Madame la Présidente, c'est pour moi un honneur de prendre la parole au sujet du projet de loi C‑10 au nom de mes concitoyens de Nanaimo—Ladysmith et des partisans du Parti vert partout au pays.
Vingt-neuf années se sont écoulées depuis la dernière mise à jour de la Loi sur la radiodiffusion; c'est donc dire que ce projet de loi s'impose depuis longtemps. Comme j'ai des décennies d'expérience dans l'industrie de la musique, du cinéma et de la télévision, j'aimerais beaucoup que cette mise à jour soit adéquate. Malheureusement, le projet de loi C‑10 comportait de graves lacunes dès le début.
Plus de 120 amendements ont été présentés afin de corriger le projet de loi, dont 18 provenant du gouvernement lui-même. J'ai présenté 29 amendements au projet de loi C‑10. Deux d'entre eux ont été adoptés, et deux autres l'ont été avec des sous-amendements. Mes amendements visaient à ce que les intervenants de l'industrie qui ne font pas partie des grands conglomérats médiatiques soient adéquatement représentés dans le projet de loi. Cela inclut les radiodiffuseurs communautaires sans but lucratif, les producteurs indépendants qui mènent leurs activités en dehors du système de radiodiffusion traditionnel, les petites entreprises de production indépendantes qui créent une bonne partie du contenu que nous regardons sur les grands réseaux, et les réseaux indépendants, comme APTN, qui ne font pas partie de ces conglomérats médiatiques que sont Bell, Rogers et Shaw.
Certains des principaux amendements que j'ai présentés visaient à s'assurer que la Loi sur la radiodiffusion tient compte de la radiodiffusion communautaire. Il y a des centaines de diffuseurs communautaires comme des stations de télévision et de radio communautaires sans but lucratif partout au Canada. À Nanaimo, il y a CHLY, une station radiophonique étudiante communautaire sans but lucratif qui diffuse des émissions locales sans publicité.
Lorsque je me suis lancé dans l'industrie de la radiodiffusion, il y avait un grand réseau de chaînes de télévision communautaires partout au pays qui, à l'origine, étaient liées aux entreprises de câblodistribution locales. Étant donné que ces entreprises ont été absorbées par Bell, Rogers et Shaw, la radiodiffusion communautaire a lentement été exclue. Les géants de la câblodistribution ont procédé à des intégrations verticales, acheté des chaînes et des entreprises de production et étendu leurs services pour inclure la téléphonie cellulaire et ils ont commencé à se servir des stations communautaires pour promouvoir leurs propres produits.
Les médias communautaires jouent un rôle important dans une société libre et démocratique. Ces stations ne sont pas détenues ni contrôlées par des intérêts commerciaux, et leur mandat consiste à offrir une plateforme aux voix communautaires, qui seraient autrement exclues de la radio et de la télévision commerciales. Il est important de faire reconnaître l'élément communautaire comme le troisième pilier de la radiodiffusion au Canada. J'ai été heureux que certains de mes amendements concernant l'élément communautaire aient été adoptés, même si j'ai été déçu de voir que les mots « sans but lucratif » ont été supprimés de la définition, car c'est précisément ce en quoi consiste l'élément communautaire: il s'agit d'un élément sans but lucratif de notre système de radiodiffusion.
Le gouvernement a beaucoup parlé de l'objectif du projet de loi, qui est d'uniformiser les règles du jeu et de protéger les producteurs culturels canadiens dans leurs relations avec les géants du Web. Selon le rapport Yale, qui a été présenté au comité, il faut également uniformiser les règles du jeu dans les accords contractuels entre les entreprises indépendantes de production et les grands services de radiodiffusion ou de diffusion en continu.
Une grande partie des œuvres que nous regardons sont créées par de petits producteurs indépendants qui présentent leurs idées aux grandes sociétés. Il y a un déséquilibre du pouvoir dans le système qui doit être corrigé. Deux amendements que j'ai proposés étaient recommandés par la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, l'Alliance des producteurs francophones du Canada et l'Association canadienne des producteurs médiatiques. S'ils avaient été adoptés, ces amendements auraient créé des solutions venant du marché pour régler un déséquilibre du pouvoir dans ce marché.
Le Royaume‑Uni et la France ont tous les deux mis en place des systèmes similaires qui fonctionnent très bien. Une fois que le Parlement britannique a adopté la mesure législative, l'organisme de réglementation du Royaume‑Uni a exigé que des codes de pratique soient négociés entre les producteurs indépendants et les radiodiffuseurs publics. Chaque entente a été conclue par les acteurs du milieu eux-mêmes au lieu d'être dictée par l'organisme de réglementation. Cette approche a eu comme résultat de tripler la taille de l'industrie de la production nationale en moins de 10 ans. La France a mis en œuvre des mesures semblables, et le volume des productions indépendantes n'a cessé d'augmenter, y compris celles qui sont commandées par les géants du Web comme Netflix et Amazon.
Au Canada, le CRTC n'a jamais tenté d'encadrer directement les relations commerciales entre les producteurs et les diffuseurs. Il a toujours fait valoir que les codes de pratique devraient être négociés par les acteurs du marché concernés. Il est essentiel, cependant, qu'on accorde au CRTC un pouvoir explicite dans ce domaine afin qu'il puisse obliger les joueurs à négocier ces codes entre eux. Malheureusement, les libéraux et les conservateurs se sont opposés à ces amendements qui auraient mieux protégé les petits producteurs. Ils ont donc été rejetés.
Il est certain que la Loi sur la radiodiffusion doit être modernisée et que nous devons égaliser les chances et faire en sorte que les géants du numérique paient leur juste part d’impôts. Depuis des dizaines d’années, nous avons mis en place un système où le secteur de la radiodiffusion soutient la création de contenu canadien, et cela devrait s’appliquer aussi aux géants du Web.
À l’heure actuelle, les géants de la diffusion en continu et des réseaux sociaux s’en tirent à bon compte, car ils ne paient pas leur juste part dans notre pays. En outre, ils ne contribuent aucunement à la création de contenu, sauf celui qu’ils choisissent de produire.
Les conservateurs se sont efforcés de semer la confusion sur ce qui était du contenu canadien ou non, et comment on le déterminait. Nos règles sur le contenu canadien sont très claires. Pour la musique, il y a les critères du système MAPL.
Pour qu’un contenu soit défini comme canadien, le morceau sélectionné doit remplir au moins deux des conditions suivantes: M, pour musique, signifie que la musique doit être composée entièrement par un Canadien; A, pour artiste interprète, signifie que la musique ou les paroles sont interprétées principalement par un Canadien; P, pour production, signifie que la pièce musicale est une prestation en direct qui est soit enregistrée en entier au Canada, soit interprétée en entier au Canada et diffusée en direct au Canada; et L, pour paroles lyriques, signifie que les paroles sont écrites entièrement par un Canadien.
Si deux des quatre catégories établies sont respectées, il s'agit de contenu canadien. C'est fort simple. Les règles relatives au contenu canadien ont permis à d'excellents groupes d'accéder à la célébrité, comme les Tragically Hip, dont les chansons sont on ne peut plus canadiennes. Malheureusement, le groupe n'a jamais connu la gloire aux États‑Unis. La réglementation sur le contenu canadien en a toutefois fait une véritable référence nationale, ce qui est super. C'est cette réglementation qui a mené à la production de films éventuellement offerts par des diffuseurs canadiens et certifiés comme ayant un contenu canadien d'après la procédure établie.
Il s'agit d'un processus fondé sur l'attestation où une personne fait une déclaration et peut éventuellement faire l'objet d'une vérification. Il y a un système de points où il faut en obtenir au moins six sur un maximum de dix. On obtient deux points pour un réalisateur, deux points pour un scénariste, un point pour un acteur principal et un point pour un acteur secondaire. Des points sont aussi accordés pour les décors, le graphisme, le directeur de la photographie, le cadreur principal, le cadreur, le compositeur, etc.
Les conservateurs ont passé beaucoup de temps à faire de l'obstruction au comité en demandant comment on peut déterminer s'il s'agit d'une production canadienne ou non. Pendant la période des questions, la députée de Lethbridge a voulu savoir si Canadian Bacon était un film canadien en raison de son titre et du fait que l'un des acteurs principaux, John Candy, était canadien. Toutefois, Canadian Bacon a été produit et réalisé par Michael Moore, un Américain, et l'équipe de tournage était également composée, en grande partie, d'Américains.
Oui, John Candy était l'une des vedettes, et on y trouvait un autre acteur canadien moins connu, mais tout aussi formidable, Adrian Hough, mais à part cela, il y avait une longue liste de vedettes américaines, comme Alan Alda. Selon la formule, Canadian Bacon n'est donc pas un film canadien, mais il s'agit d'un système très simple.
Les utilisateurs des médias sociaux ne sont pas visés par le projet de loi C‑10 ni par la Loi sur la radiodiffusion, mais le contenu qu'ils téléversent sur les plateformes de médias sociaux serait assujetti à la loi. Il convient de noter que, selon les règles actuelles du CRTC, les productions de cinq minutes ou moins n'ont pas besoin d'être certifiées comme ayant un contenu canadien. Les vidéos sur TikTok et Instagram, qui durent moins de cinq minutes, ne seraient pas visées par la réglementation actuelle pour la découvrabilité du contenu canadien.
Les règlements d’application de la loi peuvent-ils changer? Oui, c’est possible. Le CRTC est-il d’avis que c’est une bonne idée de réglementer les vidéos sur TikTok et Instagram pour favoriser la découverte de contenu canadien? J’en doute vraiment. Il y a un débat en cours pour déterminer si la Loi sur la radiodiffusion protège la liberté d’expression. La partie 1 de la Loi sur la radiodiffusion de 1991, qui contient les dispositions générales d’interprétation, prévoit que « [l]’interprétation et l’application de la présente loi doivent se faire de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion ».
Cette partie de la loi est toujours en vigueur. Le CRTC devra respecter notre droit constitutionnel à la liberté d’expression prévu par la loi. C’est un fait. Sinon, le projet de loi pourra faire l’objet d’une contestation judiciaire. Bref, il semble assez clair que la liberté d’expression sera respectée.
En conclusion, le projet de loi C‑10 comporte encore des lacunes et pourrait en faire beaucoup plus pour protéger les petits producteurs et sociétés de production indépendants, et pour garantir que le contenu des réseaux indépendants comme APTN se retrouve dans ces services de diffusion en continu. Nous devons donc en faire davantage pour protéger les producteurs canadiens et défendre leurs intérêts face aux grandes entreprises, c’est-à-dire non seulement les géants du Web, mais aussi les grands diffuseurs canadiens.