propose que le projet de loi C-438, Loi édictant la Charte canadienne des droits environnementaux et apportant des modifications connexes à d’autres lois, soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Madame la Présidente, les députés sont nombreux à savoir que j'attends depuis longtemps l'occasion de débattre de nouveau de ce projet de loi. Il s'agit du projet de loi C-438, Loi édictant la Charte canadienne des droits environnementaux et apportant des modifications connexes à d’autres lois, puisque cela comprend une modification de la Déclaration canadienne des droits.
C'est la quatrième fois en 11 années et trois législatures que je dépose ce projet de loi. Je crois que la première fois, c'était tout de suite après ma première élection, quelque part entre 2008 et 2009. Il a été débattu dans cette enceinte et il a été étudié par un comité, ce dont je parlerai dans un instant. Aujourd'hui, dans la brève période qui m'est allouée, j'espère pouvoir expliquer ce qu'est une charte des droits environnementaux, en donner l'origine, puis indiquer pourquoi il est nécessaire d'en adopter une et qui souscrit à cette idée.
La charte canadienne des droits environnementaux accorde aux Canadiens le droit à un environnement sain et écologiquement équilibré. Elle confirme l'obligation du gouvernement du Canada de protéger l'environnement. Elle modifie la Déclaration canadienne des droits pour y ajouter des droits environnementaux. Elle accorde aux Canadiens un ensemble de droits et de recours, y compris le droit de participer à la prise de décisions en matière d'environnement et de santé, l'accès aux cours et aux tribunaux ainsi que le pouvoir de demander des comptes au gouvernement du Canada en matière d'application efficace des règles environnementales et d'examen des lois et des politiques. Elle accorde une protection aux lanceurs d'alerte qui divulguent aux Canadiens des renseignements pertinents concernant la santé ou l'environnement.
Comme je l'ai dit, c'est la quatrième fois que je dépose ce projet de loi en 11 ans et au cours de trois législatures. Mon projet de loi a été contesté, mais j'ai bénéficié d'une décision de la présidence lorsque les conservateurs ont tenté de le faire avorter en 2009. Il a ensuite passé l'étape de la deuxième lecture, avant d'être renvoyé à un comité. Malheureusement, il a été charcuté par le comité, puis il est mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections hâtives.
Comme je l'ai indiqué, j'ai déposé à nouveau mon projet de loi en 2011 et en 2015, puis j'en ai déposé une version révisée et mise à jour en 2019.
Pourquoi avons-nous besoin d'une charte des droits environnementaux? Les porte-parole locaux, les porte-parole des ONG et les porte-parole des Autochtones jouent souvent un rôle capital dans l'adoption de mesures pour protéger la santé et l'environnement. Les lois et les politiques fédérales sont rendues meilleures quand la population a son mot à dire et les droits publics sont absolument indispensables à la reddition de comptes par le gouvernement. C'est ce que je constate depuis près de 50 ans que je suis avocate spécialisée en défense de l'environnement.
Je vais maintenant donner quelques exemples de ce qui arrive lorsque la population est consultée et que ses droits sont respectés et ce qui arrive dans le cas contraire.
Un exemple éloquent est une consultation que j'ai tenue avec un petit organisme communautaire en Alberta. Nous discutions de la façon d'améliorer les émissions des centrales au charbon, qui produisent encore une grande partie de l'électricité en Alberta et en Saskatchewan et qui en produisent énormément en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.
Le mercure provenant des centrales électriques au charbon est la plus grande source de mercure industriel en Amérique du Nord. Le mercure est une substance neurotoxique. C'est la première substance à avoir été désignée par le gouvernement fédéral dans l'ancienne Loi sur les contaminants de l'environnement et elle a été incorporée à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Or, jusqu'à aujourd'hui, le gouvernement fédéral n'a jamais réglementé le mercure émanant des centrales au charbon.
J'ai participé bénévolement à l'examen des normes. Le processus était fondé sur le consensus. J'ai tenu bon. Si l'industrie voulait ses normes d'émissions pour les oxydes d'azote, les particules de dioxyde de soufre, elle devait accepter ma recommandation: le secteur devrait assurer la capture du mercure et une loi devrait être adoptée. Le gouvernement de l'Alberta a adopté une loi, ce qui est à son honneur.
Cela montre bien que si la collectivité n'était pas intervenue, ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement provincial n'aurait pris l'initiative d'agir pour mettre un terme au déversement de mercure dans nos lacs, même après 40 ans de combustion de charbon en Alberta.
Le problème du mercure à Grassy Narrows, dont nous parlons ici depuis quelques mois, en est un autre exemple, différent celui-ci. Si la communauté autochtone de Grassy Narrows avait participé aux décisions sur le fonctionnement des activités industrielles sur son territoire et le long de la rivière et avait été consultée quand est venu le moment de déterminer si le déversement d'un effluent à forte concentration de mercure dans la rivière posait ou non un danger, si on lui avait fourni l'information nécessaire sur les répercussions possibles sur la santé et l'environnement et donné la possibilité de participer aux décisions sur le fonctionnement de cette usine, je ne pense pas que les choses en seraient où elles en sont aujourd'hui sur les plans des répercussions sur la santé et des coûts d'assainissement.
Voilà la différence associée au fait d'avoir certains droits environnementaux: on peut négocier et avoir accès à l'information. Dans l'autre exemple, celui de Grassy Narrows, cela n'a pas été le cas et les coûts ont été élevés, tant sur le plan de la santé que sur le plan financier.
À diverses reprises, j'ai fait part à la Chambre de mes craintes liées aux conséquences des émissions sur la communauté autochtone vivant à proximité du complexe industriel de Sarnia et j'ai souligné l'inaction des deux ordres de gouvernement pour s'attaquer au problème et mener des études et un contrôle sanitaires appropriés. La communauté s'est battue simplement pour essayer d'obtenir des informations de base sur la nature des émissions, les contrôles en vigueur et les conséquences éventuelles sur la santé.
Les communautés autochtones du Nord de l'Alberta se sont senties frustrées lorsqu'elles ont essayé d'obtenir enfin une étude de l'impact des émissions des sables bitumineux sur leur santé, en dépit du fait que, nombre d'années auparavant, il y avait eu un communiqué sur le taux élevé de cancers rares dans la région. De leur côté, les scientifiques ont mené de nombreux travaux témoignant d'une accumulation de contaminants dans la rivière Athabasca, ainsi que dans l'air et dans les sols.
Cette semaine, trois chefs de cette région ont publié un article dans le Hill Times. Ils ont déclaré que seuls les sables bitumineux offrent des possibilités d'emploi et de développement économique dans leur région. Ils investissent dans les sables bitumineux. Ils exigent de prendre part aux décisions visant à déterminer si on autorisera le rejet des eaux contaminées de ces étangs de goudron dans la rivière Athabasca. Ces eaux contamineront la rivière Athabasca, qui contaminera le lac Athabasca, et ainsi de suite jusque dans les Territoires du Nord-Ouest. C'est ce qui se passe depuis de nombreuses années, et c'est le gouvernement qui prend ces décisions à huis clos.
Voilà qui illustre parfaitement pourquoi il est nécessaire d'avoir une charte des droits environnementaux. Si nous disposions d'une telle charte, ces communautés auraient le droit d'avoir accès à tous ces renseignements, de savoir ce qui se passe et d'avoir leur mot à dire pour déterminer s'il s'agit d'une décision judicieuse.
La Première Nation crie Mikisew a finalement dû se présenter devant l'UNESCO pour exiger que l'on intervienne relativement aux répercussions du barrage du site C, du barrage Bennett et de l'exploitation des sables bitumineux sur le delta Paix-Athabasca et le site du patrimoine mondial. L'UNESCO a émis des directives, et nous attendons encore que le gouvernement les applique.
Les deux derniers exemples ont trait aux pipelines. Si le gouvernement précédent, formé par les conservateurs, avait écouté ses conseillers, les Premières Nations et les groupes environnementaux, il aurait vu qu'il ne pouvait pas autoriser la construction du pipeline Northern Gateway sans respecter les droits et les intérêts des Premières Nations. Il en était de même pour le pipeline Trans Mountain. Alors, le gouvernement ne s'étant pas acquitté de ses obligations relatives aux espèces menacées, comme l'a constaté la justice, ces deux projets ont été retardés ou annulés.
Si le pays était doté d'une charte des droits environnementaux, celle-ci préciserait le droit de participer, le droit d'avoir accès à l'information et le droit de consulter des experts et des avocats, de manière à pouvoir prendre part aux discussions de manière constructive et éclairée.
Qui souscrit à cette idée de charte? Certaines provinces et certains territoires ont adopté des dispositions juridiques protégeant un éventail de droits environnementaux, dont certains sont également inscrits dans des lois fédérales. Malheureusement, bon nombre de dispositions de ces lois ont été affaiblies par le gouvernement Harper. Celui-ci a miné le cadre des évaluations environnementales fédérales, ce qui a limité les possibilités de participation pour la population ainsi que le genre de projets devant être évalués, notamment en ce qui concerne l'expansion des projets d'exploitation des sables bitumineux et les opérations de forage.
Lors de la campagne électorale de 2015, les libéraux avaient promis de renforcer immédiatement les lois fédérales en matière d'environnement. Quatre années plus tard, rien n'a été fait en réponse au rapport de mon comité sur la réforme de la LCPE, qui aurait étendu les droits environnementaux, et nous ne savons toujours pas quel sera le sort du projet de loi C-69. Nous attendons avec impatience de voir ce qui adviendra de tous les amendements régressifs proposés au Sénat.
L'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement était un accord parallèle de l'ALENA. C'est la Commission nord-américaine de coopération environnementale qui était chargée de son application. J'ai eu le privilège de travailler à la Commission pendant quatre ans en tant que chef des affaires juridiques et de l'application. Dans le cadre de cet accord, le Canada, tout comme le Mexique et les États-Unis, s'était engagé à ce que le secteur public s'implique dans la conservation, la protection et l'amélioration de l'environnement. Il s'était aussi engagé à donner aux gens l'occasion de donner leur avis au sujet des mesures environnementales proposées et la possibilité de demander un rapport sur l'application efficace des règles environnementales, d'avoir recours à des instances administratives, quasi judiciaires ou judiciaires et de demander réparation. C'est exactement ce qui se trouve dans le projet de loi à l'étude.
Il y a des années que le Canada s'est engagé à faire avancer et à défendre ces droits. J'ai donc présenté cette proposition à de multiples reprises afin d'inciter le gouvernement à répondre à la législation actuelle en matière de commerce international. Dans un instant, je parlerai de ce que le gouvernement aurait pu faire et de ce qu'on lui a demandé de faire.
La nouvelle législation en matière de commerce international comporte un accord parallèle. Cependant, je suis attristée de constater que c'est une version édulcorée de l'accord actuel. Tous les accords de commerce international conclus depuis l'adoption de l'ALENA ont fait reculer les droits environnementaux inscrits dans l'accord parallèle.
Le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations unies devait examiner la question des obligations en matière de droit de la personne relatives à la possibilité de profiter d'un environnement propre, sûr, sain et durable. Il a parcouru le monde pendant quatre ans. Au nom du Conseil, il a produit un modèle de charte des droits environnementaux que l'ensemble des pays peuvent adopter. Eh bien, c'est exactement le modèle que j'ai suivi dans mon projet de loi.
Plus de 90 pays ont intégré ces droits à leur constitution, à leurs lois, à leur jurisprudence et aux déclarations ou traités internationaux. Le Canada est très en retard.
En 2009, de nombreux pays, surtout des pays scandinaves ou européens, ont signé la convention d'Aarhus. Par cette convention, les signataires ont pris des engagements sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement. Le Canada a déclaré qu'il n'avait pas à la signer parce qu'il appliquait déjà ces droits. En fait, il ne les applique pas encore.
Dernièrement, de nombreux députés — et c'est tout à leur honneur — ont signé l'engagement pour les droits environnementaux dans le cadre de la campagne Bleu Terre de la Fondation David Suzuki. Il y a eu une grande fête, lundi soir, pour célébrer le fait que de nombreux parlementaires se sont engagés à mettre en œuvre les droits environnementaux.
C'est intéressant. En 2018, les libéraux ont organisé un congrès fédéral dans le cadre duquel ils ont adopté une résolution. Dans cette résolution, on rappelle aux libéraux qu'en juin 2010, tous les députés libéraux présents à la Chambre des communes ont voté en faveur de l’adoption du projet de loi. C-469, c'est-à-dire mon projet de loi sur la Charte canadienne des droits environnementaux. On y rappelle aussi que l'ONU reconnaît le caractère fondamental des droits environnementaux. En adoptant la résolution, les libéraux se sont littéralement engagés à ce que le Parti libéral du Canada exhorte le gouvernement du Canada à légiférer pour adopter une charte canadienne des droits environnementaux.
Depuis que j'ai été élue, en 2008, j'ai toujours dit que je laisserais volontiers le gouvernement du jour prendre mon projet de loi pour en faire un projet de loi complet. Nous voilà à quelques semaines de la fin de la session, et rien ne s'est produit. C'est pourquoi je suis ravie de pouvoir débattre du projet de loi. Je suis impatiente d'entendre les réactions de certains députés.
Jusqu'à présent, plus de 3 000 Canadiens ont signé des pétitions en ligne et sur papier pour indiquer qu'ils appuient l'adoption d'une charte des droits environnementaux. Ecojustice, la Fondation David Suzuki et, plus récemment, l'organisme Social Justice Cooperative Newfoundland and Labrador ont avalisé le projet de loi et ont réclamé que le gouvernement passe à l'action pour le faire adopter.
Il me tarde d'entendre les commentaires des autres partis de la Chambre. Ce fut un immense plaisir de travailler avec d'autres députés sur des questions environnementales. Je sais qu'il y a d'ardents défenseurs des droits environnementaux parmi les députés et j'espère qu'ils interviendront ce soir.