Monsieur le Président, les miracles ne cessent jamais. C’est peut-être le début d’un changement radical. Le temps nous le dira.
Quoi qu’il en soit, le député de Timmins—Baie James a dit quelque chose qui m’a vraiment frappé, à savoir que le projet de loi C-7, même dans sa version précédente, et encore plus avec les amendements proposés, fera des personnes handicapées des citoyens de seconde zone lorsqu’ils auront recours au réseau de la santé, puisque nous les placerions sur une voie différente. Il a dit que cela créerait une « deuxième catégorie de citoyens » dans ce pays, ce dont nous devrions tous nous préoccuper, surtout en réponse aux témoignages répétés de nombreux organismes qui représentent les Canadiens qui vivent avec un handicap, ainsi que les organismes qui représentent les Canadiens aux prises avec des troubles de santé mentale.
Nous sommes ici pour débattre des amendements que le Sénat propose d’apporter au projet de loi C-7 et, plus précisément, pour débattre d’un amendement proposé par mon collègue qui viserait à modifier l’appui du gouvernement au plus important amendement de fond proposé par le Sénat. Je vais me pencher plus particulièrement sur les enjeux liés à cet amendement. Tout d’abord, le gouvernement présente toutes sortes d’arguments aujourd’hui, et avant cela aussi, pour soutenir que cette mesure législative se fait attendre depuis longtemps et qu’elle a fait l’objet d’un débat approfondi. Je tiens à faire quelques observations sur le parcours qui nous a amenés à ce projet de loi, car nous avons vraiment pris toutes sortes de détours depuis le début de nos discussions sur ce projet de loi.
Il semblerait que cette conversation soit née d’une décision d’un tribunal inférieur du Québec qui portait précisément sur la question de la prévisibilité raisonnable et non sur la question dont nous parlons aujourd’hui. Le tribunal initial devait décider si une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible devrait avoir accès à l’euthanasie, et il a décidé par l’affirmative. À l’encontre de nos conseils, le gouvernement a décidé de ne pas en appeler de cette décision. Fait important, il aurait pu interjeter appel de cette décision et utiliser le temps dont il disposait pour envisager une réponse législative différente. Toutefois, le gouvernement s’est donné un échéancier serré en décidant de ne pas abroger cette décision.
Par la suite, le ministre de la Justice a présenté un projet de loi qui traite de nombreuses questions liées à l’euthanasie et qui va bien au-delà des paramètres de la décision du tribunal. La décision du tribunal portait sur la prévisibilité raisonnable. Je crois que si le gouvernement avait proposé un projet de loi qui traitait uniquement de la question de la prévisibilité raisonnable et s’il avait orienté les autres questions vers d’autres mesures législatives, ce projet de loi aurait été adopté depuis longtemps et nous ne parlerions pas d’une quatrième prolongation, de nouveaux délais devant les tribunaux et ainsi de suite.
Ce projet de loi n’a pas encore été adopté, parce qu’en fait le gouvernement l’a rendu omnibus en ajoutant la question de la prévisibilité raisonnable à de nombreux autres enjeux qui n’avaient aucun rapport, comme le consentement préalable, la suppression des mesures de sauvegarde existantes, la période de réflexion de 10 jours. Lorsque le gouvernement a décidé de présenter son projet de loi, il a fallu débattre de nombreux enjeux, et la plupart d’entre eux n’avaient absolument rien à voir avec la décision Truchon.
À mon avis, le gouvernement a agi de façon trompeuse en tentant de créer ce lien artificiel avec la décision Truchon pour toutes sortes de questions qui n’ont absolument rien à voir avec elle, et nous avons très peu de raisons de débattre de cet enjeu. Le gouvernement aurait pu axer sa réponse à la décision Truchon sur les questions soulevées par cette décision. Cela aurait probablement justifié un échéancier plus serré pour le projet de loi, parce qu’il n’aurait pas été nécessaire de discuter d’autant d’enjeux différents.
Le gouvernement a intégré au projet de loi C-7 toutes ces questions supplémentaires, sans pour autant aller de l'avant avec un examen législatif obligatoire. Le projet de loi précédent, le C-14, prévoyait la tenue d’un examen législatif. Le gouvernement n’a pas donné suite à cette exigence, mais a plutôt décidé d'intégrer toutes ces autres questions au projet de loi C-7. Nous avons ensuite eu un débat à la Chambre, nous avons eu des audiences au comité et, pendant tout ce temps, le gouvernement essayait de créer un sentiment d’urgence en voulant nous faire croire que nous devions aller de l’avant pour donner suite à la décision Truchon, même si les nouvelles dispositions allaient beaucoup plus loin que ce qui était, au départ, dans la décision Truchon.
Le comité de la justice a tenu très peu d’audiences, seulement quatre si ma mémoire est bonne, sur l’ensemble des points abordés dans le projet de loi C-7. Malgré le manque de temps, beaucoup de gens se sont manifestés et ont exprimé leurs vives préoccupations et leur opposition au projet de loi. Il y a eu des médecins, des spécialistes de la santé mentale et des représentants de la communauté des personnes handicapées, et pas un seul de ces derniers n'a exprimé son appui au projet de loi. En plus d’avoir entendu un grand nombre d’intervenants au cours de ses audiences, le comité de la justice a reçu plus de 100 mémoires de la part de particuliers ou de groupes qui ont pris le temps d’exprimer leur point de vue et, en général, leurs inquiétudes au sujet du projet de loi.
Le comité de la justice a travaillé si rapidement qu’il est absolument certain que ses membres n’ont pas eu assez de temps pour lire tous ces mémoires. En fait, bon nombre de ces mémoires ont d’abord été rejetés par le comité; par la suite, grâce à l’excellent travail de mon collègue de St. Albert—Edmonton, ils ont été reçus en bonne et due forme, mais le comité s’est immédiatement lancé dans un examen article par article du projet de loi, sans prendre le temps d’examiner le contenu des mémoires.
Ce sentiment d’urgence est le résultat de la décision du gouvernement d’ajouter à son projet de loi de nouvelles questions qui n’avaient rien à voir avec l’arrêt Truchon. Le comité de la justice a mené des consultations extrêmement limitées, et le gouvernement tente d’utiliser ce subterfuge pour faire adopter le projet de loi à toute vitesse.
Tout au long des délibérations du comité de la justice, le gouvernement a pourtant indiqué clairement que son projet de loi et sa politique était de ne pas autoriser l’euthanasie lorsque le principal motif de la demande est l’existence d’un trouble de santé mentale. Le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et d’autres intervenants ont rappelé à maintes reprises que le projet de loi prévoyait une exception précisant clairement que les problèmes de santé mentale ne devaient pas être un motif pour demander l’euthanasie.
À cet égard, le gouvernement avait raison et, même si certains députés s’interrogent sur le bien fondé de ce point de vue, ils devraient comprendre que le fait d’invoquer des problèmes de santé mentale comme principal motif pour recevoir l’aide à mourir n’a rien à voir avec les questions soulevées par l’arrêt Truchon.
Le projet de loi a ensuite été renvoyé au comité, puis il est revenu à la Chambre et les conservateurs ont exprimé leur point de vue. La grande majorité de notre caucus a voté contre ce projet de loi. Nous avons voté pour les amendements à l’étape du rapport. Le débat s’est prolongé pendant des heures pour que tous puissent s’exprimer. Le projet de loi a ensuite été renvoyé au Sénat, qui tente maintenant de l’élargir considérablement.
Comme nous le savons tous, le Sénat, qui est maintenant composé majoritairement de personnes qui n’ont aucune affiliation politique et qui ont été nommées par le premier ministre actuel. Le Sénat a entrepris une étude qui allait bien au-delà de la portée du projet de loi existant et a recommandé un élargissement radical, qui va certainement au-delà de ce que les intervenants et le public attendaient, et au-delà de ce qui avait déjà été examiné ou débattu à la Chambre des communes.
Quelles que soient les critiques tout à fait légitimes qu’on pouvait avoir à l’égard de l’ancien modèle du Sénat, composé de personnes non élues ayant de fortes affiliations politiques et n’étant pas directement imputables, au moins il y avait un mécanisme de reddition de comptes par l’entremise des partis politiques. Cependant, nous avons maintenant au Sénat une vaste majorité de personnes qui n’ont aucun lien avec un parti politique, dont on ne peut déterminer les allégeances, qui sont nommées par le premier ministre sans aucune consultation avec les autres partis, sans aucune forme de surveillance, et qui ont par la suite un pouvoir considérable en ce qui a trait à la législation. C’est un énorme problème auquel nous devons nous attaquer.
Une partie de la façon dont nous pourrions nous y attaquer à la Chambre des communes, c’est d’avoir le courage de dire non lorsque nous recevons des amendements du Sénat qui vont bien au-delà de la portée de tout ce qui a été pris en compte dans le débat initial sur le projet de loi, sans parler de ce qui se trouvait dans l’arrêt Truchon. Nous pourrions dire que nous apprécions le travail d’examen qui a été effectué, mais rappeler qu’au bout du compte, ce sont les Canadiens qui élisent des députés qui ont le pouvoir d’étudier les questions en détail, de les écouter et de tirer des conclusions.
Le Sénat peut faire des études et des recommandations, mais au bout du compte, ce que le gouvernement propose maintenant en adoptant l’amendement au sujet de la santé mentale, c’est que la chambre du peuple, la Chambre des communes, approuve en une journée une disposition au sujet de laquelle le gouvernement avait dit qu’elle ne faisait pas partie de sa politique, une disposition qui est manifestement très complexe et qui doit être étudiée plus à fond.
Non seulement cela n’a rien à voir avec le projet de loi C-7, mais cela n’a absolument rien à voir avec tout ce qui est envisagé dans la décision Truchon, qui portait de façon très étroite sur la question de la prévisibilité raisonnable.
Nous avons cette question particulière de la décision Truchon, à laquelle le projet de loi C-7 ajoute de nombreux éléments, et nous avons maintenant le Sénat qui en ajoute encore d’autres, y compris l’amendement proposé sur les directives anticipées pour les personnes en bonne santé. Nous, à la Chambre des communes, sommes censés changer notre position sur cette question fondamentale, sans étude ni examen en comité, et le gouvernement semble vouloir que cela se fasse en une journée.
Je vais aller plus loin en ce qui concerne le processus. Je suis resté debout jusqu’à tard hier soir à préparer de l’information et à chercher des données. C’est certainement bien après 21 h 30, heure de l’Est, vers 22 heures, que le Feuilleton a été publié. Ce n’est qu’à ce moment-là que la position du gouvernement est devenue évidente. Le gouvernement s’attend à ce que, s’il prend position sur cette question importante et bouleversante pour les Canadiens aux prises avec des problèmes de santé mentale et les membres de leur famille, les députés adoptent cette position, ou à tout le moins, se prononcent à ce sujet, en une journée.
Le gouvernement tente de mettre à mal nos institutions démocratiques. Il y a beaucoup d’autres exemples dont on pourrait parler. On pourrait parler du manque de respect du gouvernement à l’égard des motions adoptées par la Chambre des communes sur diverses autres questions.
Ce que nous voyons maintenant, c’est un gouvernement qui n’a pas gagné le vote populaire lors des dernières élections, qui nous dit d’adopter en une journée une série de changements qui ont été proposés par un Sénat composé d’indépendants nommés principalement par les libéraux, et qui se plaint du fait que des députés veulent discuter de ces questions de façon plus approfondie.
La direction que le gouvernement fait prendre à notre démocratie est très troublante. J’espère que les députés se joindront à nous, du moins les députés de tous les partis de l’opposition, pour insister pour que le gouvernement redresse le cap, qu’ils appuieront l’amendement proposé par mon collègue dont nous débattons en ce moment, qui prévoit le rejet de cet amendement de fond du Sénat et que, si le gouvernement veut modifier sa politique en matière d’euthanasie pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, il le fasse au moins dans le cadre d’un train de mesures législatives qui ne sont pas limitées par un délai du tribunal, en donnant suffisamment de temps à la Chambre pour l’étudier en comité, évaluer ces questions et aller de l’avant, au lieu d’utiliser cet échéancier artificiel découlant du jumelage de la décision Truchon et de tous ces autres enjeux.
Ces questions de processus sont d’une importance cruciale, mais je veux maintenant parler des enjeux précis soulevés par cet amendement, c’est-à-dire la proposition du gouvernement de permettre l’euthanasie pour les personnes dont le principal et seul problème de santé est un problème de santé mentale.
Nous avons tous, y compris moi-même, des proches qui ont souffert ou qui souffrent de problèmes de santé mentale. Je suis certain que beaucoup de députés, la plupart, sinon tous, ont déjà eu une conversation avec un proche qui leur a dit: « Je ne pense pas pouvoir continuer. La douleur que je ressens... »
Dans ces situations, je pense que la façon d’aimer ces gens et de les soutenir, c’est en essayant de leur montrer qu’ils sont aimés et appréciés et que leur vie vaut la peine d’être vécue.
Nous consacrons tellement de temps et d’énergie à la prévention du suicide. Nous disons aux jeunes et aux aînés, en fait aux personnes de tous les âges, que leur vie est précieuse, qu’ils sont aimés et que la vie vaut la peine d’être vécue. Nous comprenons qu’une personne qui se trouve au creux de la vague et aux prises avec des problèmes de santé mentale a peut-être l’impression qu’il n’existe aucun traitement et qu'il n’y a pas d’issue. Pourtant, les experts en santé mentale du pays ont affirmé que les problèmes de santé mentale ne sont pas incurables, qu'ils peuvent s’améliorer et qu’il existe des moyens de les gérer et de les atténuer, voire de les guérir. À titre individuel, nous essayons d’envoyer le message à ceux et celles qui vivent des moments de douleur réelle et existentielle, qu’ils sont aimés et appréciés et qu’il y a des façons de gérer et de soulager leur douleur.
Cet amendement changerait complètement la donne. Il nous ferait passer d’un monde qui accorde la priorité à la prévention du suicide chez les personnes aux prises avec de tels problèmes, à un monde dans lequel quiconque traverse une période de profond désespoir pourrait s’adresser à un professionnel de la santé et lui dire: « Voilà ce que je vis. Je ne peux plus continuer. » Au lieu de convaincre la personne que sa vie vaut la peine d’être vécue, qu’elle peut avoir du soutien et que la situation peut s’améliorer, on lui dirait qu’elle a le choix entre consulter un professionnel qui pourra l’aider à améliorer son sort et demander à l’État de l’aider à concrétiser son désir de se suicider.
Quel message envoyons-nous aux gens si nous passons d’une dynamique de prévention du suicide à une dynamique de prévention du suicide pour certains et de facilitation du suicide pour d’autres? Qu’arrivera-t-il si une personne aux prises avec une profonde souffrance existentielle et de terribles problèmes se voit dans l’obligation de choisir entre la prévention du suicide et la facilitation du suicide?
La Chambre a adopté à l’unanimité une motion portant sur la création d’une ligne téléphonique nationale de prévention du suicide. Quel message enverrions-nous aux gens si le Parlement adoptait l’amendement proposé par le Sénat? Quel message enverrions-nous aux gens en situation de détresse? Je me demande quel message nous enverrions aux jeunes aux prises avec des problèmes de cette nature.
Bien entendu, en vertu du cadre législatif actuel, l’euthanasie n’est offerte qu’aux personnes de 18 ans et plus, mais cette disposition fait également l’objet d’un examen. Nous ne pouvons donc pas miser sur le fait qu’elle sera maintenue si jamais le projet de loi est adopté.
J’ai demandé quel genre de message nous enverrions aux jeunes qui sont aux prises avec ces terribles problèmes si nous leur disions qu’il est acceptable, aux yeux de la société, que l’État aide des adultes à mettre à exécution leurs idées suicidaires, que la solution est une sorte de facilitation du suicide coordonnée par l’État. Il est vraiment horrible de s'imaginer où cela nous mènerait et quel message nous enverrions.
L’ancien député libéral Robert-Falcon Ouellette a parlé avec éloquence et exprimé son point de vue, en s’appuyant sur sa culture et ses valeurs autochtones, pour dénoncer la proposition législative initiale du gouvernement, le projet de loi C-14. Lui et moi avons participé à une assemblée publique dans ma circonscription: un député libéral et un député conservateur. Nous avons abordé une foule de sujets sur la plupart desquels nous étions en désaccord, mais nous étions d’accord sur certains. M. Ouellette a demandé quel message nous enverrions aux jeunes si nous disions aux aînés que la mort est la solution. Les valeurs qu’il a évoquées au cours de cette discussion mettent en évidence la nécessité d’écouter les Canadiens sur ce sujet ainsi que la nécessité de consulter davantage les communautés autochtones.
Comme un témoin précédent l’a dit au comité au sujet du projet de loi C-7, les Canadiens autochtones cherchent à obtenir une aide médicale pour vivre. Les personnes handicapées et ayant des troubles de santé mentale pourraient en dire autant, c’est-à-dire qu’elles ont besoin d’une aide médicale pour vivre, et non pas d’une aide précipitée, facilitant le suicide des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Il faut en débattre davantage. Je crois que l’amendement de mon collègue devrait être appuyé pour rejeter l’amendement du Sénat afin que nous puissions en faire davantage pour protéger les personnes en état de vulnérabilité dans toutes les situations, et pour éviter de créer dans notre pays, comme l’a dit le député de Timmins—Baie James, une dynamique où les personnes handicapées sont considérées ou traitées par notre réseau de la santé comme des citoyens de deuxième classe.
J’ai hâte de poursuivre la conversation et de répondre aux questions de mes collègues. Encore une fois, nous devons continuer de débattre.