Madame la Présidente, d'abord, je m'exprime à titre de porte-parole du Bloc québécois en matière de commerce international.
Le Bloc, comme nous l'avons dit, est en faveur du projet de loi C-18 concernant l'Accord de continuité commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni, mais sans débordement d'enthousiasme. Notre position est claire, elle l'a toujours été: nous sommes en faveur de l'ouverture commerciale qui est nécessaire à nos PME et en faveur de la diversification des marchés. C'est particulièrement intéressant pour nous, à la lumière de l'histoire, de constater qu'il est possible pour un pays qui gagne ou qui regagne son indépendance et donc sa souveraineté commerciale, comme c'est le cas du Royaume-Uni après le Brexit, de reproduire rapidement les accords qui ont été signés avant par le grand ensemble douanier qu'il quitte.
Bien sûr, ce nouveau pays sera ensuite appelé à renégocier des accords sur une base plus permanente, mais il n'y a pas de trou noir. Il n'y a pas de période de vide où le pays, nouvellement indépendant, se retrouverait sans partenaires commerciaux ou sans ententes internationales. À ce sujet, c'est assez intéressant parce que nous, indépendantistes québécois, nous prenons des notes. Nous avons pris des notes de cet épisode et nous serons prêts à répondre adéquatement et à contrer les arguments de peur qui émaneront assurément sur cette question depuis ce Parlement quand la question de l'avenir du Québec se posera à nouveau.
Nous sommes donc en faveur de l'ouverture commerciale, mais nous n'accorderons jamais de soutien béat et inconditionnel au libre-échange si celui-ci en venait à mettre à mal notre modèle agricole, s'il nuisait à l'environnement, s'il favorisait une privatisation des services publics, s'il minait l'octroi de contrats à nos entreprises. Nous ne serons jamais en faveur non plus d'accords s'ils devaient entraîner une perte de souveraineté et de démocratie au profit de multinationales qui ont pour but le profit.
En regardant l'Accord de continuité commerciale Canada—Royaume-Uni, ou ACCCRU, on peut dire que le pire a été évité. Il n'y a pas de brèche dans la gestion de l'offre, fort heureusement; le travail avait tristement déjà été fait dans l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, ou AECG.
Finalement cet accord est peu audacieux, mais il permet quand même de garder un accès à court terme. Je dis à court terme, parce que cet accord est censé être transitoire. Rappelons-le, nous devons en arriver à un accord permanent par la suite.
Quand on parle de libre-échange, cela a toujours l'air très abstrait, mais en réalité, si on se trouve au ras des pâquerettes, cela finit par avoir une allure très concrète. Selon toute vraisemblance, le projet de loi sera adopté dans les prochaines heures, et rien ne nous interdit maintenant de nous tourner vers l'avenir.
Il y a quelque chose de fâchant dans ce type de processus, et c'est que nous, parlementaires, en venons toujours à estampiller un accord tel qu'il nous est présenté. Le texte est là, le voici, nous n'avons plus rien à dire. Nous ne sommes jamais consultés en amont, alors que nous devrions l'être avant même que les négociateurs partent négocier. Nous devrions pouvoir leur donner des mandats, nous sommes parlementaires, nous sommes là pour porter les positions de nos concitoyens, nous devrions être consultés beaucoup plus souvent, nous devrions avoir des rapports à différentes étapes de la négociation. Malheureusement, nous n'avons rien de tout cela.
D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle une des premières choses qu'il nous faut exiger dès maintenant, c'est plus de transparence. Les provinces et les parlementaires doivent être davantage impliqués lors des prochains pourparlers. Les élus de la Chambre des communes sont chargés de défendre les intérêts et les valeurs de leur population. Ils doivent faire autre chose que seulement estampiller des accords au terme d'un processus cachotier. Nous sommes autre chose que des figurants.
D'ailleurs, entre 2000 et 2004, le Bloc québécois a déposé à la Chambre plusieurs projets de loi à cet effet. Bien sûr, lors de l'Accord Canada—État-Unis—Mexique, il y a eu cette entente entre nos collègues du Parti libéral et ceux du Nouveau Parti démocratique pour l'obtention d'un engagement à transmettre davantage d'information aux élus. La vice-première ministre s'y était engagée à ce moment-là. Malheureusement, même si c'est un pas dans la bonne direction en apparence, le gouvernement nous a demandé avant les Fêtes d'étudier l'accord avec le Royaume-Uni sans en avoir le texte. Nous recevions des témoins comme la ministre du Commerce international, mais nous n'avions pas le texte.
C'est à ce moment-là que nous en aurions eu besoin. Peut-on imaginer à quel point c'était une scène burlesque, un théâtre de l'absurde? Le Comité permanent du commerce international a dû étudier cet accord sans en avoir le texte et je pense qu'on ne comprend pas à quel point c'était absurde.
Comme parlementaires, nous devons êtes tenus au courant à chaque étape des procédures, avant même que le négociateur ne prenne l'avion ou ne se prépare à sa rencontre virtuelle. Cela évitera aux parlementaires de se prononcer sur un accord sans avoir les informations et les renseignements nécessaires, les empêchant ainsi de faire un choix éclairé. Cela va apporter plus de transparence au processus de négociation.
En ce qui concerne les provinces, rappelons que, lors des négociations avec l'Europe qui ont mené à la ratification de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne en 2017, le Québec a pu envoyer son représentant lors des discussions. Toutefois, cette participation du Québec n'était pas une volonté canadienne, mais résultait plutôt d'une demande de l'Europe, l'Union européenne devant passer par les parlements de ses États membres et ayant donc demandé que les provinces canadiennes soient présentes.
L'accord de continuité commerciale Canada—Royaume-Uni comporte des éléments pour lesquels le représentant du Québec s'est battu. Ainsi, la Société de transport de Montréal a des droits acquis lui permettant d'avoir 25 % de contenu local et donc d'offrir des contrats pour des wagons, des autobus ou autres.
C'est un recul par rapport à ce qui prévalait avant l'entente avec l'Europe, mais on peut quand même dire qu'on a sauvé les meubles malgré tout dans ce nouvel accord avec le Royaume-Uni. Ce n'est pas parce que le Canada s'est battu pour cela, mais parce que c'est un copier-coller de l'entente avec l'Europe. On peut s'attendre à ce que cela saute lorsqu'il y aura une entente permanente, ce qui constitue une raison de plus pour que les provinces et les parlementaires s'entendent avant les négociations afin de mandater les négociateurs.
D'ailleurs, le Québec et les provinces peuvent officiellement refuser l'application d'un accord sur leur territoire. Nous affirmons avec force le prolongement des compétences du Québec au-delà de ses frontières, comme le Conseil privé de Londres l'a lui-même reconnu dans une décision rendue il y a plusieurs décennies, laquelle a mené à l'établissement de la doctrine Gérin-Lajoie, très importante au Québec.
À terme, seule l'indépendance va nous permettre de véritablement faire valoir nos positions sur la scène internationale, puisqu'un négociateur canadien aura toujours tendance à privilégier les intérêts du reste du Canada au détriment de ceux du Québec. D'ici là, il demeure nécessaire de pouvoir autant que possible faire entendre notre voix.
Il faut donc que le Parlement se dote de procédures pour augmenter le niveau de contrôle démocratique exercé sur les accords. Nous n'avons pas le choix. Le ministre responsable de la ratification d'un accord devrait être obligé de déposer devant le Parlement un mémoire explicatif et prévoir un délai suffisant pour obtenir l'approbation des parlementaires avant toute ratification. Cela devrait être le strict minimum dans le Parlement d'un pays prétendument démocratique. Cela devrait aller de soi.
Parlons aussi de ce que nous pouvons anticiper. J'ai donné l'exemple de l'octroi de contrats, et on parle beaucoup d'achat local depuis le début de cette pandémie. À l'heure actuelle, la gestion de l'offre demeure protégée, heureusement, mais on sait que le Royaume-Uni souhaite exporter davantage de fromage. Nous l'avons échappé belle pour l'instant, mais l'accord permanent pourrait être encore pire et nous réserver des lendemains qui déchantent sur cette question. J'aurais donc tendance à dire qu'il faudrait pour cette raison adopter le projet de loi C-216, qui protège la gestion de l'offre et notre modèle agricole dans son intégralité. Cela nous éviterait d'avoir à nouveau de mauvaises surprises. Nos producteurs de lait, de volailles, d'œufs ont assez donné. Cela suffit.
Un autre élément très important et l'une des raisons pour lesquelles nous appuyons l'accord est que le fameux mécanisme de règlement des différends investisseurs-États ne s'appliquera pas pendant au moins deux ans. Qui plus est, il pourrait ne pas s'appliquer dans deux ans s'il n'y a pas eu d'entente au sein de l'Union européenne.
Faisons un scénario de politique-fiction. Si jamais les deux ans étaient écoulés, qu'il y avait une entente au sein des pays de l'Europe, qu'on en arrivait à un tel mécanisme et qu'on n'avait pas relancé les discussions sur un accord permanent, il faudrait trouver quelque chose comme un échange de lettres ou une autre formule du genre pour ne pas que cela s'applique. D'ailleurs, il ne faut pas que cela figure dans tout autre accord à venir. L'Accord Canada—États-Unis—Mexique a éliminé cette possibilité, fort heureusement.
C'est quelque chose d'extrêmement grave. Dans l'ancien ALENA de 1994, on avait inclus, au chapitre 11, la protection des investisseurs étrangers dans un territoire donné et la capacité de ces investisseurs, si jamais ils étaient expropriés ou s'ils étaient victimes de ce qu'on appelait l'équivalent d'une expropriation, de poursuivre les États devant un tribunal d'arbitrage créé pour l'occasion.
Sur papier, cela semble tomber sous le sens. Quand on investit quelque part, on ne veut évidemment pas être victime des politiques de l'État où l'on est. Par contre, quand on regarde ce que cela donne concrètement, on réalise que ce qu'il y a là-dedans est extrêmement grave. On constate qu'il y a un risque réel d'appliquer le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États à l'ensemble des règles ou des lois de nature économique qui pourraient porter préjudice au profit privé. Est-ce que cela ouvre la voie au démantèlement des politiques nationales? Chose certaine, il devient de plus en plus ardu pour un État de légiférer sur des questions liées, par exemple, à la justice sociale, à l'environnement, aux conditions de travail ou à la santé publique. Si telle ou telle société transnationale se croit lésée dans sa capacité à faire des profits, elle va avoir un recours. Là, on se demande ce que cela donne concrètement. Tout d'abord, je précise qu'un litige commercial est généralement long et, par conséquent, extrêmement lucratif pour les cabinets d'avocats. Un document de deux organisations non gouvernementales a déjà démontré tout l'intérêt des grands cabinets spécialisés en droit commercial à se lancer dans les litiges complexes.
Le ralentissement des ententes multilatérales, depuis quelques années, n'a rien changé au fait que plus de 3 000 traités bilatéraux sur la protection des investissements existent actuellement dans le monde. Je vais donner un exemple et l’on me demandera encore ce que cela donne concrètement. Je vais dresser une petite liste des poursuites commerciales subies par les États à cause de tels mécanismes. Cela donne froid dans le dos.
En 1997, le Canada a décidé de restreindre l'importation et le transfert de l'additif à carburant MTM, soupçonné d'être toxique. Ethyl Corporation a poursuivi le gouvernement canadien pour lui arracher des excuses et 201 millions de dollars.
En 1998, S.D. Myers Inc. a déposé une plainte contre le Canada relativement à l'interdiction, entre 1995 et 1997, d'exporter des déchets contenant des BPC. Les BPC sont des produits chimiques synthétiques extrêmement toxiques employés dans l'équipement électrique. Le Canada a perdu devant le tribunal constitué sous l'ALENA.
En 2004, en vertu de l'ALENA, Cargill, une compagnie de boissons gazeuses, a obtenu 90,7 millions de dollars américains du Mexique, reconnu coupable d'avoir créé une taxe sur certaines boissons gazeuses, lesquelles sont à l'origine d'une grave épidémie d'obésité au pays.
En 2008, Dow AgroSciences a déposé une plainte après que le Québec a adopté des mesures visant à interdire la vente et l'utilisation de certains pesticides sur les surfaces gazonnées. Le cas a fait l'objet d'un règlement à l'amiable impliquant la reconnaissance. Le Québec a dit qu'il fallait arrêter la poursuite. On va dire que les produits ne présentent pas de risque tant qu'on lit l'étiquette.
Il y a plusieurs autres exemples. En 2009, l'entreprise Pacific Rim Mining a poursuivi le Salvador pour perte de profits escomptés. Le Salvador ne lui avait pas octroyé de permis pour exploiter une mine d'or, parce que l'entreprise n'était pas conforme aux exigences nationales. En 2016, le Salvador a finalement obtenu gain de cause. Au moins l'État a gagné, mais la poursuivante lui a payé seulement les deux tiers de ses dépenses de défense. On s'entend pour dire que le Salvador n'est pas un pays qui roule sur l'or. Les 4 millions de dollars américains perdus dans un pays qui en arrache auraient bien pu servir à des programmes sociaux dans ce pays.
En 2010, AbitibiBowater a fermé certaines de ses installations terre-neuviennes et mis à pied des centaines d'employés, ce à quoi le gouvernement de la province a répondu en reprenant l'actif hydroélectrique. AbitibiBowater ne l'a pas accepté et a intenté une poursuite. Pour éviter un long conflit juridique, Ottawa a offert 130 millions de dollars à l'entreprise. Il y a eu une entente à l'amiable, avec un chèque à la sortie.
Dans AbitibiBowater, il y a le nom Abitibi. L'Abitibi se trouve au Québec, et ce dernier fait encore malheureusement partie du Canada. De plus, sachant que son siège social se trouve à Montréal, en quoi est-ce un investisseur étranger?
Cela montre aussi tous les stratagèmes qui existent. L'entreprise s'est enregistrée au Delaware, un paradis fiscal, afin de se présenter comme un investisseur étranger.
Prenons d'autres exemples. En 2010, Tampa Electric a obtenu 25 millions de dollars du Guatemala, qui avait adopté une loi pour établir un plafond sur les tarifs électriques. La plainte, qui remontait à l'année précédente, avait été faite en vertu de l'Accord de libre-échange de l'Amérique centrale. En 2012, le groupe Veolia a, quant à lui, poursuivi l'Égypte à cause de la décision du pays d'augmenter le salaire minimum.
Il y a de nombreux autres exemples, mais ce pourrait être très long de les énumérer. Ici, le cas le plus récent remonte à 2013, quand Lone Pine Resources avait annoncé son intention de poursuivre Ottawa à cause du moratoire québécois sur les forages sous les eaux du fleuve Saint-Laurent.
Tout cela nous indique que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États permet une véritable confiscation de la démocratie par les puissances multinationales, qui n'ont pour seul but que le profit.
Il est à noter, comme je le disais tout à l'heure, que plusieurs entreprises étaient issues du pays qu'elles poursuivaient, où il y avait moyen de s'enregistrer ou de s'incorporer. Les transnationales n'ont pas toujours gagné ces poursuites, fort heureusement, mais ces dernières continuent de se multiplier. Les États doivent fournir des ressources financières et techniques pour assurer leur défense. Ce mécanisme est à sens unique: l'État est toujours défendeur et la multinationale est toujours demanderesse.
Selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, datant de 2013, les États ont gagné ces poursuites dans 42 % des cas, contre 31 % pour les entreprises. Le reste a été l'objet de règlements à l'amiable. Cela signifie donc que les poursuivants ont pu faire reculer, en totalité ou de façon partielle, la volonté politique et démocratique des États dans 60 % des cas.
Ces chiffres sont énormes, mais ils négligent un facteur non quantifiable, à savoir la pression permanente que fait peser ce mécanisme sur les États. Les décideurs publics s'autocensurent. Ainsi, derrière les portes des ministères, ils décident de ne pas mettre en place telle politique parce qu'ils ne veulent pas être poursuivis. L'existence de cette pression et d'un climat d'autocensure est évidente. En 2014, un rapport de la Direction générale des politiques externes de l'Union européenne disait qu'il y avait bel et bien un effet de dissuasion sur les décisions politiques.
Je vais donner un exemple. En 2012, l'Australie a imposé le paquet de cigarettes neutre, interdisant ainsi de mettre un logo. La compagnie de produits de tabac Philip Morris International, qui avait aussi poursuivi l'Uruguay en 2010 pour ses politiques en matière de tabac, a poursuivi l'État australien en s'appuyant sur un traité entre Hong Kong et l'Australie. Au moment où cela s'est passé, la Nouvelle-Zélande a suspendu l'entrée en vigueur de la politique du paquet neutre et, au Royaume-Uni, le débat qui devait avoir lieu a été reporté. On voit donc qu'il y a un climat d'autocensure. La France a attendu trois ans avant de mettre en place cette politique dans l'Hexagone.
Les multinationales sont parfois plus puissantes que les gouvernements, et, si les volontés et la sécurité des peuples nuisent à leurs profits, on les écarte. Cela est extrêmement grave. En ces temps de pandémie, en particulier, nous n'avons pas besoin de ce mécanisme dans de futurs accords. S'il ne s'applique pas à court terme dans l'accord avec le Royaume-Uni, tant mieux. Nous allons tout faire pour qu'il ne s'applique jamais. Nous exigeons du Canada qu'il s'y oppose lors des futures négociations avec le Royaume-Uni en vue de l'établissement de l'accord permanent.