Madame la Présidente, c'est avec plaisir que je prends la parole aujourd'hui sur le projet de loi C-4, en faveur duquel je vais voter, finalement.
Je suis assez satisfait du travail qui a été fait par ma formation politique dans un esprit d'ouverture et de collaboration. Par contre, je dirais que c'est une victoire douce-amère puisque, encore une fois, un secteur économique a été oublié dans cet accord: celui du bois d'œuvre. Le secteur forestier, qui est le parent pauvre de la fédération canadienne, est constamment oublié. Cela fait que je ne célèbre pas totalement la victoire que nous avons remportée sur l'aluminium.
En discutant avec le négociateur canadien lors d'une réunion du Comité permanent des ressources naturelles, il m'a dit qu'il n'avait pas traité le bois d'œuvre dans l'ACEUM parce qu'il devait se concentrer sur d'autres priorités. Je trouve que la phrase est forte: « se concentrer sur d'autres priorités ». Voilà le leitmotiv canadien. Quelles sont les priorités de l'économie canadienne? Elles sont les mêmes depuis les 25 dernières années: l'industrie automobile pour l'Ontario et l'industrie pétrolière pour l'Ouest.
Est-ce peut-être dû à un manque de rapport de force? Le Bloc québécois est maintenant composé de 32 députés et j'ai déjà l'impression que les choses sont en train de changer. Cependant, les secteurs économiques du Québec sont constamment laissés de côté. La phrase « se concentrer sur d'autres priorités » me fait réfléchir. On repousse constamment les négociations avec les États-Unis sur la question du bois d'œuvre.
Cela me fait penser à une phrase que j'entends souvent chez les fédéralistes: « le fruit n'est pas assez mûr ». Quand on parle de négociations constitutionnelles, de nombreux fédéralistes utilisent cette rhétorique un peu perverse: « le fruit n'est pas encore assez mûr ». Personnellement, j'ai l'impression que le fruit du fédéralisme est en train de pourrir sur l'arbre quand il est question de bois d'œuvre et de notre rôle au sein de cette fédération.
Je n'ai pas que des remontrances, mais je voudrais revenir sur ce que représente l'industrie forestière au Québec. Il faut savoir que la forêt québécoise représente 2 % de toutes les forêts de la planète. La superficie de la forêt québécoise représente les territoires réunis de la Suède et de la Norvège, soit 760 000 kilomètres carrés. Il y a 58 000 emplois directs et indirects qui sont liés au secteur forestier pour la région du Québec. Aujourd'hui, l'industrie forestière au Québec est le moteur économique de 160 municipalités.
Si l'on regarde l'ensemble du Canada, le secteur forestier représente 600 000 emplois directs et indirects, ce qui est loin d'être négligeable. Je n’insisterai jamais assez sur le fait que l'on vit un réchauffement climatique et que de nombreux experts identifient le secteur forestier comme étant le secteur le plus prometteur pour lutter contre les changements climatiques.
Pour notre plus grand malheur par contre, les États-Unis sont notre principal partenaire commercial dans l'industrie forestière, accueillant 68 % de nos exportations de produits forestiers. Je trouve cela malheureux parce que j'ai l'impression que le gouvernement canadien n'a jamais fait d'efforts pour chercher à développer de nouveaux marchés.
Je suis toujours étonné quand je vais en France de voir toutes ces infrastructures, ces ponts et ces gros bâtiments fabriqués en bois ou en lamellé-collé. Pourtant la France ne dispose pas de cette ressource première qu'est le bois. Nous, nous l'avons, mais j'ai l'impression que nous restons assis sur nos mains.
Depuis les années 2000, il y a un bouleversement considérable dans l'industrie forestière qui résulte de celui vécu par l'industrie des pâtes et papier, puisque l'on vend effectivement de moins en moins de papier journal. Il faut donc trouver de nouveaux créneaux. À cela s'ajoutent les différentes crises vécues lors de négociations avec les États-Unis.
Au Comité permanent des ressources naturelles, j'ai trouvé assez intéressant d'entendre Mme Beth MacNeil, sous-ministre adjointe au Service canadien des forêts de Ressources naturelles Canada, nous dire que l'industrie forestière est à la croisée des chemins. Si ma copine me dit un jour que nous sommes « à la croisée des chemins », j'aurai certainement peur puisque cela voudra dire que je ne me suis pas occupé d'elle et que j'ai une sérieuse pente à remonter.
Le gouvernement canadien se retrouve aujourd'hui à la croisée des chemins dans l'industrie forestière, parce que, dans le passé, tant les gouvernements libéraux que les gouvernements conservateurs ont préféré se concentrer sur l'industrie pétrolière de l'Ouest et sur l'industrie automobile de l'Ontario, et pas du tout sur l'industrie du bois d'œuvre.
Deux grands volets me viennent à l'esprit. Il y a ces accords commerciaux qui, quelquefois, rendent plus difficile l'épanouissement du secteur forestier, mais il y a aussi la recherche-développement. Une statistique me frappe: à partir du début des années 1970 jusqu'à la fin des années 2000, l'ensemble des Canadiens a investi collectivement 70 milliards de dollars dans l'industrie des sables bitumineux, parce que cette technologie n'était pas rentable. Mon père dirait que c'est une beurrée. Eh bien, c'est une méchante beurrée. Sur ces 70 milliards de dollars, 14 milliards de dollars venaient du Québec.
Il y a une chose à savoir, qui est assez embêtante et sur laquelle j'aimerais insister un peu. Il s'agit du mal hollandais. Une étude de PricewaterhouseCoopers faisait la démonstration il y a quelques années que, quand le dollar canadien gagne un cent, il y a un effet domino immédiat, et l'industrie forestière perd 500 millions de dollars. Effectivement, c'est une industrie d'exportation qui suppose qu'on soit concurrentiel. Quand on investit 70 milliards de dollars dans l'industrie pétrolière, on vient de faire, en bon français, une jambette à l'industrie forestière. On est dans un autre contexte aujourd'hui et j'espère que le gouvernement saura prendre la balle au bond.
Je voudrais revenir rapidement sur ce qu'ont pu représenter pour le secteur forestier les deux grandes crises que nous avons vécues. La crise qui a débuté en 2003 et qui s'est terminée en 2008 a causé, seulement pour le Québec, la perte de 11 329 emplois dans le secteur forestier. De janvier 2009 à janvier 2012, ce sont 8 600 emplois qui ont été perdus. Les gouvernements en place à cette époque ont été inactifs. Je me rappelle que les conservateurs promettaient en 2005 des garanties de prêt pour l'industrie forestière.
Ce qui est embêtant, c'est que la stratégie américaine est de faire en sorte que les grands producteurs forestiers s'essoufflent. Quand ils s'essoufflent, ils finissent par accepter une entente au rabais. C'est souvent ce qui est arrivé, je pense. Depuis 2017, on n'a pas d'entente. J'ai donc l'impression que c'est ce qu'on est encore en train de faire. On souhaite que l'industrie forestière s'essouffle et accepte une entente au rabais. Pendant ce temps, le gouvernement n'agit pas. Il n'offre pas de garanties de prêt. Ni Développement économique Canada pour les régions du Québec ni Exportation et développement Canada ne propose de stratégie pour développer de nouveaux marchés. On ne fait pas d'investissements dans la recherche-développement. Non, on préfère se concentrer sur les secteurs habituels: le pétrole et l'industrie automobile.
En résumé, de 2005 à 2011, l'industrie forestière du Québec a perdu 30 % de toutes ses forces, passant de 130 000 travailleurs en 2005 à à peine 99 000 en 2011. De 2004 à 2005 et de 2012 à 2013, on a observé une baisse de 38 % des emplois en sylviculture et en récolte de bois, ce qui a fait baisser le nombre d'emplois à un peu plus de 10 000 dans ces secteurs. C'est une catastrophe pour le Québec et, encore une fois, le gouvernement n'a pas appris de ses erreurs. Dans la négociation de l'ACEUM, il a préféré tenir ce fameux discours selon lequel le fruit n'était pas encore assez mûr. À un moment donné, nous attraperons la balle au bond et nous ferons mûrir notre propre fruit. Nous aurons alors notre projet de pays.