Monsieur le Président, aujourd’hui, j’aimerais rendre hommage à la commission sur les femmes autochtones disparues ou assassinées et au travail important qu’elle a accompli aujourd’hui lors de la présentation de son rapport, particulièrement en ce qui a trait à la situation du logement et des transports publics au Canada. Je suis convaincu que tous les députés sont sensibles à ces questions. Dans le cadre de mon travail sur le dossier du logement, je comprends l’importance de donner suite aux recommandations qui sont formulées dans le rapport.
En ce qui concerne la commission sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, il est également important de noter que si nous en savons autant sur cette question, c'est en partie grâce aux journalistes autochtones de ce pays. Sans la voix des journalistes autochtones indépendants qui nous criaient de porter attention à la situation de ces femmes, les victimes n’auraient peut-être jamais pu se faire entendre sur la Colline du Parlement. Je tiens à remercier chaleureusement tous ces courageux journalistes qui ont soutenu leurs sœurs, leur mère, leurs tantes et leurs cousines pour le rôle qu’ils ont joué. Voilà pourquoi il est si important de soutenir le journalisme indépendant, le journalisme communautaire.
Nous vivons tous dans un environnement médiatique où certaines des voix les plus fortes du Canada, dont les noms ont été cités ad nauseam aujourd’hui, sont souvent entendues à la Chambre des communes. Cependant, le journalisme le plus important du pays est pratiqué par certains des médias les plus petits et les plus libres du milieu journalistique. En fait, ce sont eux qui sont les plus à risque dans l’environnement médiatique actuel. Ce sont eux qui sont venus nous voir et nous ont demandé de faire ce dont nous débattons en ce moment.
Je suis issu de cette communauté de journalistes. Mon premier emploi comme journaliste a été à la station de radio communautaire CKLN à Toronto. SI cette station n’avait pas accepté de donner une chance à un gars qui n’avait aucune formation, je n’aurais pas pu poursuivre ma carrière à Citytv, ensuite à CBC, puis à nouveau à Citytv et à CP24 comme journaliste. Je n’aurais jamais travaillé pour le Toronto Star et le Globe and Mail. Je n’aurais jamais fait partie des autres entreprises de radiodiffusion où j’ai travaillé.
La survie du journalisme communautaire est au cœur de mon discours d’aujourd’hui. Ma circonscription compte le siège social de CBC/Radio-Canada, CTV News à Toronto, Corus Entertainment et du Toronto Star. La ville de Toronto a un PIB de 330 millions de dollars. Pour mettre cela en contexte, l’Alberta a un PIB de 331 millions de dollars. À Toronto, les médias numériques sont le deuxième employeur en importance. Dans le domaine culturel, c’est un secteur essentiel pour les travailleurs qui vivent dans ma circonscription et qui gravitent autour de ces médias. J’ai une responsabilité envers ces travailleurs, pas seulement envers d’anciens collègues ou des membres de ma propre famille. Ma sœur est journaliste et beaucoup d’autres membres de ma famille, y compris mon père, étaient également journalistes.
J’ai grandi dans l’industrie et j’ai vu les choses changer au cours des 30 dernières années. Franchement, ça me fait peur. Les cameramen avec qui je travaillais ont les épaules et le dos en compote. Quand je sors d’une mêlée de presse, je vois quatre ou cinq anciens collègues qui travaillent pour différentes stations avec des contrats à court terme. Ce sont des gens avec qui j’ai partagé la joie suivant la naissance de leur premier enfant ou avec qui j’ai vécu la tristesse de la mort d’un parent. Ce ne sont pas seulement les journalistes dont les noms sont cités à la Chambre.
Les journalistes et les entreprises de presse de ce pays embauchent des gens dans toutes les sphères de travail, de la réceptionniste aux personnes qui nettoient les tasses de café une fois que la salle de rédaction est fermée pour la nuit. Je songe aux rédacteurs en chef, aux rédacteurs. Oui, ce sont les gens dont le nom est inscrit en tête de rubriques, mais il y a aussi des centaines, des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes dans ce pays dont l’emploi dépend de la présence de médias forts et indépendants. Il n’y a pas que les grandes organisations dans les grandes villes.
Quand un petit journal d’une petite ville ferme ses portes, tant de choses disparaissent avec lui. Tant de choses disparaissent lorsqu’une station de radio cesse de produire des nouvelles indépendantes ou de faire entendre la voix de nouveaux journalistes sur les ondes. Nous devons faire preuve d’intelligence et de sensibilité à cet égard, car il ne s'agit pas de la profession et de l’éthique du journalisme, mais de la santé des médias au pays. La santé des médias au pays n’a jamais été aussi fragile et menacée par autant de forces, et jamais autant de journaux, de stations de radio et de petites stations de télévision n’ont fermé leurs portes.
Nos collègues d’en face ont qualifié ces médias de « fossiles » et affirment qu’il faut s’y faire puisque la technologie évolue. Beaucoup de ces journaux indépendants sont de petites entreprises familiales. Si nous remplacions le mot média par ferme familiale, si nous mettions sur pied un groupe consultatif au sein du gouvernement fédéral pour décider quels secteurs agricoles familiaux survivront ou non, et si nous n’y nommions pas d'agriculteurs à ce groupe, les conservateurs seraient les premiers à nous faire des reproches, que nous mériterions. Si nous établissions une politique pétrolière nationale sans nommer de travailleurs du secteur pétrolier au groupe d’experts, les conservateurs seraient les premiers à nous le reprocher.
Unifor représente 12 000 personnes, dont la plupart ont des emplois ordinaires, font du bon travail pour un bon salaire avec de bons avantages sociaux grâce au syndicat. Voilà qui sont les personnes qu’Unifor représente, tout autant que les leaders d’opinion mentionnés dans le débat. Ces gens méritent d'avoir une voix dans le processus, et je vais prendre la parole pour les défendre, parce que ma carrière aurait disparu sans eux.
Dès que j’ai commencé à travailler dans les médias, mon père m’a pris à part et m’a dit que je devais respecter chaque maillon de la chaîne de production, autrement celle-ci s’enrayerait. J'ai pris cela à cœur et c'est encore le cas. Quand je circule dans certaines salles de presse, je vois la crainte sur les visages, avec la succession de mises à pied d’année en année, mois après mois.
Nous avons une responsabilité envers tous les travailleurs canadiens. Une réceptionniste dans une salle de presse n’est pas différente d’une réceptionniste dans une compagnie pétrolière ou dans un parc d’engraissement. Chaque personne mérite l’appui du gouvernement canadien pour s’assurer que les moyens de subsistance et les collectivités sont protégés.
Qu’avons-nous fait? J’écoute ce débat en tant que personne qui a été journaliste pendant la plus grande partie de sa vie. D’après les propos que j’entends, on croirait que le gouvernement paie pour le contenu. C’est complètement absurde. Les Canadiens doivent savoir qu’aucune partie des mesures que nous avons introduites n’impliquerait de payer pour le contenu.
Il y a trois grands volets. Premièrement, nous permettrions aux fondations communautaires et aux organisations médiatiques de petite taille de s’établir en tant qu’organismes de bienfaisance pour que les Canadiens puissent décider eux-mêmes à qui faire un don. Ces organismes de bienfaisance pourraient ensuite créer une fondation pour protéger le journalisme indépendant. Nous ne choisissons pas quels organismes de bienfaisance reçoivent des dons. C’est aux Canadiens de décider. Nous décidons seulement quelles organisations médiatiques devraient se qualifier comme organismes de bienfaisance.
C’est important, parce qu’il y a maintenant de fausses organisations médiatiques qui se présentent comme si elles en étaient de véritables, même si elles n'ont jamais fait preuve de la moindre éthique journalistique. L’industrie pourrait ainsi mobiliser ses membres qui veulent participer. S’ils veulent maintenir leur indépendance et ne pas participer au programme, c’est leur affaire. Toutefois, il est bon qu’un groupe de journalistes indépendants examine une organisation pour voir si elle embauche des journalistes professionnels et si elle est bien présente dans la communauté qu’elle prétend représenter.
Deuxièmement, il y aurait un allégement fiscal pour l’embauche. Comme pour toute industrie en difficulté, il est normal d’accorder des allégements fiscaux aux organisations qui embauchent des journalistes en activité. C’est pour nous assurer de ne pas verser de l’argent dans une poche pour le voir ressortir par une autre poche pour aboutir dans un fonds de couverture de New York. Ce fut le cas avec le National Post. Ses dirigeants sont venus crier famine sur la Colline, ils ont mis à pied tout un tas de gens, et tous ses cadres supérieurs ensuite ont touché de grosses primes tandis que des Canadiens se retrouvaient au chômage.
Si nous injectons de l’argent dans cette industrie, nous devons nous assurer que nous créerons des emplois et que des Canadiens qui travaillent fort ne perdront pas leurs emplois tandis que l’argent du gouvernement fédéral sera tout simplement transféré à un fonds de couverture à New York. Je pense que c’est d’une importance capitale.
Le dernier élément est un allégement fiscal pour les abonnements. Ce sont les Canadiens qui choisiraient où investir leur argent, pas nous. Ils pourraient déduire leurs abonnements, en particulier les abonnements électroniques, de sorte que le flux d’argent dans les comptes bancaires des journalistes indépendants ne se tarisse pas. Encore une fois, les Canadiens choisiraient les journaux qui reçoivent leurs dons et ceux auxquels ils s’abonnent. Le gouvernement fédéral met tout simplement en place un mécanisme pour encourager ce processus pour assurer une certaine stabilité à l’industrie.
En ce qui concerne Unifor, il y a cette idée qu’un rédacteur du Toronto Sun qui représentera Unifor sera en quelque sorte redevable au gouvernement parce ce que cette personne peut choisir quelqu’un qui choisit quelqu’un qui choisit quelqu’un. C’est de l'indépendance poussée à l'extrême. L’idée qu’il serait possible d’acheter un rédacteur du Toronto Sun est risible.
Tous les journalistes avec qui j’ai travaillé diraient que c’est risible. Le simple fait que les conservateurs aient cité une kyrielle de journalistes qui disaient qu’ils ne se feraient pas acheter nous dit exactement à quel point ce principe est protégé dans l’univers journalistique. Personne ne sera acheté parce que quelqu’un a fait un don à une fondation de bienfaisance. C’est complètement ridicule. Cela représente à bien des égards une perspective des journalistes qui ne pourrait venir que d’un parti qui croit, même après avoir raflé les trois quarts des recommandations des comités de rédaction l’an dernier, qu’il existe encore un préjugé favorable aux libéraux dans les médias. C’est absurde.
La réalité est que les journalistes professionnels sont justement cela: des journalistes professionnels. Je peux garantir aux députés qu’ils sont sceptiques à l’égard de tout le monde, également.
Il s’agit de travailleurs et nous devons garder cela au cœur de tout ce dont nous parlons dans cette enceinte. C’est un secteur de l’économie, un secteur très important dans ma circonscription et dans différentes collectivités, qui doit être protégé et qui a besoin d’appui.
Comme je l’ai dit, les députés devraient regarder leur discours, rayer le mot média et le remplacer par ferme familiale et me dire s’ils diraient quelque chose de semblable à propos des fermes familiales dans leurs communautés. Ils ne le feraient pas. Ils n’hésitent pas avec les fermes familiales et les conseils agricoles. Ils comprennent vite qu’il faut des allégements fiscaux pour la ferme familiale. Ils ne craignent pas de s’assurer que la ferme familiale est représentée dans les accords commerciaux. Nous ne disons pas à la ferme familiale si elle doit élever des poulets ou du bétail, ou encore produire des œufs. Ces choix seront faits par les fermes familiales de la même façon que les médias prendront leurs décisions en matière d’intégrité journalistique. Les journalistes sont intègres. C’est dans l’ADN de la profession.
Je terminerai en racontant exactement comment j’ai découvert le vrai visage du Parti conservateur en ce qui concerne l’indépendance journalistique.
J’ai surtout couvert les affaires municipales. J’ai couvert Queen’s Park assez souvent. J’ai aussi été envoyé à Ottawa assez régulièrement pendant les six dernières années de ma carrière de journaliste politique, alors que M. Harper venait tout juste de commencer comme premier ministre. J’avais l’habitude d’aborder les questions du point de vue de Toronto, ce que je fais toujours aujourd’hui en tant que député.
Je me souviens d’avoir couvert une annonce de nomination dans la circonscription de St. Paul’s, à la Timothy Eaton Memorial Church. J’ai fait allusion au député de Thornhill plus tôt aujourd’hui lorsque je l’ai remercié pour le don qu’il a fait à ma campagne lorsque je me suis lancé en politique. Il a affirmé que je m'étais écarté du droit chemin. Je dirais que je me suis retrouvé exactement là où je devais être, mais je ne partage pas son avis quant au résultat de son don. Les citoyens de ma circonscription le remercient de son appui, car ils m'ont envoyé à Ottawa à quelques reprises depuis.
J’étais à la course à l’investiture lorsque ce député est entré en politique. Il a décidé de se porter candidat pour le Parti conservateur dans la circonscription de St. Paul’s. Le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, s’est présenté pour célébrer l’acquisition d’un candidat vedette du Parti conservateur. Je trouvais dommage que Stephen Harper refuse de parler de logement chaque fois qu’il venait à Toronto, alors que nous étions en pleine crise du logement. Déjà à cette époque, j’exigeais que le gouvernement national se dote d’une politique fédérale du logement et, déjà à ce moment-là, il fallait insister beaucoup plus énergiquement sur cette question à la Chambre des communes.
J’ai interrompu un point de presse qu’il donnait et j’ai posé la question. On m’a répondu que c’était une question locale et de ne pas poser ce genre de questions. Ensuite, j’ai essayé de l’intercepter à la sortie pour lui demander pourquoi le Parti conservateur fédéral n’avait pas de stratégie nationale en matière de logement. À ce moment-là, quelqu’un m’a attrapé par derrière, par le collet, et m’a pratiquement jeté par terre. J’ai eu le réflexe de faire demi-tour pour frapper la personne avec mon microphone, mais je ne l’ai pas fait. Qui était-ce? C’était l’attaché de presse de Harper. C’était toute une commotion. Le caméraman a dû me retenir. J’étais furieux. Personne ne s’en était jamais pris à moi physiquement dans un point de presse, et pourtant je m’étais trouvé dans des points de presse avec tout le monde.
La chose la plus intéressante est ce qui s’est produit le lendemain. Sans que les conservateurs le sachent, on m’a envoyé à Ottawa afin de couvrir un gouvernement minoritaire qui avait des problèmes à assurer sa survie. Je suis entré dans la salle de presse où je travaillais et j'ai vu le secrétaire de presse de Harper planté dans la pièce où j’avais mon bureau. J’étais le correspondant principal de CHUM CityNews pour l’actualité politique à l’époque. Il aboyait sur mes deux collègues, les menaçant de ne plus jamais obtenir une question si un certain journaliste de Toronto se présentait et posait une question au chef du Parti conservateur. Il leur criait qu’ils ne poseraient plus jamais de question, que City TV n’obtiendrait plus jamais de question et qu’on les ignorerait. Il a déclaré que le parti ferait tout en son pouvoir pour se débarrasser de ce journaliste.
C’est l’attitude des conservateurs face aux médias indépendants. Lorsqu’ils n’obtiennent pas un article qu’ils aiment ou lorsqu’on leur pose une question qu’ils n’aiment pas, ils ne se contentent pas d’en rester là et de l'accepter comme des grands. Ils s’en prennent aux gens avec tout leur arsenal. Ils les menacent de poursuites judiciaires, et là je pourrais parler à la Chambre de Julian Fantino. Ils les menacent de leur faire perdre leur emploi, et là je pourrais parler à la Chambre de Paul Godfrey et Mel Lastman.
Cependant, ce que les conservateurs n’aiment vraiment pas, c’est un journaliste indépendant qui défend une collectivité locale et pose les questions auxquelles les membres de la collectivité ont besoin d’obtenir des réponses du gouvernement fédéral. Lorsque les journalistes font cela, les conservateurs ne se contentent pas de les menacer, ils menacent toute l’organisation de presse.
Voilà l’attitude des conservateurs dans les coulisses de la tribune de la presse parlementaire, lorsque les projecteurs sont braqués ailleurs. Les conservateurs font tout leur possible pour réduire au silence encore et toujours la voix du journalisme indépendant.
Les conservateurs prétendent se tenir debout dans le dossier Unifor. Ce qui les inquiète, c’est qu’Unifor ne les aime pas. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’Unifor n’a pas d’influence sur les journalistes qu’il représente dans les salles de rédaction et les journaux, les stations de télévision et les stations de radio. Unifor ne se présente jamais dans les salles de presse ou de rédaction pour dicter ce qui va arriver, pas plus que le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, qui a été propriétaire du Toronto Sun, n’a dicté quoi que ce soit à Paul Godfrey, ou à Sue-Ann Levy, ou à David Aiken lorsqu’il y travaillait, ou à Brian Lilley lorsqu’il y travaillait, ou à Ezra Levant lorsqu’il y travaillait, ou à Faith Goldy lorsqu’elle y travaillait. Aucun d’eux ne s’est jamais fait dicter quoi dire par le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et aucun d’eux n’a certainement été endossé par Unifor.
Néanmoins, Unifor participe au processus afin de veiller à ce que tous les travailleurs des médias, pas seulement les journalistes, mais tous ceux qui sont employés par toutes les organisations de presse d’un océan à l’autre, reçoivent un traitement équitable et raisonnable. C’est la raison d’être du projet de loi. La défense du journalisme est sa raison d’être. On ne parle pas que des journalistes. On parle de chaque personne qui reçoit un chèque de paye, qui soutient sa famille et qui dépense de l’argent au dépanneur, tout comme nous le faisons dans nos communautés respectives.
C’est ce que le projet de loi tente de faire. C’est pourquoi il est essentiel. Je suis très fier de faire partie d’un gouvernement qui comprend qu’on ne peut pas soudoyer un journaliste, mais qu’ont peut soutenir les médias. Nous soutiendrons les organisations des médias dans l’ensemble du pays, même si elles nous critiquent. À la différence du Parti conservateur, elles ne nous effraient pas.