Madame la Présidente, j'interviens aujourd'hui pour vous parler de la motion M-36 qui vise à désigner le 1er août de chaque année comme étant le Jour de l'émancipation au Canada. La motion M-36 nous ramène au 1er août 1834, ce jour symbolique où l'esclavage a été aboli dans l'Empire britannique.
Cette date cruciale de l'histoire canadienne rappelle toutefois que l'esclavage a bel et bien existé au Canada pendant plus de 200 ans. Nous savons que des Noirs et des Autochtones ont été réduits en esclavage, mais nous ne connaissons malheureusement pas leurs noms ni leurs histoires. Le premier esclave d'origine africaine s'appelait Olivier Le Jeune et il n'avait que six ans lorsqu'il est arrivé au Québec. Y a-t-il eu d'autres enfants? Comment ont-ils vécu leur vie? Connaître le passé, connaître ce passé en particulier, est une tâche collective et un devoir de société dans le cadre de la célébration du Jour de l'émancipation.
C'est pour cela que la motion présentée par l'honorable député de Richmond Hill souligne qu'il demeure important pour notre pays de commémorer le passé et de se rappeler les événements parfois difficiles, comme l'esclavage, et d'éduquer en racontant cette histoire. Célébrer le Jour de l'émancipation au Canada est un pas vers cette reconnaissance de l'apport positif des personnes d'ascendance africaine à l'histoire canadienne.
Les historiens rapportent que le 1er août 1834, dans le port de Montréal, un groupe d'Afro-Montréalais ardents défenseurs de la cause abolitionniste a célébré l'entrée en vigueur de la Loi de l'abolition de l'esclavage. Ce qui est beau dans tout cela, c'est que, depuis lors, les Canadiens noirs de partout au pays poursuivent cette célébration et créent leurs propres traditions pour commémorer cet événement historique. Différentes coutumes ont été adoptées au sein de nos communautés noires afin d'honorer leurs ancêtres réduits en esclavage, mais aussi leur immense passion.
Notre histoire est riche et pleine de rebondissements et c'est une partie importante de cette histoire que j'ai eu le grand privilège d'apprendre l'été dernier lors de la marche symbolique du Jour de l'émancipation, organisée pour contribuer à la campagne de récupération et de reconstruction du centre communautaire noir de Montréal. L'événement avait débuté par un rassemblement à la place D'Youville en l'honneur des Montréalais noirs de 1834 qui s'y étaient réunis pour célébrer l'abolition de l'esclavage. Par la suite, notre foule, constituée de centaines de personnes, a marché dans les rues de Montréal à destination du parc Oscar-Peterson, lieu qui commémore le fameux pianiste, mais qui est surtout le site historique de l'ancien Negro Community Centre, le centre communautaire noir.
Dans le cadre de cette marche, nous avons eu l'honneur d'entendre des membres de la communauté, comme la première juge noire du Québec, l'honorable Juanita Westmoreland-Traoré, et l'honorable Marlene Jennings, première députée noire du Québec élue à la Chambre des communes. Cette marche a rappelé l'importance du travail collectif de mémoire et à quel point il est valorisant et impératif de continuer à célébrer nos communautés et nos contributions.
Si la loi de 1834 représente une victoire, elle ne signifie pas pour autant que la bataille a été gagnée. Pendant longtemps, trop longtemps, les personnes d'ascendance africaine ne bénéficieront pas des mêmes droits que les autres citoyens britanniques des colonies. Même aujourd'hui, la pandémie nous a montré à quel point ce fossé demeure important et visible, puisque les communautés noires partout au pays ont été touchées de manière disproportionnée par la COVID-19.
Je me permets de reprendre les mots prononcés par la sénatrice Wanda Thomas Bernard, qui a présenté le projet de loi S-255, Loi proclamant le Jour de l'émancipation au Sénat en 2018. À l'étape de la deuxième lecture, elle avait déclaré ce qui suit:
Je propose que le Jour de l'émancipation soit reconnu au niveau fédéral, car c'est une étape nécessaire pour guérir du traumatisme historique souffert par les Afro-Canadiens. Notre histoire a sans cesse été effacée. Les Africains réduits à l'esclavage ont été privés de leur nom afin de supprimer leur identité.
Ce que la sénatrice Bernard a mentionné sur la guérison m'interpelle tout particulièrement. Cela nous rappelle une chose importante, soit que les communautés ont subi des traumatismes dont les répercussions s'étendent sur plusieurs générations et que les blessures causées par ce préjudice historique ne pourront guérir que si la collectivité adopte une approche proactive. Même si le Jour de l'émancipation constitue un jalon important dans notre histoire, il ne faut pas oublier que les communautés noires au Canada ont encore de nombreux défis à relever. Le racisme systémique qui affecte les communautés noires fait souffrir les gens, accentue les divisions et les inégalités et contribue à nourrir un climat de peur, d'intolérance et de stigmatisation dans notre pays. Nos engagements à respecter nos différences, à enrayer les préjugés et à trouver de nouvelles voies pour renforcer l'unité canadienne sont les assises sur lesquelles notre pays doit s'appuyer.
S'il y a une chose que nous avons apprise durant la dernière année, c'est la nécessité d'agir sans attendre. Nous avons assisté à une mobilisation sans précédent, d'un océan à l'autre, dans le cadre du mouvement Black Lives Matter. Un changement radical s'impose, puisque les résidants de nos circonscriptions s'attendent à ce que leurs demandes soient exaucées. Le fardeau du changement ne peut pas reposer uniquement sur les Noirs. Il s'agit d'une tâche traumatisante et, bien franchement, épuisante, et nous comptons sur nos alliés non noirs pour nous épauler, surtout dans les moments difficiles.
En tant que président du Caucus des parlementaires noirs, j'ai pu constater le pouvoir extraordinaire de l'appui collectif lorsqu'il s'agit de s'attaquer au racisme anti-Noirs. Nous avons avancé à pas de géant au cours des six dernières années, mais il reste encore beaucoup à faire. Si nous pouvons compter sur un appui non partisan et soutenu dans notre lutte contre le racisme, je crois que nous arriverons à nous montrer à la hauteur des attentes formulées par les abolitionnistes en 1834.
Les communautés noires du Canada ont apporté une contribution importante à notre pays sur les plans politique, culturel et économique depuis plus de 400 ans, soit plus de 200 ans avant la création du Canada. Si la diversité est notre force et nous définit en tant que Canadiens alors que nous célébrons le Jour de l'émancipation, engageons-nous à commémorer notre riche histoire et à continuer de lutter pour un avenir meilleur et juste.
Je remercie tous mes collègues parlementaires qui appuient la motion M-36 pour reconnaître ce Jour de l'émancipation.