir des critères pour la représentation des représentants à l’égard d’infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire assorties d’une peine maximale de plus de six mois d’emprisonnement, en plus du pouvoir actuel de créer des programmes à cette fin et d’autoriser la comparution d’un représentant pour toute infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire aux fins d'un ajournement.
Cet amendement répondrait aux préoccupations concernant les problèmes d’accès à la justice. Il maintiendrait la souplesse des administrations tout en reconnaissant la diversité régionale dans la façon dont la représentation juridique est réglementée dans l’ensemble du Canada.
Sur ce point, je tiens à souligner que l’accès à la justice guide non seulement l’élément fondamental du projet de loi, mais aussi tous les efforts déployés par la ministre de la Justice et son ministère. La ministre a porté cette question à l’attention de ses homologues provinciaux et territoriaux afin qu’ils prennent rapidement les mesures législatives nécessaires pour établir les critères voulus sur cet enjeu important lié à l’accès à la justice.
Je voudrais également parler des réformes proposées par le projet de loi C-75 concernant les jurés. Ces changements apporteront des améliorations importantes à notre processus de sélection des jurys, notamment en abolissant les récusations péremptoires pour les avocats de la Couronne et les avocats de la défense, en permettant à un juge d'écarter un juré afin de maintenir la confiance du public envers l'administration de la justice, en modernisant les récusations motivées, en habilitant le juge à décider de toute récusation motivée et en permettant à un procès de se dérouler avec le consentement des parties si le nombre de jurés est inférieur à 10, afin d'éviter les procès nuls.
La sous-représentation au sein des jurys, en particulier des peuples autochtones et des minorités visibles, est une préoccupation majeure. Ce problème est bien documenté depuis des années. Nous pensons qu'abolir les récusations péremptoires aura un effet significatif sur l'amélioration de la diversité au sein des jurys.
Les récusations péremptoires, qui donnent à l'accusé et à la Couronne le pouvoir d'exclure des jurés sans fournir de motif, n'ont pas leur place dans nos salles d'audience, étant donné le potentiel d'abus. Ce projet de loi verra le Canada se joindre à des pays comme l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande du Nord, qui les ont déjà abolies depuis 1988.
Il est important de garder à l'esprit que les lois et les processus provinciaux et territoriaux jouent un rôle important dans la détermination des candidats et des candidates aux fonctions de juré et des moyens utilisés pour établir une liste de jurés.
En tant que gouvernement fédéral, nous ne sommes qu'une pièce du casse-tête. Cependant, je suis ravi de constater que les représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux collaborent sur un éventail de questions liées aux jurés afin de formuler d'autres recommandations sur la manière d'améliorer le système de jurés au Canada. Je suis convaincu que les questions soulevées lors de l'étude du projet de loi C-75 par le comité éclaireront ces réflexions.
J'ai également été heureux de voir que le comité était généralement favorable aux propositions plus techniques visant à réduire les délais et à améliorer l'efficacité du système, notamment en ce qui a trait à la suppression de l'exigence d'approbation pour les mandats hors province, à la clarification du pouvoir de signature des greffiers du tribunal et à la facilitation des comparutions à distance.
Je tiens aussi à souligner l’appui unanime du comité concernant l’abrogation de l’article 159 du Code criminel, une proposition qui a été bien accueillie par la communauté LGBTQ, ainsi que l'amendement proposé en vue d’abroger les infractions de vagabondage et de maison de débauche qui avaient été invoquées dans le passé de façon abusive pour cibler des activités sexuelles consensuelles d’adultes. Ces amendements s'inscrivent dans l’important travail du gouvernement visant à lutter contre la discrimination à l’endroit des Canadiens LGBTQ2.
Fait important, le comité a aussi souscrit à la proposition contenus dans le projet de loi C-75 visant à abroger les infractions relatives à l’avortement que la Cour suprême du Canada avait déclarées inconstitutionnelles dans l’arrêt Morgentaler en 1988. Le gouvernement protégera toujours les droits reproductifs des femmes et leur droit de choisir quoi faire de leur propre corps.
Comme je l’ai déjà dit, le projet de loi C-75 propose des réformes exhaustives qui aideront à faire en sorte que le droit de l’accusé à être jugé dans un délai raisonnable soit respecté et que tous les intervenants du système de justice, y compris les victimes et les témoins, ne subissent aucun retard.
Par ailleurs, nous sommes profondément conscients de la nécessité d’une réforme de la détermination de la peine, y compris des peines minimales obligatoires, et nous avons entendu cet appel. La ministre demeure déterminée à promouvoir le changement.
Les tribunaux ont dit sans équivoque que de nombreuses peines minimales obligatoires posent de graves problèmes d'un point de vue constitutionnel. La ministre a clairement dit qu’à son avis, les juges devraient avoir le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour imposer des peines appropriées au contrevenant qui comparait devant eux.
Cela dit, nous devons mettre en place une réforme de la détermination de la peine qui résiste à l’épreuve du temps. Les peines minimales obligatoires font l’objet de nombreux litiges. Il y a des cas où la Cour suprême a maintenu la peine minimale obligatoire et d’autres où elle ne l’a pas fait.
Nous voulons être sûrs d’avoir pris toutes les mesures nécessaires et d’avoir fait preuve de diligence raisonnable tout en poursuivant la réforme de la détermination de la peine afin que les changements que nous y apporterons résistent à l’épreuve du temps.
Les réformes audacieuses proposées dans ce projet de loi ont fait l’objet de discussions approfondies, de consultations et de collaboration avec les collègues provinciaux et territoriaux de la ministre. Nous allons accorder la priorité aux réformes législatives qui, selon nous, auraient le plus d’effet cumulatif sur la réduction des retards dans le système de justice pénale. Notre intention à cet effet demeure ferme.
Cette discussion et ces consultations ont fait l’objet d’un débat approfondi à la Chambre même. On y a débattu de ce projet de loi C-75 pendant 14 heures et 45 minutes. En 27 heures, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a entendu 95 témoins avec prolongation des séances. En tout, 28 députés des partis de l’opposition se sont prononcés sur ce projet de loi.
De plus, nous avons écouté les recommandations du comité permanent et les principaux intervenants qui tiennent à résoudre les problèmes des retards dans le système de justice pénale. Le projet de loi C-75 tel que modifié est le résultat de cet engagement et annonce le début du changement de culture que la Cour suprême réclamait dans ses arrêts Jordan et Cody. J’exhorte donc tous les députés à appuyer cet important projet de loi.