Merci, monsieur le président.
Je dois avouer que je trouve un peu blessant de voir que certains demandent que la séance soit levée alors que nous avons si longuement parlé de liberté d'expression et de l'importance de pouvoir s'exprimer. Selon moi, cela implique aussi l'obligation, ne serait-ce que par respect, de laisser les autres s'exprimer, ce que je suis heureux de pouvoir faire à cette heure-ci. Je vais quand même essayer d'être bref.
Comment en sommes-nous arrivés là? C'est assez troublant.
D'abord, on s'entend que les libéraux n'ont pas été à la hauteur en abandonnant l'article 4.1 proposé sans prendre immédiatement de précautions pour rassurer les utilisateurs quant à leur liberté de partager leur contenu. Sont alors arrivés sur la scène différents ténors d'une non-réglementation d'Internet, qui ont saisi la balle au bond et mis l'accent sur cette faille, laquelle pouvait, selon leur lecture, mettre à risque la liberté d'expression.
Or, entre la négligence des libéraux et la réaction des conservateurs se trouve, en plein milieu, l'industrie culturelle. J'ai bien entendu mes collègues MM. Rayes et Shields témoigner et professer leur amour pour la culture, et je n'en doute pas une seconde. Je pense que nul ne peut siéger au présent comité sans avoir une profonde affection pour la culture. Cela étant dit, c'est la culture qui paie actuellement le prix de cette joute qu'on peine à régler.
On a beaucoup cité M. Geist, dont je reconnais l'expertise, mais d'autres experts ont aussi dit d'autres choses. Je vais vous parler de M. Pierre Trudel et de Mme Monique Simard, qui ont publié une lettre dans Le Devoir. Pierre Trudel n'est pas n'importe qui. Vous connaissez le contenu de la lettre, je suis convaincu que tout le monde est au courant de leur point de vue: « Le projet de loi C-10 n'induit aucun risque de voir un jour le CRTC se mettre à réglementer les vidéos émanant d'individus [...] » Bref, vous pourrez aller lire cette lettre. Je ne veux pas prendre trop de votre temps pour cela.
Pierre Trudel est, lui aussi, un professeur de droit, à l'Université de Montréal. Cet homme a rédigé des livres sur le droit d'accès à l'information et le droit des médias. Il travaille beaucoup sur le sujet de la réglementation d'Internet. Mme Simard et lui ont fait partie du comité d'experts fédéral sur la révision du cadre législatif et réglementaire relatif à la radiodiffusion. Je pense donc que ce sont des gens qui ont, eux aussi, une certaine crédibilité.
Je conviens que l'on doit se fier à des experts. Cependant, quand on veut écouter les points de vue des experts sur un domaine dans lequel on n'a pas soi-même d'expertise, il faut écouter ceux qui prônent un point de vue qui n'est pas nécessairement celui qu'on adopte spontanément. Il faut faire preuve d'ouverture. Vouloir mieux comprendre le dossier, c'est aussi vouloir comprendre le point de vue de toutes les parties.
À l'heure actuelle, l'industrie culturelle se demande pourquoi on perd autant de temps à discuter alors qu'il y a urgence d'agir. Mme Yale mentionnait cette urgence d'agir l'an dernier dans son rapport, d'ailleurs cosigné par Mme Simard. Nous étions tous d'accord là-dessus. Présentement, je pense qu'il ne faut pas parler pour le Parti libéral, pour les conservateurs, pour le NPD ni pour le Bloc québécois, mais qu'il faut parler pour ceux que ce projet de loi va toucher le plus: les gens de l'industrie culturelle et des médias.
Les géants d'Internet causent énormément de dommages à notre industrie et à notre système canadien de radiodiffusion, et c'est la raison pour laquelle nous sommes là. Oui, il y a des inquiétudes qu'il faut calmer. Il faut rassurer ces gens qui craignent pour leur liberté d'expression, je suis 100 % d'accord sur cela. C'est la raison pour laquelle, jusqu'à maintenant, j'ai tenu à ce que cet élément soit clarifié. Je pense que la proposition de M. Housefather aujourd'hui est un compromis qui mérite d'être considéré par toutes les parties.
Je veux revenir sur l'argument mis en avant par Mme Harder et M. Rayes un peu plus tôt. Il serait impossible de ne pas revenir en arrière, si le ministre de la Justice ne nous fournissait pas un nouvel avis concernant la Charte canadienne des droits et libertés qui cautionnait le projet de loi C-10. Il serait impossible de ne pas revenir en arrière, parce que refuser le consentement unanime pour venir changer des articles équivaudrait à tuer le projet de loi. Personne parmi tous ceux qui veulent voir aboutir ce projet de loi ne refuserait de revenir modifier des articles du projet de loi si ce dernier n'obtenait pas le plein aval du ministre de la Justice par l'entremise de son nouvel énoncé concernant la Charte canadienne des droits et libertés.
Il y a matière à faire preuve de bonne volonté et de bonne foi. Nous obtiendrons le nouvel énoncé concernant la Charte, nous aurons la visite des deux ministres, nous aurons les réponses à nos questions et nous n'aurons pas à soumettre ce projet de loi à un vote avant d'avoir ces garanties. Jamais le Bloc québécois ne cautionnerait quelque projet de loi que ce soit s'il avait le moindre soupçon que ce dernier fait courir un risque réel à la liberté d'expression.
En attendant, il y a d'autres articles sur lesquels nous pouvons travailler pour faire avancer ce projet de loi au bénéfice de l'industrie culturelle, qui nous le réclame à grand prix. Je sais que l'industrie culturelle canadienne et québécoise vous tient à cœur. Je sais aussi que vous voulez tous faire des progrès, tous partis confondus. Je vous invite donc à faire preuve d'ouverture.
Nous allons nous assurer que la liberté d'expression est protégée par tous les moyens qu'il faudra et tous les moyens qui vont nous satisfaire. Entretemps, je crois que nous avons le devoir de continuer à travailler pour améliorer ce projet de loi, qui, nous en convenons tous, avait besoin de beaucoup d'amour pour devenir acceptable aux yeux de chacun. Nous avons aussi le devoir de respecter le processus démocratique, mes amis. À cet égard, si nous respectons le processus démocratique, nous devons accepter que les membres du Comité puissent se prononcer tous ensemble sur une motion qui m'apparaît acceptable.
De toute façon, même si nous voulions revenir à la motion de Mme Harder, comme les conservateurs semblent le demander, il faudrait d'abord traiter la motion dont nous sommes présentement saisis. Je pense donc que nous devrions mettre aux voix cette motion et donner la chance au Comité de poursuivre le processus démocratique. Je crois que c'est raisonnable et que cela relève du gros bon sens. Nous le devons à nos créateurs québécois et canadiens. Nous le devons à l'industrie médiatique et culturelle.
Merci, monsieur le président. Il est temps que nous passions à autre chose grâce à un bon compromis.