Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup de m'avoir invité à témoigner.
La région du Xinjiang, en Chine, est le théâtre d’actions que nous espérions ne « plus jamais » revoir après la Seconde Guerre mondiale. Je parle de la détention de plus d’un million d’Ouïghours, un groupe ethnique et religieux qui est la cible d'une campagne de stérilisation forcée du gouvernement chinois afin de réduire sa population. Même si le gouvernement chinois prétend qu’il s’agit de camps d’entraînement ou de formation, des médias crédibles rapportent qu’on y impose des séances de propagande obligatoires, du travail forcé et de la violence physique. D'aucuns ont fait état de morts alléguées.
Personne n’est épargné. Par exemple, j’ai fait la connaissance d’une éminente professeure musulmane dans le cadre d’un projet de recherche en Chine auquel j'ai participé pendant de nombreuses années. Gulazat Tursun est professeure de droit et superviseure d’étudiants au doctorat de l’Université du Sichuan. Cette universitaire de renommée internationale qui s'intéresse aux droits de la personne a été chercheuse invitée au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, à l’Université Harvard et à l’Institut danois des droits de l’homme. Malgré ses compétences, elle a essentiellement été détenue dans l’un de ces camps, et à ce jour, on ignore encore si elle a été libérée ou non.
Le sort réservé à d'autres universitaires est pire encore. L'un d'eux risque la mort. En septembre 2019, le réseau Scholars at Risk soupçonnait que M. Tashpolat Tiyip, professeur de géographie réputé et ancien président de l'Université du Xinjiang, risquait d'être exécuté une fois expiré le sursis de deux ans de sa peine de mort. Nous ne savons pas non plus ce qu'il est advenu de lui.
Je suis d’accord avec mon ami et ancien ministre de la Justice Irwin Cotler: nous devrions, comme les États-Unis et d’autres pays, imposer des sanctions ciblées aux principaux responsables de la planification de la détention massive des Ouïghours au Xinjiang. J'ai proposé d'imposer des sanctions Magnitski aux architectes de la répression et de la détention des Ouïghours, et je donnerai des noms, notamment ceux de Shohrat Zakir, gouverneur du Xinjiang et chef du parti dans la région, et Chen Quanguo, membre du bureau politique dans les plus hautes sphères du gouvernement chinois.
Il y en a d'autres, mais ces deux hommes sont, selon moi, les principaux responsables de la détention. Les deux hommes ont affirmé que ces allégations de graves crimes internationaux contre les Ouïghours, et dont j'aimerais parler, sont un tissu de mensonges absurdes. En fait, Shohrat Zakir va jusqu’à qualifier les camps de pensionnats où les droits des étudiants sont protégés.
En 2017, le Parlement a adopté la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, qui met en œuvre les sanctions Magnitski et permet d’imposer des saisies de biens et des interdictions de séjour à des fonctionnaires précis. Comme mon ami Bill Browder l'a indiqué, des lois semblables ont été adoptées par les États-Unis et d'autres pays européens. Grâce à ses démarches, l’Union européenne envisage également l’élargissement des sanctions Magnitski à l'ensemble de son territoire.
Comme on le sait, Bill Browder figure parmi les principaux défenseurs de cette mesure parce que son avocat, Sergueï Magnitsky, a été assassiné par des fonctionnaires russes. J’ai eu le privilège de l’appuyer dans une faible mesure, l'aidant à venir au Canada afin d'y préconiser l'adoption de la loi Magnitski.
Je voudrais maintenant parler brièvement de l’opinion d’un autre collègue avocat, qui est également notre prochain ambassadeur aux Nations unies: Bob Rae. Dans une entrevue accordée au Globe and Mail, il a affirmé que le gouvernement du Canada doit réfléchir aux conséquences avant d’imposer des sanctions à de hauts fonctionnaires chinois pour des violations des droits de la personne commises contre des groupes minoritaires.
Même si je suis d’accord avec lui sur le fait qu’un gouvernement ne peut jamais se permettre d’établir des plans ou d’agir sans tenir compte des conséquences, il semble laisser entendre que les représailles pourraient toucher les deux Canadiens qui sont détenus là-bas, Michael Spavor et Michael Kovrig, et prendre la forme de mesures commerciales supplémentaires ciblant le bois d’œuvre et les produits agricoles d’ici. Cependant, le Canada, en tant que société de droit, ne peut pas trahir ses engagements fondamentaux. Il ne peut pas désavouer ses promesses souvent répétées de promotion et de protection des droits universels de la personne, enchâssés dans le principe du « plus jamais ». Nous ne pouvons pas être vus comme de simples spectateurs des derniers crimes internationaux qui sont, encore une fois, commis et qui correspondent à la définition de crime contre l’humanité, de crime de guerre, de torture et de génocide.
Nous ne pouvons rester silencieux ou inactifs devant de telles atrocités ou renoncer à notre droit d'être considérés comme les défenseurs de la dignité humaine et des droits de la personne de tous les habitants de la terre. L'histoire nous a montré que le silence est le partenaire complice du génocide.
Le Canada ne peut rester silencieux ou inactif devant ce que je considère comme des crimes contre l'humanité de plus en plus graves, notamment les gestes génocidaires commis contre les Ouïghours. Je suis d'avis que les actes du gouvernement chinois constituent des crimes contre l'humanité et un génocide, d'autant plus que les mesures de contrôle forcé des naissances à l'encontre des Opuïghours se poursuivent.
Les fonctionnaires que je propose de cibler pourraient n’avoir aucun bien gelé au Canada ou même avoir l’intention de voyager ici. Toutefois, l’imposition de sanctions ciblées ferait comprendre non seulement à la Chine, mais au monde entier que nous agissons au nom de l’humanité. Nous espérons que nos alliés traditionnels suivront notre exemple et envisageront peut-être même de se joindre à nous.
En ce qui concerne les possibles mesures punitives de la Chine, étant donné que les procédures d’extradition de Meng Wanzhou ont déjà entraîné la détention de deux Canadiens, je ferais valoir que nous devons mettre au point une politique et une stratégie à long terme concernant la Chine, lesquelles couvriraient les cas de diplomatie des otages et le recours aux sanctions commerciales et à d'autres mesures punitives, qui contreviennent aux règles commerciales internationales. Je pense que le Canada et son gouvernement doivent élaborer une stratégie à long terme avec ses alliés démocratiques traditionnels, qui inclurait — espérons-le — la collaboration de l’administration américaine future, pour établir des mesures multilatérales, sociales et économiques qui dissuaderaient la Chine de recourir à la diplomatie des otages et qui réduiraient la capacité de cet État de cibler les pays démocratiques tenus par leurs valeurs, leurs principes et leur constitution d’adhérer à la primauté du droit.
Nous pourrions ainsi adopter des approches communes afin d'assujettir les multinationales chinoises à une surveillance au chapitre de la sécurité nationale, des droits de la personne et de la lutte contre la corruption, et les pénaliser pour être complices des actes de leur gouvernement, lesquels constituent des crimes internationaux gravissimes. Compte tenu des nouvelles venant de Xinjiang, je pense que le sous-comité ou le comité qui le chapeaute devraient s'intéresser à certaines des marques qui recourent au travail forcé pour fabriquer des produits qui font leur chemin jusqu'aux États-Unis et au Canada. En fait, l'ACEUM signé récemment avec les États-Unis et le Mexique prévoit une interdiction à cet égard.
Je vous remercie.