Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 20 juillet par le chef de l’opposition au sujet des propos tenus par le premier ministre en comité plénier concernant une enquête menée par le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique. Le chef de l’opposition a soutenu que le premier ministre aurait délibérément induit la Chambre en erreur dans ses réponses à des questions portant sur sa coopération passée à l'enquête qui portait sur l'affaire SNC-Lavalin. Cette question de privilège est reliée à celle que le chef de l'opposition avait initialement soulevée en comité plénier le 8 juillet dernier. Cependant, il estimait que des circonstances exceptionnelles méritaient qu'elle soit considérée par la présidence, même en l'absence d'un rapport du comité.
Le 21 juillet 2020, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a présenté des arguments selon lesquels la question ne pouvait pas être considérée de prime abord comme une atteinte au privilège, sans toutefois indiquer s'il était approprié de soulever la question directement auprès du Président.
Je vais d'abord disposer de cette question de procédure.
Je conviens que les circonstances particulières de cette situation, à savoir principalement les contraintes entourant la formule de comité plénier, font qu'il est effectivement approprié de soulever la question auprès du Président. Bien qu'il s'agisse manifestement d'un cas exceptionnel, il pourrait être utile que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre examine plus en profondeur le sujet des questions de privilège soulevées en comité, puisque c'est ultimement au Parlement qu'il incombe de défendre les privilèges des députés, comme l'a fait remarquer le chef de l’opposition.
Dans la deuxième partie de sa question de privilège, le chef de l'opposition s'est arrêté sur les réponses du premier ministre qu'il estimait trompeuses. Il a noté à juste titre que trois critères doivent être évalués par la présidence afin de déterminer si une déclaration cherchait à délibérément induire la Chambre en erreur. Je vais les repasser un à un.
Le premier critère consiste à établir si la déclaration a induit la Chambre en erreur. Dans la réponse qui est en cause, le premier ministre a dit que le gouvernement avait, et je cite: « pris la décision sans précédent de renoncer à la confidentialité des délibérations du Cabinet et au secret professionnel dans cette situation pour permettre au commissaire à l’éthique de faire toute la lumière sur cette affaire ».
Le chef de l’opposition a relevé plusieurs passages du rapport du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique où celui-ci faisait état, et je cite, de son « incapacité à accéder à tous les renseignements confidentiels du Cabinet liés à cette étude », en raison de quoi il n’avait pu, et je cite, « [s']acquitter des obligations d’enquête qui [lui] sont imparties par la Loi ». On pouvait aussi lire dans le rapport que certains témoins s’étaient sentis empêchés de dire tout ce qu’ils savaient parce que la renonciation au secret du Cabinet était de portée limitée. Ces éléments du rapport ont mené le chef de l’opposition à conclure que le premier ministre a induit la Chambre en erreur lorsqu’il a affirmé que le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique avait pu faire toute la lumière sur l’affaire.
Le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre a soutenu que la réponse du premier ministre avait été prise hors contexte et qu'elle se rapportait à la décision sans précédent qu'avait prise le gouvernement de renoncer à la confidentialité des délibérations du Cabinet et au secret professionnel dans le contexte de cette enquête.
Il a ajouté que le commissaire avait lui-même déclaré qu'il avait: « recueilli suffisamment de renseignements factuels pour bien trancher la question sur le fond ».
Le deuxième critère consiste à établir si le député savait au moment de faire sa déclaration que celle-ci était fausse. Le chef de l’opposition a soutenu que le premier ministre devait savoir que cette déclaration était fausse, puisqu’il connaissait le contenu du rapport du commissaire et qu’il avait été questionné à de nombreuses reprises à la Chambre sur le degré de coopération du gouvernement dans cette enquête. Quant au secrétaire parlementaire, il prétend que la réponse n’était pas du tout inexacte dans le contexte où elle a été donnée.
Le troisième critère consiste à établir si le député qui a fait la déclaration avait l’intention d’induire la Chambre en erreur. Le chef de l’opposition n’a pas présenté d’argument pour étayer son appréciation de ce qu’était l’intention du premier ministre. Le secrétaire parlementaire a pour sa part fait valoir que le premier ministre parlait des raisons qui l’avaient motivé à autoriser la communication de certains renseignements confidentiels dans le cadre de l’enquête du commissaire.
En examinant ces arguments, je constate qu'il y a un désaccord à la fois sur le sens et sur le contexte des propos tenus par le premier ministre. Il est raisonnable que les députés interprètent différemment ce que signifie « faire toute la lumière sur une affaire » et ce qui constitue la pleine coopération lors d'une enquête. Par conséquent, il n'est pas évident pour la présidence que la déclaration a induit la Chambre en erreur.
Pour citer une décision rendue le 30 avril 2014 par un ancien Président: « Les députés doivent reconnaître et accepter qu'il existe des divergences quant aux faits et à leur interprétation et que ces divergences ont toujours fait partie des joutes oratoires qui caractérisent les débats et la période des questions ». Je ne puis donc conclure que le premier critère a été rempli.
Comme il est impossible de conclure de manière définitive que la déclaration a induit la Chambre en erreur, il serait difficile de conclure que le député savait, au moment de la faire, que celle-ci était fausse, et qu'il avait l'intention d'induire la Chambre en erreur en faisant cette déclaration.
Par conséquent, en me fondant sur l'analyse de ces trois critères, je conclus que la question ne correspond pas à ce que l'on pourrait considérer de prime abord comme une atteinte au privilège.
Je remercie les députés de leur attention.