Madame la Présidente, je remercie le Parti libéral de partager son temps de parole avec moi pour me permettre d'exprimer mon point de vue dans le cadre de cet important débat sur le nouvel ALENA ou, comme on l'appelle maintenant, l'ACEUM.
Dans un premier temps, je félicite l'équipe de négociateurs canadiens d'avoir conclu cet accord avec l'administration américaine qui, pour le moins qu'on puisse dire, n'est pas une interlocutrice facile.
Cet accord n'est pas parfait. En qualité de parlementaires, nous sommes appelés à choisir entre l'ancienne version de l'ALENA et sa nouvelle mouture. L'ALENA initial a permis de créer une chaîne d'approvisionnement intégrée qui bénéficie aux entreprises et aux entrepreneurs. Malheureusement, cet accord comporte de nombreuses lacunes qui ont engendré et accéléré les inégalités.
Depuis plus d'une décennie, le Parti vert réclame la renégociation de l'ALENA et la suppression des dispositions qui posent problème. À notre avis, les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États et la disposition de proportionnalité constituent les pires éléments de l'accord initial. Heureusement, ils ne figurent pas dans l'ACEUM. Les dispositions sur le règlement des différends investisseurs-États qui figuraient dans l'ALENA permettaient aux entreprises étrangères de réclamer auprès de tribunaux d'arbitrage privés une indemnisation financière des contribuables lorsque la législation et la réglementation d'un pays nuisaient à leurs profits. Le Canada est le pays qui a été le plus poursuivi aux termes de ces dispositions de l'ALENA et les contribuables canadiens ont payé des millions de dollars à des entreprises américaines. Cependant, aucune société canadienne n'a réussi à obtenir une indemnisation du gouvernement américain.
Pendant plus de 10 ans, je me suis efforcé de sensibiliser les gens aux problèmes créés par les dispositions sur le règlement des différends entre les investisseurs et l'État. Ces dispositions sont antidémocratiques et font obstacle aux bonnes politiques publiques et aux bonnes protections environnementales, y compris en matière de lutte aux changements climatiques. Je suis heureux de constater que les dispositions sur le règlement des différends entre les investisseurs et l'État ont été retirées de l'ACEUM. C'est une bonne chose. J'aimerais qu'on retire ces dispositions de tous les accords de libre-échange et traités d'investissement que le Canada a signés. Elles devraient d'ailleurs être exclues de tout accord futur.
Selon la disposition de proportionnalité de l'ALENA, le Canada devait exporter la même proportion de ressources énergétiques que la moyenne des trois années précédentes, et ce même en cas de crise de l'énergie. Le Mexique s'opposait à l'ajout de cette disposition. Le Canada, le pays le plus froid des partenaires de l'ALENA, avait abandonné trop de contrôle sur son secteur de l'énergie. Heureusement, la disposition de proportionnalité a été retirée de l'ACEUM. C'est aussi une bonne chose.
Le maintien de l'exception sur les exportations massives d'eau est encourageant, et l'exception culturelle canadienne reste intacte. Je considère aussi cela comme des gains.
Le Parti vert croit dans des accords commerciaux justes et équitables qui ne profitent pas des normes moins élevées en matière de main-d’œuvre, de santé, de sécurité ou d'environnement dans d'autres pays, ou qui entraînent un abaissement des normes canadiennes. Bien réalisés, les échanges commerciaux peuvent être un moyen efficace d'améliorer les conditions des gens et de la planète plutôt que d'entraîner un nivellement par le bas.
Les accords de libre-échange ont permis à des entreprises de tirer parti de normes et de salaires inférieurs aux nôtres ailleurs. Bien des emplois canadiens se sont retrouvés au Mexique dans le cadre de l'ALENA pour cette raison. Cela a affaibli les secteurs de la fabrication et du textile canadiens et a entraîné la perte de centaines de milliers d'emplois bien rémunérés au pays. Au moment de la négociation et de la signature de l'ALENA, on avait promis aux Canadiens que cet accord serait bon pour la prospérité du pays. En fait, l'ALENA a permis aux riches d'accroître leur richesse au détriment des travailleurs canadiens qui, eux, n'ont pas vu leur salaire augmenter.
Lorsque j'étais observateur international des droits de la personne dans les années 1990, j'ai accompagné des militants pour les droits des travailleurs qui voulaient essayer de syndiquer les travailleurs des ateliers de misère du Guatémala où étaient produits des biens bon marché pour le marché nord-américain. Le simple fait qu'on essayait de syndiquer les travailleurs a entraîné de l'intimidation, de la violence, des disparitions et des meurtres. Ce n'est pas ainsi que doit fonctionner le commerce international. Je suis heureux de voir que l'Accord Canada—États-Unis—Mexique resserrerait l'application des normes du travail au Mexique, garantirait la liberté d'association et le droit à la négociation collective aux travailleurs mexicains et contribuerait à renforcer le mouvement syndical dans ce pays. L'Accord prévoit un mécanisme d'intervention rapide en cas de violation des droits des travailleurs.
Ces normes du travail sont renforcées dans la nouvelle version améliorée de l'Accord grâce aux efforts des démocrates aux États-Unis qui n'étaient pas satisfaits de la première version signée parce que celle-ci ne prévoyait ni des normes du travail ni un mécanisme d'application de ces normes acceptables.
Les démocrates ont aussi réussi à annuler la prolongation des brevets des médicaments biologiques prévue dans la première version de l'Accord. En plus de permettre aux consommateurs canadiens d'économiser, ce changement fera baisser ce qu'il en coûtera pour doter le Canada d'un régime universel d'assurance-médicaments.
Heureusement que le Parlement canadien ne s'est pas précipité pour ratifier la première version signée de l'Accord, car nous pouvons désormais bénéficier des changements importants apportés par les démocrates américains.
Les dispositions relatives aux règles d'origine ont elles aussi été améliorées. La proportion de contenu nord-américain requis pour qu'un bien soit considéré comme d'origine nord-américaine a été rehaussée. Le texte prévoit désormais que les automobiles doivent comporter 70 % d'acier et d'aluminium provenant d'Amérique du Nord, mais s'il garantit que l'acier sera produit dans l'un des trois pays signataires, il n'exige rien de tel pour l'aluminium, ce qui est déplorable.
La gestion de l'offre dont jouissent les producteurs de lait et de volaille demeurera intacte, sauf que les produits laitiers en provenance des États-Unis pourront dorénavant être importés au Canada. Il s'agit d'un coup dur pour la pérennité des fermes canadiennes, et les agriculteurs d'ici devront être indemnisés.
De nombreux produits laitiers d'origine américaine contiennent en outre une hormone de croissance bovine génétiquement modifiée, la rBGH, qui est interdite au Canada. Il nous faudra donc légiférer afin d'interdire les produits américains contenant cette hormone ou à tout le moins d'exiger qu'ils soient étiquetés en conséquence.
L'Accord Canada—États-Unis—Mexique présente quelques avancées en matière de protection de l'environnement. Les pays signataires se sont engagés à respecter les obligations qui leur incombent en vertu d'un certain nombre de traités multilatéraux sur l'environnement qu'ils ont signés. Ces accords sont tous exécutoires. Cependant, l'Accord ne mentionne pas les changements climatiques ni l'obligation pour les trois pays de respecter leurs engagements dans le cadre des accords sur le climat. Les objectifs en matière de lutte contre les changements climatiques fixés à Paris sont contraignants, mais il n'existe aucun mécanisme d'application ni aucune sanction dans le cas des pays qui ne respectent pas leurs engagements.
L'intensification du commerce des biens accélérera les changements climatiques. L'une des meilleures façons de lutter contre les changements climatiques, c'est de faire en sorte que l'économie soit aussi locale que possible. C'est particulièrement vrai dans le cas des produits agricoles. Les échanges commerciaux superflus, comme l'importation de marchandises qui peuvent facilement être produites à l'échelle locale, n'ont aucun sens.
L'Accord Canada—États-Unis—Mexique suscite d'autres préoccupations. Il ne règle pas le conflit du bois d'œuvre qui dure depuis des décennies entre le Canada et les États-Unis. Pour assurer la pérennité de l'industrie forestière canadienne, il est nécessaire d'obtenir un accord adéquat sur le bois d'œuvre.
Le chapitre sur les bonnes pratiques de réglementation suscite également des préoccupations. Qui décide de ce qui constitue une bonne pratique de réglementation? Ce processus mettra-t-il en cause uniquement les entreprises et les gouvernements, ou bien fera-t-il aussi appel aux organismes de la société civile qui représentent les travailleurs, les consommateurs et les défenseurs de l'environnement?
La prolongation de la période visée par le droit d'auteur, qui passera de 50 à 75 ans après le décès de l'auteur, est un changement inutile.
Il est paradoxal d'entendre les conservateurs se plaindre de ne pas avoir suffisamment d'accès pendant le processus de négociation et de devoir étudier un accord qui est un fait accompli. Cela en dit vraiment long sur l'absence d'un processus clair et transparent de négociation des accords commerciaux. Le processus de négociation de l'Accord Canada—États-Unis—Mexique comprenait des séances d'information pour un groupe élargi d'intervenants, qui ne se limite pas aux entreprises et aux sociétés qui ont été consultées dans le passé. Il s'agit d'une amélioration, mais il y a encore du travail à faire pour rendre le processus de négociation des accords commerciaux plus transparent. Il est inacceptable que les Canadiens et les parlementaires qui les représentent ne puissent participer à un débat sur les mérites d'un accord commercial qu'une fois qu'il a été achevé et signé.
Tant les libéraux que les conservateurs se sont plaints de la nature secrète du processus de négociation lorsqu'ils formaient l'opposition. Les verts estiment que nous devrions suivre le même processus que l'Union européenne pour négocier des accords commerciaux. Nous devrions avoir une discussion et un débat ouverts et transparents sur les objectifs du Canada avant le début des négociations. Ce débat devrait se poursuivre pendant les négociations et après leur conclusion. De plus, une analyse socioéconomique des répercussions et des avantages potentiels d'un nouvel accord commercial devrait être mise à la disposition de tous les Canadiens.
Depuis des années, je m'oppose haut et fort au modèle de libre-échange des entreprises. Par conséquent, les gens qui me connaissent se demanderont peut-être pourquoi j'ai l'intention d'appuyer l'Accord Canada—États-Unis—Mexique. Ce n'est pas un accord parfait, le processus de négociation est boiteux et nous pouvons et devons faire mieux, mais il faut faire un choix entre conserver l'ancien ALENA imparfait et ratifier la nouvelle version améliorée. Il est préférable de faire un pas en avant plutôt que de maintenir le statu quo.