Monsieur le Président, pour en revenir à la question de privilège à l'étude aujourd'hui, je veux intervenir parce que les publications en ligne du gouvernement supposent que le projet de loi C-71 sera adopté par le Parlement. La GRC ne mentionne aucunement la nécessité que le projet de loi soit approuvé par le Parlement; on ne fait en fait aucune mention du processus parlementaire. Pour moi, cela représente purement et simplement un outrage au Parlement.
À la page 14 de l'ouvrage de Joseph Maingot intitulé Le privilège parlementaire au Canada, deuxième édition, on trouve une explication de l'outrage:
Comme cela se produit devant une cour supérieure, celui qui, par ses actes ou ses paroles, désobéit ou manque ouvertement de respect à l'autorité de la Chambre des communes ou du Sénat ou à des ordres légitimes qui en émanent, peut être accusé d'outrage à la Chambre des communes ou au Sénat, selon le cas. Par conséquent, nous verrons que les Chambres ont le pouvoir ou le droit de réprimer des actes qui, même s'ils n'apparaissent pas comme des atteintes à un privilège particulier, portent préjudice à l'autorité ou à la dignité du Parlement.
Dans La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, à la page 81 on peut lire:
La Chambre des communes, en exerçant son pouvoir de réprimer l'outrage, dispose d'une très grande latitude pour défendre sa dignité et son autorité. En d'autres termes, elle peut considérer toute inconduite comme un outrage et la traiter en conséquence.
Je vais maintenant citer un extrait du « Bulletin spécial no 93 à l’intention des entreprises ».
D'abord, voici ce qu'on y lit:
Comme les armes à feu CZ ne seront pas toutes touchées par les modifications relatives à leur classification, les entreprises devront déterminer si leurs armes à feu seront touchées par ces modifications.
Le projet de loi C-71 énumère aussi plusieurs armes à feu Swiss Arms (SA) précises qui deviendront aussi prohibées.
Si vous possédez des armes à feu CZ/SA, les étapes ci-dessous pourraient vous aider à déterminer si le projet de loi C-71 a une incidence sur votre stock d’armes à feu. Elles expliquent les exigences relatives aux droits acquis et comment éviter de posséder illégalement une arme à feu.
Les mots employés sont assez clairs. Il est écrit « ne seront pas toutes touchées », « deviendront aussi prohibées » et « seront touchées », plutôt que « ne seraient pas toutes touchées », « seraient prohibées » et « seraient touchées ».
Voici ce qu'on peut lire un peu plus loin dans le bulletin:
Les propriétaires d’entreprise seront encore autorisés à céder une partie ou la totalité des armes à feu CZ ou SA touchées de leur stock à un particulier titulaire d’un permis en bonne et due forme jusqu’à ce que les dispositions du projet de loi C-71 entrent en vigueur. Pour qu’un propriétaire puisse se prévaloir de droits acquis, certains prérequis doivent être rencontrés au plus tard le 30 juin 2018.
On pourrait croire que le texte du bulletin admet tout de même à mots couverts la nécessité d'obtenir au préalable l'aval du Parlement, mais voici encore un extrait:
Les modifications proposées du statut de classification des armes à feu CZ/SA énumérées dans le projet de loi C-71 entreront en vigueur à une date qui sera déterminée par le gouverneur en conseil. Cette date reste à déterminer.
En tout respect, je suis d'avis que l'emploi réel ou sous-entendu du conditionnel dans ce document amène le lecteur à penser que la décision appartient au Cabinet, et non au Parlement.
Je passe maintenant à un second document, intitulé « Quelle sera l'incidence du projet de loi C-71 pour les particuliers? », dans lequel on retrouve plus de formules présomptueuses. Beaucoup d'éléments ressemblent aux extraits du « Bulletin spécial no 93 à l'intention des entreprises » que j'ai cités.
D'autres passages, cependant, comprennent entre autres ce qui suit:
Si votre arme à feu SA figurait dans la liste du projet de loi C-71, elle sera classée comme une arme à feu prohibée.
La publication indique « figurait », comme si le projet de loi C-71 était un document du passé et non un projet de loi qui est actuellement étudié par un comité parlementaire.
Plus tard, on peut lire ceci:
Pour exercer des droits acquis à l’égard de vos armes à feu CZ/SA actuellement sans restriction ou à autorisation restreinte, vous devez remplir les critères ci-dessous.
Vient ensuite une liste de détails que les propriétaires d'arme à feu doivent respecter et qui, comme par hasard, figurent à l'article 3 du projet de loi C-71. Pourtant, rien n'indique qu'il s'agit de propositions qui ont été présentées au Parlement, encore moins que l'approbation du Parlement est nécessaire pour leur application.
Une décision déterminante au sujet de la présomption de la prise de décisions au Parlement concernant des projets de loi a été rendue par le Président Fraser, le 10 octobre 1989, à la page 4461 des Débats, en ce qui a trait à la mise en oeuvre de la taxe sur les produits et services.
Les annonces publicitaires contestées dans ce cas contenaient un vocabulaire sans équivoque semblable, tel que « le régime de la taxe fédérale de vente connaîtra des modifications. Veuillez conserver cet avis », et la taxe sur les produits et services « remplacera l'actuelle taxe fédérale de vente ».
Dans ce cas, le Président Fraser a jugé qu'il n'y avait pas, de prime à bord, matière à outrage. Cependant, il n'aurait pas pu être plus clair lorsqu'il a dit, et je cite:
Je veux […] que la Chambre comprenne très clairement que, si jamais le Président est appelé à examiner de nouveau une situation comme celle-ci, la présidence ne sera pas aussi généreuse. À mon avis c'est une situation qui ne devrait jamais se reproduire. Je m'attends à ce que le ministère des Finances et les autres ministères étudient cette décision avec soin et je rappelle à tous, dans la fonction publique, que nous sommes une démocratie parlementaire et non une démocratie de type exécutif ou de type administratif […]
Un vote sur cette question pourrait ne pas constituer un appui pour le très important message que votre Président veut communiquer, un message qui, je l'espère, sera dûment pris en considération à l'avenir par les gouvernements, les dirigeants ministériels et les agences de publicité dont ils auront retenu les services. Cette annonce publicitaire ne constitue peut-être pas un outrage à la Chambre dans les limites étroites établies par une définition de procédure mais elle est mal conçue, à mon sens, et elle dessert les grandes traditions de la Chambre. Si nous ne préservons pas ces grandes traditions nos libertés seront menacées et nos conventions seront bafouées. J'insiste, et je crois que j'ai l'appui de la majorité des membres modérés et sérieux de cette Chambre-de part et d'autre de celle-ci-sur le fait que cette annonce est répréhensible et qu'on ne devrait pas la répéter.
Des décisions ultérieures ont établi une distinction entre le cas visé par la décision de 1989 et d'autres cas et, à mon avis, ne correspondent pas aux circonstances qui motivent mon intervention.
Le 13 mars 1997, à la page 8988 des Débats, le Président Parent a jugé, relativement à une campagne de publicité liée à une mesure législative antitabac, qu'il n'y avait pas eu, à première vue, d'outrage au Parlement, mais il a formulé le conseil suivant:
[...] lorsque le gouvernement émet des communications qui contiennent des allusions à des mesures dont la Chambre est saisie, il serait prudent de choisir des mots et des expressions qui ne laissent planer aucun doute quant à la disposition de ces mesures.
Ce conseil a été mis en pratique par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration dans du matériel de promotion touchant le projet de loi C-50, ce qui a amené le Président Milliken à rendre la décision de 2008 que j'ai citée au début de mes observations, à savoir qu'il n'y avait pas eu, à première vue, d'outrage.
Plus récemment, votre prédécesseur immédiat a déclaré, le 28 septembre 2011, à la page 1577 des Débats, qu'un avis de projet de marché de services consultatifs sur les répercussions de divers scénarios de démantèlement du monopole de la Commission canadienne du blé faisait « partie d’un processus de planification auquel on pourrait s’attendre dans l’éventualité du projet d’abrogation de la Loi sur la Commission canadienne du blé. »
Monsieur le Président, dans votre décision du 29 mai 2017, à la page 11552 des Débats, vous avez déclaré que les offres d'emploi publiées pour embaucher les dirigeants de la Banque de l'infrastructure, dont la Chambre était alors saisie dans le cadre du projet de loi d'exécution du budget, ne constituaient pas un outrage, car certaines, mais pas la totalité, des offres d'emploi du gouvernement indiquaient nécessiter l'approbation du Parlement. Dans sa décision, la présidence a déclaré:
En particulier, j'ai cherché tout indice donnant à penser que l'approbation du Parlement n'était pas nécessaire ou importante ou qu'elle avait déjà été donnée. Autrement dit, j'étais à l'affût de toute transgression ou manque de respect envers l'autorité et la dignité de la Chambre et de ses membres.
Or, je crois que la décision la plus pertinente qui touche les faits dont nous parlons aujourd'hui est celle du Président Stockwell, à l'Assemblée législative de l'Ontario, rendue le 22 janvier 1997 au sujet d'une brochure gouvernementale expliquant le projet de loi sur la réforme municipale, qui est un peu comme l'objet des documents de la GRC sur Internet. En concluant qu'il y avait eu outrage de prime abord, le Président Stockwell avait dit ceci:
Je trouve beaucoup à redire à la brochure du Ministère parce qu'elle est rédigée en termes plus définitifs que la publicité et le communiqué. Elle déclare, entre autres, qu'« une nouvelle ville sera créée », que « les travaux d'édification de la nouvelle ville commenceront en 1997 » et que « la nouvelle ville de Toronto réduira le nombre des politiciens municipaux ».
Comment doit-on interpréter ces déclarations sans nuances? À mon avis, elles donnent l’impression que l’adoption de la loi requise est superflue ou courue d’avance ou que l’Assemblée n’a qu’un rôle formel, accessoire, voire inférieur dans le processus législatif et, ce faisant, semblent porter atteinte au respect qui lui est dû. Je n’en serais pas venu à cette conclusion si on avait nuancé ces déclarations ou propositions — et elles ne sont rien de plus — en précisant qu’elles ne deviendront réalité que si l’Assemblée les approuve.
Dans les documents de la GRC, il n'est pas question d'établir une nouvelle société d'État, d'embaucher un consultant du gouvernement fédéral, ni même de la promotion d'une campagne antitabac, de nouvelles modifications fiscales ou de changements au sein des gouvernements locaux. Il est question d'une publication qui donne des conseils sur la manière d'éviter de devenir un criminel. Cela peut-il être plus grave? Ce ne sont pas des exagérations.
J'ai parlé plus tôt du passage qui dit qu'elles « expliquent les exigences relatives aux droits acquis et comment éviter de posséder illégalement une arme à feu » et de celui qui dit que « si votre arme à feu SA était inscrite dans la liste du projet de loi C-71, elle sera classée comme une arme à feu prohibée. »
La possession illégale d'une arme à feu peut entraîner une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans. C'est assez sérieux.
Les conservateurs ont exprimé clairement et officiellement leurs préoccupations au sujet de la reclassification arbitraire des armes à feu par la GRC. C'est pourquoi le gouvernement précédent a confié au gouverneur en conseil un rôle de surveillance. Essentiellement, les propriétaires respectueux de la loi qui respectent toutes les règles et les règlements concernant leurs armes à feu sont soudainement, à cause d'une réunion de quelques bureaucrates, déclarés criminels pour possession d'une arme illégale, alors qu'ils possèdent et utilisent cette arme pour le tir sportif ou la chasse depuis de nombreuses années. Soudain, d'un seul coup, ce que des dizaines ou des centaines de milliers de personnes possèdent déjà est jugé illégal.
La GRC a déjà fait preuve d'un tel manque de respect envers les Canadiens respectueux de la loi. La GRC a déjà été reconnue coupable d'outrage au Parlement à maintes reprises. En fait, cela fait partie de l'histoire de cette institution.
Le 16 février 1965, le Président Macnaughton avait conclu, de prime abord, que l'arrestation d'un député de l'opposition par la GRC constituait une question de privilège. Le 4 septembre 1973, le Président Lamoureux avait conclu, de prime abord, que l'interrogatoire d'un député de l'opposition par la GRC constituait une question de privilège. Le 21 mars 1978, le Président Jerome avait conclu, de prime abord, que la surveillance électronique de la GRC — l'espionnage, en d'autres termes — d'un député de l'opposition constituait une question de privilège. Le 6 décembre 1978, le Président Jerome avait conclu, de prime abord, que le fait que la GRC avait induit en erreur un ancien ministre au sujet de l'information qu'il avait fournie aux parlementaires de l'opposition constituait une question de privilège.
Le 1er décembre 2004, le Président Milliken a conclu que, de prime abord, le fait que la GRC bloquait l'accès des députés à la Colline du Parlement constituait une question de privilège. Le 10 avril 2008, le Président Milliken a conclu de prime abord que le témoignage faux et trompeur présenté au comité des comptes publics par le sous-commissaire de la GRC de l'époque constituait une question de privilège.
Le 15 mars 2012, votre prédécesseur immédiat, monsieur le Président, a conclu de prime abord que le refus de la GRC d'accorder aux députés l'accès à l'édifice du Centre constituait une question de privilège. Le 25 septembre 2014, on a encore conclu de prime abord que le refus de la GRC de donner accès à la colline du Parlement constituait une question de privilège. Le 12 mai 2015, deux incidents où des députés se sont vu refuser l'accès à l'édifice du Centre par la GRC ont constitué, de prime abord, une question de privilège.
Monsieur le Président, vous avez également dû vous-même vous occuper de ces questions. Les 6 et 11 avril 2017, vous avez constaté vous-même que, de prime abord, le service de protection du Parlement, une organisation qui, bien sûr, a une relation juridique claire avec la GRC, avait refusé l'accès aux députés, ce qui constitue une atteinte au privilège.
Même du côté du Sénat, le 8 mai 2013, la GRC a été reconnue coupable d'outrage de prime abord par le Président Kinsella, à la suite de ses efforts pour empêcher les membres du groupe de travail parlementaire de comparaître comme témoins devant un comité.
Il va sans dire qu'il n'est absolument pas surprenant que notre police nationale se montre encore une fois méprisante devant le Parlement. Ce qui est encore plus désolant, c'est que le ministre responsable de la GRC, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, est l'un des députés les plus expérimentés à la Chambre en plus d'être un ancien leader du gouvernement. Le ministre devrait exiger que ses fonctionnaires fassent preuve de respect envers le Parlement. La GRC n'est pas au-dessus des lois ni au-dessus de la Chambre des communes.
Monsieur le Président, si vous convenez qu'il y a de prime abord outrage au Parlement, je suis prêt à présenter une motion en conséquence.