Madame la Présidente, le débat auquel nous prenons part aujourd'hui est absolument fondamental. D'aucuns pourraient prétendre qu'il s'agit simplement d'une manœuvre partisane visant à embarrasser le gouvernement. Toutefois, ce dont il est question ici, au-delà des questions déjà très importantes de sécurité nationale, c'est la prééminence du Parlement sur les lois qu'invoquerait le gouvernement pour prétendre ne pas avoir à rendre de comptes aux parlementaires. J'aurai l'occasion d'y revenir un peu plus tard.
Mon collègue de Saint-Hyacinthe—Bagot a déjà indiqué que le Bloc québécois voterait en faveur de cette motion, qui est présentée par mon collègue de Wellington—Halton Hills. Nous voterons en faveur de cette motion parce qu'elle est presque identique à une motion adoptée unanimement au Comité spécial sur les relations sino-canadiennes. J'ai bien dit « unanimement », car cela inclut les députés du Parti libéral. Cette motion avait été adoptée en réaction à l'intransigeance, l'opiniâtreté, voire l'entêtement de l'Agence de la santé publique du Canada, laquelle refusait de fournir aux parlementaires les documents demandés. Même nos collègues libéraux étaient exaspérés par cette attitude fermée et entêtée des représentants de l'Agence, au point de voter en faveur de cette motion, laquelle a fait l'objet d'un rapport récent du Comité spécial.
Je vais passer rapidement sur ce point, mais je m'interroge sur ce qui amène les conservateurs à se servir d'une journée de l'opposition pour saisir la Chambre d'une motion presque en tous points identique à une motion dont le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes a fait rapport à la Chambre et qui aurait pu être appelée pour débat avant d'être adoptée par la Chambre.
Qu'est-ce qui motive les conservateurs à nous présenter une telle motion ce matin? Leur geste pourrait accréditer la thèse du Parti libéral selon laquelle les conservateurs cherchent simplement à embarrasser le gouvernement. Cependant, au-delà de cet aspect strictement partisan et qui, je pense, mérite d'être soulevé, il y a la question fondamentale que j'évoquais tout à l'heure: la prééminence, la préséance du Parlement sur toute loi pouvant être invoquée par le gouvernement pour ne pas se conformer à une demande qui lui est adressée par un comité parlementaire.
Reprenons du début. Nous avons créé le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes, dont les membres devaient se pencher sur la détérioration des relations entre le Canada et la République populaire de Chine, ainsi que sur les moyens de rétablir les contacts entre les deux. Rappelons que, par le passé, les relations entre les deux pays ont toujours été fort positives, cordiales et caractérisées par un esprit de collaboration.
Il suffit de rappeler que le Canada a été l'un des premiers pays à reconnaître la Republique populaire de Chine lors de sa création et à établir des relations commerciales et diplomatiques avec ce pays. Rappelons également la mémoire du médecin québécois Norman Bethune, qui a participé à la légendaire Longue Marche du Parti communiste chinois. Rappelons enfin l'aide apportée par le Canada, sous forme de céréales et de blé, lorsque les Chinois mouraient littéralement de faim. Je pense que tout cela a constitué des assises solides à des relations importantes et cordiales entre les deux pays, mais force est de constater que ces relations se sont dramatiquement détériorées ces derniers mois.
Donc, nous avions constitué ce comité dans le but d'examiner cette détérioration, ce qui a pu mener à cette détérioration et ce qui pouvait être fait pour améliorer les relations.
Compte tenu du fait qu'il s'agit d'un gouvernement minoritaire et qu'une élection peut survenir à tout moment, nous avons choisi de segmenter notre étude de sorte à assurer que les travaux ne soient pas perdus.
Donc, périodiquement, nous produisons des rapports pour faire état des travaux que nous avons réalisés jusqu'à maintenant. Entre autres, il y a eu un rapport sur la situation à Hong Kong qui, je crois, mérite qu'on s'y penche attentivement. Là, nous étions en train de nous pencher sur le segment portant sur la sécurité.
Dans le cadre de ce segment portant sur la sécurité, tout y passe, qu'il s'agisse des opérations d'influence du gouvernement de la République populaire de Chine sur le territoire canadien, des interférences ou, du moins, des possibles activités d'espionnage qui pourraient être menées par des entreprises chinoises qui doivent rendre compte au gouvernement de la République populaire de Chine. Il a évidemment été question des relations entre le Canada et la Chine sur le plan de la recherche en microbiologie.
Je dois dire que, de notre côté, cette portion de notre étude sur la sécurité avait un caractère, au départ, relativement candide. Nous voulions bien sûr nous pencher sur le cas de CanSino, par exemple, la collaboration entre des institutions canadiennes et chinoises pour le développement d'un vaccin. Cette collaboration a curieusement avorté et permet maintenant à la Chine de se livrer à une diplomatie des vaccins pour accroître son influence dans le monde en offrant généreusement son vaccin aux pays en développement qui en ont effectivement grand besoin, mais en s'assurant, d'une certaine façon, de créer une relation d'État client à l'égard de la République populaire de Chine de la part de ces pays auprès desquels le gouvernement de la Chine, entre autres, entreprend, maintient et poursuit cette diplomatie des vaccins.
Lors de la comparution de l'Agence de santé publique du Canada, le 22 mars dernier, nous avons rencontré son président, M. Iain Stewart, ainsi que M. Guillaume Poliquin, qui est à la tête du Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg. C'est avec une certaine surprise que nous avons constaté que M. Stewart refusait de répondre à des questions, au demeurant fort légitimes. On n'a qu'à soulever le fait que le 31 mars 2019, deux chercheurs du laboratoire de Winnipeg, la Dre Xiangguo Qiu et le Dr Keding Cheng, ont pris un vol commercial d'Air Canada, un vol régulier, et transportaient littéralement, dans leurs valises, deux virus vivants, celui de l'Ebola et celui de l'Henipah pour apporter ces virus à l'Institut de virologie de Wuhan, en Chine, tristement célèbre compte tenu des rumeurs et des allégations qui continuent de circuler à l'effet que le coronavirus aurait pu s'échapper de ces installations.
Évidemment, nous étions préoccupés par le fait qu'on ait pu faire voyager, comme cela, sur un vol commercial, deux virus extrêmement dangereux vers un laboratoire chinois. En comité, toujours le 22 mars dernier, M. Stewart nous a expliqué que tout avait été fait dans les règles de l'art. Je ne sais pas trop ce que sont les règles de l'art quand il s'agit de véhiculer dans un vol commercial régulier des virus hautement mortels. Quoi qu'il en soit, on nous a garanti et affirmé, et nous n'avons aucune raison de croire que cela ne s'appuyait pas sur une évaluation scientifique probante, que le tout avait été fait dans les règles de l'art.
Je prends la peine de préciser que la Dre Qiu a été décorée du Prix du Gouverneur général en 2018 pour avoir contribué au développement d'un traitement contre le virus Ebola au laboratoire de Winnipeg. Ce prix est normalement décerné à des citoyens canadiens et à des résidents permanents au pays. C'est donc dire la haute estime qu'on avait à l'égard du travail de la Dre Qiu.
Or, curieusement, le 5 juillet 2019, la Dre Qiu , le Dr Cheng et leurs étudiants ont été expulsés comme des malpropres du laboratoire de Winnipeg. C'est quand même assez curieux.
Nous avons également appris que, le 20 janvier 2021, le couple a été officiellement congédié sans que ni dans le cas de l'expulsion ni dans le cas du congédiement on ne donne la moindre explication. Bien candidement, encore une fois, j'ai demandé à M. Stewart pourquoi, si tout avait été fait dans les règles de l'art quant au transfert des virus de l'Ebola et de l'Henipah par le truchement d'un vol commercial d'Air Canada vers l'Institut de virologie de Wuhan, nous les avions expulsés comme des malpropres du laboratoire de Winnipeg et congédiés sans autre forme d'explications. M. Stewart nous a dit qu'il ne pouvait malheureusement pas répondre à cette question.
Nous lui avons demandé pourquoi il ne pouvait pas répondre à ces questions et nous lui avons dit qu'il devait y répondre. Nous avons vu que M. Stewart avait des préoccupations quant à la protection des renseignements personnels. Bien entendu, ces préoccupations peuvent être extrêmement légitimes. Elles peuvent être en lien avec la sécurité nationale ou avec des enquêtes criminelles qui seraient en cours. Toutes ces préoccupations peuvent être éminemment légitimes.
Nous avons offert à M. Stewart de transmettre au Comité de façon confidentielle un certain nombre d'informations, de sorte que le Comité puisse se faire une tête sans que des informations potentiellement préjudiciables quant à la protection des renseignements personnels, à la sécurité nationale ou à une enquête criminelle puissent être divulguées comme cela de façon publique.
À notre grande surprise, nous avons reçu une lettre de la part de M. Stewart dans laquelle il nous indiquait simplement qu'il ne pouvait transmettre de documents en raison de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Malgré le fait que nous lui avons offert la possibilité de nous transmettre de façon confidentielle les informations, il nous a signalé qu'il ne pouvait se conformer ou ne voulait pas se conformer à cette demande du Comité spécial sur les relations sino-canadiennes.
Nous avons insisté et quelques jours plus tard, le 20 avril, nous avons reçu un premier lot de documents lourdement caviardés. Évidemment, nous étions très insatisfaits du fait que l'Agence continue de refuser de nous fournir les documents. Nous avons eu une rencontre avec le légiste et conseiller parlementaire de la Chambre au cours de laquelle il nous a indiqué que le Comité était dans son droit. Nous avons donc relancé M. Stewart, qui a comparu de nouveau avec M. Poliquin le 10 mai.
On nous a répété qu'il n'était pas possible de fournir au Comité les informations demandées, en invoquant encore une fois les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, comme si ce comité parlementaire était n'importe quel justiciable qui demandait des informations à l'Agence. Or, ce comité parlementaire n'est pas n'importe quel justiciable qui demande des informations à la Chambre.
D'ailleurs, je vais partager un avis qui nous a été donné par le légiste et conseiller parlementaire de la Chambre. On peut y lire ceci:
[...] le pouvoir du Comité de réclamer des documents et des dossiers découle de l'article 18 de la Constitution. Il découle du privilège parlementaire et donne le pouvoir de convoquer des personnes et d'exiger la production de documents. Cette autorisation prend le pas sur les dispositions légales ordinaires et, dans leurs décisions, le Président Milliken et la Cour suprême du Canada ont reconnu la primauté des dispositions constitutionnelles, en particulier le privilège parlementaire [...]
Il est question du même pouvoir que celui clairement précisé par le Président Milliken, et qui est le même pour toutes les législatures, à savoir que le pouvoir constitutionnel des comités et de la Chambre l'emporte sur les lois ordinaires comme la Loi sur la protection des renseignements personnels ou la Loi sur l'accès à l'information et qu'il n'est pas limité par ces autres dispositions [...] Le Président Millliken a été explicite sur le fait que les lois ne permettent pas au gouvernement de déterminer unilatéralement qu'une chose est confidentielle.
Lors de la rencontre du 10 mai dernier, notre collègue de Wellington—Halton Hills a également invoqué des dispositions de la Loi sur les renseignements personnels stipulant clairement que cette loi ne s'applique pas à un comité parlementaire et ne s'applique qu'aux justiciables qui demanderaient des informations. Devant le refus répété de la part des autorités de l'Agence de la santé publique du Canada, le Comité a donc adopté une motion fort semblable à celle présentée aujourd'hui par le député de Wellington—Halton Hills.
Au départ, nos questions pour l'Agence étaient plutôt franches, mais le refus systématique et l'entêtement de cette dernière à ne pas fournir les informations demandées par le Comité spécial ont éveillé un certain nombre de soupçons. De plus, nous avons depuis pris connaissance de certaines informations qui sont extrêmement préoccupantes.
En mai dernier, le Globe and Mail rapportait que le Service canadien du renseignement de sécurité avait recommandé que deux chercheurs, la Dre Qiu et son conjoint, le Dr Cheng, n'aient plus accès au laboratoire de Winnipeg pour des raisons de sécurité nationale. Pourquoi? Le SCRS avait aussi des préoccupations, notamment en matière de transfert de propriété intellectuelle, par rapport aux données transmises par le couple et leurs étudiants à la Chine.
Toujours en mai dernier, le même quotidien a rapporté qu'au moins sept scientifiques du laboratoire de Winnipeg collaboraient avec l'armée chinoise, publiant conjointement plusieurs articles. Un chercheur, le professeur Feihu Yan, qui travaillait directement pour l'Armée populaire de libération de la Chine, a malgré tout pu travailler dans les installations du Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg.
Ce qu'on en comprend, c'est qu'il semble y avoir eu une certaine désinvolture sur le plan de la sécurité nationale de la part des autorités canadiennes. Lorsque le Parlement a cherché à aller au fond de cette apparente désinvolture, le gouvernement a invoqué des motifs tout à fait fallacieux pour tenter de se soustraire à l'obligation de lui rendre des comptes.
Il était déjà assez troublant de voir l'Agence de la santé publique du Canada refuser de répondre aux questions des parlementaires. Ce l'a été davantage de voir le premier ministre et des ministres faire exactement de même en répondant à des parlementaires lors de la période des questions orales que les deux personnes ont été congédiées et qu'il est malheureusement impossible de fournir davantage d'information. Ce faisant, le premier ministre et les ministres en question risquent également de porter atteinte aux privilèges de la Chambre.
J'en reviens à ce que je disais au début de mon allocution: ce dont il est question ici, au-delà de la joute partisane, c'est la suprématie du Parlement en vertu du privilège parlementaire dont fait état la Constitution canadienne sur les lois ordinaires de ce pays, derrière lesquelles ce gouvernement — on croyait que c'était simplement l'Agence, mais on a maintenant la preuve que c'est le gouvernement au complet — se cache pour refuser aux parlementaires les informations qui lui sont demandées. Dans les circonstances, nous n'aurons d'autre choix que d'appuyer la motion présentée par notre collègue.