propose que le projet de loi C-215, Loi relative au respect par le Canada de ses obligations en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Madame la Présidente, c'est avec une émotion certaine que je prends la parole aujourd'hui pour présenter, soutenir et défendre, au nom du Bloc québécois et au nom de notre équipe de députés, de nos membres, de nos militants et des milliers de Québécois et de Québécoises qui nous soutiennent, la loi sur la responsabilité en matière de changement climatique. J'ai l'immense honneur d'être l'auteure et la marraine du projet de loi.
Je me suis lancée en politique en connaissant mes convictions. Je suis une démocrate, une indépendantiste québécoise, une féministe et une écologiste. Aujourd'hui, mon objectif est de convaincre les parlementaires, tous les membres de cette assemblée, par ma parole, par mes arguments et par mon honnêteté de cœur et d'esprit, du bien-fondé du projet de loi. Si on lui en donne la chance, il sera, pour des années à venir, la pièce maîtresse de notre œuvre commune pour créer un avenir écologiquement viable.
Viabilité, voilà un mot qui devrait résonner et nous faire réfléchir maintenant. Depuis les derniers mois, nous avons tous collectivement éprouvé une chose bien réelle, mais que nous peinions à mesurer auparavant: la fragilité du monde. La pandémie ne change pas les lois de la nature, mais nous en révèle des portions nouvelles, des portions qui nous étaient autrefois moins perceptibles, plus difficiles à concevoir, ou bien que nous ne voulions tout simplement pas voir.
Notre richesse provient de nos efforts, mais aussi beaucoup des services que nous rend notre environnement naturel. La dégradation de l'environnement augmente les risques pour la santé et compromet notre bien-être économique. Plus que jamais, la relation entre la santé de l'environnement et la santé humaine est révélée.
Le défi actuel ne se substitue pas au précédent, il s'y ajoute. Les gouvernements du monde répondront au défi économique comme ils ont répondu au défi sanitaire. Il faudrait qu'ils y répondent mieux qu'ils ne l'ont fait au sujet du défi climatique depuis toutes ces années.
La crise climatique est aussi réelle que la crise sanitaire. Je sais que tous les partis représentés à la Chambre le reconnaissent. Je crois que, en tant que législateurs et législatrices, nous avons un défi commun qui doit être énoncé, affirmé et entendu de tous les citoyens et citoyennes: la lutte contre la pandémie ne doit pas devenir un prétexte à l'échec de la lutte contre les changements climatiques.
Affirmons maintenant que nous ne nous laisserons pas berner par cette fausse opposition, que ce serait un échec total de la part des pouvoirs publics à répondre au grand défi de l'heure. Prouvons ensemble, malgré nos divergences d'opinions sur certains sujets, que la démocratie peut produire mieux.
Ce n'est pas là qu'un beau discours. L'objectif principal du projet de loi sur la responsabilité climatique, c'est de nous aider à passer de la parole aux actions concrètes.
Je ne doute pas qu'il y ait eu par le passé, au Canada, des décideurs sincères quant à leur volonté de répondre aux défis des changements climatiques, mais il faut se rendre à l'évidence: le Canada n'a jamais atteint les objectifs qu'il s'est donnés en matière de réduction des gaz à effet de serre.
Le Canada a échoué à de multiples reprises. Le Canada a dû se retirer du Protocole de Kyoto. Entre 1990 et 2017, les émissions de gaz à effet de serre du Canada ont augmenté de 18,9 %. Sur la même période, il faut le souligner, les émissions du Québec ont diminué de 8,7 %. Au passage, je note que cette statistique pancanadienne inclut la statistique québécoise.
Néanmoins, je ne suis pas chauvine; le Québec n'est pas parfait et il a encore des défis immenses à relever. Comme toutes les sociétés fortement industrialisées, le Québec a une forte empreinte environnementale et beaucoup reste à faire pour rétablir l'équilibre entre la prospérité et la viabilité écologique. Cependant, dans cette fédération, il a contribué en matière climatique, et ce, même s'il ne maîtrise pas tous les leviers qui devraient légitimement lui revenir pour protéger le territoire qui est le sien. En bref, la réalité politique québécoise et canadienne est telle, mais l'intention de ce projet de loi n'est pas pour autant revancharde, loin de là.
Plusieurs États dans le monde se sont dotés de lois-cadres sur la gouvernance climatique. Ces lois, couramment appelées « lois climat », ont généralement pour objectif de rendre le gouvernement responsable relativement à son action sur le climat. Malgré une société dite progressiste, des jeunes mobilisés et des politiciens qui se disent verts, le Canada n'a pas de loi climat.
Actuellement, le Canada a pour cible la réduction de 30 % de ses émissions de gaz à effet de serre à l'horizon de 2030 par rapport au niveau de 2005. Il s'agit de la cible de Stephen Harper.
Selon les projections les plus optimistes, c'est-à-dire celles qui tiennent compte des effets des mesures de réduction déjà annoncées, le Canada va rater sa cible. Le fait de rendre le gouvernement responsable de son action climatique doit permettre d'éviter cet échec répété. C'est l'objectif du projet de loi.
Ainsi, avec mes mots, je veux susciter l'adhésion. Chacun sait que la pollution ne connaît pas de frontières, même si les sources de pollution sont inégalement réparties dans le territoire. En matière de climat, en politique intérieure comme extérieure, il nous faut composer avec cette inégalité. Plus précisément, pour être un chef de file sur la scène internationale, pour être capable de convaincre les plus grands émetteurs de ce monde d'apporter leur contribution, il y a une condition fondamentale à respecter: il faut prêcher par l'exemple et démontrer qu'on est capable de respecter ses propres obligations.
Il faut faire la preuve de notre crédibilité pour détenir un pouvoir de négociation. Cela me fait de la peine de le dire, mais je crois qu'on manque totalement de crédibilité. On est hors jeu et ce qu'il faut, c'est jouer sur le terrain.
En vertu de l'Accord de Paris, le Canada s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L'engagement canadien est insuffisant par rapport à l'objectif global, certes, mais il faudrait à tout le moins commencer par respecter nos obligations, ce que permettrait d'accomplir le projet de loi sur le climat dont nous débattons, puisqu'il vise à intégrer dans le droit canadien les engagements du Canada en vertu de l'Accord de Paris.
La loi prévoirait deux choses essentielles. La première serait des cibles de réduction officielles, leur rehaussement et l'établissement de cibles intermédiaires jusqu'à l'atteinte de l'objectif de zéro émission en 2050. Je crois que les députés du Parti libéral seront d'accord avec cet objectif, puisque c'est le leur.
Deuxièmement, le plan d'action du gouvernement devrait être évalué par une autorité indépendante et compétente. Pour cela, nous pouvons compter sur le commissaire à l'environnement. On s'entend tous que, pour avoir le mordant nécessaire, une loi sur le climat doit comporter des mécanismes qui la rendent contraignante. C'est ce qu'on propose ici en octroyant à une entité qui a déjà la confiance de la Chambre le pouvoir d'évaluer la conformité des actions gouvernementales avec les objectifs de la loi.
Le Bloc québécois a rendu public un plan complet comprenant une variété de propositions pour mettre en œuvre une véritable relance verte. Le gouvernement peut y puiser abondamment pour élaborer sa stratégie de relance économique de lutte aux changements climatiques.
Ce qu'il y a de bien dans ce projet de loi, c'est qu'il laisse au gouvernement la liberté de choisir les avenues qu'il préfère pour entreprendre cette lutte. En fait, ce que vise le projet de loi, c'est que ces choix soient compatibles avec les engagements internationaux du Canada et que les actions envisagées soient réalistes et suffisantes.
C'est un projet de loi bien simple, mais tellement important. Il semble déjà susciter l'adhésion au sein des partis de l'opposition. J'ai discuté avec des collègues néo-démocrates, des collègues du Parti vert et des collègues conservateurs, qui s'entendent tous pour dire que le principe est bon, qu'ils sont d'accord sur ce principe et qu'ils reconnaissent l'urgence de se doter d'une telle loi au Canada.
Je comprends que, pour plusieurs personnes, il est difficile de saisir le concept de changements climatiques puisqu'on ne les perçoit pas d'un jour à l'autre. On sait qu'il faut faire des efforts localement, à la maison, comme récupérer, composter, choisir un véhicule à faibles émissions ou encore limiter l'utilisation de plastiques à usage unique. Il y a bien des choses qu'on peut faire individuellement, mais il faut faire beaucoup plus collectivement.
La transition concerne toutes les régions et toutes les localités du Québec et du Canada, parce que les effets des changements climatiques sont dévastateurs et se font sentir partout. Chaque région a ses réalités économiques propres et a des défis distincts. Les municipalités sont aux prises avec des problèmes d'érosion, les insectes ravageurs se multiplient, les pêches sont en transformation. Partout, on peut mesurer l'effet des changements climatiques.
Chez nous, ce sont des municipalités riveraines qui doivent composer avec l'érosion des berges. Des gens doivent quitter leur maison parce que l'endroit où elle a été construite n'est plus viable et est trop à risque. Dans ma circonscription, Sainte-Luce-sur-Mer et Sainte-Flavie sont les deux municipalités du Québec les plus touchées par l'érosion côtière. Nul n'est besoin de rappeler les grandes marées de 2010 pour sensibiliser les gens de chez nous. Plus de 40 résidences avaient été endommagées le long du fleuve à Sainte-Flavie, ce qui fait beaucoup pour une communauté de 800 habitants.
Plus de 50 % des côtes sont sensibles à l'érosion dans le Québec maritime, un phénomène engendré par la hausse du niveau de la mer et par les tempêtes, l'absence de glaces le long du littoral, l'augmentation de la fréquence des cycles de gel et de dégel, les redoux hivernaux et l'avènement des pluies abondantes en hiver, toutes des conséquences des changements climatiques qui résultent de l'activité humaine.
Ce sont des agriculteurs qui doivent composer avec la sécheresse de leurs terres, des producteurs qui perdent leurs récoltes à cause de l'imprévisibilité du climat, ou encore des citoyens et des citoyennes de la région de la Baie-des-Chaleurs qui craignent pour leur santé respiratoire à cause des usines polluantes aux alentours, qui dégradent la qualité de l'air de notre Gaspésie qui nous est si chère.
On a besoin d'un grand effort collectif. On doit se mobiliser.
À grande échelle, cela prend des gouvernements qui prennent leurs responsabilités, qui ont assez de courage pour remplir leurs engagements et qui n'ont pas peur de mettre en place des mesures draconiennes, mais nécessaires pour combattre le plus grand défi qui attend la prochaine génération.
On ne peut malheureusement pas se vanter d'être avant-gardiste dans ce domaine, au Canada. Des pays ont eu le courage d'agir avant nous. Il est possible de laisser tomber les énergies fossiles et de vivre de l'énergie solaire, du vent, de l'eau, de la géothermie. C'est non seulement possible, mais essentiel.
Je pense à des pays comme le Maroc qui, au début des années 2000, ne comptait pratiquement que sur l'importation du pétrole. Aujourd'hui, il génère plus de 40 % de l'énergie nécessaire pour ses besoins grâce à un réseau de centrales d'énergies renouvelables, dont la plus grande centrale solaire au monde.
Je pense aussi aux Pays-Bas, l'un des pays les plus peuplés, qui compte des milliers de producteurs agricoles pour le peu d'espace disponible. Ils ont réussi à produire plus et mieux avec moins — moins d'eau, moins d'engrais, moins de pesticides — et à utiliser leur territoire de façon durable, en émettant moins de CO2. Les Pays-Bas font cela et sont le deuxième exportateur de nourriture au monde.
Je pense également au Costa Rica, où, il y a une centaine d'années, les trois quarts du pays étaient recouverts de forêts. L'exploitation forestière incontrôlée, dans les années 1980, en a rasé la majorité. Puis, le gouvernement a pris le taureau par les cornes en offrant des subventions aux propriétaires qui replantaient des arbres. En seulement 25 ans, la forêt a recouvert la moitié du pays.
Ces pays sont différents du Canada, certes. Ils ne sont pas parfaits, mais ils font de leur mieux, selon leur réalité, parce que leur gouvernement a eu le courage d'agir. C'est un peu de cette graine de courage que cela prend au Canada.
Ironiquement, aujourd'hui, peu importent les résultats de l'élection présidentielle américaine, les États-Unis quittent officiellement l'Accord de Paris, conformément à la décision du président républicain en 2017. C'est déplorable. Cela démontre qu'il faut donner un deuxième effort, montrer que nous sommes plus forts que cela, montrer l'exemple. Je ne le dirai jamais assez: il faut prêcher par l'exemple.
Je ne saurais parler de la question climatique sans faire un lien avec les ambitions légitimes du Québec. On me voit venir: le Canada est un pays pétrolier, celui qui, par habitant, finance le plus le gaz et le pétrole. En revanche, sur son immense territoire, le Québec a accès à une quantité phénoménale de ressources naturelles renouvelables; forêts, eau, ressources minières, terres agricoles. Au Québec, on a bâti un réseau électrique solide et renouvelable qui sera, contrairement au pétrole bitumineux de l'Alberta, un atout pour l'avenir.
Nous pourrions devenir un chef de file mondial en matière d'énergies renouvelables, d'efficacité énergétique et de développement durable. C'est d'ailleurs un de mes arguments préférés pour la souveraineté. On soulignait récemment le 25e anniversaire du référendum, et je dois dire que le Québec a bien changé depuis, et nous aussi. Or cela ne rend pas le projet moins légitime. Le Québec se positionne comme un modèle écologique de création de richesse qui sert d'exemple au reste du monde. Le Canada devrait s'en inspirer sans modération.
Je dois abréger mes explications, mais je suis persuadée que les députés auront déjà étudié attentivement, avant de voter, tous les mécanismes de ce projet de loi, et ce, dans le détail. J'ai bon espoir qu'ils en auront bien évalué les vertus, qu'ils sauront reconnaître qu'ils ont affaire à un projet de loi substantiel, structurant, travaillé et bien pensé, et non pas à un simple énoncé de principes ou à une liste quelconque de mesures arbitraires.
Ce sera là mon dernier argument: les députés auront noté que la loi est rédigée volontairement de manière à conserver, pour un gouvernement démocratiquement élu, la marge de manœuvre nécessaire à la bonne conduite des affaires publiques et à l'exécution de sa mission, suivant les ambitions politiques légitimes de son affiliation politique. Notre aspiration est d'assurer la réussite de la politique climatique, et non d'enchaîner les décideurs.
Cela me rappelle une phrase précise et un style de gouvernance qui m'inspire. La première ministre du Québec Pauline Marois a dirigé avec brio un gouvernement minoritaire, comme le gouvernement actuel. Elle affirmait, en début de mandat: « Nous serons souples dans les moyens, mais restons fermes sur les objectifs. » Ce sont de sages paroles.
Le projet de loi que je présente propose au Canada d'être, pour des années, au nom de l'avenir de la planète et de la justice climatique, souple sur les moyens et ferme sur les objectifs. Au gouvernement actuel, qui affirme à répétition son engagement pour le climat, et au gouvernement futur, je pose la question: sont-ils prêts à être fermes sur les objectifs?
Si oui, je les invite, au nom des miens, humblement et avec au cœur un sentiment du devoir accompli, à voter en faveur de la loi sur la responsabilité en matière de changements climatiques du Bloc québécois.