Monsieur le Président, le Parlement est aujourd'hui saisi d'une motion très importante, et je tiens à remercier le chef du Parti conservateur ainsi que notre caucus de l'avoir présentée. Ce débat est un exemple de la manière dont le Parlement peut s'acquitter de ses fonctions, demander des explications au gouvernement et exiger des comptes de sa part pour un bilan plutôt maigre en matière d'affaires étrangères, mais également proposer des méthodes plus fructueuses. Voilà le but de cette motion de l'opposition, qui propose la création d'un comité parlementaire spécial sur les relations sino-canadiennes.
D'abord, j'aimerais formuler deux réflexions. La première, c'est qu'il y a aujourd'hui un an que les Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig ont été arrêtés par les autorités chinoises, qui les détiennent sans les avoir mis en accusation ni leur donner accès à un avocat, au mépris de la primauté du droit. La détention arbitraire de ces hommes est une réaction diplomatique à une arrestation à des fins d'extradition effectuée légalement par le Canada, un État de droit, au nom des États-Unis et à la suite de la décision d'un tribunal américain. Le Canada a agi dans le plein respect de ses traditions honorant la primauté du droit, et les actions de la Chine montrent et nous rappellent que ce pays ne respecte pas la primauté du droit.
Je suis convaincu que l'ensemble des conservateurs, des parlementaires et des Canadiens soutiennent, comme moi, la famille des deux Michael. Nous voulons que leur bien-être soit assuré et nous voulons qu'ils rentrent au Canada le plus tôt possible. Aujourd'hui, nous discuterons de différents aspects des relations sino-canadiennes ainsi que des nombreux défis et des quelques occasions qu'elles recèlent. Par contre, nous n'en dirons pas davantage au sujet des deux Michael, par respect pour l'affaire en cours, afin qu'elle puisse connaître une fin heureuse.
Le comité spécial que nous proposons constitue l'un des éléments prometteurs de cette motion. Il s'agirait d'un comité omnipartite et pluridisciplinaire qui serait habilité à étudier tous les aspects des relations sino-canadiennes — dossiers consulaires complexes, enjeux de sécurité nationale, commerce international, affaires mondiales — et à pouvoir le faire à huis clos s'il faut protéger des renseignements secrets ou sensibles. Ce serait probablement le meilleur endroit où discuter d'une solution permettant de régler rapidement l'affaire impliquant M. Spavor et M. Kovrig. J'espère que les députés ministériels y penseront au moment de la mise aux voies de notre motion, un peu plus tard.
J'espère que tous les députés comprennent que nous avons là l'occasion de mettre de côté l'élément politique tout en nous permettant de faire notre travail. Les Canadiens s'inquiètent du sort de ces citoyens. Les Canadiens sont bien au fait des questions liées à la Chine, qu'il s'agisse des îles de la mer de Chine méridionale, de Huawei, de la situation des Ouïghours ou des ambitions de la Chine dans l'Arctique, alors qu'elle s'autoproclame « État quasi arctique », un tout nouveau terme diplomatique qu'elle a elle-même créé.
L'épineuse relation que le Canada entretient avec la Chine constitue pour lui l'enjeu d'une génération en matière de politique étrangère. La situation se prête parfaitement à la mise sur pied d'un comité de parlementaires spécial chargé d'étudier cette relation afin de veiller à ce que le Canada arrive à bien concilier tous les éléments pertinents.
Voici le deuxième point que je veux soulever d'entrée de jeu: la Chine recèle un énorme potentiel. Or, pour pouvoir tirer parti de ce potentiel, surtout sur le plan des affaires et de l'exportation, le Canada ne peut pas et ne doit pas renoncer à son soutien sans faille de la primauté du droit et des droits de la personne ni cesser d'appuyer ses alliés et amis dans le monde. Dans bien des cas, si le Canada devait y laisser les valeurs qui lui méritent le respect depuis toujours, le jeu n'en vaudrait plus la chandelle.
Tous les gouvernements de l'ère moderne, à commencer par celui dirigé par le père du premier ministre actuel, ont tenté d'atteindre un équilibre entre, d'une part, la nécessité de tisser des liens commerciaux et de faire des affaires avec la Chine ainsi que de contribuer au développement de ses régions et, d'autre part, l'obligation de promouvoir les droits de la personne, la réforme démocratique, la primauté du droit et des normes plus élevées sur le plan des affaires mondiales. Ce pays recèle donc un énorme potentiel.
Je suis exaspéré de constater que, ces dernières années, le Parti communiste chinois semble avoir tourné le dos à l'engagement qu'il avait pris de devenir une puissance mondiale sérieuse et respectueuse des lois.
Il y a des années, avant mon élection en tant que député, j'ai pris la parole lors d'un déjeuner d'affaires à Toronto. Comme de nombreuses entreprises exportatrices canadiennes, le cabinet d'avocats devant lequel je suis intervenu était conscient de l'énorme potentiel de croissance de la Chine. En effet, la Chine est la deuxième économie mondiale, et ses taux de croissance sont dans les deux chiffres depuis quelques décennies. À l'époque, j'ai présenté l'ambassadeur du Canada en Chine, qui s'adressait à des gens d'affaires de Toronto. J'ai alors cité un proverbe chinois: une génération plante des arbres, et c'est la génération suivante qui profite de l'ombre qu'ils procurent.
C'est sous le gouvernement dirigé par Pierre Trudeau que s'est amorcé l'excellent travail nécessaire pour assurer le développement initial de la Chine moderne. Tous les premiers ministres qui se sont ensuite succédé ont poursuivi ce travail, et nous devons aussi une fière chandelle à de célèbres Canadiens comme Norman Bethune ainsi qu'aux centaines de missionnaires et d'autres citoyens canadiens qui tissent des relations avec la Chine. C'est grâce à ces relations que nous avons planté des arbres. Nous avons fait de l'excellent travail. Nous devrions maintenant profiter de l'ombre. L'ambassadeur a fini par faire de ce proverbe son expression favorite, car il définit l'essence même de la diplomatie: nous faisons de l'excellent travail pour que les générations futures puissent en récolter les fruits.
Le Canada a été un partenaire important dans le développement de la Chine qui, de pays en développement, est devenue la deuxième économie du monde, une puissance mondiale. Nous avons joué un rôle de premier plan avec le Dr Bethune. Nous avons aidé ce pays à améliorer ses pratiques agricoles. Nous y avons exporté la technologie CANDU, pour que ce pays fortement dépendant du charbon ait accès à une source d'énergie sans émission de gaz à effet de serre grâce aux centrales nucléaires. Nous y avons établi des relations commerciales. Nous avons accueilli des pandas et effectué des missions commerciales. D'extraordinaires entreprises dans les secteurs des services financiers, de l'agriculture et des transports, des entreprises de premier plan comme Manuvie, Bombardier, Agrium, et j'en passe, brassent des milliards de dollars en affaires avec la Chine depuis des décennies. Nous devrions en être très heureux, mais aussi nous montrer très prudents.
Depuis quelques années, particulièrement à la lumière du 19e congrès national, la Chine se retire d'engagements sérieux pris sur la scène internationale. Le Parti communiste exerce son influence dans toutes les sphères de la vie chinoise, notamment par l'entremise de sociétés d'État et de leur action internationale. Nous connaissons l'initiative la Ceinture et la Route, qui rend les pays qui y participent redevables à la Chine pour des infrastructures et d'autres projets.
Compte tenu des changements observés en Chine au cours des 10 dernières années, il y a lieu d'être prudent. Plutôt que de profiter de l'ombre des arbres plantés par les générations précédentes, notre génération risque de se perdre en forêt, car nous ne savons plus comment maintenir cette relation importante sans sacrifier les valeurs canadiennes.
Pourquoi soulevons-nous ce débat dans le cadre de notre première motion de l'opposition? C'est parce que nous nous inquiétons sérieusement de la capacité du premier ministre de gouverner dans l'intérêt national sur la scène internationale. Aucun Canadien ne lui fait confiance lorsqu'il part à l'étranger.
Nous déplorions le fait qu'on ne parlait jamais du Canada sur la scène internationale. Aujourd'hui, il est impossible de regarder une émission de fin de soirée ou Saturday Night Live sans voir le premier ministre être le sujet de railleries pour ses agissements sur la scène mondiale, ses gaffes qui nuisent à l'intérêt national. Lors du sommet de l'OTAN, le premier ministre s'est moqué du président américain, celui-là même dont nous avons besoin pour exercer des pressions en faveur de la libération des Canadiens en Chine.
Tout cela se produit à un moment où l'OTAN est remise en question par les présidents de la France et des États-Unis. Le Canada pourrait jouer son rôle traditionnel de pivot, comme disait Winston Churchill entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Nous sommes membres du G7, de l'OTAN, du NORAD et du Groupe des cinq. Le Canada n'est jamais le plus gros joueur, mais il a des relations qu'il est généralement en mesure de faire jouer en faveur de l'intérêt national, de la liberté, celles des autres notamment, ainsi que des intérêts de l'alliance atlantique. Cela a changé. Aujourd'hui, c'est la visite d'État du premier ministre en Inde qui illustre le mieux l'image qu'a le Canada aujourd'hui, une visite où il a placé les photographes, son image de marque et les intérêts du Parti libéral devant l'intérêt national du Canada.
Concernant la Chine, nos craintes remontent aux toutes premières actions du gouvernement. J'espère que bon nombre des nouveaux députés libéraux sont à l'écoute, parce que c'est leur rôle dans le caucus de poser des questions maintenant. Ils devraient être aussi inquiets que les conservateurs en ce qui concerne la Chine.
Un ancien ambassadeur canadien en Chine, David Mulroney, a qualifié de naïve l'approche du premier ministre à l'égard de ce pays, et je suis d'accord. Je vais faire peu de cas des propos que le premier ministre a tenus avant les élections, où il déclarait son admiration pour le régime chinois, qui est essentiellement une dictature. Je ne sais pas si c'était une blague ou si ses propos ont été mal interprétés. Chose certaine, c'était une réponse carrément ridicule.
Cependant, on a pu observer l'influence d'une faction fortement en faveur de Pékin au sein de la garde rapprochée du premier ministre dès les premiers jours du gouvernement. Le président du Conseil commercial Canada-Chine était à la tête de l'équipe libérale de transition en 2015. Il siège maintenant au Sénat, après avoir été nommé par le premier ministre.
En mai 2016, la première année du gouvernement libéral, il a été révélé que le premier ministre avait participé à des activités de financement donnant un accès privilégié en compagnie de grands personnages, d'oligarques ayant des liens étroits avec l'État chinois. Je me rappelle du moment où mon collègue de Red Deer—Lacombe a souligné avec éloquence à la Chambre non seulement que ces activités remplissaient les coffres du Parti libéral, mais aussi qu'un riche entrepreneur associé à l'État chinois avait fait un don de 200 000 $ à la Fondation Trudeau. En fait, on avait réservé une somme pour l'érection d'une statue de Pierre Trudeau. Nous en étions aux premiers jours.
Dans les premiers mois de leur mandat, les libéraux ont également infirmé une décision visant à empêcher la vente d'une entreprise technologique à une société contrôlée par des intérêts chinois. En effet, l'une des dernières choses qu'a faites le gouvernement Harper a été de bloquer la vente d'ITF Technologies à O-Net Communications pour des motifs de sécurité, puisque des éléments de recherche-développement dans le domaine de l'énergie auraient pu directement servir à des fins militaires. La vente a donc été bloquée en juillet 2015. Quelques mois à peine après être arrivés au pouvoir, les libéraux ont toutefois décidé de lever l'interdit et, quelques mois plus tard, la vente d'une entreprise à qui l'on doit des technologies potentiellement militaires à une entreprise d'État chinoise était autorisée.
Monsieur le Président, croyez-vous vraiment que cette transaction n'a pas attiré l'attention de nos alliés du Groupe des cinq? Ils ont au contraire estimé que la sage décision qu'avait prise le gouvernement conservateur venait d'être infirmée simplement parce que le nouveau premier ministre souhaitait négocier un accord de libre-échange avec la Chine.
Ce n'est pas tout. L'année suivante, les libéraux ont autorisé la vente de Norsat à Hytera, une autre entreprise détenue par des intérêts chinois, ce qui a fait sursauter le Pentagone, qui avait des contrats avec cette entreprise canadienne de communications militaires. Pour tout dire, voici ce qu'un commissaire au commerce américain, pourtant un démocrate nommé par Obama, a trouvé à dire de cette transaction:
L'autorisation, par le Canada, de la vente de Norsat à une entité chinoise soulève de graves préoccupations liées à la sécurité nationale des États-Unis, puisque l'entreprise en question figure parmi les fournisseurs de nos forces armées [...]
Le Canada semble disposé à négliger ses propres intérêts dans le domaine de la sécurité pour s'attirer les faveurs de la Chine.
Il a ajouté que ce n'était pas une raison pour compromettre la sécurité d'un proche allié. On parle ici du commissaire de la commission d'étude sur l'économie et la sécurité États-Unis—Chine, c'est-à-dire d'un démocrate nommé par celui-là même avec qui le premier ministre entretenait une bromance, le président Obama.
Ce ne sont pas de propos provocateurs. Ce sont des préoccupations légitimes qui ont été portées à l'attention des membres du comité des affaires étrangères lorsqu'ils se sont rendus à Washington. Nous avons vite constaté que des ventes pouvaient être conclues rapidement — ce qu'on aurait probablement dû interdire pour des motifs de sécurité — afin d'adoucir les angles dans les relations.
Il y a aussi de nombreuses violations des droits de la personne. J'ai dit à la Chambre plus tôt cette semaine que depuis des mois, des millions de personnes protestent dans les rues de Hong Kong. Le gouvernement n'en a pratiquement pas parlé. Quelque 300 000 Canadiens vivent là-bas. Il y a 78 ans cette semaine, des soldats des Winnipeg Grenadiers et des Royal Rifles combattaient pour défendre Hong Kong. Des centaines d'entre eux sont morts pendant cette bataille qui a pris fin le jour de Noël, et des centaines d'autres sont par la suite décédés dans des camps de prisonniers au Japon. Il n'y a donc pas que des intérêts et des citoyens canadiens à Hong Kong. Du sang canadien y a déjà été versé, et le gouvernement s'est montré avare de commentaires.
Il s'est aussi montré avare de commentaires au sujet de l'internement et de la rééducation de près d'un million de Ouïghours, un phénomène très préoccupant. Il s'agit d'un dossier où les valeurs de notre pays devraient peser dans la balance des négociations commerciales.
Sous la direction de l'actuel premier ministre, tous les autres dossiers ont été relégués à l'arrière-plan. En réalité, les libéraux se préparaient à annoncer un accord de libre-échange avant le voyage officiel du premier ministre là-bas, qui a eu lieu en 2016. Manifestement, le premier ministre et le gouvernement libéral ont fait prévaloir les intérêts commerciaux du Canada sur plusieurs enjeux: les questions de sécurité nationale; une décision par rapport à Huawei qui n'a jamais été concrétisée; la multitude de causes liées aux droits de la personne; les inquiétudes de nos partenaires de l'Asie-Pacifique concernant la militarisation des îles artificielles créées dans la mer de Chine méridionale. Soixante-dix pour cent des échanges commerciaux mondiaux s'effectuent dans cette mer. Les dernières manoeuvres de l'une de nos frégates dans ces eaux ont été surveillées par la Chine du début à la fin. La Chine s'efforce d'isoler Taïwan par rapport aux organismes internationaux comme l'Organisation mondiale de la santé, dont le but est d'endiguer les épidémies dans le monde. Encore une fois, le Canada manque de fermeté.
Les conservateurs demandent la création de ce comité spécial afin que le Canada adopte une position équilibrée par rapport à la Chine. Durant les quatre dernières années où le premier ministre a été au pouvoir, cet équilibre n'a jamais été atteint.
En ce triste anniversaire de la détention de ces deux citoyens canadiens, j'en profite pour dire qu'au cours de la dernière année, les conservateurs ont recommandé au gouvernement d'émettre des avertissements à l'intention des voyageurs. Celui-ci a mis trois mois pour le faire. Quelques semaines plus tard, nous avons demandé au premier ministre de s'en mêler directement. Il a refusé de le faire en disant qu'il s'agissait d'un simple dossier relevant des affaires consulaires. Ce n'était pas le cas. Au moment où lui et l'ancienne ministre ont finalement tenté d'intervenir, on n'a pas répondu à leurs appels. Nous leur avons indiqué que la Loi sur l'extradition permettait de confier l'affaire Meng à un autre tribunal qui serait en mesure de trancher plus rapidement. En plus de rendre service à nos citoyens, cela aurait accéléré le processus, dans le respect de la primauté du droit et de la Loi. Les libéraux n'ont pas écouté.
Le comité a appelé M. McCallum à comparaître à huis clos. Je ne peux pas en parler, mais j'aurais souhaité que sa comparution soit télévisée. Les députés comprennent probablement pourquoi il n'est plus ambassadeur. Il s'est contredit à plusieurs reprises et a dû démissionner. Nous voulions qu'un ambassadeur soit nommé immédiatement, mais les libéraux ont attendu jusqu'aux élections pour nommer M. Barton, sans consulter les partis de l'opposition. Nous leur avons demandé d'annuler la participation du Canada à la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures. Nous leur avons demandé de déposer immédiatement une contestation devant l'OMC relativement au canola et à d'autres produits injustement touchés par le commerce. Les libéraux ont attendu jusqu'à deux jours avant les élections, autrement dit, six mois. Nos alliés ne sont pas là pour nous en raison du manque de sérieux du premier ministre sur la scène internationale.
En terminant, je vais citer la dernière déclaration de M. McCallum, qui montre pourquoi nous avons besoin de ce comité et devons être sérieux avec la Chine. Lorsqu'il est parti en mission, il a dit:
Lorsque la Chine et le Canada ont eu des désaccords par le passé — car cela arrive parfois —, les trois premiers ministres que j'ai servis ont tous tiré parti de ce lien d'amitié en vue de parler avec respect et franchise à leurs homologues chinois. Je suis persuadé que cette longue tradition se poursuivra.
Elle ne s'est pas poursuivie. Avec ce comité spécial, elle pourra se poursuivre, et nous pourrons faire les choses avec sérieux et avoir une approche équilibrée vis-à-vis de la Chine.