Madame la Présidente, je me permets d'abord d'exprimer la solidarité du Bloc québécois à l'endroit des citoyens, en particulier de l'Ontario et de toutes les provinces canadiennes, qui sont aux prises avec un niveau de prévalence de la pandémie qui est à bien des égards alarmant. Le Québec pour l'instant s'en tire, ma foi, moins mal. Espérons que nous parviendrons à nous extraire de cette situation le plus rapidement possible.
Le Québec et le Canada ont été, comme l'ensemble de la planète, frappés de plein fouet par une pandémie dévastatrice et inattendue dont personne n'a anticipé l'envergure, la portée et la dévastation. S'est ensuivie une crise économique grave, importante, qui a ébranlé des secteurs clés de notre économie allant du travail autonome à la toute petite entreprise, du commerce local, jusqu'aux multinationales et aux géants affamés que sont devenues les compagnies aériennes.
Le gouvernement a fait la chose à faire à un égard précis, c'est-à-dire se prévaloir de sa très importante capacité d'emprunt, avantageusement comparable à celle de la plupart des pays de l'OCDE, pour pouvoir injecter des sommes importantes dans l'économie du Québec et du Canada. C'était la chose à faire. Parmi ces sommes, il y aura cette année 50 milliards de dollars, puis, sur trois ans, 100 milliards de dollars qui seront investis dans la relance économique proprement dite. L'État en est capable et c'est certainement la chose à faire.
À certains égards, il a été à l'écoute du Bloc québécois — pas seulement de lui, ce n'est pas ma prétention — en ce qui a trait aux intérêts, aux demandes et aux besoins du Québec. Il y a eu une certaine écoute. Dans certains cas, il a plus utilisé les mots que les fondements, mais il a repris un certain nombre de thématiques que nous avions rendues, souvent en collaboration avec l'Assemblée nationale du Québec, absolument fondamentales dans la perspective d'une relance de l'activité économique.
Je pense au secteur de l'aéronautique qui apparaît pour la première fois dans un budget canadien. Je pense au secteur biopharmaceutique qui acquiert, dans les circonstances, une importance qui est à la hauteur de l'abandon qu'on lui avait infligé dans les dernières années. Le Canada et le Québec, en particulier, étaient un haut lieu de la recherche pharmaceutique qui s'est étiolé comme une peau de chagrin à force de négligence.
Je pense à l'électrification des transports. On va se le dire d'emblée que c'est un enjeu, un sujet, une expertise et l'objet d'un leadership profondément québécois, comme l'est l'industrie aérospatiale.
Je pense à la bioforesterie. On soupçonne, oserais-je l'avouer coquinement, qu'elle n'aurait pas existé dans le budget, n'eût été la sortie très éloquente, branchée sur la réalité des régions du Québec, faite par ce qu'on appelle le « caucus du bois » du Bloc québécois, à l'initiative du député de Jonquière et du député de Lac-Saint-Jean. On s'entend que ce n'est pas énorme. Il y a déjà eu des sommes octroyées plus importantes, ne serait-ce que pour lutter contre la tordeuse des bourgeons de l'épinette. Toutefois, des sommes, qui représentent un bon début, seront investies dans la bioforesterie, et c'est l'esprit que nous cherchions. On verra, par après, si cela est important ou pas.
Je dois avouer qu'une certaine préoccupation vient avec cela. Où sera investi cet argent? Par exemple, si le fédéral décidait en 2021, comme il l'avait fait en 2009-2010, d'injecter massivement de l'argent dans l'industrie automobile, on ne s'attendrait pas que ce soit à Drummondville ou à Val-d'Or. On s'attendrait à ce que ce soit en Ontario. Si le gouvernement injecte des sommes considérables dans l'aérospatiale, on s'attend à ce que la moitié de cet argent arrive là où est la moitié de l'industrie aérospatiale, c'est-à-dire au Québec, qui est un leader mondial en la matière.
L'industrie pharmaceutique a été gravement démantelée, mais les expertises étaient québécoises, la capacité de recherche est encore, pas exclusivement, mais largement québécoise. Des initiatives ont été mises en place pendant la pandémie, notamment par des entreprises et des sociétés québécoises.
L'électrification des transports n'est pas seulement un secteur économique au Québec, c'est notre identité. Le Québec n'a pas un mérite si particulier. La géographie et l'histoire en ont fait un lieu où l'électricité propre, tirée de la puissance hydraulique des rivières québécoises, fait que notre province est capable d'être un meneur en matière d'énergie propre et, en conséquence, de tout ce qui en découle, dont l'électrification des transports. Il serait bien normal que ce leadership soit reconnu.
S'il s'agit d'acheter des produits québécois, par exemple des bornes produites par AddÉnergie Technologies et d'en installer un peu partout au Canada, on le fera, puisque c'est la reconnaissance d'une capacité de production et d'une technologie. Il y a plusieurs autres entreprises, dont Elmec, située à Shawinigan.
S'il s'agit de déplacer une expertise vers un autre endroit, de diluer une compétence et une expertise reconnues au Québec, et ce, au bénéfice de provinces canadiennes et avec notre propre argent, on pourrait développer des réserves et des réticences. La bioforesterie représente un peu la même chose, bien qu'il y ait évidemment une foresterie importante en Colombie-Britannique et un peu au Nouveau-Brunswick et en Ontario. Il ne faut donc pas que cela déplace et que cela nuise à la position concurrentielle du Québec dans des secteurs économiques clés. Il faudra être hautement vigilant.
Par exemple, dans l'aéronautique, le gouvernement fédéral ne s'est pas gêné pour voter rétroactivement une loi qui venait légitimer le déplacement des emplois d'Aveos de Montréal vers le Manitoba. S'il s'agit de la direction qu'on prend, on n'est pas très intéressé.
Lorsque le gouvernement a décidé que l'électrification des transports l'intéressait, il a fait une première annonce de 500 millions pour une usine de Ford en Ontario. Cela ne signifie pas qu'il n'y en aura pas au Québec, mais, évidemment, au Québec on s'est dit que le haut lieu de l'électrification des transports ne se trouve pas en Ontario.
Rappelons-nous que les investissements mis en place pour lutter contre la tordeuse des bourgeons de l'épinette dans les forêts ont été faits dans les Maritimes, et non au Québec, là où le problème existait aussi.
Au gré de l'histoire, il y a eu des cas importants, et j'en ajouterai un autre, un grand absent du budget: le chantier Davie. Où se trouve ce joyau économique de la région de Québec? Il représente environ 2 à 3 % d'un budget qui s'en va allégrement vers les 120 milliards de dollars alors que la Davie a la moitié de la capacité de construction navale du Canada. Le gouvernement dit que c'est parce que Irving ne livre pas, alors on va engager des fonctionnaires pour aller encourager Irving, qui continuera à ne pas livrer. Il n'y a rien pour Davie, cela n'a aucun sens.
La tendance à arracher des morceaux à l'expertise québécoise pour les distribuer généreusement avec notre propre argent partout au Canada pourrait s'avérer un enjeu. Est-ce que les sommes sont suffisantes? Le cas de la bioforesterie est singulier.
Nous ne pouvons que saluer le fait qu'une chose qui a été bonne pour le Québec soit transposée à l'ensemble canadien. Le Québec a été innovateur et reconnu sur le plan international à l'égard de la politique de garderie mise en place par ma première ministre, Mme Marois, qui a, selon toutes les analyses des économistes, et pas seulement au Québec, permis une présence massivement augmentée des femmes sur le marché du travail. Le fait que le Canada décide de reproduire, tardivement, un modèle similaire ne peut qu'être salué.
Maintenant, comme je l'ai dit en d'autres circonstances: l'élève ne dit pas au maître comment corriger sa copie. Le fédéral ne dira pas au Québec comment gérer un système de garderie. Il devrait plutôt demander à Québec comment il le fait, puisque cela intéresse le fédéral. Il peut y avoir des échanges d'idées et des améliorations librement consenties. En général, le concept de « librement consenti » devrait être le seul fondement des relations entre le Québec et le Canada.
Si tant est que cette étrange notion d'entente asymétrique avec le Québec veuille dire autre chose qu'un transfert bancaire sans condition de la part québécoise de la somme investie dans les garderies, cela ne passe pas la rampe.
Ce matin, le ministre des Finances du Québec, M. Girard, a été très clair. Il n'entend donner lieu à aucune négociation et recevoir sa part de l'argent. Il ne saurait en être autrement même si, hier, la ministre des Finances n'a pu résister à la tentation de dire qu'il faudrait que l'argent soit investi là où elle va le dire. En termes un peu courants, mais clairs, ce n'est pas de ses fichues affaires.
Le Québec fait ce qu'il veut de l'argent du Québec. Les Québécois se donnent un gouvernement à Québec et une Assemblée nationale qui disposent de telles questions. L'autre parlement, du côté où nous sommes présentement, n'a pas à dire à l'Assemblée nationale quoi faire avec son argent. Ce sont de fichues mauvaises habitudes dont le gouvernement a bien du mal à se défaire. C'est presque génétique. Dans le cas présent, nous l'informons que nous prenons la somme, mais qu'il ne faudra pas nous dire quoi faire avec.
La même chose se produit pour ce qui est des centres de soins de longue durée pour les aînés. C'est la seule contribution en santé du fédéral. Ce n'est pas un éléphant dans la pièce, mais une baleine bleue. On sort d'une pandémie, c'est un dossier de santé. Qui sont les principales victimes de la pandémie? Ce sont les aînés, on l'a vu. Les pertes de vie sont dramatiques, en particulier chez les aînés. Or, que manque-t-il dans le budget? Il manque de l'aide en santé et de l'aide pour les aînés.
Je me suis gratté la tête. Je me suis même dit qu'en étant un peu opportuniste au plan électoral — une compétence que ce gouvernement maîtrise assez bien —, j'aurais fait quelque chose. Cependant, c'est zéro et c'est une gifle donnée au Québec et à tous les premiers ministres du Canada, à qui l'on dit qu'ils n'auront pas leurs transferts en santé. Il se pourrait que des Québécois et des gens d'ailleurs au Canada en prennent acte et se tannent de ce manque de respect. Pour ce qui est du reste du budget, n'importe qui aurait pu le faire: les bonnes décisions étaient assez faciles à prendre. Par contre, les mauvaises décisions sont étonnantes.
J'étais en train de mentionner les CHSLD, ou leurs équivalents dans l'ensemble du Canada. Le fédéral disait qu'il avait 3 milliards de dollars à investir en cinq ans, ce qui ferait environ 120 millions de dollars par année pour le Québec. Dans le contexte des CHSLD, ce n'est pas énorme. Qui plus est, le fédéral a dit qu'il voulait y mettre des conditions parce qu'il est le Canada et qu'il est intrinsèquement supérieur aux compétences québécoises.
Cependant, cela ne tient pas compte du fait que ce qu'on a vécu est profondément lié au sous-financement du système de santé. En effet, cela fait tellement longtemps que le fédéral ne contribue plus sa part. L'âge moyen est plus élevé au Québec qu'ailleurs.
Le gouvernement fédéral adopte une espèce de posture morale et dit aux autres comment cela fonctionne, même s'il n'a jamais fait cela. Le gouvernement fédéral n'a jamais géré un centre de soins de santé, mais il connaît cela parce qu'il est le fédéral et qu'en plus, il est libéral, ce qui le définit donc comme supérieur. Cette tendance répétée de toujours se mêler des affaires du Québec n'a aucun sens alors que le gouvernement fédéral n'est pas nécessairement assez bon pour s'occuper de ce qui relève de sa propre compétence, comme le contrôle des frontières.
Il existe un problème qui est celui du choix des mots. Le fédéral utilise les mots « aéronautique », « forêts », « santé » ou « transport électrique », mais, dans le détail des mesures, il laisse planer beaucoup d'incertitude. La mécanique est telle que nous allons débattre du budget pendant plusieurs jours, au terme desquels nous voterons sur ce budget, avec le risque que cela comporte. Ensuite, il y aura la loi de mise en œuvre du budget et un certain nombre d'éléments.
Je vais revenir sur l'exemple des aînés, qui est tellement crucial. Le gouvernement libéral, ce grand chantre devant l'Éternel de la lutte contre toutes formes de discrimination, fussent-elles imaginaires, s'est dit qu'il allait en inventer une: les vrais aînés, âgés de 75 ans et plus, et les faux aînés. Si j'étais un aîné de 75 ans et plus, je ne ferais pas de grosse fête en pensant que je vais recevoir quelque chose. En fait, je recevrai un chèque de 500 dollars en juillet, ce qui ne représente même pas 50 dollars par mois sur une base annuelle. C'est déjà insultant, mais cela le paraît moins, car ceux qui ont entre 65 ans et 75 ans n'obtiennent même pas un petit quelque chose: ils n'obtiennent rien du tout.
Je ne sais pas sur quelle planète vit le premier ministre, mais nous, dans nos bureaux de circonscription et sur nos réseaux sociaux, ne recevons depuis hier que des messages de gens entre 65 ans et 75 ans, qui sont furibards ou, comme on le dit au Québec, « en beau maudit ». Ils se sentent victimes d'un manque de respect.
Dans cet esprit, parce que nous sommes du bon monde — c'est bien connu —, nous allons proposer au gouvernement de s'amender.
L'énoncé économique du gouvernement formulé en novembre prévoyait un déficit de 380 milliards de dollars, lequel s'avère être de 350 milliards de dollars. Les 30 milliards de dollars d'écart représentent ce que demandent les provinces afin de faire passer les transferts en santé d'environ 22 % à 35 % pour une première année. Cela ne mettrait pas le gouvernement dans le trouble, pas du tout. Il pourrait le faire.
La proposition faite par le Bloc québécois est l'augmentation, si le gouvernement accepte notre amendement, de 110 $ par mois de la Sécurité de la vieillesse pour les aînés de 65 ans et plus. Ce n'est pas rien. Cela coûterait annuellement environ 4 milliards de dollars. C'est à peine plus de 1 % du déficit de l'année dernière pour le groupe qui a le plus souffert de la pandémie.
Nous devrions être capables de nous parler. Si notre amendement est adopté, nous devrions en arriver à une situation où le fameux montant de 500 $ de cet été, en attendant l'adoption d'une loi opérationnelle pour l'année prochaine, serait accessible à toutes les personnes de 65 ans et plus. Dans ce contexte, il y aurait une loi l'an prochain, parce que nous collaborerions pour que cette loi existe.
Nous nous dirigeons un peu moins vite vers des élections que l'aurait voulu le gouvernement, mais nous serons quand même vraisemblablement en campagne électorale cet automne. Il n'y aura donc pas de loi sur l'augmentation de la Sécurité de la vieillesse avant l'été prochain. Cela n'arrivera pas. Nous pourrions cependant accélérer les choses si notre amendement était accepté, car il créerait un niveau de justice qui s'oppose à l'injustice profonde de la version actuelle.
Nous allons donc déposer un sous-amendement à l'amendement des conservateurs. Je m'offre le plaisir de le lire:
Que l'amendement soit modifié par substitution, aux paragraphes a) et b), de ce qui suit:
« a) ne comporte aucune augmentation des transferts canadiens en santé;
b) abandonne les aînés entre 65 et 75 ans; »,
et par adjonction, après les mots « croissance économique », de ce qui suit:
« , soutiendront les systèmes de santé en haussant les transferts canadiens en santé à 35 % des coûts de la santé et contribueront à la qualité de vie des aînés de 65 ans et plus en augmentant la sécurité de la vieillesse dès 65 ans et en abaissant l’âge du versement unique de 500$ prévu à l’été 2021 à 65 ans. ».
La porte est grande ouverte pour que le gouvernement obtienne le vote du Bloc québécois dans ce budget et une appréciation significative par simple application de règles de justice de base du Québec.