Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs.
Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître pour discuter du budget de 2020. Je m'appelle Kim Moody, je suis comptable professionnel agréé, et chef de la direction et directeur, Conseil en matière de fiscalité canadienne, chez Moodys Gartner Tax Lax et Moodys Private Client à Calgary.
J'évolue depuis longtemps dans le milieu canadien de la fiscalité et j'ai occupé divers postes de direction. J'ai notamment siégé comme président à la Fondation canadienne de fiscalité, comme coprésident du Comité mixte sur la fiscalité de l'Association du Barreau canadien et de CPA Canada, et comme président des Society of Trusts and Estate Practitioners pour le Canada, pour ne nommer que quelques fonctions.
Avant de vous parler du budget de 2020, j'aimerais commencer par discuter des importantes modifications fiscales que nous avons connues au cours des quelques dernières années, et ce, pour deux raisons: premièrement, je veux énoncer les défis importants qui subsistent afin de mettre en évidence la nécessité de bien faire les choses; deuxièmement, je veux mettre en lumière la rhétorique source de discorde que nous avons tous entendue afin de souligner qu'il faut que cela cesse pour que nous puissions aller de l'avant avec une politique fiscale solide.
Les budgets des quatre dernières années se sont caractérisés par une rhétorique troublante qui est source de discorde, par des messages percutants et, au bout du compte, par de mauvaises politiques fiscales. Je note, premièrement, la phrase qui revient presque constamment dans le budget — « la classe moyenne et ceux qui travaillent fort pour en faire partie » — alors qu'il n'existe aucune définition crédible de « classe moyenne »; deuxièmement, l'attaque menée contre ceux que l'on dit riches, avec une augmentation des taux d'imposition des particuliers de 4 %, à un moment où notre voisin du sud abaisse les taux d'imposition des particuliers, ce qui a mis en péril la compétitivité de notre pays; et troisièmement, l'annonce des propositions visant l'imposition des entreprises privées du 18 juillet 2017 — occasion que le gouvernement a saisie pour effectivement accuser les propriétaires d'entreprises privées de fraude fiscale.
Ces propositions, bien qu'elles aient été atténuées, ont donné lieu à l'adoption du régime de l'impôt sur le revenu fractionné et des nouvelles règles visant les placements passifs — sujet que j'approfondirai plus tard — ainsi qu'à la mise en place d'incitatifs fiscaux visant l'aide au journalisme, ce qui, franchement, représente une attaque contre la liberté d'expression dans notre pays.
Woodrow Wilson, 28e président des États-Unis, ayant servi de 1913 à 1921 et ayant été reconnu comme l'un des meilleurs présidents des États-Unis, a dit un jour, à propos d'une nation que « ce n'est pas une machine, c'est quelque chose de vivant ». Je trouve que c'est d'une grande sagesse. Compte tenu de cela, je vais laisser de côté l'histoire récente et essayer de contribuer de façon positive à cette chose vivante, le Canada, mais franchement, je crois que nous avons tous l'obligation de contribuer positivement à faire du Canada un grand pays. Nous devrions travailler ensemble à concevoir des politiques positives et éviter le réflexe de revenir à la politique partisane. Il faut que le travail se fasse en collaboration et que le ton soit conciliant.
Cela étant dit, voici d'après moi des éléments d'ordre fiscal qu'il faut en priorité inclure dans le budget de 2020 ou l'en exclure.
Premièrement, renoncez à la mise en œuvre des propositions relatives aux options d'achat d'actions. Je dirai très simplement qu'à mon point de vue, le gouvernement et le ministère des Finances n'ont pas fourni d'arguments convaincants contre le statu quo, comme je l'ai exprimé en détail par écrit en juin 2019. Les propositions de cette nature sont très complexes, les prévisions de recettes fiscales étaient minimales, et le Comité mixte sur la fiscalité a souligné certains des problèmes techniques ainsi que la complexité des propositions actuelles. Les mesures proposées pourraient avoir des répercussions adverses sur la capacité des entreprises en croissance d'attirer une main-d'œuvre qualifiée si elles ne sont pas exemptées du nouveau régime. Encore une fois, à mon point de vue, ces propositions devraient être abandonnées définitivement.
Deuxièmement, n'augmentez pas les taux d'imposition des particuliers. Je souligne que le programme électoral du Parti libéral ne comportait aucune proposition explicite visant l'augmentation des taux d'imposition des particuliers, mais il contenait une proposition — figurant également dans la lettre de mandat du ministre des Finances —, soit « Entreprendre un examen des dépenses fiscales pour veiller à ce que les Canadiens les plus fortunés ne profitent pas d'allégements fiscaux injustes. » Respectueusement, je signale qu'un tel examen a été réalisé au cours du mandat du gouvernement précédent. Parler d'un autre examen dans trois ans, c'est simplement une façon de parler d'augmentations d'impôt pour les riches. De telles hausses de l'impôt indirect accentueraient la fuite de capitaux du Canada et décourageraient les meilleurs éléments de rester au Canada. Il faut éviter cela.
Troisièmement, réduisez les taux d'imposition des sociétés. La réforme fiscale américaine a eu des répercussions importantes sur la compétitivité de nos entreprises canadiennes. Chez moi, en Alberta, alors que s'amorce une sixième année de récession, les effets de la réforme fiscale américaine se sont fait grandement sentir. Notre gouvernement provincial a réagi en réduisant les taux d'imposition des sociétés, mais le gouvernement fédéral n'a pas véritablement réagi aux problèmes de compétitivité causés par la réforme fiscale américaine. Réduire légèrement les taux d'imposition des sociétés serait une solution.
Quatrièmement, n'augmentez pas le taux d'inclusion des gains en capital. Encore une fois, le programme électoral du Parti libéral ne contenait rien d'explicite concernant le taux d'inclusion des gains en capital, mais il y avait l'examen des dépenses fiscales mentionné précédemment et dont l'objectif est de veiller à ce que les Canadiens fortunés ne profitent pas d'allégements fiscaux. Le taux d'inclusion de 50 % étant l'une des plus importantes dépenses fiscales, nombreux sont ceux qui s'inquiètent de la possibilité d'une augmentation du taux d'inclusion dans le budget de 2020. Une telle augmentation aurait des effets dévastateurs sur les investisseurs et sur la capacité de notre pays d'attirer des capitaux. Ne le faites pas.
Cinquièmement, n'adoptez pas la règle sur la limitation de la déduction des intérêts qui est proposée dans le programme électoral du Parti libéral. On y proposait une nouvelle règle visant à limiter les déductions d'intérêts à 30 % du bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement. Cela semble en tout point identique à la réforme fiscale américaine. Cependant, la règle américaine a été adoptée en même temps qu'une série d'autres règles anti-dépouillement et qu'une réduction du taux d'imposition des sociétés de 14 %. Dans le contexte national, que je sache, aucun changement à grande échelle n'est nécessaire, et je recommanderais un examen attentif et exhaustif avant qu'une telle règle soit proposée. Une règle conçue n'importe comment pourrait avoir des effets dévastateurs sur le milieu des affaires, en particulier sur les entreprises à forte intensité de capitaux qui engagent des centaines de milliers de Canadiens et qui constituent l'épine dorsale de l'économie du Canada.
Sixièmement, modifiez le régime de l'IRF. De nombreuses personnes vous l'ont probablement déjà dit: le régime de l'IRF est extrêmement complexe et a de vastes répercussions, ce qui peut se traduire par de fortes hausses de taxes pour ceux qu'on appelle les propriétaires d'entreprises de la classe moyenne et leurs familles. Il existe peut-être des arguments irréfutables en faveur d'un régime qui ne favorise pas le fractionnement du revenu, mais le régime actuel est indéfendable et franchement injuste. Il faut entièrement repenser ces règles.
Septièmement, abrogez les incitatifs fiscaux qui visent le journalisme. Ces règles sont une atteinte à la liberté d'expression au Canada. Je fais partie des gens qui croient que le régime pourrait mener à une couverture médiatique partiale en cette période où le citoyen moyen croit que nos médias sont déjà partiaux, ce qui n'est pas une bonne chose. Les intentions de ces incitatifs sont peut-être bonnes, mais le régime fiscal n'est certainement pas le levier politique qui convient pour résoudre les enjeux fondamentaux auxquels la presse écrite fait face partout dans le monde.
Comme l'a dit Woodrow Wilson pendant la Première Guerre mondiale, en 1917:
Je ne peux rien imaginer de plus dommageable à un pays que l'établissement d'un système de censure qui priverait le peuple d'une république libre comme la nôtre de son droit incontestable de critiquer ses propres agents publics. Pendant que j'exerce les formidables pouvoirs du poste que j'occupe, je trouverais déplorable, en temps de crise, comme celle que nous vivons en ce moment, d'être privé des avantages d'une critique patriotique et intelligente.
J'estime que les incitatifs fiscaux visant le journalisme mèneront à une forme de censure indirecte et qu'il faut, au bout du compte, éviter un tel dérapage.
Huitièmement, apportez des changements qui vont véritablement permettre à la génération suivante de prendre adéquatement la relève des entreprises et des fermes familiales.
Enfin, comme de nombreux témoins vous l'ont déjà dit, il faut que le régime fiscal de ce pays fasse l'objet d'un examen et d'une réforme approfondis. Oui, je sais que vous êtes nombreux à être fatigués de l'entendre. J'ai eu la chance d'écouter brièvement la discussion d'hier, et trois des témoins ont dit la même chose, en plus de Peter Weissman.
Il y a peut-être quelque chose derrière tous les témoins brillants qui sont venus vous adresser la parole. Il se peut qu'ils aient tort, les universitaires, bureaucrates et parlementaires qui pensent qu'un examen exhaustif et une réforme complète du régime fiscal ne sont pas nécessaires ou que les Canadiens ne sont pas prêts pour un tel examen. D'après moi, les Canadiens sont prêts. Ils sont prêts pour un changement rafraîchissant et véritable qui améliorera la situation. Ils sont prêts pour des changements positifs qui vont aider cette chose vivante qu'est le Canada à se préparer pour la prochaine génération.
Je suis bien conscient que le Comité en a fait la recommandation avant, mais le gouvernement doit agir.
Merci. Je serai ravi de répondre à vos questions.