propose que le projet de loi C-222, Loi modifiant la Loi sur l’expropriation (protection de la propriété privée), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Madame la Présidente, en tant que députée de Renfrew—Nipissing—Pembroke, je suis ravie de parler de mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-222, Loi modifiant la Loi sur l’expropriation relativement à la protection de la propriété privée.
D'emblée, je tiens à souligner que la Chambre est située sur les terres ancestrales du peuple algonquin anishinabe, et qu'un processus de revendications territoriales a présentement lieu.
Je suis heureuse de reconnaître que le mouvement actuel visant à protéger les droits des propriétaires fonciers privés en Ontario a débuté dans ma circonscription, Renfrew-Nipissing-Pembroke. Je dois une fière chandelle à la Renfrew County Private Landowners Association, à la Renfrew Landowners Association, ainsi qu'aux chapitres North Renfrew United Landowners de l'Ontario Landowners Association. Je remercie ces associations de me tenir si bien informée sur les enjeux importants qui touchent les propriétaires fonciers.
Une tendance inquiétante se fait présentement sentir au Canada, celle de l'appropriation réglementaire ou de facto de la propriété privée. Ce phénomène désigne le fait, pour le gouvernement, d'utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi pour régir ou restreindre les droits de propriété d'une personne sans l'exproprier de son terrain. Les conséquences sont les mêmes que si elle l'avait été, même si ce n'est pas le cas.
Aux États-Unis, le cinquième amendement de la Constitution protège les droits relatifs à la propriété privée. Au Canada, l’acquisition de terres par le gouvernement sans l’accord des propriétaires n’est pas assujettie à la Charte canadienne des droits et libertés. Les droits relatifs à la propriété privée ont été exclus de la Constitution canadienne à son rapatriement, en 1982.
Le projet de loi C-222 porte sur les expropriations qui relèvent du fédéral. Tous les ordres de gouvernement doivent avoir la capacité de procéder à l’expropriation de terres privées. Les lois sur l’expropriation établissent un processus étape par étape clair afin de trouver le juste équilibre entre les droits relatifs aux biens immobiliers et le besoin public pour ces biens.
Dans leur article intitulé « Expropriating Land: A Balancing Act », Peter Bowal et Rohan Somers affirment entre autres ceci:
Les gouvernements devraient tendre à limiter les expropriations et les envisager avec circonspection et sensibilité afin d’éviter toute perception d’injustice ou d’abus de quelque forme que ce soit. Dans la majorité des cas d’expropriation [conformes à la common law], l’instance publique négocie et fait une offre loin des projecteurs. Ainsi, les étapes strictes et officielles du processus, y compris la tenue d’audiences publiques, sont rarement nécessaires. Dans la très grande majorité des cas, les expropriations sont satisfaisantes pour les deux parties en raison de négociations de bonne foi loin des projecteurs qui tiennent compte du cadre législatif.
Je cite Elizabeth Brubaker, d'Environment Probe, qui a écrit ceci: la tradition de longue date voulant que les lois soient strictement interprétées par les tribunaux signifie que de simples changements législatifs — en particulier ceux qui définissent plus clairement l'objectif public — suffisent pour limiter le pouvoir discrétionnaire des gouvernements en matière d'expropriation. C'est ce que le projet de loi C-222 cherche à faire.
Au Canada, les droits des propriétaires fonciers sont énoncés dans la Loi sur l'expropriation, qui précise les terres qui peuvent être expropriées ainsi que la marche à suivre dans un tel cas. Le gouvernement canadien peut imposer des règlements stricts, limiter la valeur des terres et déterminer ce que les propriétaires peuvent faire, ou pas, sans jamais enfreindre les dispositions de la Loi. Voilà pourquoi le moment est venu de moderniser la Loi sur l'expropriation.
J'ai présenté le projet de loi C-222 afin que les propriétaires soient mieux protégés si le gouvernement souhaite s'approprier leur propriété sans avertissement, sans audience et sans les indemniser en conséquence. La propriété privée, selon sa définition, correspond au droit d'user, de jouir et de disposer d'une propriété de manière exclusive et absolue. La propriété privée n'est pas la même chose que la propriété publique. La propriété publique est, quant à elle, définie comme la propriété de l'État ou de la communauté qui n'est pas limitée à l'usage ou à la possession d'une personne.
En vertu de la loi, le gouvernement fédéral a le pouvoir d'exproprier des propriétés de la sorte, en particulier les terres provinciales.
L'exception proposée dans le projet de loi C-222, qui limite explicitement la portée de la mesure législative aux propriétés privées, permettrait au gouvernement fédéral d'exproprier des terres publiques, notamment des terres provinciales, à des fins publiques uniquement liées à la restauration d'un habitat naturel historique ou aux conditions climatiques variables.
Nos préoccupations relativement aux changements climatiques ne doivent pas justifier les mesures qui ont pour effet de miner la valeur des propriétés privées. Les agriculteurs, en particulier, ne devraient pas être tenus de financer les mesures écologiques des autres sans être indemnisés en conséquence. Cela vaut pour tous les propriétaires fonciers privés.
Il semble que l'accord commercial qui a récemment été conclu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique reflète bien les préoccupations que j'ai soulevées dans mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-222. Or, à cause de cet accord, on dirait que les investisseurs étrangers qui possèdent une propriété au Canada sont mieux protégés que les propriétaires canadiens.
Cette incohérence trouve sa source dans l'article 1110 de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA, qui a été maintenu dans l'ACEUM à l'article 14.8, consacré à l'expropriation et à l'indemnisation. L'article 14.8 du nouvel accord prévoit ce qui suit:
1. Aucune Partie ne nationalise ni n’exproprie un investissement visé directement ou indirectement au moyen de mesures équivalentes à une nationalisation ou à une expropriation (« expropriation »), si ce n’est: a) à des fins d’intérêt public; b) de façon non discriminatoire; c) moyennant le versement d’une indemnité prompte, adéquate et effective, conformément aux paragraphes 2, 3 et 4; et d) dans le respect du principe de l’application régulière de la loi.
2. L’indemnité: a) est versée sans délai; b) équivaut à la juste valeur marchande de l’investissement exproprié immédiatement avant l’expropriation (la date de l’expropriation); c) ne tient compte d’aucun changement de valeur résultant du fait que l’expropriation envisagée était déjà connue; et d) est pleinement réalisable et librement transférable.
3. Si la juste valeur marchande est libellée dans une monnaie librement utilisable, l’indemnité versée n’est pas inférieure à la juste valeur marchande à la date de l’expropriation, majorée des intérêts calculés à un taux commercial raisonnable pour cette monnaie, courus de la date de l’expropriation à la date du paiement.
4. Si la juste valeur marchande est libellée dans une monnaie qui n’est pas librement utilisable, l’indemnité versée, convertie dans la monnaie utilisée pour le versement au taux de change du marché en vigueur à la date du paiement, n’est pas inférieure à: a) la juste valeur marchande à la date de l’expropriation, convertie dans une monnaie librement utilisable au taux de change du marché en vigueur à cette date; b) majorée des intérêts, calculés à un taux commercial raisonnable pour cette monnaie librement utilisable, courus de la date de l’expropriation à la date du paiement.
5. Il est entendu que la question de savoir si une mesure ou une série de mesures prises par une Partie constituent une expropriation est tranchée conformément au paragraphe 1 du présent article et à l’annexe 14-B (Expropriation).
La formulation utilisée ici a été reprise de l'ALENA de 1992 et fait référence à la nationalisation ou à l'expropriation indirecte d'une mesure équivalant à une nationalisation ou à une expropriation. Cette formulation existe manifestement pour garantir que le pays expropriant fournira une indemnisation, dans les faits et en droit, pour l'expropriation.
Le champ d'application de l'article 14.8 est certes vaste. Le terme « mesure » inclut toute loi, tout règlement et toute procédure, exigence ou pratique, et la définition du terme « investissement » est large. Dans son article intitulé Expropriation without compensation, James Beaton souligne: « Qui plus est, contrairement à la common law du Canada, aucune disposition législative explicite n'est prévue pour retirer le droit à l'indemnité. »
La façon dont l'ancien article 1110 de l'ALENA a été traité dans l'arbitrage entre les parties à l'ALENA, le Canada, les États-Unis et le Mexique, a, ou devrait avoir, du moins, une incidence sur le droit de l'expropriation au Canada en général.
C'est particulièrement le cas étant donné le statut constitutionnel de l'ALENA, maintenant l'ACEUM, en tant que document qui ne peut être modifié sans le consentement de tous les signataires. L'expropriation dans l'ALENA, et maintenant dans l'ACEUM, comprend non seulement la saisie ouverte, délibérée et reconnue de propriété, mais aussi l'ingérence secrète ou fortuite dans l'utilisation d'un bien qui a pour effet de priver le propriétaire, en tout ou en partie, de l'usage ou de l'avantage économique raisonnablement escomptés du bien.
Avec la ratification de l'ACEUM, une incertitude planera sur le droit de l'expropriation et les droits de propriété canadiens à l'avenir. L'ACEUM n'est pas le seul accord international signé par le Canada qui accorde plus de protections en matière de propriété privée aux étrangers qu'aux Canadiens.
La citation suivante est tirée du « Plan 2014: Régularisation du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent — Protection contre les niveaux extrêmes, restauration des milieux humides et préparation aux changements climatiques », qui a été signé par le président élu Joe Biden en 2016, alors qu'il était le vice-président de M. Obama, et par le gouvernement actuel:
L’Étude internationale sur le lac Ontario et le fleuve Saint-Laurent conclut que selon les estimations, 25 000 propriétés riveraines privées se trouvent sur le lac Ontario et le fleuve Saint-Laurent en amont du barrage Moses-Saunders. Plus de 3 000 de ces mêmes terrains se trouvent sous la cote de 76,2 m […] et sont exposés aux risques d’inondation.
[…] Le retour à un régime de niveaux plus naturel sur le lac Ontario et le fleuve Saint-Laurent n’est pas un projet traditionnel de rétablissement des zones humides, qui prévoit généralement des opérations de récolte et de plantation, des transformations physiques des zones humides ou le nettoyage de polluants.
En plus d'être pleinement conscient que le Plan de 2014 visait à inonder des propriétés résidentielles, le gouvernement fédéral doit s'acquitter d'obligations aux termes de l'article VIII du Traité relatif aux eaux limitrophes de 1909:
Il faut prendre des dispositions convenables et suffisantes pour protéger et indemniser les personnes d'un côté ou d'un autre de la frontière internationale dont les intérêts ont été lésés par la construction, l'entretien et l'exploitation d'ouvrages, conformément aux lois du Canada ou à la Constitution et aux lois des États-Unis, respectivement [...]
Alors que les victimes d'inondations aux États-Unis sont indemnisées pour leurs propriétés qui ont été confisquées à cause d'inondations provoquées par des politiques gouvernementales, les victimes d'inondations au Canada ne sont toujours pas indemnisées pour aucune de leurs pertes. Il est manifestement temps d'accorder aux Canadiens des protections législatives égales, voire supérieures, à celles dont jouissent actuellement les étrangers au Canada.
Selon une récente étude menée par les Nations unies, les pays ayant des droits de propriété plus solides sont plus développés sur le plan économique. Le moment est venu de moderniser le droit de l'expropriation au Canada afin qu'il soit conforme à celui des autres pays.
En conclusion, le droit à la possession de la propriété n'est pas protégé par la Constitution canadienne. La Couronne peut exproprier des terres privées pour le bien public. Un principe général du droit de l'expropriation veut que la Couronne indemnise les propriétaires fonciers quand elle exproprie leurs terres. Cependant, ce n'est pas toujours le cas quand l'expropriation se fait en dehors d'un cadre législatif.
Le projet de loi C-222 préciserait que la restauration d'un habitat naturel et la gestion des conséquences de la variabilité du climat ne constituent pas des circonstances spéciales. Le projet de loi C-222 reconnaît qu'on peut vouloir une expropriation pour ces raisons, mais qu'il faut respecter les règles de la procédure établie et qu'il ne faut pas forcer les propriétaires privés à céder leurs terres sans préavis, sans audience et sans indemnisation équitable. Les propriétés inondées à cause des politiques gouvernementales doivent être traitées comme des propriétés expropriées. Cela déclencherait le processus judiciaire d'indemnisation prévu dans la Loi sur l'expropriation.
J'espère que nous aurons des discussions sérieuses sur le projet de loi C-222.