Monsieur le Président, je remercie les députés conservateurs d'avoir organisé leur discours de manière à ce que je puisse partager leur temps de parole.
Je me réjouis grandement de la présentation de cette mesure législative, que nous avions étudiée sous le nom de projet de loi C-98 lors de la 42e législature. Cependant, j'ai quelques réserves à son égard.
Je vais répartir mon temps de façon à aborder le rôle et les activités de l'Agence des services frontaliers du Canada. Je me pencherai aussi sur les lacunes de cet organisme, et j'évaluerai la probabilité qu'elles soient corrigées par le projet de loi. Je tenterai de ne pas parler trop longtemps.
Au Canada, nous avons des organismes de sécurité nationale, tels que la GRC, le Service canadien du renseignement de sécurité, l'Agence des services frontaliers du Canada et le Centre de la sécurité des télécommunications, qui est un peu dans une catégorie à part. Il s'agit essentiellement d'un assortiment d'organismes canadiens de renseignement de sécurité qui travaillent ensemble. À l'heure actuelle, l'Agence des services frontaliers du Canada est le seul d'entre eux qui ne soit pas doté d'un organisme de surveillance ou d'un mécanisme de traitement des plaintes. Pourtant, cet organisme jouit de pouvoirs extraordinaires.
À la frontière, l'Agence des services frontaliers du Canada a plus de pouvoirs que la police. Elle a le pouvoir d'arrêter et de détenir des personnes ainsi que de les expulser du Canada. Le fait d'avoir la capacité d'expulser une personne du Canada est un énorme pouvoir. Je tiens à le souligner à l'intention des députés, car la loi sur l'immigration et les réfugiés aurait elle aussi besoin d'être revue et corrigée, mais ce sera pour une autre fois, parce que la portée du projet de loi à l'étude n'est pas assez vaste. Le gouvernement précédent, sous la direction de M. Harper, a modifié la règle concernant les expulsions. Avant, les personnes étaient expulsées dès que les circonstances le permettaient, et après la modification, elles l'étaient dès que possible. Par conséquent, beaucoup de personnes ont été expulsées du Canada plus rapidement que ce que la plupart des Canadiens considéreraient comme juste, et cela a certainement eu des conséquences désastreuses sur le plan humanitaire.
De par les pouvoirs qui lui sont conférés, l'Agence des services frontaliers du Canada peut empêcher une personne d'entrer au Canada. Elle peut mener des entrevues avec les demandeurs d'asile lorsque ces derniers n'ont pas réussi à expliquer de façon convaincante les raisons pour lesquelles ils souhaitent obtenir l'asile. Elle peut détenir les demandeurs d'asile pour un certain nombre de motifs. Elle peut prendre des mesures de renvoi et expulser une personne du Canada sans enquête. En d'autres termes, elle dispose d'énormes pouvoirs. Soit dit en passant, j'ai trouvé un document d'analyse extrêmement éclairant concernant l'Agence. Il a été publié en 2017 par l'association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.
Il faut déterminer si, compte tenu de l'ampleur de ces pouvoirs, tout fonctionne très bien. Les choses sont loin d'être parfaites. Comme nous avons pu le voir, des centaines de plaintes sont présentées chaque année, mais, dans bien des cas, ce sont des choses qui reviennent souvent. On parle de choses désagréables, des accusations de racisme et des commentaires désagréables.
Il nous faut remercier la grande majorité des agents de l'Agence des services frontaliers du Canada à la frontière. Il faut qu'ils puissent se concentrer sur le trafic de drogues illégales, le trafic d'armes illégales. Je pense que, du point de vue de la politique publique, il serait utile de cesser d'avoir comme priorité la détection des personnes dont la citoyenneté n'est pas en règle et leur expulsion rapide du pays. En faisant cela, on sépare de nombreuses familles. À mon avis, il serait plus judicieux de mettre l'accent sur les choses dont il faut vraiment empêcher l'entrée au pays, comme la drogue et les armes, pas nécessairement les gens.
Cela m’amène à l’une des histoires les plus tragiques que nous ayons entendues. Elle a même donné lieu à une enquête. Malheureusement, il s’agissait d’une enquête du coroner, parce que la femme en question est décédée.
Elle s’appelait Lucia Vega Jimenez. Elle avait été interceptée à un arrêt d'autobus de Vancouver, et la police des transports en commun avait jugé qu’il y avait quelque chose d’inhabituel à son sujet. On a prétendu que c’était son accent. Il s’est avéré que ses papiers de citoyenneté n'étaient pas en règle. On l’a transférée à l’Agence des services frontaliers du Canada, où on l’a mal informée. L’enquête du coroner a démontré qu’on lui avait dit à tort qu’elle n’avait aucun espoir d’éviter l’expulsion et qu’elle n'avait aucun recours, ce qui était inexact. Elle s’est pendue dans sa cellule. Les enquêteurs ont ensuite découvert que l'Agence a cherché par tous les moyens à étouffer toute cette affaire et qu'elle avait déjà déterminé ce qu’il faudrait faire si la vérité venait à être dévoilée. Il est grand temps de créer une commission d’examen des plaintes comme celle-ci.
Il y a un autre changement qui vaut la peine d’être examiné, car nous vivons dans une nouvelle ère de droit où la sécurité nationale est reine. L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement peut surveiller ce que font toutes les agences, mais il ne peut pas recevoir de plaintes comme le ferait la nouvelle commission.
La Commission d’examen et de traitement des plaintes du public, qui est le nouveau nom de l'ancienne commission chargée d'étudier uniquement les plaintes du public liées à la GRC, aura dorénavant l’œil sur l’Agence des services frontaliers du Canada. Je voterai en faveur de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Je veux qu'il soit renvoyé au comité.
Ce qui me préoccupe, cela dit, c’est qu’il y a un certain nombre de circonstances que la commission des plaintes ne pourra pas examiner. Il faut que nous en tenions compte et que nous prenions conscience que, bien que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, qui est plus important, puisse présenter un résumé et un aperçu du rendement de l’ASFC dans ces domaines, les gens ne peuvent pas porter plainte de la même façon.
Le projet de loi C-3 dont nous débattons aujourd’hui n'autorise pas le dépôt de plaintes contre ces agences. On ne peut porter plainte contre les décisions prises par les employés de l’ASFC en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi. Or, cela comprend justement l’un des principaux domaines où l’on a signalé des comportements violents, et c'est très inquiétant. Il s’agit des circonstances dans lesquelles des personnes détenues risquent de mourir, ou pourraient être expulsées et mourir dans un pays où elles n’auraient jamais dû être renvoyées. Je parle ici des pouvoirs conférés par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur les douanes.
La nouvelle commission ne pourra pas recevoir de plaintes sur les questions qui pourraient être traitées de façon plus appropriée par d’autres organismes, comme la Commission canadienne des droits de la personne, le Commissariat aux langues officielles et le Commissariat à la protection de la vie privée.
L'exclusion suivante est vraiment troublante. La commission ne peut pas recevoir de plaintes sur la conduite des employés à temps partiel qui travaillent dans les centres de détention où sont logés les détenus de l'ASFC. C'est particulièrement inquiétant, car le projet de loi dit ensuite que l'ASFC ne sera même pas tenue d'enquêter sur les plaintes concernant les employés à temps partiel.
Nous devons examiner tout le contexte lorsqu'il est possible que les choses tournent mal et corriger le plus de problèmes possible.
L'autre façon dont le projet de loi C-3 diffère de l'ancien projet de loi C-98 est le fait que les questions de sécurité nationale ne peuvent pas être à l'origine d'une plainte.
Théoriquement, il y a de bonnes raisons à ce changement. Après tout, l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement peut examiner le résumé des mesures prises par l'ASFC relativement aux questions de sécurité nationale. Or, ce n'est pas du tout la même chose qu'une plainte. Les plaintes sont directes. Elles sont personnelles. Elles portent sur un incident concret. L'office de surveillance passera en revue l'ensemble de la conduite du mieux qu'il peut, mais du point de vue d'un organisme de surveillance.
J'aimerais bien savoir s'il serait judicieux d'amender le projet de loi pour permettre le dépôt de plaintes sur n'importe quelle activité de l'ASFC et de ses agents auprès de la commission de traitement des plaintes. Si elle estime qu'une autre entité est mieux habilitée qu'elle à traiter telle ou telle plainte, elle pourrait diriger les plaignants vers l'entité en question, plutôt que de simplement les renvoyer chez eux. Il pourrait après tout s'agir de personnes qui ont été traumatisées à cause d'un incident survenu à la frontière.
Les gens ne sont peut-être pas au courant. Même si on leur dit de déposer leur plainte ailleurs, ils ne feront peut-être pas. Ils ne souhaitent peut-être pas se retrouver dans un système de portes tournantes. La commission de traitement des plaintes pourrait être tenue non seulement d'informer la personne de l'endroit où elle peut déposer une plainte, mais aussi d'entamer le processus en tant que tel, d'organiser une audience et de veiller à ce qu'elle ait bel et bien lieu. Il faudrait qu'elle veille à ce qu'on ne fasse pas fi des plaintes.
Je suis très inquiète en ce qui concerne les plaintes en matière de sécurité nationale. C'est dans le contexte de la commission d'enquête sur l'affaire Maher Arar que l'ASFC a fait l'objet d'une étude pour la première fois. M. le juge O'Connor, qui était le commissaire de cette enquête, a fait remarquer ce qui suit:
[...] [l'ASFC] travaille souvent de la même façon qu’une force policière. Ses activités risquent fort de porter atteinte aux droits, à la dignité et au bien-être de personnes et son action dans le domaine de la sécurité nationale est rarement rendue publique.
Ce qui me préoccupe c’est qu'on passe par inadvertance à côté d’un aspect important de la surveillance, de la justice, pour quiconque se retrouve traumatisé, même si je ne crois pas que ce soit monnaie courante, évidemment.
De mon côté, j’ignorais qu’il y avait un centre de détention sous l’aéroport de Vancouver et qu'on en expulsait les gens assez rapidement. Je l’ai appris lorsque la famille d’un Autochtone de l’île Penelakut, qui ne se trouve pas dans ma circonscription, mais tout près, a pris contact avec moi pour obtenir de l’aide. C’était en 2014. Les agents de l’ASFC s’étaient présentés à sa porte. C’était un grand-père, un Autochtone qui vivait sur l’île Penelakut et dont la conjointe était une survivante des pensionnats indiens. Sans prévenir, les agents l’ont arrêté. Ils lui avaient envoyé des avis qu’il n’avait pas reçus. Ce soir de décembre, ils lui ont posé des entraves et l’ont conduit dans une camionnette jusqu’à l’aéroport de Vancouver où on lui a dit que c’était sans espoir et qu’il serait expulsé le lendemain vers son lieu de naissance, les États-Unis. Ils ne lui ont pas parlé du Traité de Jay concernant les droits autochtones. Ils lui ont simplement dit que c’était ainsi que les choses allaient se passer, un point c'est tout.
Fort heureusement, nous avons été en mesure d’empêcher l’expulsion, mais ce ne fut pas facile. Cette situation m’a donné un aperçu de ce qui se passe.
Je veux que ce projet de loi fonctionne. On doit y apporter des amendements.