Monsieur le Président, je vais partager mon temps de parole avec l'honorable député de Madawaska—Restigouche.
C’est pour moi un honneur de parler de la motion à l’étude, d’autant plus que la Cour suprême du Canada a eu une grande influence sur moi. En effet, j’ai eu l’honneur d’y être greffier en 1989-1990 pour le juge Peter deCarteret Cory. Ce fut l’une des années qui ont fait de moi ce que je suis. Le portrait du juge Cory est toujours dans mon bureau, car le juge demeure au quotidien l’exemple de ce que c’est, être un homme moral. Pas un jour ne passe où je ne pense pas à la façon dont le juge Cory m’a traité, ainsi que les autres greffiers et les autres juges, sans oublier les avocats qui comparaissaient devant lui. Malgré mes imperfections, j’aspire à lui ressembler.
Il importe de rappeler que la motion à l’étude porte sur une coutume bien ancrée au Canada qui est respectée depuis environ 1949. Pour être plus précis, disons qu’elle veut que la Cour suprême du Canada ait une certaine composition et comprenne un juge du Canada atlantique. Il n’est pas vain de signaler que c’est là une coutume, et non une convention, et que nous y avons dérogé par le passé.
J’ajouterai que je m’exprime aussi à titre d’ancien professeur de droit à l’Université McGill, où j’ai enseigné pendant 20 ans, et de juriste qui a pu observer le fonctionnement interne de la Cour suprême comme greffier. J’ai vu tout le mal que les juges se donnent pour interpréter les lois, mais je suis également intervenu devant la Cour suprême et j’ai préparé des mémoires pour des plaidoyers oraux et écrits devant elle.
Je signale aussi à mes collègues d’en face que j’ai passé ma première année d’activité professionnelle à enseigner à l’Université du Nouveau-Brunswick. Ce fut une très belle année. C’était également ma première année de mariage. Ce fut une expérience fantastique que d’enseigner le droit dans le Canada atlantique, et de réfléchir aux problèmes de droit avec, comme étudiants, des habitants de cette région.
Ce qui compte le plus, ici, c’est la diversité. La diversité apporte des points de vue nouveaux à la Cour suprême.
C'est vrai que, jusqu'à présent, le Canada a bénéficié d'une diversité linguistique et culturelle. On a un règlement selon lequel trois des juges doivent venir du Québec. Cela est très important pour respecter la tradition de droit civil du Québec, ainsi que la langue française dans la présentation des arguments et les décisions de la Cour suprême.
Voilà pourquoi le bilinguisme est une exigence essentielle. Je me porte à la défense du bilinguisme passif que le gouvernement propose. C’est, dans les faits et en droit, la conduite que nous avons tenue à McGill au cours des 20 dernières années.
J’ai travaillé avec des avocats qui préparaient des auditions. Je les ai vus plaider. J’ai suivi les débats sur tous les termes employés dans les plaidoyers oraux et écrits. Je n’ai jamais entendu un excellent avocat, et j’en ai connu beaucoup, prétendre que la langue qu’ils emploient dans leurs plaidoyers est sans importance. Il est donc injuste de soumettre ces arguments au truchement de la traduction après qu’on y a consacré une si longue réflexion. Ce n’est juste ni pour les clients ni pour les avocats qui présentent ces causes. Par conséquent, en ce qui concerne les plaidoyers oraux et écrits, il est indispensable que les juges de la Cour suprême du Canada puissent saisir les nuances de l’original sans recourir à la traduction.
Je ne suis pas d’accord avec le député d’en face qui a dit que les juges devraient également pouvoir poser des questions. Ce serait effectivement souhaitable, mais ce qui est absolument nécessaire à l’équité, au Canada, c’est la capacité de comprendre les plaidoyers écrits et oraux, de saisir tout le travail qui se cache derrière chaque mot, dans les arguments d’une durée et d’une longueur limitées soumis à la Cour suprême.
J'aimerais passer au principe de la représentation régionale. C'est vrai qu'il est de coutume, depuis au moins 1949, qu'un juge vienne des provinces maritimes.
Mais je dois rappeler que nous avons rompu avec cette tradition en 1978, lorsque le premier ministre d’alors, Pierre Elliott Trudeau, a nommé le juge McIntyre de la Colombie-Britannique à la Cour suprême du Canada pour remplacer un juge de l’Ontario. Ce n’est que quatre ans plus tard, lorsque le juge Ronald Martland de l’Alberta a démissionné, que l’Ontario a récupéré son troisième siège avec la nomination de la juge Bertha Wilson.
Rien ne permet d’affirmer, même si certains invoquent une convention juridique, que cette convention soit devenue une loi contraignante. Au contraire, il n’y a pas de loi contraignante et, même s’il y a une coutume et que cette coutume est respectée, y compris par notre gouvernement, nous avons une certaine latitude permettant de nous en écarter lorsque les circonstances l’exigent.
J’ajouterai que, compte tenu de mon expérience dans le système judiciaire et dans l’enseignement du droit depuis plus de 20 ans, la parité hommes-femmes, que nous avons déjà essayé de mettre en place à la Cour suprême du Canada, a joué un grand rôle dans la modernisation du droit au Canada. Des juges comme Bertha Wilson, Claire L'Heureux-Dubé, Beverley McLachlin, Louise Arbour, Rosalie Abella et Suzanne Côté ont joué un rôle considérable dans la réinterprétation d’un certain nombre de doctrines en droit public, en droit privé et en droit pénal. Je pense par exemple aux droits génésiques, au Code criminel et au droit privé, domaines dans lesquels la parité nous a aidés à rendre nos lois plus justes et notre pays, plus équitable.
À l’heure actuelle, il n’y a ni Autochtone ni minorité visible à la Cour suprême du Canada, et il faut y remédier.
Prenons le temps de réfléchir un peu à l’inclusion de ces nouveaux points de vue, et je ne parle pas de représentation car il ne s’agit pas de représentation. Il s’agit d’inclure de nouveaux points de vue, car toutes les personnes qui seront nommées à la Cour suprême seront des juristes qui devront statuer en fonction des faits. Toutefois, en permettant à d’autres points de vue de s’exprimer dans cette institution, les problèmes seront appréhendés de façon plus complète et les décisions rendues seront plus justes. Nous devons reconnaître, en tant que pays et en tant que gouvernement, que la société canadienne a évolué et que l’absence de ces points de vue à la Cour suprême du Canada met à mal le concept de justice dans notre pays. Nous devons aux citoyens canadiens de permettre la prise en compte de ces points de vue. Nous devons aux citoyens canadiens de consacrer, dans une certaine mesure, l’inclusion de ces points de vue dans diverses institutions, y compris la Cour suprême du Canada, afin qu’ils puissent être pris en compte.
Je m’abstiendrai de parler du processus, car d’autres collègues ont abordé la question. Qu’il me suffise de dire que nous essayons de remettre en place un processus aussi transparent et aussi ouvert que possible pour la nomination des juges de la Cour suprême.
La diversité régionale est-elle une valeur importante? Bien sûr que oui. Nous reconnaissons que le Canada atlantique est représenté à la Cour suprême du Canada depuis fort longtemps et que c’est une coutume que nous devons continuer de respecter, toutes choses étant égales par ailleurs.
Or, il y a d'autres aspects de la diversité, notamment la représentation hommes-femmes, la diversité culturelle et la diversité linguistique, dont il faut également tenir compte d’une manière quelconque dans la composition de la Cour afin de favoriser les décisions équitables.
Un de mes mentors, Roderick Macdonald — professeur de longue date et doyen à l’Université McGill et également président de la Commission du droit du Canada -- a rédigé un rapport clé sur les pensionnats indiens au Canada, un document qui a profondément influencé la Commission de vérité et réconciliation. M. Macdonald se demandait toujours: « À qui incombe le fardeau de la justification? »
Nous aurons un groupe de trois à cinq candidats que le comité de sélection présentera à la Chambre. Le gouvernement se fera un plaisir d’assumer le fardeau de la justification si nous sommes d’avis qu’il y a lieu de déroger à la coutume relative à la représentation de l’Atlantique. Cela dit, nous appuyons entièrement la motion pour ce qui est de l'importance de la représentation régionale et reconnaissons que cette coutume devrait être respectée dans la mesure du possible.