Monsieur le Président, j'ai le plaisir de prendre la parole à la Chambre aujourd'hui au sujet d'un projet de loi qui me tient à cœur. Ce n'est pas tellement le projet de loi en tant que tel, mais ce qu'il implique et le milieu auquel il touche. C'est un projet de loi qui pourrait, pour l'avenir, changer énormément de choses.
Avant de parler des principes et de l'orientation générale du projet de loi C‑10, et comme nous discutons officiellement en ce moment d'une super motion pour accélérer les travaux et le cours des choses à la Chambre, j'aimerais revenir sur la question que j'ai posée à mon collègue de Drummond, il y a quelques minutes, à savoir comment nous en sommes arrivés là.
Comment en sommes-nous arrivés à un projet de loi qui touche tout de même à notre souveraineté culturelle, à nos capacités de produire du contenu culturel québécois et canadien, et donc à toute une industrie représentant des milliards de dollars, des milliers d'emplois et de gens touchés dans toutes les régions du Québec et du Canada, une industrie tellement cruciale et importante, sur laquelle nous étions très en retard?
Il faut dire que non seulement le projet de loi est en retard, mais le gouvernement l'est également dans sa gestion des affaires de l'État à la Chambre et en comités parlementaires. Nous en aurons vu de toutes les couleurs avec le projet de loi C‑10. Je fais ce travail depuis quelques années, mais il s'est passé des choses que j'avais rarement vues, y compris des rebondissements, une mauvaise gestion, des problèmes de communication, des pauses, des questions, des avis et beaucoup de témoignages. J'ai parfois vu des choses contradictoires et des processus un peu étranges, notamment cette chose faite par les conservateurs, que j'ai rarement vue se produire: de l'obstruction systématique dans le but de faire perdre du temps au comité, mais également sur des amendements des conservateurs. Quand on dépose un amendement, on veut normalement qu'il soit adopté, car on pense que cela améliorera le projet de loi. Toutefois, les conservateurs ont eu le culot de faire de l'obstruction sur leurs propres amendements. C'est assez particulier.
Nous arrivons à la fin. Personne ne veut que des élections soient déclenchées, mais tout le monde pense que ce sera le cas. Il faut donc se dépêcher et faire vite, parce que nous serons peut-être en campagne électorale en août ou en septembre. Ce sera aux libéraux de le décider.
Nous pourrions revenir et travailler sur le projet de loi. Nous aurions la possibilité de le faire, mais des indices nous montrent que les libéraux veulent se dépêcher. Ils souhaitent maintenant aller tellement vite qu'ils ont imposé le bâillon sur les travaux d'un comité parlementaire. Dans toute l'histoire, en plus de 150 ans, c'est seulement la quatrième fois que cela se produit, et, cette fois, il ne s'agit pas de limiter la durée des débats à dix heures, mais à cinq heures.
Afin d'utiliser ces cinq heures le plus efficacement possible, le NPD et d'autres partis ont accepté d'ajouter des plages horaires pour que le comité puisse se rencontrer plus souvent que ce qui était prévu. Ainsi, la semaine dernière, au lieu de se rencontrer deux fois, le comité s'est rencontré cinq fois, si ma mémoire est bonne. Malgré cela, les libéraux arrivent avec une super motion pour encore une fois accélérer les choses.
La seule conclusion à laquelle j'arrive, c'est que le gouvernement s'est traîné les pieds. Malgré le discours qu'il tenait, selon lequel la culture et le secteur culturel sont vraiment importants, c'était tout croche, le projet de loi C‑10 était plein de trous, des choses n'étaient pas claires, le ministre du Patrimoine canadien n'était lui-même souvent pas clair, et on n'a pas mis assez tôt et assez souvent à l'ordre du jour le projet de loi C‑10 pour lui permettre de cheminer.
On a beau jouer du violon aux artistes et leur dire qu'on les aime, qu'on les soutient, que c'est important et qu'il faut moderniser le projet de loi, on arrive trop tard à la fin avec un paquet d'amendements que nous n'avons même pas eu la possibilité d'étudier alors que certains auraient été pertinents et qu'ils auraient dû être inclus dans le projet de loi C‑10.
C'est la réalité à laquelle nous sommes souvent confrontés en fin de session parlementaire. C'est dommage. Si le gouvernement libéral avait été sérieux sur les questions de culture et de souveraineté culturelle, il aurait fait cela bien avant, et ce n'est pas parce que le rapport Yale a été déposé en 2018. On aurait pu mettre davantage l'accent sur le projet de loi C‑10 pendant les travaux de la Chambre, ce que les libéraux n'ont pas fait.
Pourquoi est-ce nécessaire de s'attaquer à la Loi sur la radiodiffusion? C'est parce qu'elle est devenue, au fil du temps et en raison des changements et des progrès technologiques, complètement caduque et désuète.
À mon avis, c'est important de rappeler que les diffuseurs traditionnels ont l'obligation, par l'entremise du CRTC, de contribuer à la production de contenu culturel, qu'il soit québécois ou canadien, de langue française ou de langue anglaise. Nous reparlerons de l'importance d'avoir des œuvres, des films et des émissions en français. L'écosystème de la diffusion de contenu a beaucoup changé au cours des dernières années.
Le député de Drummond a parlé, entre autres, de l'accès à Internet — certaines personnes se rappelleront que c'était beaucoup plus difficile d'y avoir accès il y a 10 ou 15 ans. Aujourd'hui, notre système est complètement asymétrique et inéquitable, ce qui fait que le secteur culturel s'en va vers un mur. Cela met en danger le secteur culturel. Année après année, les câblodistributeurs perdent des abonnés. Pourquoi? C'est parce que la technologie a changé et que les distributeurs traditionnels se font dépasser par les diffuseurs numériques, qui prennent de plus en plus de place. C'était le cas avant la pandémie, mais cette dernière nous a démontré que les Netflix, Disney+ et Crave de ce monde occupent une place prépondérante.
Je vais être clair: tous ces grands diffuseurs numériques, tous les médias sociaux et les géants du Web ne participent pas à l'investissement collectif nécessaire pour créer du contenu culturel canadien ou québécois, de langue française ou de langue anglaise. C'est là où le bât blesse. C'est là où les conservateurs et les libéraux se sont trainé les pieds au cours des dernières années. La loi sur la radiodiffusion aurait dû être modifiée il y a bien longtemps.
Évidemment, les néo-démocrates accueillent favorablement l'idée que les nouveaux joueurs apportent leur contribution. Ils commencent à être moins nouveaux, mais ils prennent une place considérable. Le pot commun dans lequel les diffuseurs traditionnels mettent de l'argent pour créer du contenu culturel québécois ou canadien rapetisse avec le temps. Il faut absolument que ces nouveaux joueurs numériques y participent, pour que l'on puisse avoir plus de moyens pour créer plus d'œuvres qui vont raconter les histoires d'ici et raconter ce qui se passe dans nos communautés, dans nos villes, dans nos régions et dans nos villages.
C'est tellement important aux yeux du NPD que nous avons fait campagne à ce sujet, entre autres. Je me permets de lire un extrait de la plateforme de 2019:
La plupart des Canadiennes et Canadiens s'informent maintenant sur Facebook, et Netflix est devenu le plus grand diffuseur du pays. Or, ces géants du web ne paient pas d'impôts et ne contribuent pas au financement du contenu canadien de la même façon que les médias traditionnels. Le cinéma, la télévision et les médias canadiens sont confrontés à un raz‑de‑marée de contenu américain généreusement financé, et les libéraux ont refusé de prendre des mesures pour égaliser le terrain de jeu [cette notion est très importante].
C'est pourquoi nous veillerons à ce que Netflix, Facebook, Google et les autres entreprises de médias numériques respectent les mêmes règles que les diffuseurs canadiens. Cela signifie payer des impôts [cela ne figure pas au projet de loi C-10. C'est dans le budget, mais il semble qu'il faut attendre à l'année prochaine], appuyer le contenu canadien dans les deux langues officielles et assumer la responsabilité de ce qui apparaît sur leur plateforme, comme c'est le cas pour les autres médias.
[...] Les néo‑démocrates veilleront à ce que les talents canadiens puissent s'épanouir sur les plateformes numériques et traditionnelles, ici comme ailleurs dans le monde. Nous croyons que les artistes doivent pouvoir vivre décemment de leur art et que le gouvernement a un rôle important à jouer pour s'assurer qu'une diversité de voix puisse raconter notre histoire [et nos histoires].
Comme on peut le voir, nous savions déjà qu'il fallait moderniser la Loi. Trente ans après son adoption, elle est désuète.
C'est vrai qu'il y a un appétit réel et bien fondé de la part du milieu culturel, que ce soit le secteur de la télévision, du cinéma ou de la musique, pour un changement tant attendu. Sur le plan de la musique, YouTube est devenu la plateforme que les gens utilisent le plus. C'est donc vraiment important d'inclure un média social comme YouTube dans le giron de ce qu'il est possible de surveiller et de réguler.
Par contre, il ne faut pas réguler les usagers, ces citoyens et ces citoyennes qui mettent leurs propres vidéos sur cette plateforme. IL faut viser ici l'utilisation professionnelle de cette plateforme à des fins commerciales.
Je reviendrai aux questions qui ont surgi en cours de route dans cette vaste aventure du projet de loi C‑10. Pour assurer la pérennité de notre écosystème culturel, nous, au NPD, étions évidemment prêts à travailler de bonne foi, à améliorer le projet de loi et à le bonifier en partant de la prémisse selon laquelle la vielle loi actuelle a fait son temps puisqu'elle met en danger ce secteur, nos capacités et le maintien de certains emplois.
Au NPD, que cherchions-nous, exactement? Nous voulions voir un système de radiodiffusion qui demeure essentiellement canadien, avec des propriétés québécoises et canadiennes. Nous voulions des œuvres québécoises et canadiennes facilement identifiables et accessibles. Nous voulions des émissions et du contenu de chez nous. C'est un aspect que nous avons étudié de très près.
Nous voulions aussi un système de radiodiffusion qui reconnaît clairement l'importance de la langue française dans cet écosystème. Malheureusement, le gouvernement libéral avait connu une expérience difficile en signant un accord avec Netflix il y a quelques années. Nous voulions éviter qu'une telle brèche puisse se représenter parce que nous n'avons jamais eu de garantie réelle du pourcentage de l'entente convenue entre les libéraux et Netflix consacré à la production de contenu en langue française.
Nous voulions aussi un système équitable, mais sans niveler par le bas. Si le Canada demande une certaine participation financière des géants du Web et des diffuseurs numériques, il ne faut pas que cela signifie un passe-droit pour les diffuseurs traditionnels et que, en fin de compte, on se retrouve sans plus de revenus pour nos artistes et la production culturelle.
Nous voulions enfin nous assurer de productions en langues autochtones pour les peuples autochtones et pour les Premières Nations. C'était un élément que nous surveillions et que nous voulions retrouver dans le projet de loi C‑10. Voilà donc les principes qui nous ont guidés dans ces travaux.
Nous nous retrouvons à la fin du processus avec un projet de loi fort imparfait, mais qui vise une bonne intention. Cela peut créer tout un dilemme pour les députés et les parlementaires que nous sommes, alors que nous aurions voulu avoir le temps de bien faire tout le travail, de boucher tous les trous et de nous assurer que le projet de loi ne pourra pas être contesté devant les tribunaux.
Le gouvernement doit accepter beaucoup de responsabilité pour les quiproquos, les malentendus et les inquiétudes tout à fait légitimes des gens pour leur liberté d'expression, sujet dont je veux maintenant parler.
Est-ce que la liberté d'expression est menacée? Cela a fait beaucoup jaser, beaucoup de gens ont réagi, beaucoup de gens ont appelé, ont écrit, et il y a évidemment eu des articles et des éditoriaux à ce sujet. Il faut savoir que les experts sont divisés sur cette question, mais que l'un des deux groupes est plus minoritaire que l'autre. Le député de Drummond en parlait tantôt. Au Québec, on n'a qu'à penser à Pierre Trudel et à Monique Simard, qui sont des voix fortes et qui ont une opinion très tranchée là-dessus.
Il est également important de savoir qu'il y a déjà des garanties, trois dispositions dans la Loi, les articles 2, 35 et 46, qui protègent la capacité des citoyens et des citoyennes, des simples usagers, de publier et de diffuser du contenu dans les médias sociaux.
Évidemment, la Charte canadienne des droits et libertés existe toujours. À deux reprises, on a demandé des avis de conformité à la Charte canadienne des droits et libertés au ministère de la Justice; une fois avant et une autre fois après le retrait de l'article 4.1. Dans les deux cas, on nous a dit que c'était conforme à la Charte canadienne des droits et libertés.
Pour s'assurer que cette question importante est bien réglée et qu'on a toutes les garanties possibles, le NPD demande aussi au gouvernement un renvoi à la Cour suprême pour s'assurer que les droits des citoyens à la liberté d'expression sont protégés dans le projet de loi.
Il y a les articles du projet de loi, il y a l'avis majoritaire des experts, il y a les deux avis de conformité à la Charte du ministère de la Justice. En plus, nous demandons un renvoi à la Cour suprême pour nous assurer que les utilisateurs et les utilisatrices ne peuvent pas être réglementés par le CRTC. C'est bien important, le CRTC va réglementer les compagnies de diffusion et non pas les individus.
Je crois qu'un député en a fait mention aussi, mais, si j'avais un doute quant à la possibilité que mes enfants ou mes adolescents soient visés par le CRTC ou restreints dans leur liberté d'expression sur les médias sociaux et en ligne, cela m'inquiéterait énormément, et ce n'est pas quelque chose que je laisserais passer.
Pourquoi est-ce si important de s'occuper du secteur culturel, de nos artistes et de nos artisans? On peut vouloir le faire pour des raisons économiques, parce que ce secteur représente des milliers d'emplois et que ce sont des industries qui fonctionnent généralement bien. Cela a été plus difficile dans le contexte de la pandémie et c'est plus difficile pour le secteur culturel de sortir de la crise. De plus, le secteur culturel n'est pas uniforme; certains vont plutôt bien alors que, pour d'autres, c'est un peu plus difficile. Je pense notamment aux festivals, à tous les arts vivants, aux théâtres et aux spectacles de musique. Il faudra un peu plus de temps à ces secteurs pour se remettre sur pied. Pour ce qui est de la télévision et du cinéma, les activités ont toujours continué, mais il faut assurer une pérennité de notre système afin que nous soyons capables de continuer de créer nos émissions de télévision, nos films, de raconter nos histoires et d'embaucher nos créateurs, nos artisans, nos techniciens et nos techniciennes d'ici. Il y a donc l'argument économique, puisque le secteur culturel est un moteur économique important.
Or, le secteur culturel représente plus que cela. C'est aussi quelque chose qui, dans une société, nous rassemble. Cela forge une identité, une vision du monde et cela amène également des éléments de beauté, de tendresse et d'humanité dans nos vies. C'est ce qui fait que le secteur culturel est différent de n'importe quel autre secteur économique. Il change qui nous sommes comme êtres humains, il change la manière dont nous voyons le monde. Les oeuvres qui sont produites en disent beaucoup sur une société, que ce soit des oeuvres télévisuelles, de la danse, de la peinture, des performances, des livres ou des poèmes. La culture permet de changer le monde.
Je vais lire un court extrait d'un texte de Jacques Prévert.Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,ceux qui écaillent le poissonceux qui mangent de la mauvaise viandeceux qui fabriquent des épingles à cheveuxceux qui soufflent vides les bouteilles que d'autres boiront pleinesceux qui coupent le pain avec leur couteauceux qui passent leurs vacances dans les usinesceux qui ne savent pas ce qu'il faut direceux qui traient les vaches et ne boivent pas le laitceux qu'on n'endort pas chez le dentisteceux qui crachent leurs poumons dans le métroceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d'autresécriront en plein air que tout va pour le mieuxceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le direceux qui ont du travailceux qui n'en ont pasceux qui en cherchentceux qui n'en cherchent pas[...]ceux qui croupissentceux qui voudraient manger pour vivreceux qui voyagent sous les rouesceux qui regardent la Seine coulerceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille qu'on assommeceux dont on prend les empreintes[...]ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoireceux qui vieillissent plus vite que les autresceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l'épingleceux qui crèvent d'ennui le dimanche après-midi parce qu'ils voient venir le lundiet le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendrediet le samediet le dimanche après-midi.