Monsieur le Président, j'ai une pensée pour les journalistes qui doivent vérifier les faits après un discours de Donald Trump. Ils doivent avoir peur que leur vérification soit plus longue que le discours. C'est un peu comme cela que je me suis senti en écoutant le député de Winnipeg-Nord. La période de questions de 10 minutes n'était même pas suffisante pour rectifier tous les faits. Si le député avait écouté les témoignages du ministre et des représentants du ministère en comité, il aurait constaté à quel point les propos qu'il vient de tenir sur cette question sont problématiques.
Le projet de loi C-93 arrive à minuit moins une, à la fin de la législature. Pourtant, la suspension du casier judiciaire pour possession simple de cannabis est une politique qui aurait dû faire partie du projet de légalisation du gouvernement. Ici, il est primordial de faire la distinction entre certains mots. J'ai entendu plusieurs députés des deux côtés de la Chambre utiliser le mot « pardon », et j'en suis moi-même coupable. Or il y a une distinction importante à faire.
Premièrement, dans le cadre du débat sur ce projet de loi, on parle beaucoup de la capacité des Canadiens à traverser la frontière. Aux États-Unis, obtenir un pardon a une connotation différente, tous les avocats nous le diront. Aux États-Unis, cela relève de l'exécutif. En accordant un pardon présidentiel à un individu, par exemple, on supprime son casier judiciaire et on le pardonne complètement. Au Canada, toutefois, l'individu conserve tout de même son casier judiciaire. J'y reviendrai plus tard.
Il y a plusieurs années, lorsque le gouvernement conservateur a décidé d'appeler cela une suspension du casier judiciaire, il avait une intention très précise: rappeler aux personnes concernées qu'elles n'avaient pas été pardonnées et qu'on leur avait seulement rendu le service de suspendre leur casier judiciaire. Or ce sont souvent des personnes vulnérables qui se trouvent dans une situation précaire. Généralement, elles tentent simplement d'obtenir un pardon, qu'on appelle maintenant une suspension de casier, pour avoir un emploi, pour louer un appartement ou pour faire du bénévolat. De plus, les statistiques démontrent que 95 % d'entre elles ne sont pas des récidivistes. Par ailleurs, le fait d'appeler cela un pardon ne posait aucun problème, puisque le programme lui-même exigeait que ces personnes aient un bon comportement pendant plusieurs années avant même de pouvoir faire une demande.
C'est un changement qui peut sembler anodin ou sémantique pour certains qui, comme nous, sont dans une position privilégiée. Cependant, la nécessité de ce changement a été reconnue dans une étude du ministère de la Sécurité publique. Le ministre lui-même a dit, il y a plusieurs années, que cela serait rectifié dans le cadre d'une réforme gravement nécessaire du programme de suspension du casier judiciaire. Toutefois, cela n'a toujours pas été fait. Malheureusement, à quelques mois des élections, on ne s'attend pas à ce que ce soit fait, et c'est bien dommage.
Cela s'inscrit dans un débat plus large que nous avons déjà eu à plusieurs reprises. Parlons plus précisément de la suspension du casier judiciaire pour possession simple de cannabis. Plusieurs éléments sont ressortis pendant le débat, mais aussi en comité. Tout d'abord, la suspension du casier judiciaire ne le fait pas disparaître, ce qui a plusieurs conséquences. Par exemple, dans les formulaires d'embauche, on demande parfois aux candidats s'ils ont déjà eu un casier judiciaire pour lequel ils ont obtenu une suspension de casier.
En comité, le ministre, en bon opérateur politique, après plusieurs décennies en politique, a fait très attention de préciser que la loi interdit toute discrimination de la part des employeurs à l'égard des candidats ayant obtenu une suspension de casier. Heureusement, les employés du ministère étaient là et ils l'ont interrompu pour préciser qu'il n'y avait rien dans la loi qui empêchait les employeurs de poser la question. En fait, la loi exigerait même que les candidats répondent honnêtement.
Je ne sais pas ce qu'en pensent mes collègues, mais se sentir protégé simplement parce que la loi interdit la discrimination, et dire qu'on n’a jamais entendu parler de candidats à toutes sortes de postes ou dans toutes sortes de sphères de la vie qui ont fait l'objet de discrimination, c'est rêver en couleur.
Ces mêmes personnes qui tentent d'obtenir un emploi et qui seraient dans cette situation sont aussi celles qui auraient du mal à obtenir ensuite de l'aide juridique pour formuler une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, ou même à déposer une plainte dans un contexte plus judiciaire. Dire que c'est anodin, c'est ignorer complètement la réalité de ces personnes.
Qui sont ces gens? Ce sont des personnes racialisées, des Autochtones, des jeunes. Bref, des Canadiens qui se trouvent dans une situation particulière qui rend leur vie plus difficile même dans des circonstances normales, et pire encore lorsqu'ils ont un casier judiciaire à l'égard duquel la suspension ne constitue pas un recours approprié contrairement à la suppression.
Je vais donner quelques exemples. Dans des villes comme Toronto et Halifax, les Noirs sont disproportionnellement plus susceptibles d'avoir un casier judiciaire pour possession simple de cannabis. Dans des villes comme Regina, les Autochtones sont 10 fois plus susceptibles que les Blancs d'avoir un casier judiciaire pour possession simple de cannabis.
Dans le cadre des différents portefeuilles qu'il a gérés depuis qu'il a été élu, le ministre de la Sécurité frontalière a déclaré en 2016 qu'une des grandes injustices au Canada était qu'une proportion démesurée de ces Canadiens ont un casier judiciaire pour possession simple de cannabis. C'est intéressant. Pourquoi? Lorsque la Chambre a adopté le projet de loi C-66, qui visait à remédier à la grave injustice dont les Canadiens LGBTQ étaient victimes en raison de la criminalisation de leur mode de vie, à cause de leur orientation sexuelle, le gouvernement a souligné à juste titre qu'il s'agissait d'une injustice historique.
Je ne cherche pas à monter les collectivités les unes contre les autres, mais le problème actuel tient au fait que le ministre de la Sécurité publique se sert du projet de loi C-66 comme béquille arbitraire, par ailleurs inexistante sur le plan légal, pour établir un plafond pour ce qui des conditions pour effacer un casier judiciaire, ce qui constitue une grave injustice.
En ce qui concerne cette grande injustice historique, j'ai posé des questions au premier ministre lui-même à la Chambre. Il a dit que, oui, c'était décevant et désolant de voir cela et qu'il y était évident qu'il y avait une iniquité, mais il refusait de dire que c'était une injustice.
Quand j'ai questionné le ministre en comité, il s'est plié en 15 pour éviter d'employer ce mot, malgré le fait qu'un autre ministre de l'époque l'avait déjà utilisé, et il a dit que les graves injustices de la société devaient être définies par une infraction à la Charte canadienne des droits et libertés.
Ce ministre se trompait parce que, comme l'avocat distingué Kent Roach l'a dit, la Charte devrait être un seuil et non une limite dans notre interprétation d'une injustice. Annamaria Enenajor, la directrice de campagne de Cannabis Amnesty, en se référant à des décisions de la Cour suprême du Canada, nous a dit lors de sa comparution devant le comité qu'une loi peut être discriminatoire, même si c'est l'application de la loi qui l'est plutôt que son élaboration.
En d'autres mots, si une loi a de bonnes intentions, mais qu'elle finit par avoir un résultat discriminatoire, on peut néanmoins juger qu'elle est une loi discriminatoire; et si une loi ou l'application d'une loi est discriminatoire, on doit constater qu'une injustice a été commise.
C'est pour cela que nous voulons que ces casiers judiciaires soient supprimés et non simplement suspendus. Le ministre semble insister sur ce point et il est incapable de dire pourquoi. Il se réfère constamment au projet de loi C-66.
Est-on capable, au Canada, d'admettre que ce n'est pas parce qu'une grave injustice a historiquement été commise contre la communauté LGBTQ qu'on ne peut pas dire la même chose quant à l'application de la loi concernant la possession d'une drogue maintenant légale, soit le cannabis? Cette injustice a été notamment commise envers des communautés vulnérables. J'ai beaucoup de misère avec cela.
Sur cette note, Solomon Friedman, un avocat criminaliste qui a témoigné devant notre comité la semaine dernière, a dit que cette loi n'est pas mauvaise, et qu'il est bien que nous mettions en place des mécanismes pour permettre à ces Canadiens d'obtenir un pardon plus facilement. Selon bon nombre de témoins et de spécialistes, c'est le strict minimum. Comme l'a dit M. Friedman au comité, nous pouvons certainement faire mieux que le strict minimum, surtout pour les Autochtones, les personnes racialisées et les autres Canadiens en situation de vulnérabilité.
Il n'est pas seulement question de distinction entre la suppression et la suspension de casier judiciaire. Il s'agit également de décider si la mesure choisie sera automatique. Ce projet de loi exigerait quand même que les Canadiens fassent des démarches complexes pour faire suspendre leur casier. Le gouvernement croit qu'il a résolu le problème en éliminant les frais et les délais. Or, la réalité est différente.
Lorsque le comité de la sécurité publique, dont je suis un des vice-présidents, a effectué une étude sur la façon dont nous pourrions réformer le programme de suspension du casier et régler les problèmes qu'il comporte, tous les partis étaient d'accord sur un point soulevé à maintes reprises: la partie la plus lourde du processus et des coûts imposés aux Canadiens n'est pas le coût de la demande, que le gouvernement propose d'ailleurs d'éliminer, c'est plutôt le fait que les gens doivent se rendre à la cour municipale et à la cour provinciale. Ils doivent obtenir leurs fichiers d'empreintes digitales et se rendre au poste de police. Deux députés conservateurs qui sont d'anciens policiers ont confirmé ces exigences. Ils ont dit que le processus est effectivement très laborieux pour les Canadiens qui doivent rassembler tous ces éléments.
Comme des fonctionnaires l'ont confirmé au comité, le processus ne serait pas gratuit, contrairement à ce que les ministériels affirment à la Chambre.
Le coût associé à ce processus devra donc être assumé par des personnes qui n'en ont souvent pas les moyens, qui cherchent justement à obtenir cette suspension afin de pouvoir obtenir un emploi. Le projet de loi C-93, qui est devant nous, garde en place quelques mécanismes qui empêchent les personnes d'obtenir la suspension de leur casier judiciaire. Ce n'est pas vrai que tous ceux qui ont déjà eu un casier judiciaire pour possession simple de cannabis n'auront qu'à remplir un papier pour que ce soit fait. Cela ne se fera pas comme par magie. Ce ne sera pas le cas des personnes qui, par exemple, ont des questions liées à l'administration de la justice dans leur dossier. On ne parle pas de meurtriers. On parle, par exemple, de quelqu'un qui pourrait avoir une amende de 50 $ impayée et qui sera par conséquent inadmissible. J'ai eu la confirmation des employés du ministère qu'une telle personne ne sera pas admissible au processus offert par le gouvernement.
Qu'on m'explique pourquoi une personne autochtone qui a un casier judiciaire pour possession simple de cannabis et qui n'a pas pu se rendre en cour parce qu'elle se trouve dans une région trop éloignée ne peut pas obtenir cette suspension par le gouvernement à cause d'une amende impayée de 50 $. Le gouvernement dit avoir à cœur les intérêts de toutes les communautés. Je ne comprends pas du tout en quoi cela rejoint les intérêts des personnes qui cherchent simplement à régler leur dossier pour quelque chose qui est maintenant légal et à faire en sorte que ce ne soit plus un fardeau les empêchant de louer un appartement, de travailler ou de faire du bénévolat.
On parle aussi de nos déplacements à la frontière. Je suis tombé en bas de ma chaise lorsque j'ai entendu ce qu'a dit le ministre en comité. Il a pourtant fait adopter en son nom deux projets de loi qui augmentent notre échange d'informations avec les États-Unis. Il a dit qu'il était désolé, mais que les Américains gardaient beaucoup d'informations sur nous, et pendant beaucoup trop longtemps et qu'on ne pouvait donc pas vraiment contrôler ce qu'ils feraient à la frontière. En passant, je suis abasourdi de constater que le ministre reconnaît que c'est un problème, alors que chaque fois que nous soulevons cette question pendant les débats, il répond que ce n'est pas grave, puisque ce sont nos alliés et que nous ne devrions pas nous inquiéter.
Il y a quand même matière à s'inquiéter. J'ai dit d'entrée de jeu que les Américains ne font pas la même distinction que nous entre le pardon et la suspension d'un casier judiciaire. Le ministre a tenté de donner l'excuse la plus absurde que je crois avoir entendue au cours de mes huit ans comme député. Il a dit qu'une des raisons pour lesquelles une suspension de casier judiciaire était préférable à la frontière était qu'ainsi, de la paperasse allait suivre les gens, qui allaient pouvoir présenter un document.
Je vois deux problèmes à cela.
Premièrement, après que j'aie eu posé la question, les employés du ministère ont confirmé que, effectivement, après l'adoption du projet de loi C-66 qui prévoyait supprimer les dossiers, les citoyens dont le dossier est effacé obtiennent bel et bien une confirmation écrite. C'est un miracle!
Deuxièmement, on ne viendra pas me dire que, dans un pays du G7, on n'est pas capable de mettre en place un mécanisme pour s'assurer d'avoir des dossiers de confirmation indiquant que le casier judiciaire d'un citoyen a été supprimé. Comme dirait l'autre, ma parole, je n'arrive plus à comprendre comment un gouvernement peut voir si petit quand il a été élu en disant vouloir voir plus grand! C'est complètement fou. Je n'en reviens pas.
Dans la même veine, c'est la raison qui a été donnée, même si des témoins ont affirmé que la suspension du casier judiciaire ne facilitera pas le passage à la frontière. On aura toujours à surmonter tous les obstacles qu'imposent les Américains, s'ils choisissent même d'autoriser l'entrée qui, finalement et comme l'a dit le ministre, reste leur prérogative. La radiation d'une condamnation signifie que les Canadiens n'auront pas à mentir à la frontière, le mensonge constituant une infraction grave. Toutefois, la priorité est ce qui se passe chez nous pour que les gens puissent obtenir un emploi, louer un appartement, faire du bénévolat, toutes choses que l'on ne peut pas faire lorsqu'on a un casier judiciaire.
J'aimerais revenir sur la notion de fardeau administratif. Le ministre parle de sauter les obstacles, affirmant qu'il s'agit de paperasserie, de ceci ou de cela. Je lui ai demandé pourquoi le processus ne pouvait pas être automatique et il m'a répondu, essentiellement, que cela entraînerait trop de travail. Je le paraphrase et je suis sûr qu'il ne serait pas d'accord avec l'interprétation que j'en fais, mais tous les intervenants à qui j'ai parlé sont d'accord avec cette interprétation de ce qu'il a dit.
Apparemment, d'après ce qu'il nous a dit, le gouvernement fédéral croit qu'il faudrait 10 ans pour radier 250 000 condamnations. Eh bien, quand on pense au fiasco du système Phénix, on se dit qu'il a peut-être raison. Le gouvernement a peut-être enfin reconnu sa propre incapacité à gérer ces dossiers. Quoi qu'il en soit, il est absurde que le gouvernement puisse, en quelque sorte, imposer ce fardeau aux Canadiens vulnérables et les obliger à suivre tout seuls ce processus, même s'ils peuvent en ignorer l'existence, ne pas avoir assez d'argent pour couvrir les frais ou ne pas savoir à qui s'adresser. Le gouvernement pourrait rendre le processus automatique, mais il ne veut pas, parce qu'il ne faut surtout pas donner trop de travail à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Je trouve que c'est une réponse complètement inacceptable pour les personnes concernées.
Nous comprenons certainement que la consultation des bases de données du gouvernement n'est pas facile. Cependant, les libéraux pourraient faire preuve d'un peu plus d'ambition, comme ils l'ont promis lors de la campagne électorale, en trouvant une solution pour gérer les 250 000 dossiers.
En ce qui concerne le projet de loi C-66, parmi les 9 000 Canadiens de la communauté LGBTQ qui ont été condamnés pour une infraction au Code criminel, sept personnes ont présenté une demande dans le cadre du processus de radiation. Le gouvernement pense-t-il que je vais le croire sur parole lorsqu'il dit qu'il va faire en sorte que les Canadiens soient au courant de ce processus parce que, selon ce que des fonctionnaires ont dit au comité, il n'y a pas de souci à se faire, on va mener une campagne publicitaire en se servant notamment des médias non traditionnels comme les médias sociaux? C'est ridicule. À vrai dire, c'est même pitoyable.
Dès le départ, cela aurait dû faire partie du processus.
Je veux rectifier un peu le tir. Le député qui m'a précédé a tenté de caractériser la position du NPD en parlant de décriminalisation. La raison pour laquelle on voulait procéder à la décriminalisation avant la légalisation, c'était pour éviter que les dossiers continuent à s'empiler. C'est aussi parce que l'on comprend qu'il faut s'attaquer à cette question comme à un enjeu de santé publique, et non de sécurité publique.
C'est exactement pour ces valeurs, qui nous animent, que nous disons que la bonne approche consiste à supprimer les dossiers, et non à offrir un processus qui est problématique à la base.
Pour conclure, soulignons que des criminalistes ont confirmé au comité que la suspension du casier judiciaire est toujours conditionnelle à la bonne conduite de la personne concernée, que la suspension soit accordée dans le cadre d'un processus comme celui qui est proposé dans le projet de loi C-93 ou dans le cadre du processus habituel qui n'est encadré par aucune loi spéciale.
Qu'est-ce que cela signifie? Je ne parle pas des cas où la personne commet un crime horrible. La Commission des libérations conditionnelles du Canada pourrait envisager cela pour une personne qui se fait prendre à conduire à 130 kilomètres à l'heure sur l'autoroute. Cela s'est déjà produit.
Je pense qu’on voit très clairement en quoi ce projet de loi est à l’image du gouvernement libéral en place depuis quatre ans. C’est un coup d’épée dans l’eau qui permet de dire sur un babillard qu’on est progressiste, alors que, dans les faits, on est tout le contraire.