Madame la Présidente, c'est avec grand plaisir que je participe ce soir à ce débat à la Chambre avec mes collègues.
On a entendu plusieurs commentaires et propos qui sont fort intéressants. Tout d'abord, j'aimerais rappeler à quel point, selon moi, ce projet de loi est fondamental. On parle d'artistes, d'artisans, de techniciens et de gens qui travaillent dans l'industrie du film, de la télévision ou de la musique. Cependant, au-delà du développement économique et des emplois, qui sont très importants, il s'agit aussi de qui nous sommes et de notre identité en tant que Québécois et Canadiens. Le sujet n'est pas banal et il ne s'agit pas de n'importe quelle industrie. Les industries culturelles nous définissent, racontent nos histoires, nous projettent à travers le monde, et cela fait partie du grand narratif national québécois ou canadien.
C'est dans cette perspective que je voudrais aborder ce sujet. Ce dernier est non seulement important pour un développement viable et équitable et des règles du jeu favorables à l'ensemble des acteurs et des joueurs dans l'écosystème, mais il est aussi plus que cela, parce qu'il nous apporte également un supplément d'âme et nous définit collectivement.
J'ai pensé qu'il était important de le situer dès le départ. Les discours de ce soir ne sont pas que des discours administratifs ou techniques. Ils traitent de qui nous sommes et de comment nous devons et voulons être vus par nos concitoyens, mais également par le reste du monde.
Ce débat est intéressant. En effet, on a décidé il y a plusieurs années que les ondes hertziennes étaient de propriété publique. Si l'on perd cela de vue, on est mal parti pour comprendre exactement pourquoi et comment légiférer et réglementer ce secteur-là.
On s'est dit que les ondes qui circulent dans les airs, que ce soit pour la télévision ou la radio, n'appartenaient pas à une entreprise ou à un individu, mais qu'elles étaient un bien collectif, une propriété publique, dont l'utilisation devait faire l'objet de règles. C'est dans cette perspective que le CRTC a été créé, pour gérer cette propriété publique que sont les ondes et, ensuite, accorder des licences, des permis, à des entreprises pour exploiter ces ondes et les utiliser pour diffuser des émissions de télévision, des films, ou de la musique dans le cas des stations de radio.
Ce système a bien fonctionné pendant un certain temps. Malheureusement, la Loi sur la radiodiffusion n'a pas été révisée depuis 1991, soit à peu près l'époque à laquelle je finissais mes études secondaires.
Il y a eu du changement depuis ce temps. À l'époque, on n'avait pas voulu intervenir de façon excessive pour réglementer le petit bébé, le petit nouveau qui venait d'arriver sur le marché, c'est-à-dire la Toile et son www. On se disait que ce nouveau média était une nouvelle manière de diffuser du contenu et qu'on allait donner une chance au pauvre petit. On n'allait donc pas trop le réglementer ni l'encadrer, mais plutôt lui donner de l'oxygène pour qu'il puisse grandir et croître.
Depuis, le pauvre petit a bien grandi et il est devenu un géant qui est en train d'écraser tout le monde sur son passage. Cela fait partie de la vie et c'est correct, mais notre cadre législatif et réglementaire était complètement déphasé par rapport à l'importance de cette diffusion sur Internet et la Toile.
Puis il y a eu le rapport Yale et ses 97 recommandations, qui contient beaucoup de choses très costaudes et qui a donné lieu à un constat à peu près unanime: il faut que tous les acteurs participent pour assurer le succès d'un secteur de production culturelle, cinématographique, télévisuelle ou radiophonique.
Or, en ce moment, il y a des gens qui contribuent et qui ont l'obligation d'investir une partie de leurs revenus dans le système afin d'aider nos créateurs et nos producteurs de contenu original québécois et canadien, mais il existe d'autres acteurs qui, eux, ne contribuent pas. C'est ce que le rapport Yale a soulevé en disant que cette situation doit cesser. C'est pour cela qu'on a aujourd'hui le projet de loi C-10, lequel tente d'offrir les changements législatifs permettant d'y parvenir.
L'intention est noble et nous la partageons. C'est une nécessité. Ce projet de loi aurait même dû voir le jour il y a 10 ou 15 ans. Il est un peu en retard.
Cela dit, il y a beaucoup de trous dans ce projet de loi, et je vais finir par y arriver. Je pense que nous avons un devoir, en tant que parlementaires et députés des partis de l'opposition. Certains de mes collègues conservateurs et bloquistes avaient démontré une volonté de bonifier et d'améliorer le projet de loi pour en minimiser les trous tout en gardant une certaine flexibilité et une certaine ouverture pour l'avenir.
Ce projet de loi ne sera pas révisé tous les deux ans ni tous les trois ans. Cela faisait 30 ans qu'on ne l'avait pas fait et j'espère qu'on n'attendra pas 30 autres années. Cela dit, je ne veux pas trop nous encadrer ni nous encarcaner.
Comment se fait-il que, encore une fois, des acteurs n'apportent pas de contribution? Cela ne faisait pas partie du rapport Yale, mais j'insiste encore là-dessus, parce que je ne comprends pas cette incohérence. Quand Vidéotron, dont je suis un abonné, met le câble dans ma télévision, elle doit payer 5 % de redevances au Fonds des médias pour soutenir la production de contenu culturel québécois et canadien. C'est parfait. Par contre, pour la borne WiFi dans ma maison, Vidéotron n'a pas à contribuer à quoi que ce soit. Pourtant, un tuyau, c'est un tuyau. Que le tuyau soit un câble ou du WiFi, tout le monde devrait participer pour aider nos producteurs et nos créateurs à livrer du contenu original québécois et canadien. Ça, je ne le comprends toujours pas.
Ce projet de loi aurait dû être beaucoup plus ambitieux, mais j'ai l'impression qu'on a essayé de trouver le plus petit dénominateur commun. On a fini par prendre une petite bouchée. Les néo-démocrates s'inquiètent du fait qu'on n'inclut pas vraiment tout le monde. Les fournisseurs d'accès à Internet ne sont pas là. Un autre aspect est bizarre, et c'est que les revenus publicitaires des géants du Web, dont Facebook et Google, sont exclus. Pourtant, tous les revenus de Facebook et de Google sont des revenus publicitaires. Comment se fait-il que les libéraux aient préféré exclure les revenus publicitaires de Facebook et de Google? Serait-ce dû aux centaines de réunions que les différents ministres libéraux ont eues avec les géants du Web? C'est peut-être le cas. J'espère que non. Encore là, il y a une drôle d'exclusion en ce moment et cela aura des répercussions sur l'aide aux médias et au journalisme, qui est d'ailleurs complètement absent de ce projet de loi. Je vais y revenir un peu plus tard. Nous espérions qu'il y aurait des mesures concrètes pour aider les salles de nouvelles, les journalistes, les gens qui font un travail journalistique important. Alors que nous étions sur le point d'obtenir quelque chose, tout cela est disparu à la dernière minute. Nous avons beaucoup de questions à poser là-dessus au gouvernement libéral et au ministre du Patrimoine canadien.
Il y a un autre absent, et c'est YouTube. On peut parler de production télévisuelle et cinématographique, mais il ne faut pas oublier que le projet de loi sur la radiodiffusion touche également nos artistes du domaine de la musique. C'est très important. Pour l'instant, Spotify semble inclus dans ce qui est couvert par le projet de loi C-10. Par contre, YouTube ne l'est pas, alors que c'est une plateforme absolument essentielle pour grand nombre d'artistes, qu'ils soient de la relève ou qu'ils soient bien établis depuis longtemps. C'est une manière de diffuser ses œuvres et sa création absolument fantastique. Je l'utilise, et mes enfants et mes amis l'utilisent également. Toutefois, ce n'est pas couvert.
Je comprends qu'on doit faire une distinction lorsqu'il s'agit d'une personne qui est dans son sous-sol, qui filme son chat et qui met cela sur YouTube parce qu'il trouve cela mignon. Je comprends que le projet de loi C-10 ne couvre pas cela. Toutefois, quand il s'agit d'artistes comme Pierre Lapointe ou Ariane Moffatt, on est capable de faire cette distinction et d'inclure YouTube pour qu'il participe également à la mise en commun de ces ressources en vue de pouvoir créer plus de contenu original québécois et canadien.
Les grands absents sont les médias sociaux, YouTube, les revenus publicitaires de Facebook et de Google et les fournisseurs d'accès Internet. Il y a beaucoup de trous à remplir. J'ai très hâte qu'on étudie ce projet de loi en comité pour régler tous ces problèmes.
De plus, cela fait des mois qu'on nous dit qu'on va s'assurer que Netflix perçoit la TPS. D'autres collègues en ont parlé. C'était censé être fait sans problème, mais ce n'est toujours pas là. Le ministre du Patrimoine canadien va répondre que cela concerne plutôt la ministre des Finances. Cependant, pourrait-il s'asseoir avec elle pour travailler sur un plan et nous donner des indications claires selon lesquelles les géants du Web et les Netflix de ce monde vont percevoir la TPS, comme toutes les entreprises au Québec et au Canada? Pour l'instant, c'est encore une promesse en l'air.
Ensuite, comment se fait-il que les GAFAM, les géants du Web, ne paient pas d'impôt au Québec et au Canada, alors que ces gens font des fortunes? Ils ne paient pas un cent d'impôt, pas plus qu'ils ne participent au financement de nos systèmes de santé et d'éducation et des infrastructures au Québec ou au Canada.
Je vais donner une statistique que j'aime beaucoup et qui a été dévoilée récemment par Oxfam Canada. Avec la pandémie, certaines compagnies ont fait des profits faramineux. Amazon en fait partie. Jeff Bezos, qui est le propriétaire d'Amazon, ne paie pas d'impôt au Canada. Amazon ne paie pas d'impôt au Canada. Pourtant, on a vu que les achats en ligne ont augmenté de manière faramineuse.
Selon une statistique d'Oxfam-Québec, Amazon a 876 000 employés dans le monde, et si Jeff Bezos faisait un chèque de 100 000 $ à chacun d'entre eux, il serait encore aussi riche qu'avant la pandémie. Pourtant, les gens comme lui ne paient pas d'impôt chez nous. C'est un scandale absolu. J'aimerais que les libéraux se posent une colonne vertébrale et qu'ils disent qu'ils vont faire en sorte que ces géants du Web paient des impôts au Québec et au Canada.
Par ailleurs, je suis déçu qu'il n'y ait aucune mention de CBC/Radio-Canada dans le projet de loi sur la radiodiffusion. C'est quand même un peu inquiétant, puisqu'il s'agit d'un acteur majeur dans la production de contenu, mais également dans le domaine journalistique. C'est comme si cela n'existait plus. J'ose croire que le ministre du Patrimoine a à cœur l'avenir de CBC/Radio-Canada, mais il n'y a aucune intention très claire qui émane du projet de loi C-10 en ce moment. Nous trouvons que c'est une lacune qui pourrait être rectifiée et sur laquelle nous pourrions travailler en comité.
Je ne suis pas le premier à en parler, mais je vais aussi insister sur ceci: au NPD, nous ne sommes pas nécessairement en faveur de mettre des quotas de contenu francophone dans la loi. Nous pensons que ce n'est pas nécessairement le meilleur endroit pour mettre ces objectifs, parce que c'est un peu un carcan et nous voulons donner une certaine flexibilité.
Par contre, la loi doit donner des directives et des objectifs clairs. En ce moment, cela est plutôt absent du projet de loi, et nous doutons beaucoup que les directives données au gouverneur en conseil ou au CRTC sur le contenu original en langue française soient très claires. Pour nous, il est absolument essentiel que cela soit du contenu original et non du contenu acheté de l'étranger et doublé par des comédiens canadiens ou québécois. Nous voulons des créations originales en langue française.
Nous pensons qu'il y a moyen de renforcer le libellé de la loi pour s'assurer qu'il est extrêmement clair et incontournable qu'on doit donner des ressources supplémentaires pour les productions autochtones et inuites, mais également pour assurer un traitement juste et équitable aux producteurs de contenu français, que ce soit à la télévision ou au cinéma.
En ce qui a trait à la propriété canadienne des entreprises sous licence, à l'article 3, nous partageons effectivement les préoccupations qui ont déjà été évoquées ici. Nous voulons avoir un système où on sera capable de conserver et de protéger les droits de propriété des producteurs de contenu culturel québécois et canadien. On ne voudrait pas qu'ils soient achetés par des entreprises étrangères. C'est une grande préoccupation que nous avons en ce moment. C'est le genre de chose sur laquelle nous devons travailler tous ensemble, afin de nous assurer d'avoir le meilleur système possible en fin de compte.
D'un côté plus technique, il y a un certain flottement, parce qu'on passe d'un système de licence à un système d'ordonnance.
Dans le système de licence, il y avait des renouvellements tous les cinq ou sept ans, et les gens du milieu ainsi que la population pouvaient participer et intervenir auprès du CRTC.
En vertu du nouveau régime des ordonnances et des conditions de services, il ne semble pas y avoir ce processus de renouvellement qui permettait de remettre en question, d'ajouter ou de changer certaines conditions. Selon le NPD, ce sera vraiment important de mettre cela à l'ordre du jour.
De plus, un processus d’appel au gouverneur en conseil permettait aux gens du milieu, aux créateurs, aux artistes de dire si l'esprit de la loi, les directives ou les ordonnances n'étaient pas respectés. La possibilité de porter plainte semble avoir disparu dans le projet de loi C-10 et nous voudrions voir ce processus d'appel revenir.
En terminant, un des trucs qui manquent dans le projet de loi, c'est une aide aux salles de nouvelles et à la production de contenus journalistiques. Plusieurs de ces géants du Web vampirisent le travail des journalistes et le diffusent sur leur site Web. Lorsqu'ils profitent de ce contenu gratuit, les salles de nouvelles en souffrent et les journalistes perdent leur emploi. C'est extrêmement important pour notre vie démocratique et notre vie sociale. On s'attendait à ce qu'il y ait quelque chose dans ce projet de loi. C'est une grande déception qu'il n'y ait rien pour soutenir les salles de nouvelles.
J'aimerais présenter quelques chiffres. Entre 2008 et 2018, 189 journaux communautaires et 36 quotidiens ont fermé au Canada. Au Québec, 57 journaux publiés chaque semaine ou aux deux semaines, 12 journaux mensuels et bimensuels, 6 journaux numériques et un quotidien régional ont fermé leurs portes entre 2011 et 2018. C'est une hécatombe.
Si l'on veut vivre dans une société démocratique et participer à un débat sain et rationnel dans le cadre duquel l'on rapporte des faits vérifiables, il faut que les gens du Web soient forcés de compenser financièrement les salles de nouvelles et les journalistes, qui font un travail très important. Ce travail n'est pas gratuit; il doit être compensé et récompensé.
Nous espérons que le gouvernement libéral va s'ajuster et sera capable d'agir pour aider les médias locaux et régionaux.