Monsieur le Président, nous débattons aujourd'hui d'un projet de loi qui vise à supprimer les mesures de protection qui encadrent le régime actuel relativement à l'euthanasie et au suicide assisté. Le débat s'est ouvert hier, et je souhaite préciser ma pensée.
Hier, j'ai parlé de certains des problèmes philosophiques qui sous-tendent la volonté du gouvernement de supprimer ces mesures de protection. Dans une société où l'euthanasie et le suicide assisté sont permis par la loi, on comprend mieux ces principes philosophiques lorsqu'on tient compte de l'expérience des personnes et des familles qui ont été touchées par cette pratique, et des préoccupations des gens qui seront encore plus touchés par son élargissement et par la suppression des mesures de protection.
À l'époque de l'arrêt Carter, on s'attendait à la mise en place d'un régime juridique à portée limitée. Toutefois, nous constatons que l'élargissement se poursuit à une vitesse alarmante sur le plan des politiques et des pratiques avec ce projet de loi. Étant donné que ce projet de loi a été présenté avant l'examen législatif prévu, il semble que le rythme auquel on retire les mesures de protection et on élargit les critères d'admissibilité continuera de s'accélérer. Depuis la légalisation de l'euthanasie, les taux d'euthanasie et de suicide assisté ont augmenté de manière spectaculaire chaque année, passant d'environ mille en 2016 à cinq fois plus en 2019. L'augmentation de ces taux ne montre aucun signe de ralentissement.
Nous entendons de plus en plus d'histoires d'horreur sur la façon dont le régime actuel a déjà changé la dynamique du système de santé. Ma grand-mère était une survivante de l'Holocauste, je connais donc les effets traumatisants qui se font encore sentir bien des années plus tard et qui peuvent même ne jamais totalement disparaître pour bon nombre de survivants. Un exemple d'euthanasie à la maison de soins infirmiers Louis Brier à Vancouver — un établissement juif qui compte des survivants de l'Holocauste parmi sa clientèle — a été particulièrement traumatisant pour les résidants et les employés.
La Dre Ellen Wiebe a rencontré Barry Hyman et sa famille au printemps 2018 et elle a déterminé qu'il répondait à tous les critères. Elle s'est plus tard rendue à la maison de soins infirmiers et elle a fermé la porte de la chambre de M. Hyman sans consulter le personnel ni l'informer de ses intentions. La Dre Wiebe a tué M. Hyman dans la soirée du 29 juin, sans consulter les principaux dispensateurs de soins du patient à la maison de soins infirmiers. Elle avait peut-être de bonnes intentions, mais le fait qu'elle s'introduise en douce dans une maison de soins infirmiers et qu'elle nous demande ensuite de nous fier à ses notes comme preuve du consentement du patient soulève de graves préoccupations.
Le Dr Keselman, directeur de la maison de soins infirmiers Louis Brier, est d'accord. Il a déclaré:
Imaginez comment se sentent les employés, les résidants et leur famille. Nous avons beaucoup de survivants de l'Holocauste. On parle d'une médecin qui s'est faufilée dans la chambre d'un résidant et qui l'a tué sans le dire à personne. Les résidants se sentiront en danger sachant qu'une personne est entrée en cachette et qu'elle a tué un autre résidant.
Clairement, dans ce cas, la Dre Wiebe est allée trop loin. Je doute que la plupart des médecins agissent ainsi, mais des analyses effectuées dans d'autres pays montrent qu'un petit nombre de médecins militants favorables à l'euthanasie sont surreprésentés parmi les cas qui présentent des problèmes. La majorité des médecins font de leur mieux, mais beaucoup de morts peuvent résulter des choix d'un petit groupe de personnes qui vont trop loin.
Dans le rapport d'une étude qui portait sur l'euthanasie en Hollande entre 2012 et 2016, les bioéthiciens David Miller et Scott Kim, des National Institutes of Health des États-Unis, ont constaté que, là où les exigences n'étaient pas assez rigoureuses, l'application de la loi aux gens vulnérables pouvait poser de graves problèmes.
Pendant la période étudiée, MM. Miller et Kim ont recensé 33 cas où les médecins avaient contrevenu à au moins une règle lorsqu'ils ont aidé quelqu'un à mourir, bien que, apparemment, aucune de ces erreurs n'ait justifié de poursuites au criminel. Les deux chercheurs ont souligné en particulier la surreprésentation de certains médecins militants parmi les cas qui ont soulevé des préoccupations.
En 2016, j'ai pris la parole à la Chambre au sujet d'un autre cas où un médecin canadien avait déclaré, avant même d'examiner son patient dépressif, que celui-ci était admissible à l'euthanasie parce qu'il « pourrait facilement avoir des plaies de lit puis mourir d'une infection ». Dans ce cas, la mort d'une personne a été déclarée raisonnablement prévisible avant même qu'elle soit examinée parce qu'elle pouvait en théorie mourir de plaies de lit qui ne s'étaient même pas encore déclarées.
Il est étonnant que nous puissions étudier ces cas au Canada, étant donné les énormes lacunes en matière de collecte de données. On ne prévoit nullement un examen juridique préalable visant à déterminer si les critères sont respectés. Il n'y a aucune norme nationale en matière de collecte de données. En fait, dans bien des cas de mort par euthanasie, le certificat de décès n'indique même pas que c'est la cause du décès.
La plupart des personnes qui ont eu de mauvaises expériences ne peuvent pas en témoigner. Les données dont parle le gouvernement sont gravement limitées en raison de ces réalités. Durant le débat au sujet du dernier projet de loi sur l'euthanasie, nous avons essayé de proposer des mécanismes pour améliorer la collecte de données et la production de rapports pour rendre possibles l'évaluation et la protection, mais, à l'époque, le gouvernement a malheureusement fait la sourde oreille.
Ceux qui ont vécu une expérience négative et ont survécu sont réticents à se manifester, et c'est compréhensible. Toutefois, j'aimerais raconter l'histoire d'une personne proche de moi, avec sa permission. Cette personne a eu un échange négatif avec le système après le lancement du régime. Voici l'histoire de Taylor.
Taylor Hyatt est une femme dans la vingtaine qui faisait partie de mon personnel. Elle est atteinte de paralysie cérébrale. Elle est rayonnante, douée et très dynamique. Il y a quelques années, elle s'est rendue à l'hôpital avec les symptômes du rhume. On lui a dit qu'elle aurait probablement besoin d'oxygène et on lui a demandé si c'est ce qu'elle voulait. Elle a répondu « oui, bien entendu », mais les médecins ont insisté et lui ont demandé si elle en était certaine. Taylor s'est fait demander si elle voulait bel et bien de l'oxygène. Elle n'avait qu'une pneumonie.
À la lecture de ce que le gouvernement propose pour rendre plus courantes l'euthanasie et l'aide médicale à mourir, pour élargir les critères d'admissibilité et supprimer les quelques mesures de sauvegarde existantes, il y a lieu de poser la question: « Êtes-vous certains? »
Comme ces exemples le montrent, il est justifié de s'inquiéter des cas où l'euthanasie ou l'aide médicale à mourir serait pratiquée sur-le-champ ou sans témoin. Si plusieurs proches et membres du personnel de la santé peuvent constater, sur une période donnée, que la personne est certaine de vouloir opter pour cette procédure, il y a moins de risques que des abus soient commis ou qu'on exploite sa vulnérabilité.
Imaginons toutefois le cas suivant. Un lundi, les enfants vont visiter leur mère à l'hôpital. Elle semble avoir une bonne journée. À aucun moment, il n'est question de désir de mourir. Elle éprouve une certaine douleur, mais l'infirmière dit avoir une bonne idée de la façon de la soulager. L'infirmière pense qu'elle doit ajuster la dose de certains médicaments afin de réduire la douleur et elle précise qu'elle en parlera au médecin à la première occasion. Les enfants quittent l'hôpital l'esprit tranquille.
Le mercredi suivant, les enfants apprennent que leur mère est décédée. On leur dit que lorsqu'elle a rencontré le médecin, elle éprouvait d'énormes souffrances et qu'elle a exprimé sa volonté de mourir. En conséquence, elle a été tuée sans délai. Les enfants n'ont pas eu la chance de lui dire au revoir et ils ignorent si le médecin a eu tort ou raison.
Leur mère voulait peut-être vraiment mourir, mais il est possible qu'elle ait vécu un moment de découragement qui aurait passé. Ses enfants ne connaîtront jamais les détails ou la situation exacte. Faute de témoins et d'un examen juridique, ils ont accès à très peu de preuves. Si leur mère voulait vraiment mourir, c'était son droit. Toutefois, aurait-il été complètement déraisonnable que le médecin attende quelques jours afin que les enfants aient l'occasion de parler de cette décision avec leur mère?
Ce cas précis montre exactement ce sur quoi nous devrions nous pencher pendant notre étude de ce projet de loi. Le système juridique actuel exige la présence d'au moins deux témoins indépendants qui ne sont pas des employés rémunérés, en plus d'une période de réflexion de 10 jours. Je tiens à souligner, comme d'autres députés l'ont déclaré et comme le gouvernement a généralement échoué à le reconnaître, qu'il existe déjà un mécanisme pour lever la période de réflexion de 10 jours.
Toutefois, la période de 10 jours est une règle générale qui est ouverte aux variations. Elle établit le principe général et primordial selon lequel la vie d'une personne ne devrait pas lui être enlevée en raison d'un sentiment de désespoir passager ou parce que ses doses de médicaments sont temporairement inadéquates.
C'est incompréhensible de réduire le nombre de témoins et d'éliminer la période de réflexion, comme le gouvernement le propose, alors que des dispositions sont déjà prévues pour y renoncer et gérer cette situation efficacement au cas pas cas.
D'autres députés ont peut-être vécu des expériences similaires. Je peux affirmer qu'un de mes amis proches souffrait de dépression il y a quelques années. Son état d'esprit fluctuait drastiquement de jour en jour. Certains jours, il ne pouvait pas s'imaginer continuer, tandis que d'autres jours, il se sentait redevenir lui-même, selon ses propres mots.
Reconnaissant la réalité de ces fluctuations et le caractère évolutif de l'état de la situation des personnes, il m'apparaît horrible que quelqu'un puisse choisir, et obtenir, l'euthanasie ou l'aide au suicide en seulement quelques heures, sans la présence de témoins indépendants ni période de réflexion. Par conséquent, le gouvernement doit supprimer du projet de loi les dispositions qui portent sur la réduction du nombre de témoins et l'élimination de la période de réflexion.
Le gouvernement a prévu dans ce projet de loi un article relatif à ce qu'on appelle le consentement préalable. Le mécanisme est le suivant: en tant que patient répondant aux critères, je pourrais demander à mourir le 1er juin, même si j'avais alors perdu mes capacités. Mon consentement actuel suffirait pour que l'on m'ôte la vie le 1er juin. Toutefois, le projet de loi ne prévoit pas la nécessité de me demander comment je me sens le 1er juin.
Supposons que je sois aux prises avec une perte de capacité et que j'en craigne les conséquences, sans savoir ce que ce serait que de régresser mentalement comme les médecins l'ont prédit. Supposons que, dans cet état de crainte, je signe un consentement préalable, mais que, le 1er juin, alors que j'ai effectivement perdu une grande partie de mes capacités, j'aie en fait une qualité de vie bien supérieure à celle que je redoutais.
Le consentement préalable que j'ai donné dans l'ignorance de ma situation future doit-il prévaloir contre les sentiments que j'éprouve à ce moment-là? Il ne s'agit pas d'une simple spéculation.
Je me permets de citer un article du Washington Post sur une affaire néerlandaise concernant une directive anticipée. On peut y lire ce qui suit:
La patiente, désignée dans les documents officiels sous le seul numéro de « 2016-85 », avait fait, par directive anticipée, une demande d'euthanasie en cas de démence. Or, la directive était formulée de manière ambiguë, et la patiente n'était plus en mesure de préciser sa volonté au moment de son placement en maison de retraite, quoique son mari eut demandé l'euthanasie en son nom.
Malgré l'absence d'une déclaration limpide de la part de la patiente, un médecin a conclu que sa souffrance était insupportable et incurable, en dépit de l'absence de maladie physique en phase terminale, et a préparé l'injection mortelle.
Pour s'assurer la docilité de la patiente, le médecin lui a donné un café contenant un sédatif et, lorsque la femme a encore reculé à l'approche de la seringue, il a demandé aux membres de la famille de l'immobiliser. Après 15 minutes passées à essayer de trouver une veine, le médecin a administré l'injection mortelle.
Dans ce projet de loi, le gouvernement a essayé d'éviter ce cas extrême en précisant que le consentement préalable ne s'appliquerait qu'à une date donnée et que la procédure ne devrait pas se poursuivre si le patient refusait clairement l'euthanasie. Malheureusement, cela laisse encore une énorme place aux abus.
Dans le genre de situation que je viens de mentionner, supposons que la patiente reçoive un sédatif plus puissant afin qu'elle n'ait pas du tout conscience de ce qui se passe et qu'elle ne résiste en aucune façon. Ce genre de situation serait permise selon ce projet de loi. On ne serait pas obligé d'aviser la patiente ou de la consulter au moment d'administrer l'aide médicale à mourir. Si la patiente a accordé son consentement d'avance, on considère que c'est suffisant.
Dans presque tous les cas, le fait que les dispositions législatives en place exigent qu'on obtienne le consentement au moment de l'acte médical est important, et c'est essentiel pour respecter l'autonomie du patient. Pour que je sois vraiment libre, il ne faut pas que je sois assujetti aux directives que j'ai données par le passé. Les directives que j'ai fournies auparavant ne devraient pas dicter mon comportement futur de façon irrévocable.
On pourrait toujours permettre le consentement préalable, mais en apportant des modifications afin de mettre en place un mécanisme permettant d'aviser et de consulter le patient au moment d'administrer l'aide médicale à mourir, même si ses facultés sont limitées. J'encourage le gouvernement à envisager cette possibilité.
Le gouvernement devrait être prêt à considérer ces problèmes et ces solutions, et il devrait envisager, d'une part, de retirer les dispositions du projet de loi qui élimineraient dangereusement des mesures de sauvegarde et, d'autre part, de renforcer les dispositions entourant le consentement préalable afin que le patient soit avisé et consulté au moment d'administrer l'aide médicale à mourir.
Enfin, prenons un instant pour réfléchir aux objectifs des mesures de sauvegarde.
Certains députés jugent qu'il n'est pas nécessaire de prévoir des mesures de sauvegarde concrètes, car nous devrions croire en la capacité des professionnels de la santé et des patients de prendre les bonnes décisions. Le secrétaire parlementaire s'est servi de données générales sur des tendances dans ce domaine pour laisser entendre qu'il n'y a pas de risque d'abus.
Soyons bien clairs: les mesures de sauvegarde ont été mises en places non pas pour les cas généraux, mais bien pour les cas exceptionnels. Même si la vaste majorité des cas ne sont pas problématiques, nous tentons d'instaurer des mécanismes de vérification raisonnables afin de détecter les cas d'abus et les situations où des personnes vulnérables peuvent subir des pressions pour demander l'aide médicale à mourir, même si ce n'est pas ce qu'elles veulent.
Nous n'avons pas besoin de policiers parce que la plupart des gens violent la loi, mais parce que certains le font. De même, nous n'avons pas besoin de services d'incendie ni de règles et de protocoles exhaustifs en matière de prévention des incendies parce que la plupart des logements brûlent, mais parce que certains d'entre eux pourraient prendre feu.
J'espère que le débat permettra de montrer qu'il existe actuellement un nombre minime de mesures de protection juridiques, et que nous pouvons prévoir des mesures de sauvegarde raisonnables, telles qu'une brève période de réflexion pouvant être levée et la présence obligatoire de témoins indépendants qui, comme les gicleurs dans cette salle et les gardiens de sécurité veillant sur nous, s'assurent qu'il n'y a aucun dérapage.
Dans l'intérêt des personnes vulnérables, ne renvoyons pas les gardiens de sécurité et n'enlevons pas les gicleurs uniquement pour des motifs idéologiques.