Madame la Présidente, c'est un honneur pour moi de prendre la parole sur cette question. Je comprends que les critiques de ce projet de loi sont moins nombreuses que ses appuis, mais elles n'en demeurent pas moins importantes.
J'ai regardé le débat qui a eu lieu en comité, bien que je n'en sois pas membre. Mais, vu ma curiosité de parlementaire, j'ai tout regardé. Du point de vue des témoignages et des arguments, le débat était plutôt équilibré. Je n'ai pas compté le nombre de témoins qui ont soulevé des préoccupations ni le nombre d'entre eux qui étaient en faveur du projet de loi. Toutefois, on a entendu beaucoup de professionnels et d'autres personnes mettre en relief des situations concrètes allant théoriquement à l'encontre de la lettre de la loi. Tous les députés conviendront sûrement qu'il s'agit là de préoccupations légitimes. Je souhaite les aborder aujourd'hui dans la mesure du possible. Je n'aurai pas assez de dix minutes, mais je vais en tirer le maximum. Évidemment, nous n'avons pas suffisamment de temps pour faire bien des choses qui s'imposent à la Chambre.
Je suis en faveur d’une interdiction du counseling nuisible. De nombreux autres pays, gouvernements et villes du monde ont interdit la thérapie de conversion, mais d’une façon différente. Ils ont des définitions différentes qui sont beaucoup moins vastes. Bien entendu, bon nombre d’entre elles, sinon toutes, à l’exception de quelques-unes, ne sont pas de nature criminelle. Nous avons là une définition très large à laquelle on ajoute une notion de criminalité pour interdire des pratiques nuisibles sans toutefois emprisonner des gens qui, franchement, ne méritent pas de se retrouver en prison. À mon avis, cette définition pose des problèmes.
Comme d’autres intervenants l’ont déjà dit, nous voulons être tout à fait certains de cibler le mal que nous cherchons à éliminer sans toutefois établir une interdiction excessive. Je crains un peu que les hypothèses qui sous-tendent ce projet de loi soient erronées. Quand certaines des hypothèses sont erronées, nous risquons de nous tromper. Je ne suis pas d’accord avec certaines d’entre elles.
La première est le mythe selon lequel la définition de la thérapie de conversion que présente le projet de loi C-6 décrit avec précision les traitements nocifs et qu’elle le fait d’une manière qui n’est pas trop générale. Je pense, bien sûr, qu’il y a des pratiques abusives et que nous devrions chercher à les interdire, mais à mon avis, le projet de loi C-6, dans sa définition, interdit toute forme validée de thérapie par la parole pour les Canadiens qui souhaitent s’attaquer à divers problèmes liés à l’attirance sexuelle et à l’identité de genre. Pendant les délibérations du comité, de nombreux témoins très crédibles qui avaient besoin de conseils pour régler certains problèmes sont venus témoigner, et leur histoire est crédible. Je n’ai pas le temps de passer tous ces témoignages en revue, mais tous les députés peuvent les examiner.
Je tiens également à dire qu’en ce qui concerne l’identification des transgenres, particulièrement chez les enfants, il y a une conversation qui se déroule à l’échelle mondiale en ce moment et que le débat sur le projet de loi C-6 ne traite pas du tout cette question.
Au Royaume‑Uni, le Government Equalities Office, par exemple, cherche à savoir si l’influence des médias sociaux et la discussion de l’identité sexuelle avec les jeunes ont contribué à l’augmentation spectaculaire de l’aiguillage vers des thérapeutes. Lorsque je présenterai certaines des données sur cette augmentation spectaculaire, je pense que nous conviendrons tous que nous avons des enjeux à examiner. Au cours de ces 10 dernières années au Royaume‑Uni, nous avons constaté une augmentation vertigineuse des aiguillages vers ces cliniques de genre, et l’on retrouve ces mêmes données dans d’autres pays. Ces aiguillages ont augmenté de 1 000 % chez les garçons biologiques et de 4 400 % chez les filles biologiques.
Comme je l'ai dit, ces hausses exponentielles sont également plus fréquentes dans d'autres pays occidentaux. L'un des députés a parlé plus tôt de la décision de la Haute Cour du Royaume‑Uni concernant Keira Bell. Keira Bell est l'une des jeunes femmes qui ont été aiguillées vers l'institut Tavistock, une clinique d'identité de genre. On lui a dit que, si elle subissait ce processus, elle se sentirait mieux dans sa peau. Elle a donc pris des inhibiteurs d’hormones. Elle a subi une double mastectomie. Elle a passé plusieurs années à vivre avec l'apparence externe d'un homme et a fini par le regretter. Elle était au début de la vingtaine. Elle a traîné l'institut Tavistock devant les tribunaux sous prétexte qu'elle n'était pas en mesure de consentir à ce traitement, mais qu'on lui a essentiellement dit que cette procédure était la solution. Cela n'a aucunement amélioré sa situation; au contraire, cela a empiré beaucoup de choses.
Le tribunal a statué que les jeunes de moins de 16 ans ne pouvaient vraisemblablement pas consentir à des traitements bloquant la puberté. Le projet de loi va dans le sens opposé. Il prévoit que si un parent veut faire prendre à son enfant un médicament bloqueur d’hormones ou s’il veut l’orienter vers la chirurgie, il n’y a aucun problème. Mais s’il l’oriente vers le mauvais service de counseling, il risque d’avoir des problèmes.
Certains diront qu’il y a une disposition dans le projet de loi qui permet à une personne d’explorer. Cependant, des professionnels très compétents ont dit au comité que cette disposition ne serait pas suffisante et que ces personnes risqueraient une peine de cinq ans d’emprisonnement.
Nous avons entendu Ken Zucker, un expert de renommée internationale en matière d’identité de genre. Il a travaillé à la clinique du Centre de toxicomanie et de santé mentale durant des décennies. Il est reconnu dans le monde entier dans son domaine. Il a rédigé le livre sur le traitement de l’identité de genre chez les enfants. Il y a quelques années, il a été accusé de pratiquer la thérapie de conversion. En gros, il a été congédié de son poste. Il avait les moyens et les ressources requises pour poursuivre son employeur en justice. Il a gagné un règlement substantiel. Il a lavé sa réputation.
Ce sont des choses qui se produisaient avant le projet de loi C‑6. Ces chasses aux sorcières qui avaient lieu avant l’adoption du projet de loi C‑6 risquent de s’intensifier considérablement après son adoption.
Outre le Royaume-Uni, d’autres pays européens, comme la Suède et la Finlande ont fait un pas de plus. Ils s’éloignent de ce qu’on appelle les modèles de soins fondés uniquement sur l’affirmation, ce que préconise le projet de loi C‑6, à mon avis, et c’est aussi ce qu’ont dit au comité d’autres professionnels au sujet du projet de loi. En Suède et en Finlande, le gouvernement exige un second examen objectif lorsqu’un enfant s’identifie comme transgenre. Un second examen objectif est justement une initiative que le projet de loi criminaliserait.
Le projet de loi C‑6 ferait des criminels des parents qui veulent décourager leur jeune enfant de changer de sexe, qui refuseraient de prendre une décision qui changerait sa vie à jamais. Je ne crois pas qu’un parent manifeste de la haine s’il prend une décision fondée sur des preuves médicales exactes.
En ce qui concerne l’identification transgenre chez les enfants, des données fiables indiquent que la vaste majorité des enfants qui s’identifient à l’autre genre changeront d’idée en vieillissant, ce qui veut dire qu’au moment où ils deviendront adultes, bon nombre d’entre eux, jusqu’à 80 % selon des études, s’identifieront au corps dans lequel ils sont nés ou l’accepteront. À la lumière de ces données, je pense que nous devons vraiment donner aux enfants la possibilité d’explorer, sans toutefois les pousser dans cette voie à sens unique de blocage de la puberté et, éventuellement, vers une chirurgie. C’est ce que dénoncent des personnes comme Keira Bell.
Il y a environ un an, j'ai lu un article rédigé par Barbara Kay publié dans le National Post, qui racontait l'histoire d'une jeune fille, qu'on a appelé JB, qui fait actuellement l'objet d'un recours devant le Tribunal canadien des droits de la personne. L'affaire implique une enseignante d'une école de la région d'Ottawa, qui a dit à la jeune fille de 6 ans que les filles n'existaient pas. Cette jeune fille était heureuse et aimante. J'ai moi-même un enfant de 7 ans, un de 6 ans et un de 5 ans. Mes enfants de 7 et de 5 ans sont des filles.
La jeune fille de 6 ans est revenue à la maison bouleversée, repliée sur elle-même et déprimée. Elle ne comprenait pas ce que cela signifiait. Ses parents ont demandé à l'enseignante si elle pouvait mettre la pédale douce sur les théories abstraites concernant les genres. L'enseignante et l'administration ont refusé, et les parents ont dû retirer la jeune fille de l'école. Ils l'ont placée dans une école différente, puis ils ont traîné la commission scolaire précédente devant les tribunaux.
La jeune fille est redevenue joyeuse et équilibrée. Cela montre à quel point il faut faire attention à ce que l'on enseigne aux jeunes enfants. Dans l'affaire de la Haute cour du Royaume‑Uni, on a découvert que, quand les enfants commencent à prendre ce type de médicaments, soit les inhibiteurs d'hormones, ils s'engagent essentiellement sur la voie de la chirurgie. C'est comme une rue à sens unique.
Nous devons être très prudents. Il faut réfléchir longuement à cette question dans notre pays.
En fait, beaucoup de gens, même au sein des communautés LGB, sont contre le projet de loi. Je vais lire un courriel que j'ai reçu:
Monsieur Derek Sloan,
En tant que lesbienne, je vous demande d'enquêter sur l'utilisation du terme « identité de genre » dans le projet de loi C‑6. Environ 75 % des jeunes trans deviendront gais ou lesbiennes sans chirurgie d'affirmation de genre et transition médicale. Ce projet de loi, dans sa forme actuelle, entraînera la transition médicale de ces jeunes gais et lesbiennes en adultes hétérosexuels.
Elle ajoute ensuite ce qui suit:
Je vous prie de protéger les jeunes gais et lesbiennes vulnérables afin qu'on ne leur dise pas qu'ils sont « nés dans le mauvais corps » et qu'ils devraient faire la transition pour se sentir « bien » et avoir l'impression « d'être à leur place ». Sincèrement...