Madame la Présidente, nous en sommes là, plusieurs semaines après le dépôt du projet de loi C-4, Loi portant mise en œuvre de l'Accord entre le Canada, les États-Unis d'Amérique et les États-Unis mexicains.
Il est de plus en plus évident que cette entente entre les États-Unis, le Canada et le Mexique a des conséquences graves sur l'économie du Canada et du Québec. C'est simple: cet accord mènera à une diminution de nos exportations vers les États-Unis et à une augmentation de nos importations en provenance de nos voisins du Sud. Les États-Unis auront ainsi réussi à réduire l'activité industrielle du Canada pour la déplacer dans leurs villes et leurs villages. La plus récente étude de l'Institut C.D. Howe estime que le PIB canadien subira des pertes de 14 milliards de dollars. C'est inquiétant.
L'agriculture canadienne, particulièrement celle du Québec, sera l'un des secteurs de l'économie les plus touchés par cette entente. Elle vivra une diminution importante de sa part de marché au détriment des États-Unis. Par ailleurs, que dire de plein d'autres avantages commerciaux et légaux en matière de droit d'auteur, de propriété intellectuelle, de marques de commerce et de protection des données que les États-Unis ont gagnés contre le Canada lors de ces négociations?
J'ai même entendu le négociateur en chef du Canada pour l'ACEUM dire que le gouvernement du Canada avait négocié avec les États-Unis sans aucune étude sur les conséquences de leurs décisions. Normalement, le processus de négociation d'un accord de libre-échange comme celui-là aurait dû durer trois ans. On aurait dû inviter les Canadiens à soumettre des études qu'on aurait débattues pour étudier les avantages à long terme pour notre économie. Dans le cas présent, les négociations ont été imposées par les États-Unis et, du côté canadien, on a fait de l'improvisation.
De plus, le gouvernement du Canada a précipité le processus d'étude du projet de loi C-4. Après avoir conclu l'entente l'an dernier, le gouvernement libéral, qui était majoritaire à l'époque, avait décliné les demandes de la Chambre des communes pour examiner les tenants et les aboutissants d'un éventuel projet de loi sur la mise en œuvre de l'ACEUM. C'était en mai dernier. Depuis, une élection générale a eu lieu le 21 octobre. La Chambre aurait pu commencer à siéger plus tôt, mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Nous avons finalement commencé la session parlementaire en décembre, mais sans parler de cet Accord. Nous aurions pu en discuter plus tôt en janvier, mais ce n'est pas arrivé non plus. Nous aurions même pu prendre le temps de le faire en mars, durant la semaine de relâche qui avait lieu la semaine dernière. Cependant, cela s'est fait de façon précipitée durant les réunions des comités.
Heureusement, comme le gouvernement est maintenant minoritaire, le ton a changé, ce qui a permis de réaliser des gains pour le Québec. La précipitation du gouvernement libéral cachait des choses. Le Bloc québécois a insisté et a réussi à faire prendre conscience au gouvernement des conséquences de ses décisions et de ses actes sur le Québec.
Il est heureux que le Bloc québécois ait su intervenir intelligemment afin de rendre cet accord moins défavorable au Québec. Si le Bloc québécois n'était pas intervenu, le gouvernement libéral aurait mené à mal l'industrie de l'aluminium du Québec, pourtant le plus propre au monde. En effet, l'ACEUM aurait sinon fait disparaître plus de 6 milliards de dollars en investissements de l'industrie québécoise de l'aluminium. Le Bloc québécois a réussi à sauver les meubles. Les négociations avec le Parti libéral sur le projet de loi C-4 ont démontré encore une fois toute l'importance du Bloc québécois à Ottawa.
Par contre, je déplore que l'ACEUM ne prévoie rien pour régler la crise du bois d'œuvre. On laisse encore les États-Unis décider du marché.
Je veux maintenant revenir sur les conséquences de l'Accord sur la vie rurale. Le Québec, c'est plus de 2 millions d'habitants qui vivent en région rurale. Dix-huit pour cent des Québécois habitent un village comme Saint-André-de-Kamouraska ou une petite localité urbaine comme Macamic dans l'ouest de l'Abitibi. Plus de 40 % des recettes des régions agricoles québécoises proviennent du secteur laitier. L'affaiblissement de la gestion de l'offre entraîne directement l'affaiblissement économique et social des régions rurales du Québec.
En fin de semaine dernière, j'étais au congrès de la Fédération de la relève agricole du Québec qui avait lieu chez moi, à Rouyn-Noranda. J'ai jasé avec plusieurs des producteurs de la relève, qui sont très inquiets des conséquences des modifications à la gestion de l'offre puisqu'un revenu stable et prévisible est important.
Dans l'ACEUM, tout comme dans les accords qui l'ont précédé, le Canada a laissé tomber les producteurs laitiers du Québec. Je rappelle que la majorité des fermes laitières au Canada sont au Québec. L'ACEUM concède plus de 3 % de notre marché laitier, ce qui est l'équivalent d'une perte annuelle de 150 millions de dollars de revenus pour les 2 millions de personnes vivant dans les régions rurales. Notre monde agricole, qui est pourtant au cœur même de la vitalité de nos villages, continue chaque année de s'affaiblir.
Je m'attends donc à ce que l'on pense à nos villes et à nos villages dans les différents programmes de compensation. Voilà pourquoi le Bloc québécois, les producteurs laitiers et les agriculteurs en général demandent un programme de soutien direct qui viendra compenser les pertes, et ce, dès le prochain budget — c'est-à-dire très bientôt — pour éviter d'ébranler la vitalité économique des régions rurales.
Le Canada semble faire fi de la réalité que la vie agricole et la gestion de l'offre sont créatrices d'emplois et d'investissements qui contribuent à l'existence d'une classe moyenne forte dans les régions rurales du Québec.
Heureusement, il y a quelques jours, le Bloc québécois a déposé un projet de loi visant à protéger la gestion de l'offre au Québec, advenant de futures négociations commerciales.
Grâce à ce projet de loi, le gouvernement fédéral ne pourra prendre d'engagement par traité ou entente en matière de commerce international qui aurait pour effet malheureux d'affaiblir la gestion de l'offre du Québec. Nos agriculteurs et nos producteurs auront enfin droit à la protection qu'ils méritent afin de faire face aux politiques de libre-échange ayant cours dans le monde. Il faut arrêter de contourner la gestion de l'offre. Ce projet de loi est essentiel. J'invite tous mes collègues de la Chambre des communes à appuyer ce projet de loi, car en plus d'être la proie facile des négociations, la gestion de l'offre est aussi victime de stratagèmes pour la contourner. Ce n'est plus un secret pour personne, les États-Unis utilisent depuis des années la protéine laitière pour contourner la gestion de l'offre. Avant, c'était pour écouler leurs surplus sur les marchés canadiens à des prix inférieurs à ceux exigés par nos producteurs. Maintenant, c'est comme une arme pour détruire la gestion de l'offre.
Avec le dernier accord, c'est littéralement la mise sous tutelle par les États-Unis de l'industrie des solides laitiers canadiens. Washington pourrait limiter la quantité de protéines que nos producteurs ont le droit de vendre dans le reste du monde. Les Américains pourraient ainsi évincer le Québec des marchés mondiaux. C'est attaquer directement notre souveraineté. Concrètement, nos producteurs pourraient se retrouver avec d'énormes surplus, et les surplus viendraient contrecarrer notre système et mettre en danger notre modèle de fermes agricoles familiales.
Pire, l'ACEUM exige également une consultation avec les États-Unis sur les modifications dans l'administration du système de gestion de l'offre pour les produits laitiers du Canada. Forcer une industrie canadienne à consulter son concurrent direct dans un autre pays sur les changements administratifs qu'elle pourrait apporter à l'avenir sur le plan national remet en question sa souveraineté.
C'est pourquoi le Bloc québécois recommande que le projet de loi C-4 soit accompagné des mesures suivantes: que les producteurs sous gestion de l'offre et les transformateurs soient entièrement dédommagés pour leurs pertes occasionnées par l'accord transpacifique, l'AECG et l'ACEUM et qu'un signal clair soit donné en ce sens dans le prochain budget; que les licences d'importation qui découlent des brèches à la gestion de l'offre soient octroyées prioritairement aux transformateurs plutôt qu'aux distributeurs et aux détaillants; qu'avant de ratifier l'ACEUM, le gouvernement considère le fait que si l'Accord entre en vigueur avant le 1er août 2020, les quotas d'exportation de protéines laitières pour 2020-2021 seront de 35 000 tonnes plutôt que de 55 000 tonnes si l'accord entre en vigueur après le 1er août; que le gouvernement mette en place une table permanente avec les producteurs et les transformateurs pour veiller à ce que la mise en place de ces contingents tarifaires à l'exportation se fasse de la manière la moins dommageable possible pour le secteur laitier.
Je parlais de l'importance de la stabilité des revenus. Cela aura des répercussions énormes, notamment pour la relève agricole. L'accès à la terre, tous les prêts des banques et autres programmes se font au moyen de garanties. Le système de quotas et la gestion de l'offre constituaient la principale garantie que les agriculteurs pouvaient offrir. Cela a des conséquences qu'on sous-estime encore et qui touchent les villes, les villages et les régions du Québec, notamment. Toutes ces défaites du Canada contre nos partenaires commerciaux lors des derniers accords affecteront directement l'économie rurale du Québec. Les derniers accords commerciaux négociés et acceptés par Ottawa n'ont créé que de l'incertitude dans les régions et les villages du Québec, particulièrement auprès des entrepreneurs agricoles, qui représentent généralement les développeurs économiques de leur milieu.
Il est évident que les principes de l'ACEUM auront des répercussions considérables sur les investissements dans les exploitations agricoles et dans les transformations, en plus d'entraîner des pertes d'emploi dans les villes et les villages. Les répercussions sur les producteurs agricoles ne concernent pas seulement les producteurs laitiers, mais également les agriculteurs, les vétérinaires, les fabricants d'équipements, les vendeurs d'équipements, les camionneurs et les fournisseurs d'aliments pour animaux. Ces pertes financières vont se répercuter sur les différentes autres PME qui survivent dans les villages. Pire, le développement social des villages sera affecté. Il y aura possiblement des pertes de services, des fermetures d'écoles, et ainsi de suite.
J'invite tous mes collègues de la Chambre à venir visiter la circonscription d'Abitibi—Témiscamingue, particulièrement à l'est du Témiscamingue, pour pouvoir comprendre les répercussions d'une fermeture d'école et même d'un seul magasin de détail. Est-ce possible, pour réduire les répercussions de toutes ces défaites, surtout celles sur la ruralité québécoise, qu'Ottawa cède enfin à la demande du Québec que les Québécois soient maîtres d'œuvre des programmes de développement régional? À la suite des résultats catastrophiques pour les ruralités du Québec, les programmes fédéraux devraient être modulés en fonction des régions rurales du Québec plutôt qu'être des programmes pancanadiens pensés par Ottawa. Si Ottawa n'est pas en mesure de protéger et de développer les ruralités du Québec, si Ottawa n'a pas à cœur les régions du Québec, qu'il laisse Québec gérer les programmes d'une façon plus structurante et gagnante pour le Québec.