Monsieur le Président, je vous remercie de me donner la chance de partager mes réflexions relativement au projet de loi C-14.
J'ai eu le privilège de siéger au Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir. Avec les membres de ce comité, formé de 11 de nos collègues et de cinq sénateurs, je crois être en mesure d'affirmer avoir été au coeur même des témoignages et des opinions provenant de différents groupes d'intervenants, d'experts en la matière ou de simples citoyens.
Le débat sur l'aide médicale à mourir soulève les passions. Cela s'explique du fait qu'il traite du dernier des tabous de toute société, c'est-à-dire prévoir réellement sa propre mort et, en quelque sorte, se faire aider pour l'organiser.
Selon que l'on soit religieux, laïc, athée, philosophiquement libéral ou conservateur d'esprit, toutes les opinions se valent sur l'aide médicale à mourir. Les opinions divergent et nos plus profondes valeurs morales semblent maintenant nous écorcher l'esprit au lendemain de la décision dans l'affaire Carter. L'argumentaire, dans un sens comme dans l'autre, au sujet de l'aide médicale à mourir est source d'inquiétude et à la fois d'espoir. Il ne laisse personne indifférent, mais avant tout il soulève les passions les plus sincères et honnêtes.
Il s'agit bien là du danger potentiel de perdre de vue l'objectif du débat. En fait, l'aide médicale à mourir, peu importe ce que représentent nos valeurs personnelles, n'est pas un concept que l'un d'entre nous doit imposer ou interdire à son voisin. J'exhorte tous mes collègues à garder à l'esprit que l'aide médicale à mourir est maintenant un droit individuel reconnu par la Cour suprême du Canada, un droit qui ne regarde personne d'autre que soi-même et, en même temps, un droit qui n'oblige personne d'autre, dans le respect des convictions morales individuelles les plus profondes.
La moralité, les tabous, le sujet de la mort annoncée et les passions que cela provoque ne doivent pas noyer la rationalité de l'affaire Carter. Si l'on fait abstraction de notre moralité individuelle comme ingrédient d'analyse à l'affaire Carter, celle-ci est assez simple au départ.
Premièrement, deux articles du Code criminel sont en jeu, en l'occurrence l'article 14 et le paragraphe 241b) du Code criminel. Ces dispositions prohibent ou interdisent à quelqu'un de conseiller ou d'aider un autre à se suicider.
Deuxièmement, en raison de ces dispositions du Code criminel du Canada, une personne atteinte d'une maladie grave et irrémédiable pourrait mettre fin prématurément à sa vie, sachant que personne ne pourra l'aider à mourir lorsqu'elle ne sera plus en mesure de se suicider d'elle-même en raison de l'évolution de sa maladie. Bref, la prohibition des dispositions susmentionnées du Code criminel du Canada fait en sorte qu'une personne souffrant d'une maladie irrémédiable pourrait mettre à sa vie pendant qu'elle jouit toujours d'une certaine qualité de vie, afin d'anticiper le moment où elle ne pourra plus mettre fin à ses jours d'elle-même.
Troisièmement, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit entre autres que chacun a droit à la vie. C'est au nom de ce principe que la Cour suprême, dans l'affaire Carter, nous dit que l'on ne peut soustraire ce droit à la vie à une personne malade dont le diagnostic la conduira inévitablement à la mort. Autrement dit, cette aide médicale à mourir maximisera le temps qu'il lui reste à vivre. Voilà l'objet du projet de loi C-14, qui consiste à amender le Code criminel du Canada afin de permettre une aide médicale à mourir.
À l'unanimité, et dans sa sagesse, la Cour suprême du Canada nous montre la voie nous permettant d'amender l'article 14 et le paragraphe 241b) du Code criminel qui, dans leur forme actuelle, portent atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne garanti par l'article 7 de notre Charte.
Les paramètres de l'affaire Carter qui doivent nous guider dans l'élaboration du projet de loi C-14 se retrouvent au paragraphe 127 de la décision, paragraphe que j'invite mes collègues à lire attentivement, puisqu'il méritera notre attention, lorsqu'il s'agira de débattre de ce sujet.
En résumé, la Cour suprême du Canada nous dit:
[Ces articles sont nuls] dans la mesure où ils prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. [...]
La Cour suprême du Canada nous dit, dans ce même paragraphe 127, que:
Cette déclaration est censée s’appliquer aux situations de fait que présente l’espèce et [qu'elle ne se prononce pas] sur d’autres situations où l’aide médicale à mourir peut être demandée.
Enfin, j'appuierai ce projet de loi en seconde lecture, tout en souhaitant — je m'en confesse — que le comité puisse le réexaminer pour tenter de peaufiner ce projet de loi, car j'ai certaines inquiétudes.
En guise d'exemple, ce projet de loi suggère peut-être une approche assez restrictive par rapport à l'affaire Carter, surtout lorsqu'on y lit des mots qui n'apparaissent dans cette décision. Par exemple au paragraphe 241.2(2), on y lit: « [Une personne] est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables ». Le mot « incurable » n'apparaît jamais dans l'affaire Carter, et cela peut sembler peut-être un peu trop restrictif.
En outre, dans ce projet de loi, on fait allusion à une « situation médicale qui se caractérise par un déclin avancé ». Les mots « déclin avancé » n'apparaissent pas la décision de l'affaire Carter et ils pourraient être interprétés comme étant un langage assez restrictif.
Une autre de mes inquiétudes tient du fait que ce projet de loi semble faire abstraction, pour l'instant, de toute demande anticipée d'aide médicale à mourir. Comme l'affaire Carter elle-même nous suggère qu'il peut y avoir d'autres demandes dans d'autres circonstances extraordinaires, je me permets de croire qu'il est fort probable que des gens atteints d'une maladie qui les laisse dans des conditions graves et irrémédiables peuvent avoir également comme conséquence la détérioration de leurs facultés cognitives et intellectuelles.
Selon moi, le comité devrait peut-être réexaminer cette possibilité d'une demande anticipée, afin d'éviter, en guise d'exemple, que quelqu'un qui souffre de la maladie d'Alzheimer ou d'un cancer du cerveau ne puisse donner un deuxième avis ou un deuxième consentement fort et éclairé pour obtenir cette aide médicale à mourir, en raison de la détérioration de sa capacité mentale et cognitive.
Également, dans ce projet de loi, il apparaît à l'alinéa 241.2(3)h) de la page 6, le langage suivant:
immédiatement avant de fournir l’aide médicale à mourir, donner à la personne la possibilité de retirer sa demande et s’assurer qu’elle consent expressément à recevoir l’aide médicale à mourir.
Il me semble que cet alinéa est assez sévère de sorte qu'une personne, par exemple, en face terminale et fortement médicamentée, pourrait perdre conscience ou toutes ses facultés intellectuelles en raison de la forte médication, et qu'il lui soit impossible de consentir dans un deuxième avis à cette aide médicale à mourir.
Enfin, voilà un peu mes réflexions sur ce projet de loi. J'espère que le comité qui aura la tâche de le réexaminer pourra se pencher sur ces quelques commentaires.