Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Bonjour.
Je tiens à souligner que je vous parle aujourd'hui d'Ottawa, qui se trouve sur le territoire traditionnel du peuple algonquin.
Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître devant vous pour discuter de l'énoncé concernant la Charte qui a été déposé en rapport avec le projet de loi C-10, ainsi que du document explicatif concernant les amendements proposés, qui a été transmis aux membres du Comité.
Comme vous pouvez le constater, je comparais en compagnie du ministre Guilbeault, qui est le ministre responsable du projet de loi C-10. Je suis également accompagné de fonctionnaires du ministère de la Justice.
J'aimerais commencer par discuter de l'obligation que m'impose la loi, à titre de ministre de la Justice, de préparer des énoncés concernant la Charte canadienne des droits et libertés pour les projets de loi du gouvernement qui sont présentés à la Chambre des communes.
Je discuterai de l'objet des énoncés concernant la Charte, de leur contexte et de leur historique. J'expliquerai ce que les énoncés concernant la Charte visent à faire et je parlerai de ce que les énoncés concernant la Charte ne font pas.
J'ai également le plaisir d'aborder l'énoncé concernant la Charte qui a été déposé pour le projet de loi C-10, ainsi que le document explicatif qui vous a été transmis et qui traite des effets possibles des modifications proposées quant à la liberté d'expression.
Je dois souligner en premier lieu que mon rôle en tant que ministre de la Justice et procureur général ne consiste pas à fournir des conseils juridiques aux comités parlementaires. Les comités peuvent consulter leurs propres conseillers juridiques et des témoins indépendants.
Comme vous le savez, cependant, j'ai l'obligation, en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice, d'examiner les projets de loi proposés par le gouvernement pour relever des incohérences par rapport à la Charte et de rédiger des énoncés concernant la Charte relatifs à des projets de loi émanant du gouvernement. Ces obligations ont été établies par le gouvernement par souci d'ouverture et de transparence envers les Canadiens en ce qui a trait aux éléments liés à la Charte dans nos lois.
Ces deux obligations — examiner les projets de loi et rédiger des énoncés concernant la Charte — visent les projets de loi tels qu'ils ont été déposés.
L'article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice veille à ce qu'un énoncé concernant la Charte soit déposé à la Chambre des communes pour chaque projet de loi du gouvernement. Cette obligation est entrée en vigueur en décembre 2019.
L'examen de projets de loi lorsqu'il y a possibilité d'incompatibilité avec la Charte, lequel est prévu à l'article 4.1, est une de mes responsabilités les plus importantes. Permettez-moi de vous assurer que l'obligation prévue à l'article 4.2, soit celle de veiller à ce que des énoncés concernant la Charte soient déposés, est également une obligation que je prends très au sérieux.
Je tiens à souligner l'objet des énoncés concernant la Charte.
Les énoncés concernant la Charte visent à aider à éclairer le débat public et parlementaire sur un projet de loi du gouvernement. Ils favorisent la transparence à l'égard des effets du projet de loi du gouvernement sur les valeurs fondamentales protégées par la Charte. Ils fournissent des renseignements supplémentaires aux parlementaires pour éclairer davantage nos importants débats législatifs au nom des Canadiens, et ils fournissent des renseignements supplémentaires aux Canadiens pour les aider à participer à ces débats par l'entremise de leurs représentants.
L'obligation de veiller à ce que des énoncés concernant la Charte soient déposés témoigne de l'engagement de notre gouvernement à respecter et à promouvoir la Charte en tant qu'aspect intégral de la bonne gouvernance de notre pays.
Nous ne pouvons jamais renoncer à notre responsabilité, en tant que gouvernement, de veiller à ce que nos décisions, y compris celles qui se reflètent dans la réforme d'une loi, respectent nos droits et libertés fondamentaux. L'article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice renforce l'obligation du gouvernement actuel et des gouvernements futurs de respecter cette exigence la plus élémentaire.
J'aimerais prendre quelques instants pour expliquer le contenu des énoncés concernant la Charte. Conformément à leur objectif, les énoncés concernant la Charte sont rédigés d'une façon rigoureuse. Ils font état, d'une manière accessible, des effets potentiels d'un projet de loi sur les droits et libertés garantis par la Charte. Les énoncés comportent également une explication des éléments qui soutiennent la constitutionnalité d'un projet de loi.
Il est important de souligner, dans notre discussion sur la Charte, que, lorsque le Parlement légifère, il peut y avoir une incidence sur les droits et libertés garantis par la Charte. Il peut s'agir de restreindre la jouissance ou l'exercice lorsque cela va dans l'intérêt du grand public. C'est tout à fait légitime. Les droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas absolus; ils sont plutôt assujettis à des limites raisonnables, pourvu que l'on puisse démontrer que ces limites sont justifiées dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Cela signifie que, lorsqu'il s'agit de déterminer l'effet potentiel d'un projet de loi qui pourrait limiter un droit ou une liberté, il peut aussi se révéler nécessaire de déterminer si la limite est raisonnable et justifiée. Un énoncé concernant la Charte peut, par conséquent, présenter des considérations pertinentes aux fins de la détermination du caractère justifiable d'un projet de loi.
La possibilité de limiter des droits et des libertés garantis par la Charte ne constitue pas une autorisation d'y porter atteinte. Il s'agit plutôt d'un rappel que les limites imposées à des droits et à des libertés dans une loi doivent être examinées attentivement dans le contexte des valeurs communes d'une société unique, libre et démocratique comme le Canada.
En tant que parlementaires, nous avons la responsabilité de discuter et de débattre des effets potentiels sur les droits et libertés garantis par la Charte. Nous exerçons notre jugement pour le compte des Canadiens afin de déterminer si un projet de loi établit un juste équilibre entre les droits et libertés et l'intérêt du grand public. Les énoncés concernant la Charte sont une autre source d'information à examiner dans le cadre de notre réflexion.
J'aimerais également prendre un moment pour expliquer ce qu'un énoncé concernant la Charte n'est pas.
Un énoncé concernant la Charte n'est pas un avis juridique. Il ne fournit pas une analyse complète de la constitutionnalité d'un projet de loi.
Comme je l'ai mentionné, un énoncé concernant la Charte fournit au public et au Parlement des renseignements juridiques sur les effets possibles d'un projet de loi sur les droits garantis par la Charte, ainsi que sur les considérations qui appuient la cohérence du projet de loi avec la Charte.
Comme nous le savons tous, les projets de loi changent souvent pendant leur examen par le Parlement. Un énoncé concernant la Charte reflète le projet de loi au moment de sa présentation par le gouvernement à la Chambre des communes. En vertu de l'article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice, il n'y a aucune exigence de mettre à jour les énoncés concernant la Charte au fur et à mesure qu'un projet de loi est examiné par le Parlement.
Compte tenu de ce contexte, permettez-moi de passer maintenant aux modifications proposées au projet de loi C-10 concernant les médias sociaux, dont le Comité est saisi.
Mon collègue le ministre Guilbeault a discuté de la portée des modifications proposées. Il a souligné les objectifs stratégiques importants que ces modifications visent à atteindre, et il a discuté de leurs effets escomptés sur les services de médias sociaux et les utilisateurs de ces services.
Bref, les modifications proposées ont pour effet que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pourrait réglementer un service de médias sociaux quant au téléversement de programmes par ses utilisateurs non affiliés seulement en ce qui concerne les éléments suivants: le paiement de frais réglementaires, par exemple pour appuyer la création d'une programmation canadienne; la découvrabilité de créateurs canadiens; l'enregistrement du service; la communication de renseignements et la vérification des dossiers.
Comme j'en ai l'obligation en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice, j'ai déposé un énoncé concernant la Charte sur le projet de loi C-10 à la Chambre des communes le 18 novembre 2020. Cet énoncé concernant la Charte fait état des droits et libertés qui pourraient être touchés par le projet de loi C-10 et des considérations pertinentes étayant en quoi le projet de loi est conforme à la Charte.
À la lumière des discussions récentes du Comité sur les effets des amendements proposés sur les médias sociaux, je comprends que vous avez beaucoup débattu de la liberté d'expression.
Nous vous avons fait parvenir un document explicatif que nous avons préparé pour vous sur l'effet potentiel des amendements proposés sur le droit à la liberté d'expression prévu à l'alinéa 2b) de la Charte. Je crois fermement que ces considérations attestent de la conformité du projet de loi à la Charte et qu'elles demeurent telles qu'elles sont exposées dans l'Énoncé concernant la Charte. Nous sommes d'avis que le projet de loi, tel qu'il a été déposé, et que les amendements proposés sont conformes à la Charte.
Comme l'indique l'Énoncé concernant la Charte, les exigences réglementaires du projet de loi sont susceptibles de porter atteinte à la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Or, voici les considérations sur lesquelles nous nous appuyons pour déterminer que les exigences réglementaires proposées restent en cohérence avec l'alinéa 2b) de la Charte.
L'article 1, qui resterait tel quel selon le projet de loi, prescrit que le régime réglementaire de la radiodiffusion ne s'applique pas aux utilisateurs non affiliés ni aux émissions qu'ils affichent. Le projet de loi vise donc à mettre à jour les pouvoirs réglementaires du CRTC et à lui en conférer de nouveaux relativement aux services en ligne. Le rôle du CRTC est maintenu, et il conserve sa souplesse pour déterminer quelles exigences réglementaires il doit imposer, s'il y a lieu, aux entreprises de radiodiffusion.
En ce qui concerne la proposition de donner au CRTC de nouveaux pouvoirs limités pour réglementer une entreprise en ligne fournissant un service de média social pour les émissions diffusées par des utilisateurs non affiliés, les dispositions pertinentes de la Charte s'appliquent au rôle discrétionnaire et à la souplesse conférés au CRTC.
La proposition de limiter les pouvoirs discrétionnaires du CRTC de réglementer les services de médias sociaux relativement aux émissions diffusées par des utilisateurs non affiliés, afin qu'il ne puisse réglementer que les parties que j'ai mentionnées, est également à prendre en considération. Le CRTC est assujetti à la Charte et doit donc exercer tout pouvoir discrétionnaire dont il dispose de manière conforme à la Charte.
La loi prévoit qu'elle ne doit être interprétée et appliquée que dans le respect de la liberté d'expression. Les décisions du CRTC sur des questions de droit ou de compétence peuvent par ailleurs être soumises à la Cour d'appel fédérale.
À mon avis, les considérations pertinentes exposées dans l'Énoncé concernant la Charte demeurent valides. Les amendements proposés ne changent en rien ces considérations.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au Comité aujourd'hui.
C'est avec plaisir que je resterai parmi vous pour répondre à vos questions.