Bonjour, et merci.
C'est un honneur pour moi de participer à la séance d'aujourd'hui. Je vous remercie de l'attention que vous portez à la question importante de la détérioration de la liberté à Hong Kong.
Je suis directrice du plaidoyer chez Freedom House, un organisme de surveillance indépendant qui se consacre à l'expansion de la liberté et de la démocratie dans le monde entier. Nous effectuons des recherches et des analyses sur l'état des droits politiques et des libertés civiles; nous prenons position sur des enjeux importants liés à la démocratie; et nous menons des programmes internationaux visant à renforcer les institutions démocratiques et les capacités de la société civile.
Le travail que nous faisons sur les enjeux liés à la Chine comprend: surveiller la situation relative aux droits et aux libertés et en rendre compte dans nos publications annuelles; réaliser des rapports spéciaux sur Hong Kong, sur l'influence médiatique de Pékin à l'échelle mondiale et sur l'oppression de groupes religieux en Chine; ainsi que prendre position sur tous ces enjeux, y compris en soutenant énergiquement l'imposition de sanctions aux responsables du gouvernement impliqués dans des violations des droits à Hong Kong et en Chine continentale.
Comme vous le savez peut-être, à cause de ce travail, Pékin a ajouté Freedom House à une liste d'organisations sanctionnées en décembre dernier. Cela ne nous a pas fait reculer; au contraire, nous avons continué à centrer nos efforts sur la détérioration rapide des droits à Hong Kong. C'est pour cette raison que le président de Freedom House, Mike Abramowitz, s'est retrouvé parmi les 11 Américains sanctionnés cette semaine par le Parti communiste chinois, à cause de « mauvais comportements » liés à Hong Kong. Les inconvénients subis par le personnel de Freedom House à cause des sanctions paraissent dérisoires comparativement aux sacrifices faits par les gens de Hong Kong et de la Chine continentale qui cherchent à protéger et à promouvoir les droits et libertés. C'est un honneur pour nous de faire cause commune avec eux.
Au cours des 10 dernières années, Freedom House a enregistré une détérioration des conditions liées à la démocratie et aux droits de la personne à Hong Kong, de pair avec une augmentation de l'ingérence du gouvernement chinois. Cette détérioration est causée par l'intensification de la répression dans l'ensemble de la Chine, elle-même attribuable au redoublement des efforts de Xi Jinping d'exercer un contrôle au pays et à l'étranger. Jamais nous n'avons attribué une si mauvaise note à la Chine continentale et à Hong Kong dans notre bilan de la liberté dans le monde.
Comme vous le savez, le cadre « un pays, deux systèmes » qui a été mis en place avant la rétrocession de 1997 devait garantir l'autonomie de Hong Kong et la protection des droits jusqu'en 2047. Évidemment, dans les faits, ce n'est pas ce qui est arrivé: le PCC a commencé à resserrer le contrôle à Hong Kong bien avant 2047. Le mouvement de protestation actuel — qui, je tiens à le souligner, a été lancé strictement par la population de Hong Kong et est dirigé entièrement par des citoyens — est né en mars dernier, et il est plus grand et plus intense que les manifestations prodémocratie du passé. Les manifestants ont subi de la violence aux mains de la police et des fiers-à-bras du régime de Pékin. Certains rapportent des cas de mauvais traitement et de détention, y compris de la violence sexuelle, et de nombreuses craintes ont été soulevées au sujet de présumés suicides inexpliqués de manifestants.
Se voyant incapable de réprimer l'agitation croissante et justifiée qui secoue Hong Kong, Pékin a de fait mis un terme au modèle « un pays, deux systèmes » en imposant sa nouvelle loi radicale sur la sécurité nationale. Comme vous le savez, cette loi criminalise l'opposition par quiconque, n'importe où dans le monde. Depuis que la loi est entrée en vigueur le 30 juin, nous voyons Hong Kong se transformer en État autoritaire à une vitesse fulgurante.
Pourquoi la population canadienne devrait-elle se préoccuper de la répression à Hong Kong, surtout avec tout ce qui se passe dans le monde? D'abord, il y a les raisons liées à l'économie et à la sécurité. Quelque 300 000 Canadiens vivent à Hong Kong. De plus, Hong Kong est le troisième marché d'exportation de services du Canada, et le treizième marché d'exportation de marchandises. En 2017, la valeur de ces deux marchés a totalisé 5,1 milliards de dollars.
Or, l'argument le plus convaincant pour la population est sans doute le fait que la répression exercée par le PCC à Hong Kong a un effet direct sur ce que les gens peuvent faire dans leur vie quotidienne, même au Canada. Bien sûr, les Canadiens résidant à Hong Kong courent le risque de se faire arrêter. Ils peuvent être victimes d'arrestations non seulement pour des enjeux liés à la loi sur la sécurité nationale, mais aussi pour des motifs politiques, comme c'est arrivé en Chine continentale. Vous êtes évidemment bien au courant des cas de Michael Kovrig et de Michael Spavor. Une affaire peut-être un peu moins connue est celle de Sun Qian, une citoyenne canadienne qui vient d'être condamnée à huit ans de prison à Pékin pour avoir pratiqué le Falun Gong. Ce type d'arrestation pourrait maintenant se produire à Hong Kong.
Par ailleurs, la répression exercée à Hong Kong menace aussi directement les gens qui vivent au Canada. C'est bien connu que le PCC cible les dissidents et les détracteurs vivant à l'étranger. Comme vous l'avez entendu mardi, la Coalition canadienne pour les droits de la personne en Chine et Amnistie internationale Canada ont publié un excellent rapport sur le harcèlement et l'intimidation auxquels sont confrontées les personnes au Canada qui travaillent sur les enjeux des droits de la personne en Chine. D'après le rapport, les militants de partout au Canada sont de plus en plus victimes de menaces, d'intimidation et de harcèlement en raison de leur travail sur les droits de la personne en Chine. Le rapport souligne également que nombre des incidents se produisent sur des campus et dans des écoles secondaires. Des tactiques semblables sont utilisées aux États-Unis.
La loi sur la sécurité nationale de Hong Kong accroît les risques liés à l'intimidation et à la surveillance. Elle criminalise l'incitation à la haine envers les gouvernements de la Chine et de Hong Kong, ainsi que la collusion avec les puissances étrangères. Toute personne reconnue coupable d'incitation à la subversion du pouvoir de l'État ou à la sécession risque la prison à perpétuité. La loi s'applique même aux gestes posés à l'extérieur de Hong Kong par des personnes qui ne sont même pas résidents permanents de la région, ce qui signifie que quiconque au Canada s'élève contre la répression à Hong Kong est passible d'arrestation.
C'est exactement la situation dans laquelle se trouve Samuel Chu, un citoyen américain. Il prendra la parole après moi; je vais donc le laisser raconter lui-même son histoire. Le fait qu'un citoyen américain fait l'objet d'un mandat d'arrestation à Hong Kong pour son militantisme aux États-Unis montre à quel point le PCC s'efforce de renforcer la répression.
On rapporte aussi que les autorités hongkongaises sont à la recherche de l'assistant américain de Jimmy Lai, Mark Simon. M. Chu et M. Simon risquent tous les deux de se faire arrêter et de passer des dizaines d'années derrière les barreaux s'il se rendent dans un pays susceptible de les extrader en Chine continentale ou à Hong Kong.
La répression à Hong Kong a également des répercussions sur les renseignements auxquels la population a accès, sur les produits et les services qu'elle achète, ainsi que sur les nouvelles et les divertissements qu'elle consomme. En effet, de nombreux savants et politiciens de Hong Kong constituent des sources importantes de renseignements pour les décideurs et les universitaires de partout dans le monde, et ce, par rapport à la situation non seulement à Hong Kong, mais aussi en Chine continentale et ailleurs en Asie. Or, nous n'avons plus accès à nombre de ces voix. Au cours des dernières semaines, des universitaires, des activistes, des journalistes et des candidats politiques importants se sont fait arrêter. La peur en a réduit d'autres au silence. De plus, des groupes politiques et des coalitions de défense des droits se sont dissous; ils ont effacé leurs comptes de médias sociaux et ils ont changé leurs numéros de téléphone et leurs adresses électroniques. Nous ne savons pas encore quels seront les effets à long terme d'une telle perte de renseignements essentiels, mais ils seront considérables.
Hong Kong est aussi devenu la nouvelle ligne rouge du PCC pour les sociétés internationales, qui se sentent contraintes de censurer leurs propres produits et communications. Air Canada, la Banque Royale et des multinationales canadiennes comme Apple, Amazon et Siemens ont toutes été accusées par le PCC d'avoir inscrit incorrectement Hong Kong, Macao et Taïwan sur leurs sites Web, et elles ont subi de fortes pressions d'apporter les modifications pertinentes à leurs sites Web.
En octobre 2019, la National Basketball Association s'est retrouvée sur la sellette lorsque le directeur gérant des Rockets de Houston, Daryl Morey, a écrit sur Twitter: « Luttez pour la liberté. Soutenez Hong Kong. » Les hauts dirigeants chinois ont exprimé leur indignation. La Chinese Basketball Association a coupé les liens avec l'équipe des Rockets, et la télévision d'État de Chine a cessé de diffuser ses matchs. Rapidement, la NBA et divers joueurs ont présenté des excuses et se sont distanciés du message, ce qui leur a valu des critiques de la part de groupes comme le nôtre, qui s'opposaient au refus de la NBA de défendre la liberté d'expression. Des centaines de manifestants se sont présentés aux matchs de la NBA. Entre autres, lors du premier match des Raptors de Toronto, environ 300 personnes portaient des tee-shirts arborant le message « Soutenez Hong Kong ». Ailleurs, des manifestants prodémocratie ont été expulsés durant des matchs ou se sont vus confisquer des affiches arborant des slogans inoffensifs tels que « Tapez 'Ouïgours' dans Google ».
Les médias canadiens ont aussi subi les effets de la répression à Hong Kong et en Chine continentale. Au cours des 10 dernières années, des hauts dirigeants du PCC ont présidé à l'intensification des efforts visant à influencer le débat public et la couverture médiatique partout dans le monde, y compris en faisant pression sur les salles de presse pour qu'elles censurent le contenu défavorable au régime. En 2016 et 2017, deux journalistes de la Global Chinese Press, un journal canadien, ont été congédiés après avoir publié du contenu qui déplaisait à Pékin.
La répression exercée par le CPP se fait sentir jusque dans les salons du Canada, par l'intermédiaire de la télévision d'État de Chine. Malgré une décision prise en 2006 par le CRTC selon laquelle CCTV-4 peut continuer à diffuser au Canada seulement à condition de respecter les règles sur la télédiffusion, les services CCTV-4 et CGTN ont tous deux diffusé de faux renseignements sur les manifestations à Hong Kong, sur la détention des Ouïgours et sur 30 confessions forcées. Quiconque au Canada écoute ces chaînes a accès aux faux renseignements qu'elles diffusent.
L'équipe de Freedom House entend souvent dire que la répression à Hong Kong a beau être terrible, elle ne touche pas les gens d'ici. Or, c'est tout simplement faux. La répression faite par le CPP influence déjà les propos que nous pouvons tenir, les endroits où nous pouvons voyager, les produits que nous achetons et même les nouvelles que nous lisons. C'est déjà consternant que le PCC viole couramment les lois de la Chine et les engagements internationaux en bafouant les droits de la population de la Chine continentale et de Hong Kong; nous ne devrions certainement pas laisser le régime faire de même au Canada.
Je serai ravie de présenter des recommandations précises durant la période de questions. Merci.