Monsieur le Président, matna.
Chaque fois que j'entre dans l'enceinte de la Chambre des communes et que je prends la parole dans cette salle, on me rappelle sans relâche que je n'ai pas ma place ici.
Je ne me suis jamais sentie en sécurité ou protégée dans mon poste, surtout à la Chambre des communes, et j'ai souvent dû me donner des mots d'encouragement dans l'ascenseur ou prendre un moment dans les toilettes pour maintenir mon calme. Lorsque je franchis ces portes, non seulement cela me rappelle la maison coloniale en feu dans laquelle j'entre volontairement, mais je suis déjà en mode survie.
Depuis j'ai été élue, je m'attends à être arrêtée par des agents de sécurité sur mon lieu de travail. Des agents de sécurité m'ont poursuivi en courant dans les couloirs et ont failli poser leurs mains sur moi et j'ai fait l'objet de profilage racial en tant que députée. Je sais quoi faire dans ces situations. Ma vie au Canada, surtout cette expérience, m'a appris beaucoup de choses. En tant que femme à la peau brune, je ne bouge pas trop rapidement ou soudainement, je n'élève pas la voix, je ne fais pas de scène, je maintiens le contact visuel et je ne cache pas mes mains.
L'instinct de survie est propre à tous les Inuks. Nous n'avons pas le choix. Il y a moins de deux générations de cela, on entendait par instinct de survie la résistance aux températures extrêmes et la capacité de trouver de la nourriture tout l'hiver. Aujourd'hui, l'instinct de survie, c'est être capable d'envisager un refuge chaud et une vie abordable pour voir le gouvernement fédéral nous en priver.
Les institutions fédérales doivent changer leurs politiques et procédures afin de tenir compte de la réalité plutôt que de créer des obstacles pour les personnes comme moi. Je ne devrais pas avoir peur d'aller travailler. Personne ne devait avoir peur d'aller travailler. Il est possible d'instaurer le changement en commençant à la Chambre des communes, pour qu'il se reflète ensuite à l'échelle du pays. Il y a une résistance au changement, un refus de changer, mais ce n'est pas parce que nous n'en sommes pas capables.
Les personnes comme moi n'ont pas leur place dans une institution fédérale. Je suis un être humain qui veut utiliser cette institution pour aider les autres, mais le fait est que cette institution et le pays qu'elle représente ont été créés aux dépens des peuples autochtones, qu'ils sont le fruit de leurs traumatismes et de leur déplacement. Même si on nous dit que nous devrions nous présenter aux élections, nous devons quand même surmonter des obstacles majeurs. Les jeunes se font dire qu'ils manquent d'expérience, qu'ils ne sont pas prêts à diriger. Les femmes, elles, doivent prendre place gentiment, puis se taire. Les personnes ayant un handicap ont pour leur part constaté à maintes reprises qu'on ne s'intéresse même pas à elles. Le taux de suicide chez les Inuits est le plus élevé au pays. Nous vivons une épidémie de suicides, et cette institution refuse de s'en soucier.
Depuis que je siège dans cette enceinte, j'ai entendu tant de jolis mots, comme « réconciliation », « diversité » et « inclusion ». Des gens de l'extérieur de mon parti m'ont qualifiée de courageuse, de brave et de forte. Je serai toutefois honnête, brutalement honnête. Les belles paroles, sans résultats concrets, font mal lorsqu'elles sont prononcées par ceux qui exercent un pouvoir sur l'institution fédérale et qui refusent d'agir. Il n'y a pas de quoi être fier de l'héritage que cette institution continue non seulement à maintenir, mais à bâtir et à alimenter. Les gens au pouvoir ont des choix à faire, et ils choisissent constamment des priorités qui maintiennent en place des systèmes d'oppression. Songeons aux bébés qui deviennent malades dans des maisons infestées de moisissures et aux parents qui ont perdu des enfants parce que ces individus puissants n'estiment pas que le changement en vaut le coût.
Récemment, j'ai demandé à un ministre ce qu'il ferait à ma place. Si sa circonscription affichait le taux de suicide le plus élevé et comptait le plus grand nombre de maisons ayant besoin de réparations, si des femmes et des filles disparaissaient dans sa collectivité et si des enfants étaient placés dans des familles d'accueil sans égard pour leur bien-être, comment se sentirait‑il? J'ai demandé si le ministre allait changer sa réponse si je lui disais de continuer à attendre. Il n'a pas su me répondre. Il a dit qu'il n'essaierait même pas de se mettre à ma place. Voilà justement le problème. Les Inuits ont demandé à ceux qui ont le pouvoir et la capacité d'apporter des changements d'essayer de se mettre à leur place et de survivre le temps d'un jour, d'une semaine, d'un mois. Ils n'ont pas pu.
Il est peut-être impossible pour les ministres de comprendre ce que nous vivons chaque jour, mais je les exhorte à nous écouter, à nous croire et à remédier à la situation. Quand nous leur disons d'agir maintenant, ils doivent agir maintenant. S'ils comprennent vraiment, alors ils devraient avoir honte, car s'ils comprennent à quel point cela fait mal, ils savent à quel point la blessure est profonde. Il serait plus facile pour moi de me faire dire que j'ai tort et que les ministres ne sont pas d'accord avec moi que de me faire dire que j'ai raison et que je suis courageuse, mais qu'il n'y a pas de marge de manœuvre dans le budget pour les droits fondamentaux de la personne que tant d'autres personnes tiennent pour acquis.
Je n'ai pas ma place ici, mais j'espère que ma présence commence à ébranler les fondements de l'institution fédérale qui a commencé à coloniser les Inuits il y a à peine 70 ans. Je sais que c'est difficile à entendre pour certains députés, mais c'est la réalité et la vérité. Cet endroit a été édifié en opprimant les peuples autochtones, des gens comme mon grand-père, qui est né et qui a grandi sur cette terre, mais qui a été réinstallé de force dans un établissement financé et construit par l'institution fédérale.
Notre histoire est tachée de sang, du sang d'enfants, de jeunes, d'adultes et d'aînés. Il est temps de regarder la balance de la justice: d'un côté, il y a une montagne de souffrance et chaque fois que le gouvernement nous donne un grain de sable en soutien, il semble croire que les traumatismes passés ont été effacés et qu'il mérite une tape dans le dos. Dans les faits, il faudra une montagne de soutien pour que le processus de guérison puisse seulement commencer. Tant que dans cette enceinte résonneront des promesses creuses plutôt que de véritables actions, ma place ne sera pas ici.
Bien que ma place ne soit peut-être pas dans cette institution, je suis à ma place dans mon parti. Le NPD a toujours eu à cœur de faire entendre la voix des personnes de différents horizons auxquelles l'institution fédérale ne porte pas attention.
Je tiens à remercier le chef de mon parti, le député de Burnaby-Sud, de m'avoir écoutée et de m'avoir fait sentir que je pouvais dire ce que j'avais à dire, en toute sécurité et sans hésiter. Quand des députés d'autres partis m'ont demandé de défendre un enjeu que leur parti refusait d'aborder, je ne me suis jamais sentie muselée par le NPD. Je ne pourrais jamais me joindre à un autre parti. Je suis néo-démocrate et fière de l'être.
Je remercie mes collègues de New Westminster—Burnaby, de North Island—Powell River et en particulier d'Hamilton Centre d'avoir toujours été là pour moi. Sans mes collègues du NPD, je n'aurais pas eu une si bonne plateforme, aussi sincère dans sa volonté de faire plus, de faire mieux et de faire ce qui s'impose.
Je voudrais aussi remercier mes meilleurs alliés, ma mère et mon père, Pia et Jimmy, ainsi que mon frère, Lars, de tout ce qu'ils ont fait pour moi depuis le début.
Je salue aussi bien bas tout mon personnel, sans qui je n'aurais pas pu survivre. Avec tout ce qui a été produit dans mon bureau, dont je suis très fière, je sais que je n'y serais pas arrivée sans eux. Je leur en suis très reconnaissante.
Bien entendu, je remercie du fond du cœur les Inuits et les Nunavummiuts qui croient en moi et qui m'appuient. Vos messages d'encouragement sont beaucoup plus importants que l'on pense. Je voudrais remercier Pauktuutit de toujours défendre les femmes et les jeunes filles inuites comme moi, et de dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir, même quand cela dérange.
Je lutterai toujours pour les droits des peuples autochtones du Nunavut et de partout au pays. Je crois que le pays vit une transformation, et que les Canadiens commencent à prendre conscience de la réalité. J'espère qu'un jour, les personnes comme moi auront leur place ici. J'espère qu'une autre jeune personne, une personne inuk, une femme, ou les trois à la fois, marchera sur mes traces et continuera à inciter cette institution à soutenir les peuples autochtones au Canada.
J'ai prouvé au pays et au monde que rien n'est impossible, que l'espoir peut naître là où on l'avait délibérément éteint, et que lorsque nous unissons nos forces et utilisons nos voix, nous pouvons ouvrir la voie à de réels changements. Je resterai toujours convaincue que nous pouvons faire de la politique différemment. Nous avons déjà commencé et nous allons continuer d'avancer dans cette voie en veillant à ne pas dévier en cours de route.