Merci de me donner l’occasion de témoigner devant le Comité. C’est vraiment un honneur et un défi de prendre la parole après les témoins qui ont présenté des points de vue aussi solides et éclairés la semaine dernière et ce matin. Ils ont notamment mis en évidence l'évolution critique observée à Hong Kong, évolution qui ne sera pas sans conséquence pour les Canadiens tant à Hong Kong que dans leur propre pays. La COVID-19 a montré très clairement que les répercussions sur la santé et la stabilité du monde et de la région ne connaissent pas de frontières.
Je suis Hongkongaise de naissance et je possède la résidence permanente à Hong Kong. Je suis également professeure émérite à la faculté de droit de la City University of New York. J’ai enseigné le droit pendant 18 ans, et j’ai notamment formé des avocats, des juges, des professeurs de droit et des cadres juridiques chinois pendant 10 ans, à partir de la fin des années 1980.
Mon organisation, Human Rights in China, a vu le jour en mars 1989 pour appuyer le mouvement démocratique de la même année. Dans un cadre international des droits de la personne, nous appuyons les défenseurs des droits de la personne et les groupes de la société civile pour promouvoir la protection des droits de la personne. Nous sommes présents à Hong Kong depuis 1996.
La dernière fois que je suis venue à Ottawa, c’était en 2012, pour la conférence du Congrès international des parlementaires sur le Tibet. La question que Mme Zann a posée ce matin au sujet des signaux prémonitoires a été pour moi un rappel. En fait, les politiques de Pékin, la militarisation et la sécurisation complète, y compris les lois sur la sécurité nationale et les tactiques de répression sociale et de contrôle, ont été déployées il y a des décennies et ont clairement montré ce qui se tramait pour Hong Kong. Il aurait fallu qu'on ait la volonté politique d'en prendre conscience.
Je commencerai par un point d'ordre général, avant de faire quelques observations improvisées et de me concentrer sur la loi sur la sécurité nationale. Je voudrais ensuite passer directement aux recommandations, en espérant que, à la faveur des questions, nous pourrons avoir une discussion plus poussée.
Ce que je veux dire par-dessus tout, c’est qu’il est très important que le Comité, dans son rapport ou tout autre résultat concret découlant de cette série d’audiences, fasse attention à la façon de présenter les faits. Les grands titres de Hong Kong qui proclament la mort de Hong Kong, la fin de Hong Kong telle que nous la connaissons, disant que le pays n'a aucun avenir, etc., sont en fait des descriptions sinistres fondées sur des faits quotidiens qui donnent à réfléchir: attaque en règle contre la primauté du droit, les valeurs et le mode de vie de Hong Kong, attaque qui a effectivement mené à la censure, plombé le climat, etc. Mais je tiens à nous exhorter tous à la prudence, lorsque nous parlons de Hong Kong, en nous gardant de reprendre ou de mettre en exergue ce récit tronqué inspiré par le désespoir, d'autant plus qu'on se prononce prématurément sur un avenir qu'il reste à écrire.
Il est important de tenir compte, dans le débat public au Canada et dans les recommandations du gouvernement, du fait que, même si le droit de réunion pacifique a été vidé de presque toute sa substance à Hong Kong, les Hongkongais ne sont pas silencieux et n’ont pas perdu espoir. Vous pouvez voir la une du Apple Daily au sujet du nouveau mur de Lennon. Les Hongkongais écrivent en ligne: « Nous sommes toujours en vie. Arrêtez de dire que nous sommes morts. Nous avons besoin de solidarité et de soutien concret, et non de lamentations funèbres. » Un militant a répondu à la question de M. Williamson, qui voulait savoir s’il y avait des raisons d’espérer: « Nous n'avons pas perdu. C’est simplement que nous n’avons pas encore gagné », reconnaissant qu'il y a encore une longue route à parcourir.
Il ne faut donc pas adopter, consciemment ou non, les versions officielles de Pékin, qui contribuent au travail de sape des organes officiels de propagande.
On a beaucoup parlé et discuté de la loi sur la sécurité nationale, et les critiques générales ont beaucoup porté sur la façon dont elle contribue à l’écosystème, sur son importation à Hong Kong depuis la Chine continentale, mais je voudrais ajouter rapidement quelques points.
Le nouveau Bureau de la sécurité nationale est composé de personnel dépêché par la Chine continentale pour superviser tout le travail lié à la sécurité nationale. Non seulement ces personnes ne sont-elles pas assujetties à la compétence de Hong Kong, mais elles détiennent également un document d’identité délivré par le Bureau, et tout véhicule utilisé par le titulaire est soustrait à l’inspection, à la fouille ou à la détention par les agents d’application de la loi de Hong Kong. Il y a quelques jours, un incident a mis en cause Ted Hui, un législateur de Hong Kong. Il a été suivi pendant des jours, comme d’autres législateurs, par des gens cachés dans des voitures banalisées ou sombres. Il est allé leur demander qui ils étaient et pourquoi ils le suivaient. La voiture l’a heurté, et il a appelé la police. Les policiers sont arrivés et ont plaqué au sol Ted Hui, le législateur, et la voiture qui l’avait heurté, dont les occupants n'ont pas été interrogés, est partie sous escorte. C’est vraiment très préoccupant.
L’autre exigence dont je tiens à parler, qui n’a pas été soulignée, c’est que les dirigeants des nouveaux services de sécurité nationale de la police de Hong Kong doivent prêter le serment d’allégeance et respecter l’obligation du secret. Ce n’est pas très bon pour la transparence et la lutte contre l’impunité, ni pour la bonne gouvernance qui est nécessaire pour le milieu des affaires, pour la protection des citoyens canadiens et celle de tous ceux qui se trouvent à Hong Kong.
Enfin, en vertu du règlement d’application de l’article 43, la police de Hong Kong, qui n’a déjà pas de comptes à rendre, a maintenant des moyens renforcés de procéder aux arrestations.
Je vais parler d’extraterritorialité dans un instant.
Les Canadiens et le Comité sauront parfaitement comprendre les problèmes de traduction. La loi sur la sécurité nationale à Hong Kong est la seule de la RAS de Hong Kong dont la version chinoise a seule force de loi. Mais une lecture attentive de la « traduction » anglaise proposée par le gouvernement de la RAS suffit pour relever des erreurs, des omissions et des traductions trompeuses.
Ainsi, à l’article 1, le texte chinois fait suivre du mot dang l'énumération des types de problèmes visés par la loi. Or, ce terme ne figure pas dans le texte anglais. Que signifie-t-il? Il veut dire « et autres ». Autrement dit, la liste de ce qui est visé par la loi n'est pas exhaustive.
De plus, dans d’autres dispositions, l’expression gung tung, « responsabilité commune », n’a pas d'équivalent dans la version anglaise.
Aux articles 9 et 10, l'équivalent d'« universités » n’existe pas dans le texte chinois, qui dit hok haau, c'est-à-dire « écoles ». C’est un problème à cause de tout le débat sur la liberté universitaire. De quelle façon la loi s’applique-t-elle aux établissements d’enseignement supérieur?
Voici une autre traduction trompeuse: le chinois hoeng gong tung baau est traduit par « Hong Kong people », c'est-à-dire « peuple de Hong Kong ». Or, cette expression veut dire plutôt « compatriotes de Hong Kong », ce qui porte toutes les résonances de l'adhésion au parti.
Quant aux préoccupations relatives à la mise en œuvre, je voudrais dire ceci rapidement, puisque je suis à court de temps. C’est comme si, dans l'empressement à adopter cette loi, on avait décollé dans un avion et qu'on ne savait plus comment atterrir.
Bon nombre des questions de procédure et de fond, sur lesquelles j’espère que vous pourrez poser des questions, n’ont pas été mûrement réfléchies ni abordées. Par exemple, le droit civil prédomine sur le continent, et la common law à Hong Kong. On tente maintenant de fusionner les deux, en vertu de l’article 55, pour les causes qui seront jugées sur le continent selon un système « légaliste-fasciste-staliniste », comme l’a décrit le sinologue Barmé. Même la Cour suprême du Canada s’assure que vos juges ont des connaissances en droit civil et en common law. Or, rien de tout cela n’existe là-bas.
Comme je n’ai plus de temps, je vais passer aux recommandations.
J’ai cinq recommandations à soumettre au Comité et au gouvernement.
D’abord, toutes les recommandations — l'action multilatérale, les sanctions conjointes, les sanctions ciblées, les refuges sûrs, etc. — sont extrêmement importantes et ont été réitérées avec beaucoup de vigueur.
J’ai une proposition au niveau national concernant les instituts Confucius. Étant donné qu’il y a des controverses — et je ne veux pas me mêler des controverses internes —, vous pourriez songer à adopter l’approche suédoise en les fermant tous, ou bien l’approche américaine, qui consiste à les désigner comme des « missions étrangères ». Cela enverrait un message conforme aux valeurs canadiennes et à votre engagement à l’égard de la liberté d’expression.
Nous n’avons plus de temps.
Quant aux exhortations au sujet du recours aux normes, aux institutions et aux valeurs internationales en matière de droits de la personne — cela répond à la question de M. Harris sur la façon dont nous pouvons amener la Chine à adopter un système davantage fondé sur des règles —, oui, cela vaut pour le long terme, mais il y a aussi des possibilités dans l'immédiat. Premièrement, la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong est la seule loi continentale qui incorpore explicitement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Si nous prenons l’article 4 au sérieux, nous devrions examiner les possibilités qui se présentent, et le gouvernement du Canada pourrait se servir des problèmes énumérés par le Comité permanent comme autant de préoccupations au regard des normes internationales. Il y aura élection au Conseil des droits de l’homme. La Chine se présente. Vous devriez prendre position à ce sujet. Vous pouvez aussi utiliser plus largement les tribunes existantes, comme l’Union interparlementaire et le CCI, bien sûr.
Je suis désolée, mais mon temps de parole est écoulé. S’il vous plaît, posez-moi des questions sur tout ce que je n’ai pas pu aborder.
Merci.