Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés du Comité permanent des finances, je vous remercie de nous inviter et de nous donner cette occasion de partager avec vous notre réflexion concernant les mesures d’urgence qui ont été mises en place par le gouvernement canadien suite à la crise sanitaire.
Je suis porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses. À ce titre, je vais m’attarder tout particulièrement sur les mesures de remplacement du revenu visant les travailleurs et les travailleuses qui ont perdu leur emploi en raison de la pandémie de la COVID-19. Cette pandémie a littéralement provoqué un séisme dans le monde du travail, faisant basculer d’un seul coup vers le chômage des millions de personnes. C’est un choc à peu près jamais vu dans notre histoire récente, sinon lors de la Grande Dépression provoquée par le krach boursier de 1929.
On évalue à ce jour que plus du tiers de la population active est tombé au chômage. En date du 23 avril, soit hier, 7,1 millions de personnes avaient demandé la Prestation canadienne d’urgence, la PCU. C’est énorme. Au climat anxiogène de la crise sanitaire s’est donc ajoutée celle du chômage. Le revenu, vous le savez, est au cœur de la vie des gens et des familles. C’est avec cela qu’on paie les comptes, le loyer ou l’hypothèque, l’épicerie, les médicaments et les autres besoins de la famille.
Pendant que la machine de Service Canada implosait de toutes parts devant le nombre exorbitant de demandes de prestations, que son système en ligne tombait en panne, que les lignes téléphoniques ne répondaient plus et que les bureaux fermaient, la population se demandait de quoi elle vivrait et à quoi elle aurait droit comme revenu de remplacement face au chômage. Nous nous posions les mêmes questions, et nous devions répondre aux questions de personnes manifestement désemparées qui appelaient à nos bureaux, par milliers, chaque jour. Au début, chaque jour de silence gouvernemental et d’absence d’orientation claire nous a semblé durer un siècle. Y aurait-il un assouplissement des règles de l’assurance-emploi pour permettre à toutes les catégories de travailleurs et de travailleuses d’être protégées? Y aurait-il plutôt des mesures d’urgence temporaires? Nous l’ignorions. La population l’ignorait et cela a ajouté au climat d’anxiété. Tout cela a pris plus d’une semaine à se résoudre.
En effet, depuis l’adoption par le Parlement, le 25 mars dernier, d’un unique programme d’urgence de remplacement du revenu, la Prestation canadienne d’urgence, le climat s’est assaini. On a senti que les gens, de façon générale, commençaient à être rassurés. La mise en œuvre de la PCU, le 6 avril, et la rapidité des paiements ont contribué à faire baisser la pression qui pesait sur les familles. Il faut reconnaître que la couverture de ce programme était très étendue, incluant notamment les salariés, mais aussi les travailleurs et travailleuses autonomes ayant perdu leur emploi du fait de la crise sanitaire. Cependant, il ne faut pas oublier pour autant qu’il demeurait des trous importants dans ce filet social d’urgence.
Nous sommes intervenus avec vigueur à plusieurs reprises afin de souligner ces lacunes et force est de constater que nous, comme d’autres intervenants de la société civile et du monde politique, avons été entendus. Je crois qu’il est tout à l’honneur du présent gouvernement d’avoir pris en considération d’autres points de vue pour les intégrer aux suites à donner à la PCU. Ces suites ont été annoncées le 15 avril, soit la semaine dernière, pour les travailleurs et les travailleuses d’industries saisonnières en fin de prestations d’assurance-emploi et ne pouvant reprendre leur emploi habituel; pour les personnes ayant terminé ou terminant leurs prestations d’assurance-emploi; et pour les travailleurs et les travailleuses ayant subi une baisse de revenus parce qu’ils sont passés de temps plein à temps partiel. D’autres suites ont aussi été annoncées cette semaine, le 22 avril, avec la mise en place d’une PCU pour les étudiants et les étudiantes, que nous saluons. Pour parler franchement, beaucoup de personnes ont poussé un long soupir de soulagement. Il fallait s’assurer que personne n’était laissé de côté et qu’il ne restait plus de trous dans le filet social.
J’aimerais maintenant attirer votre attention sur deux éléments. Le premier est de nature factuelle. Encore aujourd’hui, le service aux citoyens de Service Canada est dysfonctionnel et grandement insuffisant, voire chaotique. Partout au pays, les 600 bureaux de Service Canada sont fermés et personne ne répond au téléphone. À part un formulaire en ligne pour demander d’être rappelé, il n’y a absolument aucun moyen de contacter qui que ce soit à Service Canada. Il faut que cela soit réglé, et au plus vite. À l’heure actuelle, le dossier de milliers, sinon de centaines de milliers, de prestataires est actuellement bloqué et sans issue.
En second lieu, pour qu'un programme gouvernemental fonctionne, encore faut-il que les gens le connaissent et le comprennent. Il faudrait vraiment que le gouvernement déploie une importante campagne de publicité par l'entremise des grands médias afin d'informer la population des nombreux programmes existants, car ils sont nombreux, et des modalités qui s'y rattachent. Il faut un véritable plan de communication, lequel a grandement manqué jusqu'à présent.
Enfin, je ne saurais terminer sans rappeler qu'une crise comme celle que nous connaissons peut devenir le vecteur nécessaire pour repenser l'importance de nos couvertures sociales. C'est la crise des années 1930 qui a mené à la création du programme d'assurance-chômage. La Seconde Guerre mondiale a donné lieu à la mise en place de différents programmes sociaux assurant une meilleure redistribution des richesses, ce que nous avons appelé l'État-providence.
Avec la crise actuelle, nous avons été à même de constater les manquements de nos protections sociales, plus particulièrement de notre régime d'assurance-emploi. Cette crise doit nous amener à lancer un vaste chantier de refonte de ce programme. Les solutions ne sont pas connues à l'avance, mais il nous faut réfléchir et apporter des réponses modernes, en phase avec les réalités de notre siècle, notamment la réalité du travail autonome, du télétravail et du travail temporaire, des effets qu'aura la transition environnementale sur le monde du travail, et bien d'autres sujets.
La crise de la COVID-19 n'est peut-être qu'une grande répétition avant la prochaine crise, la crise climatique, celle qu'évoquait récemment Louise Arbour, ancienne juge à la Cour suprême, lors d'une entrevue télévisée.
Nous avons devant nous d'immenses défis, et il faudra être à la hauteur. Nous croyons que le gouvernement actuel a la capacité politique et intellectuelle nécessaire pour enclencher un tel chantier. Il doit le faire en tendant la main aux oppositions constructives ainsi qu'à la société civile.
Je vous remercie de votre attention.