Le 13 décembre 2019, le député de New Westminster—Burnaby a soulevé une question de privilège alléguant que le gouvernement s’était rendu coupable d’outrage à la Chambre. Il a soulevé cette question, car il estimait que le gouvernement ne se conformait pas à une motion demandant au gouvernement de respecter la décision du Tribunal canadien des droits de la personne ordonnant que les survivants des pensionnats indiens soient indemnisés.
Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur cet outrage allégué.
Comme il s'agit de ma première décision, j'aimerais présenter à la Chambre la façon dont nous pourrions traiter les questions de privilège et les rappels au Règlement à venir.
Bien qu'ils soient différents, les questions de privilège et les rappels au Règlement concernent tous deux un écart perçu aux normes établies, soit à l'égard de l'autorité du Parlement et de ses droits, immunités et pouvoirs reconnus, soit à l'égard des règles, pratiques et usages de la Chambre; tous deux s'appuient sur de nombreux précédents.
À titre de Président, mon rôle est de protéger les privilèges des députés et de cette Chambre, et d'interpréter les règles lorsqu'elles sont remises en question ou contestées.
Dans l’exécution de cette responsabilité, mon objectif sera d’appuyer la Chambre dans l’exercice de ses activités. Pour bien y parvenir, il me faut comprendre le sujet de l’objection soulevée par un député au moyen d’une question de privilège ou d’un rappel au Règlement.
Avec l’aide de la Chambre, je dois comprendre la nature de la plainte afin de cerner ce qui est mis en doute. Il s’agit de la question en litige et ces renseignements seront suffisants dans la plupart des cas pour que je puisse rendre une décision. Il ne sera donc pas toujours nécessaire d’entendre des arguments additionnels en faveur ou en défaveur de l’objection en question, en particulier des arguments où l’on cite des précédents accessibles dans les ouvrages.
En tant que Président, je me dois d’être impartial et de respecter les règles, usages et précédents que j’interpréterai au meilleur de mes connaissances. Aussi, afin de bien servir la Chambre, je suis d’avis qu’il est préférable de rendre des décisions rapidement plutôt que de laisser ces contestations relatives au privilège ou aux règles et usages en suspens trop longtemps.
En l'espèce, le député de New Westminster—Burnaby a présenté sa plainte de manière claire et concise, et je l'en remercie sincèrement. Comme il allègue que certaines actions du gouvernement constituent un outrage, je suis d'avis qu'il est utile de définir ce qu'est un outrage au Parlement.
La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, à la page 81, définit l'outrage ainsi: « [...] transgresse l'autorité ou la dignité de la Chambre, par exemple la désobéissance à ses ordres légitimes ou des propos diffamatoires à son endroit ou à l'endroit de ses députés ou hauts fonctionnaires. »
Comme la prétention du député de New Westminster—Burnaby est qu’il y a: « […] une contradiction évidente entre la directive donnée par la Chambre et la réponse du gouvernement », la question principale est donc de décider si la motion adoptée par la Chambre le 11 décembre 2019 était en fait un « ordre légitime » qui oblige le gouvernement à agir d’une manière précise ou s’il s’agit de l’expression d’une opinion de la Chambre. Autrement dit, la motion était-elle un ordre ou une résolution?
La motion en question débute en déclarant que la Chambre demande au gouvernement de respecter une décision du Tribunal canadien des droits de la personne. Ce libellé, soit demander au gouvernement de prendre une mesure particulière, est fréquemment utilisé dans les motions adoptées par la Chambre et est typique d’une résolution.
La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, nous rappelle aux pages 536 et 537 ce qui suit: « Une résolution de la Chambre exprime une opinion ou une intention; elle n'exige pas la prise d'une mesure, pas plus qu'elle ne lie la Chambre. »
Même si le libellé de la motion avait été quelque peu différent, il s’agirait tout de même d’une résolution non contraignante, dont l’effet n’a pas la nature obligatoire d’un ordre ou, encore moins, d’une loi.
Pour qu’une motion constitue un ordre de la Chambre, elle doit avoir trait aux questions pour lesquelles la Chambre, agissant seule, a le pouvoir d’exiger une action. Il en est ainsi lorsque la Chambre convoque des personnes et exige la production de documents ou de dossiers, ou lorsqu’elle régit ses procédures internes. Ce n’est qu’en pareille circonstance que la présidence déciderait si le non-respect d’un ordre donné a constitué, à première vue, un outrage.
En l’espèce, la motion est clairement une résolution qui exprime l’opinion de la Chambre selon laquelle le gouvernement doit prendre certaines mesures. Elle n’ordonne pas au gouvernement de prendre ces mesures, et la Chambre ne pourrait pas non plus agir ainsi au moyen d’une résolution. Par conséquent, la motion ne peut être considérée comme étant contraignante pour le gouvernement.
Afin d'appuyer cette conclusion, je renvoie les députés à une décision que mon prédécesseur a rendue sur une question similaire le 16 octobre 2018, à la page 22460 des Débats, où il a déclaré:
La Chambre adopte régulièrement des motions, du consentement unanime ou par une simple majorité, ayant pour objectif de permettre aux députés de se prononcer sur toutes sortes de questions. Selon leur intention, ces motions prennent la forme d'une résolution ou d'un ordre. Les motions visant à faire des déclarations d'opinion sans ordonner ni exiger de prendre des mesures, [...] peu importe la façon dont elles sont formulées, sont considérées comme des résolutions. [...]
Les motions de ce genre ne peuvent lier le gouvernement ou l'empêcher de s'engager dans une voie donnée.
En me fondant sur cette analyse et sur les précédents établis, je ne peux conclure que la question soulevée par le député de New Westminster—Burnaby constitue, à première vue, un outrage à la Chambre.
Je remercie les députés de leur attention.