Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est pour moi un réel plaisir de témoigner devant le Comité spécial cet après-midi, ou ce matin pour ceux d'entre vous qui se trouvent dans l'Ouest, et de me joindre à mes deux formidables collègues.
Il y a manifestement eu de nombreux chapitres troublants sur le parcours qui a mené les Hongkongais à la réalité terrifiante qui est la leur aujourd'hui, soit la détérioration rapide de la situation déjà critique des droits de la personne, laquelle requiert une action internationale ferme et concertée. Il y a eu la révolution des parapluies, qui remonte à six ans, puis le soulèvement courageux en réponse à la réforme des lois d'extradition l'année dernière, et maintenant en réponse à la Loi sur la sécurité nationale, qu'Amnistie internationale a décrite dans les termes suivants:
... c'est à ce jour l'attaque la plus stupéfiante, menaçante et insensible menée par Pékin… la pire menace pour les droits humains de l'histoire récente de la ville… L'objectif des autorités chinoises est de gouverner Hong Kong par la peur.
Naturellement, il ne s'agit pas de prédictions abstraites, compte tenu du bilan franchement atroce que la Chine traîne depuis fort longtemps en matière de droits de la personne. Le dossier de la Chine à ce chapitre est sous le feu des projecteurs en ce moment, avec la campagne massive et pénible qui est menée contre les Ouïgours et les autres minorités musulmanes; les arrestations de défenseurs des droits de la personne, notamment d'avocats, et les procès injustes auxquels ils sont soumis; la répression constante que subissent les Tibétains; la lutte contre le Falun Gong — qui en est maintenant à sa 21e année —; et plus près de nous, les huit Canadiens emprisonnés en Chine, source de préoccupation pour Amnistie internationale. Quatre des Canadiens ont été condamnés à la peine de mort; deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, ont été arbitrairement et illégalement arrêtés et placés en détention; et deux autres Canadiens, Huseyin Celil et Sun Qian, purgent de longues peines d'emprisonnement après des procès profondément inéquitables.
Compte tenu de tout cela, nous avons cerné 10 raisons troublantes de nous inquiéter de la Loi sur la sécurité nationale de Hong Kong.
Premièrement, une menace à la sécurité nationale peut signifier à peu près n'importe quoi, et c'est effectivement le cas. La peine maximale, soit l'emprisonnement à vie, est imposée dans les cas d'actes de sécession, de subversion, de terrorisme et de collusion avec des forces étrangères. Ces crimes sont définis de façon si générale qu'ils peuvent facilement devenir des fourre-tout.
Deuxièmement, on abuse de la loi depuis le premier jour. Des gens sont arrêtés parce qu'ils possèdent des drapeaux, des autocollants et des bannières portant des slogans politiques. La police et les autorités prétendent que les slogans, les T-shirts, les chansons et même les morceaux de papier blanc qu'on tient en l'air représentent des menaces pour la sécurité nationale. Le gouvernement de Hong Kong a déclaré que le slogan politique « Libérez Hong Kong, révolution de notre temps »,régulièrement scandé lors des manifestations de l'année dernière, évoque l'indépendance de Hong Kong et est par conséquent interdit.
Troisièmement, la loi est omniprésente et mène notamment au resserrement du contrôle sur l'éducation, le journalisme et les médias sociaux.
Quatrièmement, les gens peuvent être emmenés en Chine continentale pour y subir des procès inéquitables, et c'est précisément l'enjeu des manifestations monstres de l'année dernière contre la réforme de la loi visant l'extradition.
Cinquièmement, la loi s'applique à tout le monde sur la planète — absolument tout le monde, partout.
Sixièmement, les autorités chargées des enquêtes jouissent de pouvoirs nouveaux et élargis, dont le pouvoir de fouiller les propriétés, de restreindre ou d'interdire les voyages, de geler ou de confisquer des biens, de censurer du contenu en ligne et de s'adonner à la surveillance secrète, ce qui comprend l'interception des communications. Dans aucun cas une ordonnance du tribunal n'est requise.
Septièmement, le gouvernement central de la Chine met sur pied un bureau de protection de la sécurité nationale au cœur de Hong Kong. Le bureau et son personnel ne relèvent pas de Hong Kong.
Huitièmement, le gouvernement de Hong Kong a mis sur pied un nouvel organisme, le comité de protection de la sécurité nationale, qui compte parmi ses membres un conseiller venant du gouvernement central de la Chine. Les décisions de ce comité ne peuvent pas faire l'objet d'une révision judiciaire.
Neuvièmement, les mesures de protection des droits de la personne risquent de faire l'objet de dérogations. La Loi sur la sécurité nationale comporte une garantie générale concernant le respect des droits de la personne, mais prévoit une immunité et d'importantes exemptions pour les institutions chargées de la sécurité nationale, en plus d'avoir explicitement préséance sur toutes les autres lois.
Dixièmement, la loi a déjà produit un effet immédiat et terrible. Les Hongkongais ont fermé leurs comptes de médias sociaux, les magasins et restaurants ont retiré les bannières et autocollants soutenant le mouvement de protestation, et les bibliothèques publiques ont retiré des étagères les livres traitant de sujets délicats et les livres écrits par des militants qui critiquent le gouvernement.
Nul doute que ces graves préoccupations sont en fait fondées. C'est très clair dans les communiqués de presse d'Amnistie internationale et les actions urgentes préconisées. On peut lire dans les communiqués de presse que quatre militants — trois hommes et une femme ayant entre 16 et 21 ans — ont été arrêtés il y a deux semaines en vertu de la loi sur la sécurité et ont été accusés de préconiser l'indépendance de Hong Kong. Aussi, 12 candidats prodémocratie aux élections du Conseil législatif de Hong Kong, maintenant reportées, ont été disqualifiés, et Joshua Wong est du nombre. On a entre autres justifié leur disqualification en soutenant que leur opposition à la récente Loi sur la sécurité nationale démontre qu'ils ne peuvent pas véritablement s'acquitter de leur devoir constitutionnel à titre de législateurs.
Plus récemment, naturellement, il y a eu hier, pour des raisons de sécurité nationale, l'arrestation de la militante pour la démocratie bien connue, Agnes Chow, accusée d'actes de sécession, ainsi que de l'éminent éditeur Jimmy Lai, de deux de ses fils et du personnel de son journal, l'Apple Daily, pour « collusion avec des forces étrangères ».
Devant cette crise qui s'aggrave, je vais proposer rapidement cinq priorités sur lesquelles le Canada devrait concentrer ses efforts.
Premièrement, le multilatéralisme est essentiel, et plus la coalition d'États disposés à discuter des préoccupations sera vaste et diverse, plus elle sera efficace. Le Canada l'a fait en diverses occasions, l'année passée, concernant la crise qui fait rage à Hong Kong et d'autres préoccupations en Chine. Il y a eu notamment l'adoption d'une déclaration orale conjointe présentée par 28 gouvernements au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, le 30 juin, puis le ministre Champagne a participé avec ses homologues de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis à une déclaration exprimant leurs préoccupations relatives à Hong Kong, il y a deux jours. Augmenter le nombre d'États disposés à exercer de la pression sur la Chine devrait être une grande priorité du Canada.
Deuxièmement, toujours sur la question du multilatéralisme, le Canada devrait activement prendre des mesures dans le cadre du système des droits de la personne de l'ONU. Une déclaration publique diffusée le 26 juin par 50 experts indépendants des Nations unies en matière de droits de la personne énonce un éventail d'options, par exemple concernant des propositions qui pourraient être tentées au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, dont la prochaine session s'amorcera le 14 septembre.
Troisièmement, le Canada est bien placé pour diriger la préparation internationale, compte tenu de la possibilité que de nombreux Hongkongais soient forcés de trouver refuge à l'étranger. La géographie de Hong Kong est telle que, contrairement à bien d'autres réfugiés ailleurs dans le monde, les gens ne peuvent manifestement pas franchir la frontière la plus immédiate, car il s'agit de la Chine. Les gens qui doivent fuir se retrouveront dans des situations très diverses: certains sont citoyens d'un autre pays, comme les quelque 300 000 Canadiens qui résident à Hong Kong; il y a les gens qui ne sont pas citoyens, mais qui ont des proches et d'autres liens au Canada ou dans d'autres pays; et il y a ceux qui n'ont aucun lien fort avec quelque autre pays que ce soit. Le Canada devrait travailler à prendre des dispositions pour recevoir, peut-être, un grand nombre de Canadiens forcés de quitter soudainement Hong Kong, et il devrait aussi collaborer avec d'autres gouvernements afin de préparer une intervention bien coordonnée en réponse aux besoins plus généraux des réfugiés.
Quatrièmement, le Canada devrait envisager des options prévues par les lois et les politiques du Canada afin d'exercer directement une plus forte pression. Les préoccupations relatives aux droits de la personne en général et celles qui concernent particulièrement Hong Kong doivent être prioritaires dans toutes les relations que le Canada entretient avec la Chine, et ce, non seulement sur le plan diplomatique, mais à l'échelle de tous les échanges bilatéraux, y compris le commerce et l'investissement. Les accords d'extradition avec Hong Kong ont été suspendus, et le transfert de matériel de sécurité névralgique a été resserré. Un groupe considérable de députés et de sénateurs font pression sur le gouvernement pour qu'il envisage des sanctions en vertu de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus. Au moment d'envisager d'autres mesures, il est recommandé d'accorder la priorité aux mesures fondées sur une approche multilatérale, de concert avec d'autres gouvernements.
Enfin, permettez-moi de m'arrêter sur quelque chose qui nous touche de très près. Amnistie internationale fait partie de la Coalition canadienne pour les droits de la personne en Chine, qui est composée de 15 organismes, ici au Canada. Au nom de la Coalition, nous avons préparé deux rapports, au cours des trois dernières années, qui mettent au jour l'intensification inquiétante d'une tendance à l'intimidation, à l'interférence et aux menaces visant les défenseurs des droits de la personne installés ici et qui participent à la campagne visant les préoccupations au chapitre des droits de la personne en Chine. Les personnes qui s'adonnent à ces abus sont liées à des représentants du gouvernement chinois ou sont du moins encouragées ou applaudies par eux. Selon notre plus récent rapport, qui a été remis au gouvernement du Canada en mars et rendu public en mai, au cours de l'année passée, des personnes qui appuient le mouvement prodémocratie et la protection des droits de la personne à Hong Kong en particulier ont été ciblées sans relâche, entre autres lors de manifestations et par l'intermédiaire des médias sociaux.
En 2017 et cette année encore, la Coalition a présenté de nombreuses recommandations au gouvernement canadien en vue d'une action plus efficace permettant de protéger contre ces abus les défenseurs des droits de la personne qui se trouvent ici, en mettant l'accent sur la nécessité d'une meilleure coordination entre la police, la sécurité et les organismes et ministères gouvernementaux. À notre grande déception, nous avons eu très peu d'écho. Les personnes qui subissent ces interférences et ces menaces, notamment des menaces de violence sexuelle et physique et des menaces contre les membres de leur famille à Hong Kong ou en Chine, sont essentiellement laissées sans aucun recours efficace et savent rarement vers qui se tourner et à quoi s'attendre.
Il pourrait être très difficile de contrer l'influence de la Chine à l'échelle mondiale et il peut être difficile d'exercer des pressions en vue d'une réforme des droits de la personne sur le terrain en Chine, mais il est inexcusable de ne prendre absolument aucune mesure solide et décisive pour lutter contre les violations des droits de la personne qui peuvent être liées à Pékin ou soutenues par elle et qui sont liées à ce qui se produit à Hong Kong et ici, au Canada.
Merci, monsieur le président.