Merci beaucoup.
Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter avec vous aujourd'hui. Je suis très reconnaissante à mes parents et à tous ceux qui ont rendu cette comparution possible. Il faut faire preuve d'un sens aigu des responsabilités dans le cadre de mes fonctions comme scientifique, et je souhaite ardemment que mon pays, le Canada, fera ce qui s'impose pour tous ses citoyens.
Je suis professeure agrégée et chef de la division en épidémiologie à la Dalla Lana School of Public Health de l'Université de Toronto, où je suis titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'équité en santé des populations. Je suis épidémiologiste sociale et j'étudie les inégalités en matière de santé et les déterminants sociaux de la santé, en mettant particulièrement l'accent sur les politiques sociales et les autres facteurs sociétaux qui sont en fin de compte responsables de l'occasion pour tous d'être en santé.
Depuis que la gravité de la pandémie de COVID-19 est devenue apparente, les autorités canadiennes nous ont assuré que nous étions tous dans le même bateau. En effet, les séances d'information quotidiennes nous ont donné le sentiment que le nombre total de cas et de décès dans nos villes et nos provinces est un bon indicateur de l'inquiétude que chacun de nous éprouve face au risque de la COVID-19 ou de la confiance que nous pouvons avoir de reprendre certaines de nos activités antérieures à la COVID.
Cependant, à la fin de mai, un rapport étonnant — bien que tout à fait prévisible pour ceux d'entre nous qui étudient ces choses et ceux d'entre nous qui les vivent — a laissé entendre que les données de la ville que nous recevions durant les séances d'information de la Santé publique de Toronto dissimulaient d'énormes différences dans le fardeau et le risque de la COVID-19 parmi les quartiers de Toronto. Un phénomène similaire a également été noté pour Montréal. Les quartiers du nord-ouest de Toronto, qui sont fortement habités par des Noirs et des gens de la classe ouvrière — notamment Jane et Finch, Rexdale et Weston —, ont été les plus durement touchés. Les dernières données indiquent des taux de cas supérieurs à 450 par 100 000 habitants dans ces quartiers.
Pendant ce temps, le centre-ville et les quartiers centraux, dont les résidants sont principalement blancs et riches, ont à peine été touchés. Par exemple, Yonge et Eglinton ont un taux de cas de 14 et Beaches a un taux de 15 cas par 100 000 habitants.
Cela signifie que les données globales pour Toronto ont occulté un risque de COVID-19 plus de 40 fois supérieur entre les quartiers ouvriers noirs de Toronto et ses quartiers riches blancs. Si le coronavirus lui-même ne fait pas de discrimination, notre société en fait malheureusement. Le Canada est structuré d'une manière qui a placé le fardeau du risque de la COVID-19 carrément sur les épaules et les poumons de la classe ouvrière noire et, dans une moindre mesure, des autres membres de la classe ouvrière non blanche.
La répartition spatiale de la COVID-19 dans les quartiers de Toronto reflète moins le fait que les quartiers eux-mêmes sont risqués que le fait que les Noirs de Toronto ont tendance à vivre dans un petit ensemble de quartiers, ceux dans lesquels ils peuvent se permettre d'avoir un logement et éviter la discrimination en matière de logement, tandis que les Blancs riches vivent dans un ensemble de quartiers qui offrent le plus de commodité et de confort.
Pourquoi utilisons-nous des données de voisinage si les quartiers ne sont pas vraiment le cœur du problème? Malheureusement, ce sont les meilleures données dont nous disposons pour comprendre les caractéristiques sociales — race, revenus, etc. — qui comportent un risque de mauvaise santé, notamment la COVID-19. Nous utilisons effectivement les caractéristiques des quartiers comme indicateur des caractéristiques individuelles et, parce que Toronto est si fortement et structurellement ethnoculturelle, et que les gens sont tellement regroupés par race et par revenu dans divers quartiers, pour l'instant, c'est malheureusement une approximation raisonnable à faire, même si elle est imparfaite.
Dans un premier temps, je vous exhorte à réfléchir longuement à une meilleure collecte de données raciales et socio-économiques chaque fois que nous colligeons régulièrement des données au Canada sur la santé et d'autres questions dans notre système de soins de santé, nos écoles, le marché du travail, etc. C'est essentiel pour comprendre notre pays et demander à nos gouvernements de rendre des comptes sur l'inégalité raciale de la même manière que les données sur le genre sont utilisées pour lutter contre l'inégalité entre les sexes.
Si ce n'est pas le quartier, qu'est-ce qui crée alors un plus grand risque pour les travailleurs noirs de la classe ouvrière? En raison du manque de données, il est difficile de répondre à cette question sans équivoque; cependant, nous pouvons nous appuyer sur un ensemble très vaste et solide de recherches menées dans d'autres pays, ainsi que sur des preuves indirectes provenant du Canada.
La meilleure explication — bien qu'il y en ait d'autres dont je me ferai un plaisir d'aborder —, c'est que les emplois dans les services essentiels qui ont continué d'être occupés pour effectuer les commandes à domicile sont en grande partie occupés par des Noirs et des membres de la classe ouvrière non blanche.
Ce sont nos travailleurs en soins de longue durée et en soutien personnel. Ils nettoient nos hôpitaux et transportent nos patients d'un endroit à l'autre. Ils approvisionnent nos épiceries, conduisent nos camions de livraison et travaillent dans les champs pour récolter nos produits. En revanche, les emplois qui permettent de rester chez soi, tout en ayant l'esprit tranquille quant à sa sécurité d'emploi et à ses revenus, sont largement occupés par de riches Blancs. Ce sont nos banquiers et nos financiers, nos avocats et, oui, nos professeurs.
La conséquence évidente est que les emplois occupés de façon disproportionnée par des Noirs et d'autres Canadiens non blancs les forcent à travailler dans des environnements qui présentent un risque élevé d'exposition à la COVID-19, alors que les emplois occupés de façon disproportionnée par des Blancs plus riches offrent une protection contre l'exposition à la COVID-19.
En fin de compte, sachant que les travailleurs noirs et les autres travailleurs non blancs à faible revenu n'ont guère le choix, nous les sacrifions pour que le reste d'entre nous puisse se réfugier dans le confort de nos foyers et attendre que cela se termine.
Ce tri racial des emplois n'est évidemment pas fonction du hasard ou du choix. Il est le résultat d'une confluence de politiques et de systèmes canadiens dans lesquels la discrimination raciale est si persistante et omniprésente qu'elle ne peut être considérée comme un incident isolé ou même comme un complément à la compréhension de notre système d'institutions et de politiques. Elle fait plutôt partie intégrante des systèmes en soi. Divers universitaires ont utilisé des expressions telles que le racisme systémique, le racisme structurel, le racisme institutionnel et le capitalisme racial pour désigner cet ancrage profond du racisme dans nos politiques et systèmes sociétaux.
Au-delà de l'emploi, le racisme systémique est plus généralement le principal facteur qui détermine qui a la sécurité économique, la richesse et le revenu. Il peut être encore plus puissant que le sexe à cet égard. À son tour, la sécurité économique est le principal indicateur de la santé, car elle facilite les conditions de vie quotidienne qui sont fondamentales pour la santé: des emplois qui ne nous exposent pas à des risques pour la santé, beaucoup d'argent pour payer les factures, des logements confortables, des quartiers agréables, une bonne alimentation et peu de stress.
Et cela est vrai qu'il s'agisse de la COVID-19 ou de maladies cardiovasculaires, de dépression ou de diabète. Au final, il faut une sécurité économique pour avoir de bonnes chances de vivre en santé, et c'est précisément pour cette raison que la sécurité économique est si cruciale et que les inégalités raciales et sanitaires sont si omniprésentes et persistantes. Le racisme limite l'accès des travailleurs noirs à la richesse, aux emplois, aux revenus, etc. Aussi horrible que soit le fait que nous ayons des inégalités raciales durant la pandémie de COVID-19, il ne s'agit en réalité que d'une autre manifestation d'un système d'inégalités raciales profondément ancré.
C'est donc la cause profonde — le racisme systémique — que nous devons vraiment corriger pour redresser les inégalités durant la crise de la COVID-19. Dans ce qui suit, je vais vous présenter les meilleures options pour y parvenir, selon les données scientifiques.
La première consiste à s'attaquer avec vigueur à l'inégalité raciale en matière de richesse, à l'inégalité au niveau des stocks d'argent et de biens.
Des économistes comme Miles Corak au Canada et William Darity Junior et Darrick Hamilton aux États-Unis ont fait une découverte déconcertante sur l'inégalité de la richesse qui, comme je vais l'expliquer, est sans doute encore plus critique que l'inégalité des revenus. Il s'avère que la principale source d'inégalité raciale en matière de richesse ne réside pas dans les différences raciales au niveau de l'éducation, voire de l'emploi et du revenu. Ces éléments sont importants, mais ce sont les conséquences, et non les causes, de l'inégalité raciale en matière de richesse.
La plus grande source d'inégalité de la richesse est ce que les économistes appellent les transferts intergénérationnels et ce que le reste d'entre nous appellerait les cadeaux de maman et papa et de grand-maman et grand-papa. C'est vrai: l'avantage de la richesse des Blancs n'est pas un avantage gagné. Les cadeaux sont ce qui permet aux Blancs de payer pour faire progresser leur éducation et donc leur revenu, et ce qui leur permet de verser une mise de fonds pour l'achat d'une maison tôt dans leur vie.
C'est injuste pour de nombreuses raisons, dont la plus importante est peut-être les injustices historiques qui ont permis aux Blancs, mais pas aux autres, d'accumuler de la richesse au fil des générations.
Ce sont ces transferts de richesse qui créent des occasions de revenus plutôt que des occasions de richesse. Cela signifie que les Canadiens noirs accusent déjà un retard à la naissance. C'est inacceptable, et le Canada doit envisager, comme le font les États-Unis, un système d'obligations pour bébés ou un système semblable dans le cadre duquel les jeunes enfants issus de groupes noirs et autres qui ont été historiquement désavantagés reçoivent une somme qui profite à mesure que l'enfant vieillit et qui, à l'âge adulte, peut être utilisée de la même manière que les cadeaux familiaux ont été utilisés par les riches familles blanches. Les économistes ont même calculé combien de temps il faudrait à une telle politique pour créer l'égalité de la richesse.
En plus de résoudre l'inégalité de la richesse, nous devons aborder la question de la sécurité du revenu pour chaque Canadien. Nous devons concevoir un marché du travail dans lequel chaque emploi est un emploi de qualité.
Nous devons veiller à ce que les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail de tous les emplois répondent à une norme minimale élevée et que la discrimination en matière d'emploi soit plus rigoureusement sanctionnée.
Nous disposons de solides données d'essais aléatoires qui nous racontent une histoire très désolante de discrimination raciale sur le marché du travail qui ne peut pas être expliquée par les différences dans les diplômes étrangers ou le manque d'expérience professionnelle au Canada.
Nous devons cesser de nous réconforter par le fait que les gens parviennent d'une manière ou d'une autre à survivre et à créer les conditions qui leur permettent de s'épanouir. Il existe d'innombrables exemples de moyens de mettre ce système en oeuvre. Par exemple, une garantie universelle d'emploi mettrait fin au chômage involontaire et créerait de bons emplois pour effectuer un travail important dont le Canada a cruellement besoin. Elle mettrait également de la pression sur le secteur privé pour qu'il soit compétitif sur le plan des salaires et des conditions de travail.
Enfin, nous devons universaliser l'accès aux services de base qui créent une qualité de vie élevée: services de garde, éducation, santé et assurance-médicaments au sens large, soins aux personnes âgées, etc. Nous ne pouvons plus limiter les possibilités en fonction de la race et de la situation économique. C'est si injuste et si indigne d'un pays qui a tant à offrir.
Voilà, c'est dit. Il n'y a pas de solution partielle pour résoudre les inégalités durant la crise de la COVID-19. Même si on élaborait des politiques de fortune, on serait rapidement de retour ici pour parler d'une autre inégalité raciale en matière de santé, car c'est ainsi que ça fonctionne. Si nous ne réglons pas les problèmes structurels fondamentaux du racisme systémique et de son incidence sur la sécurité économique, rien ne change jamais. Ce n'est tout simplement pas juste pour un Canadien d'être soumis à cela.
Si les solutions politiques que j'ai exposées sont audacieuses, elles sont très réalisables. De nombreux chercheurs ont souligné la manière dont ces politiques peuvent être conçues et financées. Il nous incombe...