Monsieur le Président, cela me fait plaisir de tenter une troisième fois de recommencer mon intervention. Je salue évidemment mon collègue de Red Deer—Mountain View et je suis heureux qu'il veuille bien entendre cette allocution, d'autant plus que c'est un membre du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie que j'apprécie. Il est toujours là pour défendre les gens de sa circonscription, tout comme le député de Windsor-Ouest ici présent qui, je l'espère, pourra faire une allocution bientôt.
Nous sommes ici dans le contexte non pas du projet de loi C-19, mais de la Loi sur Investissement Canada. Comme je disais, la députée de Calgary Nose Hill, qui à l'époque était avec moi vice-présidente du comité de l'industrie, a déposé cette motion pour que nous puissions faire l'étude de la Loi sur Investissement Canada. Dans le contexte de la COVID-19, nous avions une crainte très légitime de voir la dévaluation de nos entreprises canadiennes et québécoises, lesquelles pourraient être menacées d'être acquises par des étrangers à un prix ridiculement bas. Nous avions une crainte légitime et réelle de voir nos sièges sociaux partir du Québec, du Canada, au profit d'investisseurs étrangers.
Évidemment, il y avait la question de la Chine, mais il y avait aussi beaucoup d'autres enjeux tels qu’Air Transat, Air Canada. Ces compagnies aériennes voyaient leur passif augmenter de façon importante et leur clientèle partir de façon importante aussi. Leur vulnérabilité s'établissait. Dans cet esprit-là, le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie s'est réuni et a invité des témoins pour pouvoir réagir à la protection de ces entreprises.
Si je me fie au résumé du rapport, « [l]a Loi sur Investissement Canada (la LIC) permet au gouvernement fédéral de procéder à un examen des investissements étrangers. Elle prévoit deux processus distincts: un examen de l’avantage net et un examen relatif à la sécurité nationale. » Il y a donc deux mots clés.
Pour moi, l'avantage net du Canada doit être démontré constamment. On doit s'attendre à une forme de transparence de la part du gouvernement à cet égard, et particulièrement du ministre de l'Industrie qui va pouvoir imposer des conditions pour une vente.
Évidemment, je peux penser chez nous à l'acquisition de Rona par Lowe's. On n'a jamais su si le gouvernement fédéral avait posé des conditions. Il en a mis évidemment pour permettre l'acquisition de Rona par Lowe's. Le problème, c'est que, comme cela n'a pas été dévoilé publiquement, quelques années plus tard, il a été facile pour la compagnie Lowe's de retirer ses engagements. On ne sent plus d'attachement de Rona au Québec. On a vu des entreprises qui avaient pignon sur rue dans les différentes villes du Québec fermer leurs portes. Il y a surtout la question de l'approvisionnement. Une compagnie comme Rona s'approvisionnait auprès des fournisseurs québécois et canadiens. Maintenant qu'elle est une propriété américaine, elle va favoriser des fournisseurs qui offrent le plus bas prix possible. Pour une compagnie américaine, le plus bas prix possible, c'est aux États-Unis.
Je veux juste refaire cette mise en contexte et dire que, dans son rapport, le Comité a souhaité une approche plus prudente, plus réactive et plus transparente concernant les réglementations des investissements étrangers.
Toutefois, au nom du Bloc québécois, j'ai déposé une opinion complémentaire. Même s'il y avait suffisamment d'éléments dans ce rapport pour dire que nous le trouvions positif, pertinent, constructif, il manquait des éléments importants, notamment la question des examens. Je vais me permettre de lire à mes collègues cette opinion complémentaire du Bloc québécois qui s'intitule simplement « Protégeons mieux nos entreprises », parce que c'est de cela qu'il est question.
Pouvons-nous sortir d'une économie néolibérale pour une économie où nous allons protéger notre marché intérieur, pour une économie québécoise, canadienne, dans laquelle nous pouvons être indépendants, faire affaire avec des fournisseurs de chez nous et où nous faisons rouler notre économie de façon indépendante?
Dans le contexte de la COVID-19, on se rappelle que nous étions dépendants de l'étranger, que ce soit pour des équipements de protection individuels ou pour tout enjeu de santé comme la production de vaccins. Nous avons perdu huit mois à cause de cela.
Je rappelle juste le contexte dans lequel s'est faite notre étude. Pour moi, cela me paraît absolument fondamental. C'est plus que jamais important. Nous devons revenir au principe d'une économie intérieure forte dans laquelle nous protégeons nos intérêts nationaux et nous achetons québécois, nous achetons canadien.
Voici l'opinion complémentaire du Bloc québécois qui s'intitule « Protégeons mieux nos entreprises ».
En matière de contrôle des investissements étrangers, le présent rapport du comité de l’industrie constitue un virage important et salutaire. Après une décennie de laisser-aller, le Bloc Québécois salue ce virage mais aurait souhaité que le comité aille plus loin.
Nous aurions voulu que le rapport propose de ramener à un niveau raisonnable le seuil à partir duquel le gouvernement analyse les projets d’investissements étrangers pour déterminer s’ils sont réellement avantageux. D’où cette opinion complémentaire.
Les politiques du gouvernement fédéral en matière d’investissements étrangers se résument depuis des années à peu de mots: déréglementation et laisser-aller. Il y a bien un resserrement des examens lorsque la sécurité nationale est en jeu et il y a maintenant des contrôles lorsque les investissements proviennent d'un État étranger, prouvant que la peur de la Chine fait son effet.
Cependant, pour le reste, les vannes sont ouvertes. Tout investissement étranger est automatiquement autorisé, sans examen. Les mécanismes d’examen prévus à la loi, que le gouvernement tient pourtant à protéger dans chaque accord commercial qu’il signe, sont rendus essentiellement inopérants.
En 2013, le gouvernement conservateur donnait le ton en annonçant son intention de relever le seuil à partir duquel le gouvernement évalue si les investissements étrangers sont réellement avantageux.
À partir de 2015, le gouvernement libéral a accéléré le pas. Entre 2015 et 2020, le seuil applicable aux investissements aux termes de l’accord commercial conclu avec le secteur privé est passé de 369 millions de dollars à 1,613 milliard de dollars. Le résultat est frappant: entre 2009 et 2019, la proportion des investissements étrangers qui font l’objet d’un examen est passée de 10 % à 1 %. C'est donc dire qu'en vertu des règles actuelles, 99 % des investissements étrangers sont maintenant automatiquement acceptés, sans examen.
Cette dérive arrive à un mauvais moment. Depuis une trentaine d’années, l’investissement étranger a changé de nature dans les pays de l’OCDE. La part des nouveaux investissements tend à diminuer alors que la part des investissements sous forme de fusions et acquisitions d’entreprises existantes tend à augmenter. J'ajoute que cela est encore plus vrai dans un contexte de pandémie de la COVID-19.
Entre 2010 et 2015, les nouveaux établissements n’ont représenté que 54 % de l’investissement étranger au Canada, alors que 46 % de ces investissements étrangers ont plutôt pris la forme de fusions et d'acquisitions, permettant à des investisseurs étrangers de mettre la main, en tout ou en partie, sur des entreprises de chez nous.
En cela, le Canada fait nettement pire que les autres pays industrialisés. Les nouvelles installations représentent 72 % de l’investissement étranger aux États-Unis et 78 % en France, contre seulement 54 % au Canada. Cette tendance se poursuit à ce jour: de 2018 à 2020, les fusions et acquisitions ont représenté 90 milliards de dollars sur les 244 milliards de dollars qui sont entrés au Canada en investissements étrangers.
En termes clairs, en trois ans, des entreprises étrangères ont investi 90 milliards de dollars pour mettre la main, entièrement ou en partie, sur des entreprises canadiennes. Ces 90 milliards de dollars en prise de contrôle ont représenté la disparition de sièges sociaux, désormais transformés en bureaux régionaux ayant peu de pouvoirs.
Depuis la Révolution tranquille, le gouvernement du Québec s’est doté d’importants leviers économiques et financiers. Ces outils lui permettent de poursuivre, avec plus ou moins d’énergie selon les gouvernements, une politique de nationalisme économique visant à donner aux Québécois un meilleur contrôle sur leur économie.
Notre nationalisme économique comporte deux volets. D’une part, nous sommes ouverts à des investissements étrangers, vecteurs de croissance et de développement. D’autre part, nous soutenons nos propres entreprises pour les aider à croître et cherchons à préserver nos entreprises et les importants leviers de décisions que sont nos sièges sociaux.
Il n’est pas question ici de fermer la porte à l’investissement étranger. Le Québec est et demeurera une économie ouverte sur le monde. L’ouverture à des investissements étrangers est essentielle à l’intégration du Québec dans les grands circuits commerciaux, laquelle est indispensable à la prospérité d’une économie ayant une taille relativement petite.
Comme l’écrivait d'ailleurs l'ancien premier ministre du Québec Jacques Parizeau en 2001, avant même l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce: « On ne condamne pas les marées. On construit des digues, des jetées, on se protège en somme ». Malheureusement, avec l’affaiblissement de la Loi sur Investissement Canada, ces digues sont tombées.
Il est frappant de constater que l'éviscération de la loi fédérale se produisait alors même que le Québec commençait à s'inquiéter du rachat de nos entreprises par des intérêts étrangers et de la disparition de nos sièges sociaux.
En 2013, l'année où Ottawa annonçait son intention de relever le seuil d'examen prévu à la Loi sur Investissement Canada, le Québec allait dans la direction inverse et mettait sur pied le Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises.
Créée par un gouvernement du Parti québécois, coprésidée par une ancienne ministre libérale des Finances et composée majoritairement de personnes issues du milieu des affaires, la commission reflétait le consensus qui existe au Québec autour de la protection de nos entreprises.
Le Groupe de travail faisait d'abord un constat: les 578 sièges sociaux qu'on retrouve au Québec représentent 50 000 emplois à un salaire deux fois plus élevé que la moyenne québécoise, en plus de 20 000 autres emplois chez des fournisseurs de services spécialisés, comme les services comptables, juridiques, financiers et informatiques. C'est majeur.
De plus, les entreprises québécoises tendent à favoriser les fournisseurs québécois alors que les entreprises étrangères présentes au Québec s'appuient davantage sur des chaînes d'approvisionnement globalisées, avec l'impact qu'on devine sur notre réseau de PME, en particulier en région. On l'a vu avec la pandémie, les chaînes d'approvisionnement globalisées sont fragiles et nous rendent entièrement dépendants de l'étranger.
Ensuite, la présence de ces sièges sociaux est essentielle à la place financière montréalaise, dont l'écosystème est à son tour indispensable à l'accès des PME de tout le Québec aux leviers financiers dont elles ont besoin pour se développer. Au Québec, le secteur financier représente 150 000 emplois et une contribution de 20 milliards de dollars au PIB, soit 6,3 %. N'oublions pas que, selon le classement du Global Financial Centres Index, la place financière montréalaise est la 13e place financière sur la planète, avec presque 100 000 emplois.
Finalement, les entreprises tendent à concentrer leurs activités stratégiques, en particulier leurs activités de recherche scientifique et de développement technologique, là où se trouve leur siège social. Autrement dit, une économie de filiales, c'est une économie moins innovante.
Les recommandations du groupe de travail s'adressaient principalement au gouvernement du Québec: multiplier les prises de participation au capital des entreprises, faciliter la distribution d'actions employés et mieux outiller les conseils d'administration contre les prises de contrôle hostiles.
Or le pouvoir d'encadrer légalement les prises de contrôle étrangères pour s'assurer qu'elles sont avantageuses pour l'économie et pour la société se trouvait à Ottawa. Au moment où le Québec s'inquiétait des prises de contrôle étrangères des fleurons de son économie, le gouvernement fédéral choisissait d'abdiquer son pouvoir de contrôle.
Le Québec et le Canada, ce sont deux économies différentes.
Pendant que le Québec mène une politique de nationalisme économique, le Canada misait sur la dérèglementation, et pour cause: nos économies sont différentes.
Alors que le nationalisme économique québécois vise le développement des entreprises québécoises, l'économie canadienne gravite autour des filiales de grandes entreprises étrangères. Que ce soit dans le secteur automobile — on peut penser, entre autres, à Ford Canada ou à GM Canada — ou dans le secteur du pétrole — on peut penser à Shell Canada ou à Imperial Oil —, le Canada a depuis longtemps une économie de filiales.
Quant aux grandes entreprises canadiennes, que ce soit dans le secteur financier, les chemins de fer ou les télécommunications, elles évoluent dans des secteurs qui sont protégés contre les prises de contrôle étrangères par la loi fédérale. Ainsi, contrairement au Québec, la protection des sièges sociaux est un enjeu relativement peu important pour le Canada. C'est l'intérêt national plutôt que la malveillance qui a amené Ottawa à adopter une politique contraire aux intérêts du Québec.
Un virage est le bienvenu, mais il est incomplet.
L'arrivée d'importants investissements en provenance d'entreprises liées au gouvernement chinois est venue changer la donne. Le Canada commence à réaliser qu'il est nécessaire de mieux contrôler les investissements étrangers et de s'assurer qu'ils sont avantageux avant de les autoriser.
Le présent rapport du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie est le reflet de cette prise de conscience tardive, et le Bloc québécois s'en réjouit.
Il propose de resserrer le contrôle des investissements en provenance de gouvernements étrangers, de mieux contrôler les investissements qui peuvent avoir un impact sur la sécurité nationale, de mieux protéger les secteurs stratégiques de l'économie, de mieux protéger la propriété intellectuelle afin d'éviter le transfert de technologie en Chine et, finalement, de lever le secret qui entoure les analyses du gouvernement lorsqu'il doit décider si un projet d'investissement est avantageux. Autant de propositions auxquelles le Bloc québécois souscrit sans réserve.
En revanche, le Comité n'a pas fait le pas supplémentaire qui aurait été nécessaire pour protéger notre économie, nos entreprises et nos sièges sociaux: abaisser le seuil d'examen. Voilà la raison du présent rapport complémentaire, dans lequel le Bloc québécois se fait le porte-parole d'un large consensus québécois.
Cependant, même si le Comité n'a pas retenu notre proposition, nous espérons que le gouvernement s'en inspirera. Après tout, s'il est une chose que la pandémie de la COVID-19 nous a démontrée, c'est que les chaînes d'approvisionnement sont mondialisées. Elles sont fragiles et il est imprudent d'être complètement tributaires de décisions prises à l'étranger. Voilà une autre bonne raison de protéger nos entreprises.
Je vais rajouter quelques éléments en complément à cette présentation de notre rapport complémentaire, en commençant par l'importance de pouvoir s'assurer de protéger notre propriété intellectuelle. J'aimerais souligner certaines des recommandations. Dans ce que nous avons déposé, on peut lire:
Que le gouvernement du Canada protège les secteurs stratégiques, notamment, mais pas exclusivement: la santé, l’industrie pharmaceutique, l’agroalimentaire, l’industrie manufacturière, les ressources naturelles et les biens incorporels dans les domaines de l’innovation, de la propriété intellectuelle, des données et de l’expertise.
Je crois que le rapport a oublié le secteur de l'aérospatiale, car je suis convaincu que nous avons voté pour cela.
Lorsque le Comité en a parlé, c'était cher et je veux saluer les interventions de M. Jim Balsillie, que je tenais à nommer à la Chambre. On le connaît très bien pour son leadership dans l'économie canadienne et québécoise. Il est intervenu à plusieurs reprises comme témoin devant notre Comité, notamment au sujet de l'importance capitale de pouvoir protéger l'innovation, la propriété intellectuelle, les données et l'expertise. C'est absolument essentiel dans une économie du savoir.
Parmi les recommandations du Bloc québécois, nous voulions nous assurer que le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie doit justifier sa décision de conclure une transaction si elle est à l'avantage net du Canada. Nous voulions donc un peu plus de transparence et qu'il explique les éléments sur lesquels il s'est basé pour prendre une décision et qu'il rende publiques les conditions qu'il a imposées pour l'acquisition par des éléments étrangers, et ce, pour s'assurer de faire des suivis par la suite. Quand l'information reste secrète, il est facile pour une compagnie d'en faire fi parce qu'elle n'a pas de comptes à rendre à la population. En démocratie, la base, c'est de rendre des comptes à la population.
Pour moi, le cœur des débats que nous avons eus au sein du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie au sujet des recommandations à faire portait sur celle demandant au gouvernement du Canada de ramener le seuil d'examen au niveau de 2015, soit à 300 millions de dollars constants en dollars de 2000. Malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est produit.
Je reconnais que, quand les conservateurs ont travaillé sur la Loi sur Investissement Canada, ils voulaient protéger les entreprises québécoises et canadiennes des investissements chinois. À la suite de la demande des conservateurs, les libéraux ont cherché à garder le statu quo sur la Loi sur Investissement Canada. Il faut croire que les esprits n'ont pas beaucoup changé depuis 2000.
La recommandation que j'ai déposée visant le seuil d'examen à 300 millions de dollars en dollars de 2000 n'a pas été retenue. Ce seuil serait révisé chaque année, ce qui serait surprenant, mais cette disposition reconnaît que le mécanisme — que je voulais renforcer — existe déjà. Le seuil serait rajusté annuellement au besoin en fonction de formules basées sur un produit intérieur brut nominal énoncé dans la Loi et calculé conformément aux principes énoncés aux articles 3.1, 3.3 et 3.5 du règlement.
Une autre partie de notre argumentaire visait à se concentrer sur les seuils. Cependant, les formations politiques ne voulaient pas protéger nos entreprises, sauf s'il y avait un risque pour la sécurité nationale. Or, le but est de protéger notre économie en faisant montre d'un nationalisme économique fort qui nous permet d'agir sur notre économie sans être vulnérables à une prise de contrôle par des investisseurs étrangers.