Bonjour. Je m'appelle Ann Decter, et je représente la Fondation canadienne des femmes, la seule fondation publique nationale pour les femmes et les filles au Canada et l'une des 10 plus grandes fondations au monde. Depuis trois décennies, notre travail d'attribution de subventions vise à sortir les femmes de la pauvreté et de la violence et à les amener dans un environnement sécuritaire et fiable.
Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui pour parler de cette question urgente, car les femmes du Canada ont été touchées par la pandémie à un point tel que les progrès en matière d'égalité qui avaient été réalisés risquent de reculer grandement. La sécurité, les moyens de subsistance et le bien-être des femmes ont tous été mis en péril, surtout pour les femmes issues de communautés marginalisées par la discrimination systémique. La pandémie a attiré l'attention sur la violence fondée sur le sexe, la sécurité économique des femmes, la prestation des soins et le rôle économique central joué par les services de garde d'enfants.
Les femmes ont subi de lourdes pertes économiques, et c'est encore plus prononcé pour les femmes à faible revenu qui subissent des inégalités croisées et fondées sur la race, un handicap, l'éducation, le colonialisme, le statut migratoire et le statut d'immigration. Un ralentissement historique de l'emploi des femmes, aggravé par l'incertitude quant à la capacité de notre fragile secteur des services de garde d'enfants à rouvrir pleinement, pourrait nuire grandement à la sécurité économique des femmes. On peut s'attendre à ce que les femmes des communautés diverses et marginalisées aient le plus de difficulté à sortir de cette crise.
L'ampleur des pertes d'emplois subies par les femmes est énorme. À la fin du mois de mai, 1,5 million de femmes avaient perdu leur emploi et 1,2 million d'autres avaient perdu la majorité de leurs heures de travail, ce qui touche plus du quart de l'ensemble des travailleuses. Ce sont les salariées les moins bien payées qui ont été les plus durement touchées. En effet, 58 % des femmes qui gagnaient 14 $ de l'heure ou moins ont été mises à pied ou ont perdu la majeure partie de leurs heures de travail en avril. Dans l'ensemble, les femmes dont le salaire se situe parmi les 10 % les moins élevés ont subi des pertes d'emplois 50 fois plus élevées que les femmes qui gagnent les salaires les plus élevés. Ce sont les types de données granulaires révélées par l'analyse intersectionnelle fondée sur le sexe qui sont nécessaires pour soutenir les décisions liées aux prochaines mesures qui seront prises.
Les mères perdent leur emploi de façon disproportionnée. En effet, elles représentent 57 % des parents qui avaient perdu leur emploi ou la plupart de leurs heures de travail à la fin du mois de mai et seulement 41 % des gains d'emploi. Plus d'un quart des mères d'enfants de moins de 12 ans qui travaillaient en février étaient au chômage ou travaillaient moins qu'à mi-temps à la fin du mois d'avril. Les mères qui élevaient seules leurs enfants étaient plus susceptibles de perdre leur emploi que celles des familles biparentales.
Les femmes quittent le marché du travail et assument une plus grande partie des responsabilités familiales à la maison. Le nombre de femmes dans la force de l'âge à l'extérieur du marché du travail a augmenté de 34 % entre le mois de février et la fin d'avril. Cela inclut les femmes qui ont cessé de chercher du travail en raison de la montée en flèche du chômage ou pour assumer des responsabilités familiales. La sécurité économique des femmes est donc menacée.
L'accès aux services de garde d'enfants sous-tend l'accès des mères au marché du travail, et sans l'intervention du gouvernement, les services de garde d'enfants seront plus rares et plus coûteux. Un centre de garde d'enfants sur trois n'a pas confirmé sa réouverture. Les exigences en matière d'éloignement physique réduisent le nombre de places. L'équipement de protection individuelle et la désinfection des lieux feront augmenter les coûts, ce qui entraînera une hausse des frais pour les parents et mettra les services de garde d'enfants hors de la portée financière d'un plus grand nombre de familles. Les parents de tous les sexes ont besoin des services de garde d'enfants pour travailler, mais pour les femmes, qui assument toujours une part disproportionnée des responsabilités familiales, c'est essentiel. La fermeture d'urgence des garderies et des écoles a fait peser un triple fardeau sur les mères qui travaillent à temps plein à domicile et qui s'occupent à la fois des enfants et des tâches ménagères.
La prestation de soins s'est retrouvée au cœur de la réponse à la pandémie. Le personnel de nos systèmes de soins primaires et de soins de longue durée est en grande partie composé de femmes. Plus d'une travailleuse sur trois occupe un emploi à risque élevé et est plus exposée à la COVID-19. Les femmes représentent plus des deux tiers des personnes qui nettoient et désinfectent les édifices et près de 90 % des préposés aux services de soutien à la personne. Après deux décennies d'austérité dans les soins de santé et les services communautaires, les travailleurs les plus mal payés — une main-d’œuvre à forte majorité féminine et racialisée — constituent la première ligne de défense contre les maladies catastrophiques et la dépression économique. L'économie canadienne des soins est fracturée, et les femmes, surtout celles qui sont racialisées, noires, migrantes et sans papiers, en font les frais.
Le retrait du gouvernement a ouvert la voie à la prolifération de chaînes à but lucratif dans le secteur des soins, ce qui a réduit la qualité des soins, les niveaux de personnel et les avantages et les protections en matière d'emploi, avec des conséquences négatives pour les bénéficiaires de soins, la main-d’œuvre racialisée et sexospécifique et la réponse du Canada à la pandémie.
Au Canada, le travail de prestation des soins repose également sur des travailleurs migrants hautement qualifiés, mais peu rémunérés, qui occupent désormais des postes dans des maisons privées et des établissements de soins de santé, mais qui ont de moins en moins la chance d'obtenir le statut de résident permanent et la protection de leurs droits. Les conséquences de la pandémie sur les travailleurs migrants sont notamment la mise à pied par les employeurs qui travaillent désormais à domicile ou qui ont été mis à pied, le confinement 24 heures sur 24, sept jours sur sept dans les maisons privées des employeurs et la perte du statut d'immigrant en raison des délais de traitement au sein du gouvernement.
L'obligation de rester à la maison augmente le risque de violence familiale et réduit la capacité des femmes de quitter un foyer violent pour la sécurité des refuges, ce qui souligne l'importance du secteur de la prévention de la violence, tout en exerçant une pression supplémentaire sur les services de lutte contre la violence déjà surchargés. La fermeture d'espaces physiques et le passage à des services à distance ont créé des obstacles uniques à l'accès aux centres d'aide pour les victimes d'agression sexuelle.
Dans le meilleur des cas, les services de lutte contre la violence fondée sur le sexe sont sous-financés et n'arrivent pas à répondre à la demande. En effet, la demande d'accès aux refuges pour femmes dépasse constamment la capacité d'accueil. Des lacunes importantes persistent dans les services d'hébergement pour les femmes handicapées, les femmes sourdes, les femmes des régions rurales et isolées et les femmes qui ont besoin de services adaptés à leur culture. Les femmes des Premières Nations, les Métisses ou les Inuites ont accès à quatre refuges pour femmes sur cinq au pays, mais seulement un refuge sur cinq peut souvent offrir des programmes adaptés à la culture, et 70 % des membres des communautés inuites n'ont pas accès à un refuge.
Avec l'essor du mouvement « Me Too », les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle ont reçu un nombre beaucoup plus élevé d'appels sans que le financement augmente en conséquence. Au déclenchement de la pandémie, d'un bout à l'autre du Canada, des victimes d'agression sexuelle, dont certaines présentaient un risque élevé de suicide, étaient bloquées sur une liste d'attente pour obtenir des services de counseling. La responsable d'un centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle a parlé de la transition vers le travail à distance en disant que le centre avait dû investir dans un système téléphonique, car le système existant était un don qui datait de 1980. Le centre n'avait pas non plus de fonds pour l'équipement de protection individuelle pour le personnel et les bénévoles qui accompagnent les femmes dans les hôpitaux, dans les services de police et chez le médecin. Même si cette responsable était reconnaissante du financement de 25 000 $ reçu par le centre, elle a été obligée d'admettre que ce n'était pas suffisant, car le centre a commencé à manquer d'équipement de protection individuelle, les bénévoles ont commencé à montrer des signes d'épuisement et le centre reçoit en moyenne de 60 à 80 appels urgents par jour.
Comme vous le savez sans doute, le secteur des services aux femmes désigne des organismes à but non lucratif et des organismes de bienfaisance qui fournissent des services expressément destinés aux femmes, afin de faire progresser l'égalité des femmes par l'entremise de politiques, de la défense des droits et de la mobilisation du public. Cela comprend les refuges pour femmes, les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle et les centres pour femmes qui offrent un filet de sécurité aux femmes et à leur famille. Ces services sont essentiels pour maintenir un système d'État-providence sain et pour atteindre l'égalité des sexes.
Le confinement lié à la pandémie a mis en évidence et exacerbé les problèmes existants dans le modèle de financement du secteur des services aux femmes. Ce secteur est financé partiellement et irrégulièrement par une combinaison imprévisible de dons individuels, de dons d'entreprises et de subventions de fondations et de l'État. Ces processus sont lents et inefficaces, et il faut constamment les renouveler en communiquant avec les intervenants. Les organismes recherchent, sollicitent et renouvellent constamment des financements qui sont en grande partie fondés sur des projets et qui sont souvent temporaires. Les rapports produits par le secteur des services aux femmes indiquent une crise imminente.
Tout comme la meilleure réponse d'urgence à la pandémie élaborée par les responsables de la santé publique, dont beaucoup sont des femmes, la planification de la relance en tenant compte des femmes et de l'égalité des sexes nécessite une analyse approfondie, des résultats cibles précis et fondés sur des preuves, des approches méthodiques pour la mise en œuvre et un leadership responsable avec une vision et du cœur.
Si de vastes mesures d'urgence devaient être remises en œuvre pour une autre période indéterminée, la Fondation canadienne des femmes recommande d'adopter les mesures suivantes, en rappelant qu'une analyse inclusive fondée sur le sexe et comprenant une optique intersectionnelle est essentielle à la planification de tous les investissements du gouvernement visant la relance à court ou à long terme. En ce qui concerne la sécurité économique des femmes, nous recommandons de rétablir la Prestation canadienne d'urgence pendant toute période de ralentissement économique, de rétablir la Subvention salariale d'urgence du Canada avec un mécanisme administratif plus simple pendant toute période de ralentissement économique, d'élargir l'accès à l'assurance-emploi, afin que toutes les femmes qui cotisent puissent avoir accès aux prestations, de collaborer avec les provinces et les territoires pour offrir 10 jours de congé de maladie payés comme il a été annoncé, de mettre en œuvre un financement qui permettra de rouvrir en toute sécurité les services de garde d'enfants et de les ramener au niveau de services antérieurs à la pandémie et de continuer d'élargir l'accès jusqu'à atteindre l'accès universel.
En ce qui concerne les femmes et le travail de prestation des soins, il faut collaborer avec les provinces et les territoires pour veiller...