Monsieur le Président, il me fait plaisir, au nom du NPD, d'amorcer le débat sur le budget qui vient d'être présenté par le nouveau gouvernement libéral.
La présentation du budget constitue toujours un document extrêmement vaste. Il y a des mesures que nous pouvons effectivement appuyer, car plusieurs des engagements que les libéraux ont pris au cours de la campagne électorale ont été repiqués des programmes néo-démocrates de 2015, de 2011 et de 2008. Nous ne pourrons donc évidemment pas nous opposer à ces éléments.
On y retrouve aussi d'autres mesures, ou demi-mesures, qui n'arrivent pas à la hauteur des engagements pris durant la campagne électorale ou qui ne comblent pas les besoins qui ont été exprimés pendant et après la campagne électorale. À cet égard, le gouvernement aurait dû avoir une oreille attentive, mais il a fait le contraire. Contrairement à ce que peuvent croire les députés du gouvernement, plusieurs éléments de ce budget sont loin d'être positifs.
Commençons par les fleurs, les éléments positifs qui, pour la plupart, ont été tirés de notre programme. Parlons d'abord de l'élimination du fractionnement du revenu. Lorsque le précédent gouvernement conservateur avait annoncé cette mesure, nous avions immédiatement fait valoir qu'il s'agissait d'une mesure hautement inéquitable qui allait profiter largement aux plus riches du Canada et qui aurait un effet pervers sur la participation des femmes au marché du travail. Il s'agirait pour elles d'un incitatif fiscal les encourageant à rester à la maison plutôt qu'à contribuer à la société et à participer au marché du travail. Nous avions promis de l'éliminer dès le départ, et les libéraux l'ont fait aussi. Cette mesure se retrouve ici et nous pouvons l'applaudir.
Par ailleurs, il y a quelques mesures qui nous font sourciller, car il s'agit de mesures que nous appuyons, mais que le gouvernement n'a pas concrétisées au point où il s'était engagé à le faire. Il s'agit notamment du crédit d'impôt pour les fonds de travailleurs. Cela a été une lutte de tous les instants, lorsque les conservateurs ont annoncé l'élimination graduelle de ce crédit d'impôt extrêmement important pour les fonds de travailleurs, qui représentent l'une des entités de capital de risque les plus importantes au pays.
C'est un enjeu particulièrement important au Québec, où le Fonds de solidarité FTQ et le Fondaction de la CSN, notamment, travaillent main dans la main avec les organismes privés de capital de risque afin d'aider les entreprises qui, autrement, seraient larguées, ignorées ou négligées par les organismes de financement traditionnel, comme les institutions bancaires. Ce travail a été reconnu et fait en sorte que le Québec, puisque c'est là où il est concentré, représente la troisième entité nationale parmi l'ensemble des entités de l'OCDE, après Israël et les États-Unis, où on retrouve le plus fort pourcentage de participation au capital de risque.
À la suite de l'élimination de ce crédit d'impôt en Ontario, par exemple, on a vu une réduction significative des montants investis dans le capital de risque en Ontario, au point où le Québec, avec une population moindre, a maintenant à peu près le même niveau d'investissement que l'Ontario en matière de capital de risque.
Le maintien de ce crédit d'impôt constituait l'une de nos promesses, et j'avais mené une lutte personnelle pour la concrétiser. Les libéraux ont fait la même promesse par la suite, mais immédiatement après leur élection, ils ont promis de l'éliminer. Cela s'est traduit par le maintien de ce crédit d'impôt à 5 %, alors qu'il était de 15 % initialement. Selon la définition du mot « immédiatement », un crédit d'impôt de 15 % aurait dû être en vigueur au cours de l'année financière de 2015. Or ce crédit de 15 % n'entrera en vigueur qu'à partir de 2017. Nous considérons que cela représente un recul. En cette période où les gens devaient décider où placer leurs épargnes, cela a créé beaucoup d'incertitude.
Un autre élément qui me semble positif concerne les infrastructures récréatives et culturelles. Il s'agissait d'une demande du NPD, car nous considérions illogique que les budgets d'infrastructure du programme Chantiers Canada excluent des projets qui sont non seulement mobilisateurs au sein des communautés, mais qui sont également des outils de stimulation économique dans ces mêmes communautés.
Une municipalité qui avait comme priorité d'assurer une meilleure qualité de vie à ses citoyens et un plus grand dynamisme par ses infrastructures sportives, récréatives ou culturelles, après avoir fait tous les travaux nécessaires à la réfection d'aqueduc, d'égout, de rue ou de route, ne pouvait pas le faire au moyen de fonds provenant du gouvernement fédéral parce que ses demandes étaient spécifiquement exclues du programme Chantiers Canada.
Or les municipalités sont à même de connaître leurs besoins; elles savent quelles sont leurs propres priorités. À notre avis, que le gouvernement fédéral détermine leurs priorités, comme c'était le cas sous l'ancien gouvernement conservateur, est un non-sens.
Nous appuyons l'initiative qui permettra à ces municipalités d'obtenir du financement fédéral pour les infrastructures sportives et culturelles.
Cependant, il y a plusieurs autres éléments à considérer. Oui, il y a de l'investissement pour les jeunes. Toutefois, l'investissement est à la moitié des sommes qui ont été promises durant la campagne électorale.
De plus, oui, il y a des investissements en transport en commun, et nous sommes d'accord. Nous l'avions également dans notre programme électoral. Par contre, cela tombe à court de ce qui avait été promis par le nouveau gouvernement libéral lors de la campagne électorale, et cela risque de compliquer la tâche aux municipalités encore une fois quant à leurs besoins en transport en commun, puisqu'une bonne partie de cet argent sera reléguée aux dernières années du programme.
Maintenant, allons-y pour le pot. J'ai posé la question à la chef de l’opposition en ce qui a trait à l'une des promesses brisées les plus significatives de ce budget libéral, soit celle de réduire l'imposition des petites et moyennes entreprises de 11 % à 9 %.
Dès 2008, le NPD avait compris l'importance des PME comme entités créant de l'emploi, un moteur extrêmement important; nous l'avions compris en proposant une diminution de l'imposition de 11 % à 9 %. D'autres gouvernements néo-démocrates, celui de l'Alberta entre autres, sont même allés plus loin, et ont éliminé entièrement l'imposition des PME, donc à un taux effectif de 0 %.
Après avoir ignoré cette politique pendant très longtemps, les conservateurs l'ont finalement adoptée dans leur dernier budget de 2015, une adoption que nous avions applaudie, même si c'était un des rares éléments sur lesquels nous nous mettions d'accord. Nous avions applaudi cette initiative et le fait d'avoir pris cette idée du NDP.
Cette diminution devait être graduelle de 11 % à 9 %, et s'établissait à 10,5 % en 2015-2016. Voyant que les deux partis, néo-démocrate et conservateur, avaient raison, les libéraux se sont finalement engagés à diminuer l'imposition des PME de 11 % à 9 %.
Mme Hélène Laverdière: Il était temps.
M. Guy Caron: Monsieur le Président, il était effectivement temps qu'ils le fassent.
À quoi avons-nous assisté dans le budget? Nous avons assisté à un déni complet de cette promesse, soit au renoncement d'un engagement formel qui avait été fait et qui place les PME dans une situation extrêmement difficile, puisque les trois grands partis ayant un consensus sur le sujet, la planification de ces PME se faisait effectivement dans le sens de cette décision. Or en gelant l'imposition à 10,5 %, on place bien des PME dans l'embarras et dans des difficultés, et on les prive de pouvoir investir et d'embaucher, puisque c'est ce qu'elles se proposaient traditionnellement de faire.
Une autre promesse brisée des libéraux dans ce budget, c'est l'élimination de l'échappatoire fiscale qui vise les options d'achat d'actions, comme moyen de rémunération, largement utilisée par les mieux nantis de notre société, et en particulier par les présidents et membres de l'exécutif des grandes compagnies.
Quatre-vingt-dix pour cent de ce crédit d'impôt est utilisé pour financer des options d'achat d'actions qui vont à ces gens en compensation, donc comme revenu. Toutefois, il n'est pas assujetti à l'impôt sur le revenu, mais à l'impôt sur les gains en capital lors de la vente de ces actions.
Cela a un double effet pervers. En premier lieu, c'est une mesure qui coûte au Trésor canadien près du trois quart de 1 milliard de dollars par année, et qui va bien sûr largement aux mieux nantis. Ensuite, cela donne l'incitatif pervers à ces entreprises de prendre des mesures à court terme pour faire monter la valeur de l'action et permettre aux dirigeants, décideurs et gestionnaires de bénéficier d'un prix plus élevé lorsqu'ils décideront de vendre ces actions.
Cet effet négatif et pervers a été largement reconnu par l'ensemble des économistes et des analystes du milieu des affaires. Le gouvernement libéral, suivant le chemin tracé par le NPD, avait promis de l'éliminer. Que voit-on dans ce budget? On ne voit absolument rien.
D'autres éléments brillent par leur absence. Je pense, entre autres, au poids que représentent les frais de cartes de crédit pour les transactions, un obstacle majeur à l'expansion et à l'investissement dans l'entreprise et particulièrement dans les PME. Or une mesure à cet égard n'aurait rien coûté au gouvernement fédéral. Ces frais, assumés par les entreprises, sont encore, au Canada, parmi les plus élevés dans les pays de l'OCDE et ils ne sont touchés par aucune mesure du gouvernement libéral.
D'autres pays se sont penchés sur cette question. L'Australie et l'Union européenne ont pris différentes mesures à cet égard: en Australie, les frais sont encadrés par la banque centrale, alors qu'ils sont fixés par voie réglementaire dans l'Union européenne. Dans ces pays, on a reconnu que les frais de carte de crédit sont un obstacle à la croissance des entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises. Le budget ne prévoit rien à cet égard.
Nous aurons beau essayer, nous ne trouverons rien dans ce budget pour notre secteur forestier, qui est actuellement aux prises avec de graves problèmes. Nous ne savons pas comment évoluera notre relation avec les États-Unis dans le dossier du bois d'oeuvre. L'accord tire à sa fin, et il y a actuellement beaucoup d'incertitude.
À l'heure actuelle, le Québec et le Nouveau-Brunswick doivent faire face à un problème semblable à celui du dendroctone du pin, un parasite qui cause ou risque de causer des pertes immenses au sein de l'industrie. Le budget n'offre rien pour y remédier.
Le gouvernement est insensible aux demandes et aux besoins de ce secteur, comme il l'a été envers l'industrie aérospatiale.
Lors de la campagne électorale, nous avions proposé une stratégie concrète pour venir en aide non pas à une compagnie qui pourrait être en difficulté, mais à l'ensemble d'un secteur névralgique pour l'économie canadienne. Durant la campagne, on n'a rien entendu du Parti libéral. Présentement, il s'affaire à réparer les pots cassés avec des mesures à la pièce pour des situations d'urgence comme celle qu'éprouve présentement Bombardier. De plus, les décisions du gouvernement vont faire des victimes, notamment les employés d'Aveos, qui se sentaient jusque là protégés et défendus mais qui ont été complètement largués pour des incitatifs et des motifs politiques de la part du gouvernement libéral.
Du point de vue de l'agriculture, il n'y a rien, même si on y trouve des situations majeures, présentement. Entre autres, il y a la protection de la gestion de l'offre. On verra de quelle manière les libéraux se conduiront durant les négociations. Des compensations ont été promises aux producteurs laitiers et fromagers par rapport au traité avec l'Union européenne, qui n'est toujours pas entré en vigueur, bien sûr, et par rapport au Partenariat transpacifique, le PTP. Il n'y a rien du tout dans ce budget: on n'y trouve aucune mention des compensations qui ont été promises et qui seront nécessaires pour que les producteurs puissent s'adapter à ces nouvelles réalités, si l'entente est entérinée, évidemment.
Il n'y a rien non plus sur le lait diafiltré, une situation majeure qui touche présentement l'ensemble des agriculteurs et des producteurs laitiers. C'est le silence complet. Le budget n'est pas qu'un ensemble de mesures financières. On peut le voir en consultant l'ensemble des pages de ce budget. C'est aussi un énoncé des priorités, un peu à la manière d'un discours du Trône. Le fait qu'on n'y mentionne rien sur des enjeux de l'heure et primordiaux pour l'avenir du secteur agricole du pays m'inquiète grandement.
Parlons de l'assurance-emploi. Évidemment, c'était traditionnellement le NPD qui menait la charge. Je me souviens très bien de mon collègue Yvon Godin, qui était reconnu comme l'un des grands pourfendeurs des mesures libérales et conservatrices restreignant l'accessibilité à l'assurance-emploi. Nous avions promis de renverser la réforme malavisée du gouvernement conservateur de 2012.
Par la suite, les libéraux ont réalisé que c'était peut-être une bonne idée et ils ont dit la même chose. D'ailleurs, le premier ministre, à l'époque où il était chef du Parti libéral, avait été cité pendant la campagne électorale, au Nouveau-Brunswick, disant qu'un gouvernement libéral renverserait les changements injustes que les conservateurs avaient apportés à l'assurance-emploi. Les libéraux estimaient que les changements irresponsables apportés à l'assurance-emploi constituaient une punition pour les travailleurs et ciblaient de façon injuste les travailleurs saisonniers.
Je suis entièrement d'accord. C'est ce que nous disons depuis 2012. Que se passe-t-il dans ce budget? Nous avons des demi-mesures. Bien sûr, certains éléments ont été renversés et, évidemment, nous sommes d'accord avec cela. Il y a entre autres la mesure qui forçait les chômeurs à accepter un emploi offrant jusqu'à 70 % du montant qu'ils gagnaient auparavant, peu importe leurs qualifications professionnelles et, finalement, l'élimination de l'obligation pour eux d'avoir à trouver et à accepter un emploi se trouvant jusqu'à 100 kilomètres de leur domicile. Ces mesures minaient et réduisaient l'accessibilité et elles ont grandement nui aux régions rurales qui, de toute évidence, ont subi un choc démographique. En effet, s'il n'y a pas d'emploi chez eux, ces gens devront déménager dans des endroits où il y a de l'emploi.
Or c'est à peu près tout.
Outre cela, l'une des principales mesures du budget consiste à accorder à 12 régions du pays la possibilité d'obtenir une prolongation de cinq semaines de la durée des prestations d'assurance-emploi. Or, cette mesure existait avant 2011; elle était offerte dans le cadre d'un projet pilote qui, selon le taux de chômage, permettait de prolonger de cinq semaines la durée des prestations d'assurance-emploi offertes aux travailleurs.
Cela fermait ce qu'on appelait, au Québec en particulier, le trou noir, soit la période de temps entre la fin des prestations de l'assurance-emploi et un retour au travail, bien souvent le cas pour les travailleurs saisonniers. Pourquoi le gouvernement cible-t-il 12 régions, alors que ce programme, qui était clairement une partie de la réforme des conservateurs sur l'assurance-emploi, n'a pas été appliqué à l'ensemble du pays?
Le Canada atlantique s'est fait escroquer par cette mesure; il n'y a pas d'autre mot pour décrire la situation.
Le Québec a été miné par cette mesure également. En effet, elle s'applique seulement au Nord de l'Ontario ou à quelques régions spécifiques. Il y a même des gens en Alberta et en Saskatchewan, selon la communauté dans laquelle ils vivent, qui subissent les contrecoups de la crise économique. Ils sont également ignorés et négligés.
Je vais terminer mon allocution en abordant brièvement la question des Premières Nations.
Les libéraux ont manqué à plusieurs promesses sur le plan financier qu'ils avaient faites aux Premières Nations. Pour l'éducation, ils vont verser une somme de 2,6 milliards de dollars sur cinq ans, plutôt que sur quatre ans, comme ils l'avaient promis. Cela signifie 800 millions de dollars de moins pour l'éducation des Premières Nations. Pour ce qui est des services d'aide à l'enfance, comme l'a dit Cindy Blackstock, le budget est inférieur de 130 millions de dollars à l'engagement juridique énoncé dans la décision du Tribunal des droits de la personne, qui a conclu que le programme était discriminatoire à l'endroit des enfants autochtones. On note aussi un manque d'argent par rapport aux promesses faites concernant l'éducation postsecondaire.
En conséquence, le budget ne correspond pas, de façon générale, à ce que les libéraux avaient promis pendant la campagne.
C'est pourquoi je vais proposer, avec l'appui de la députée d'Hochelaga, le sous-amendement suivant:
Que l'amendement soit modifié en supprimant tous les mots après les mots « parce qu'il » et en y substituant le texte suivant:
« maintient les échappatoires fiscales pour les PDG et les cadeaux fiscaux offerts aux grandes entreprises plutôt que d'offrir immédiatement de l'aide aux Canadiens qui peinent à s'en sortir, omet de respecter les promesses du gouvernement d'investir dans les soins de santé, les aînés, les jeunes et les enfants des Premières Nations, n'améliore pas de manière significative l'accès à l'assurance-emploi, n'offre pas d'aide aux travailleurs saisonniers et manque de transparence; et que nous sommes de l'avis que le ministre des Finances doit modifier sa politique budgétaire afin que le gouvernement tienne ses promesses et réduit les inégalités économiques dans ce pays. »