Monsieur le Président, le discours du Trône est, par nature, un énoncé de principe. Il contient des idées possiblement, ou peut-être intentionnellement, vagues, floues et aux contours imprécis.
Le discours qu’a fait lire, par la voix de la monarchie britannique, le premier ministre du Canada, hier, n’en est pas moins très révélateur. En effet, un discours très détaillé, précis, émaillé d’engagements clairs, ancrés dans le temps et chiffrés, pourrait camoufler ses intentions réelles.
En revanche, un discours presque trop vague noie mal le poisson de sa propre vacuité.
En clair, il n’y a pas grand-chose là-dedans. Surtout, il n'y a pas grand-chose de clair.
Hier, lors d’une rencontre avec les médias, j’ai abordé des enjeux liés aux aînés, aux producteurs agricoles ainsi qu'aux demandes des provinces et du Québec. Aujourd’hui, je vais commencer par le trou le plus béant de ce discours.
À vrai dire — et je crois me faire la voix de beaucoup de Québécoises et de Québécois, la voix des artistes du Québec — il n’y avait pas un mot sur les arts, la culture et la crise sans précédent que traversent les médias du Québec.
Il n’y a pas si longtemps, seul le Bloc québécois prônait, comme la France d’ailleurs, l’imposition d’une redevance de 3 % sur les revenus des géants d’Internet. Puis, un à la fois, chacun des partis canadiens a adhéré à notre position. Alors qu’il y a quelques mois à peine les libéraux et les conservateurs assimilaient cette redevance à une taxe contre la classe moyenne, les libéraux, et même les conservateurs, ont exprimé une ouverture au sujet de cette redevance.
D’abord, je me permets de souligner que cela, rien que cela, est une preuve de la pertinence du Bloc québécois. Nous avons servi les artistes et les médias du Québec, certes, mais nous sommes heureux d’avoir aussi été utiles aux médias et aux artistes du Canada.
En effet, tout le monde y trouve son compte. Les redevances à imposer aux géants d’Internet, comme les Google, Amazon, Facebook et Apple de ce monde, ne sont pas des taxes. Ce sont des redevances. Une redevance est une somme qu’on doit verser lorsqu’on exploite commercialement un produit qui ne nous appartient pas. Devant la vulnérabilité des créateurs des contenus ainsi commercialisés pour en pirater les revenus publicitaires, il est du devoir de l’État de fixer les termes de ce qui devient une licence.
Le Bloc québécois a toutefois ajouté deux critères à cette démarche. D’abord, il faudrait que toutes les sommes ainsi amassées soient réservées au secteur des arts, du divertissement et des médias. Ensuite, il faudrait que 40 % de ces sommes, comme cela se fait dans le secteur de la musique, soit réservé pour le secteur francophone des médias, du divertissement et de la création artistique.
Ce sont des critères que nous n’abandonnerons pas. L’absence de la culture du discours du Trône est tristement révélatrice, tout comme l’absence de la langue. Le fait que tant de Franco-Canadiens et d’Acadiens se tournent vers le Bloc québécois pour porter leur voix, dans leur langue, au Parlement aurait pourtant dû mettre le gouvernement sur la piste. Ils ont raison de se tourner vers le Bloc. Les francophones d’Amérique sont toutes et tous des sœurs et des frères que nous soutiendrons, quoi que nous réserve l’avenir, y compris la création du pays du Québec.
En ce qui a trait à la culture, beaucoup de gens ont déploré que le député de Laurier—Sainte-Marie ne soit pas appelé à travailler à faire du Canada un territoire un peu, ne serait-ce qu’un peu, plus vert.
Pour ma part, ayant travaillé plus de 20 ans dans le monde des arts, du divertissement et de l’information, je ne le lui reproche pas. Je ne lui reproche pas de n’avoir pu faire figurer « Patrimoine Canada » dans le discours du Trône. Bien sûr, pour nous, il s’agirait davantage de « Patrimoine Québec » que de « Patrimoine Canada ».
Cela dit, j’invite en toute sincérité le député de Laurier—Sainte-Marie à une collaboration afin de bien porter, ensemble au besoin, les enjeux des créateurs, des artisans et des médias québécois. Il me pardonnera toutefois si, au gré des échanges, je lui rappelle l’époque où il escaladait des tours pour sensibiliser les gens aux menaces qui pèsent sur l’environnement.
Il y a un autre volet de ce discours qui mérite que l’on s’y attarde. On aura certainement remarqué que le texte fait référence aux régions du Canada. La référence n'est pas tant aux provinces, aux territoires ou au Québec, mais bien aux régions.
Mettons une première chose au clair: le Québec n’est pas une région du Canada. Le Québec est le territoire que la nation québécoise partage avec plusieurs Premières Nations. En fait, le Canada actuel est composé de provinces, de territoires et du Québec.
Les régions que le discours du Trône semble créer, ce sont d’abord des provinces, des territoires et le Québec. Chacun est bien réel et doté d'un Parlement et d'un gouvernement. C’est justement dans les compétences de ces provinces, de ces territoires et du Québec que ce discours, comme tous ceux que signe le Parti libéral du Canada, tend à s’ingérer.
Le Canada n’engage pas de médecins, d’infirmières ni de préposés aux bénéficiaires. C'est le Québec qui engage des médecins, des infirmières et des préposés aux bénéficiaires. Toutes les provinces et le Québec ont demandé lundi une hausse des transferts en santé de 5,2 %. Dans le discours, on constate bien cette tendance que le Parti libéral partage avec le NPD de vouloir soutirer des compétences aux provinces d'un Canada centralisateur. Ottawa est resté sourd à la demande unanime du Conseil de la fédération. Le Bloc fera obstacle à cette tendance et protégera les compétences du Québec. Si cela fait aussi l’affaire des provinces, tant mieux.
De même, les provinces et le Québec ont demandé d’une seule voix que les évaluations environnementales des provinces et du Québec aient préséance sur celles du fédéral. C’est intéressant, car le Bloc québécois avait justement déposé à la toute fin de la dernière législature un projet de loi qui demandait précisément cela. Or, sans surprise, ce projet de loi a été rejeté. Cette session-ci, il est clair que nous allons déposer un autre projet de loi, comme nous nous y sommes engagés. Ce faisant, le Bloc québécois porte non seulement ici la volonté de l’Assemblée nationale du Québec, mais aussi celle des provinces. Pourtant, dans ce dossier également, Ottawa demeure sourd à la demande unanime du Conseil de la fédération.
Il faut mettre une autre chose au clair: le Bloc québécois a reçu un singulier mandat.
Beaucoup de Québécois ne se reconnaissent dans aucun parti politique fédéraliste. Ils ne sont pas tous souverainistes, mais ils sont nationalistes. Ils laissent derrière nous des années où l'on a voulu les culpabiliser pour leur langue, leurs valeurs et, de façon générale, leurs différences. On a voulu minimiser, voire noyer dans un multiculturalisme tout canadien, une nation fière et légitime. Beaucoup de ces gens ont voté pour nous et nous l’ont exprimé sans équivoque, parce que tel est le besoin urgent de la nation québécoise, parce que telle est l’actuelle configuration de l’Assemblée nationale du Québec, et parce que le Québec a besoin d’une voix qui lui soit réservée, d’une voix qui lui soit propre.
Le Bloc québécois a accepté ce mandat. Nous n’empêcherons pas le Parlement de fonctionner pour prouver qu’il ne fonctionne pas. Nous ne tenterons pas de rendre encore plus dysfonctionnel un Canada qui l’est déjà pour prouver qu’il l’est. Le Canada fonctionnerait-il parfaitement que, malgré tout, une nation serait quand même et toujours mieux représentée et servie si elle s’appropriait tous les attributs de sa souveraineté.
Alors, que ce soit bien clair: telle n'est pas la nature de notre mandat pour la présente législature, mais les Québécois savent que le Bloc québécois est un parti indépendantiste. Cela fait du bien de le dire en plus.
Je vais me permettre de revenir sur trois thèmes encore. Le gouvernement compte améliorer le sort des aînés; nous aussi. Nous l'avons indiqué lors de la campagne électorale. Nous avons proposé que les sommes versées aux aînés soient haussées de 110 $ par mois. Nous croyons non seulement qu'il s'agit d'une correction nécessaire du pouvoir d'achat des bâtisseurs de la société prospère dans laquelle nous vivons, mais nous croyons aussi qu'il s'agit d'un impératif pour soutenir l'économie et la démographie des régions du Québec.
À la différence du discours du Trône, cette position est claire, ainsi que plusieurs autres positions que nous avons formulées au profit des aînés et retraités. Nous continuerons à le répéter et à l'expliquer de telle sorte que si le gouvernement ne satisfait pas cette demande légitime pour nos aînés, ce sont eux qui en prendront note et jugeront de nouveau et bientôt ce gouvernement.
La gestion de l'offre est un autre dossier qui a progressé. Le Bloc québécois ne s'en attribue pas le mérite exclusif bien sûr, mais dans ce cas-ci comme dans celui des géants du Web, sans le Bloc, il est clair que les choses n'auraient pas ainsi progressé. Cependant, ce n'est pas complet.
Le versement des compensations pour une première année est une décision correcte. Les producteurs demandent une confirmation que les conditions seront les mêmes pour toutes les huit années du versement étalé. Les producteurs veulent savoir ce que seront les compensations dans la foulée du traité de libre-échange négocié un genou au sol par ce gouvernement avec les États-Unis et le Mexique. Les transformateurs veulent aussi savoir ce qui sera fait pour eux.
Le Bloc québécois s'est aussi fait porteur d'une démarche chère aux producteurs sous gestion de l'offre. Nous voulons qu'une loi soit déposée pour que plus jamais la gestion de l'offre ne soit jetée comme monnaie d'échange pour soutenir, comme cette fois-ci, l'industrie automobile de l'Ontario et l'économie canadienne au détriment de l'économie québécoise. Nous déposerons cette loi.
Parlons maintenant du pétrole. Le mot « pétrole » ne figure pas dans le discours du Trône.
Aux anglophones qui se posent la question: « I will be talking about oil. »
La science est bien têtue. L'activité humaine provoque des émissions de gaz à effet de serre encore en croissance. Le climat se réchauffe. Les coûts économiques et humains sont exorbitants. Cela ne fait que commencer.
Le Canada est un des pires joueurs au monde à cet égard. Il n'existe aucune mesure de lutte contre les changements climatiques qui fera le poids face à la volonté du Canada d'augmenter la production, l'exportation et la consommation de pétrole et de gaz à des fins purement commerciales.
La science est bien têtue. Nous ne sommes pas insensibles au sort des gens de l'Ouest canadien. Nous croyons, comme citoyens du monde, qu'il faut un plan, non pas pour réduire, mitiger ou compenser les émissions de gaz à effet de serre, mais un plan pour sortir de ce modèle économique. Il faudra le faire prudemment, progressivement, intelligemment et sans pousser quiconque vers la pauvreté, mais il faut sortir de l'économie du carbone au cours des prochaines décennies.
Nous appuierons toutes les initiatives qui permettront aux économies qui en dépendent de faire la transition vers un modèle économique compatible avec les enjeux environnementaux de la planète.
Je veux bien gérer les messages impolis ou outrés que je reçois de certaines régions canadiennes. L'exemple vient de haut, mais je profite de cette enceinte pour m'adresser aux gens de l'Ouest canadien.
Je tiens à dire aux gens de l'Alberta et de la Saskatchewan en particulier que le Bloc québécois, tout comme l'ensemble du Québec d'ailleurs, est prêt à collaborer pour que s'opère une transition nécessaire vers une économie qui, en temps et lieu, ne dépendra plus du carbone, du pétrole ou du gaz.
Nous sommes prêts à investir dans une telle transition avec compassion, la main tendue et l'esprit ouvert. Toutefois, nous ne voulons pas contribuer davantage à l'impact climatique qu'entraîne un modèle économique dépassé.
Le discours du Trône qu'on nous a lu est davantage marqué par ce qu'on n'y retrouve pas que par ce qui s'y trouve. On n'y parle ni de culture, ni de langue, ni de média. On n'y parle pas de lutte contre les paradis fiscaux ni d'une solution au drame lancinant des familles d'employés de l'État canadien qui attendent une paie nette qui soit juste, Phénix demeurant — au contraire de ce que suggère son nom — un échec qui se roule dans ses propres cendres.
On y parle bien sûr de droits de la personne, mais sans un mot sur la répression de la démocratie catalane. Je me permets de mentionner rapidement que, par nature, le droit à l'autodétermination ne peut pas être assujetti à une constitution rédigée par la majorité ou le conquérant pour justement abolir ce même droit. Cela est totalement incohérent. Même le Canada n'a pas fait cela.
Par contre, le premier ministre du Canada se vante de son amitié avec M. Sanchez et exalte les vertus du régime espagnol, vertus dont je me permets de douter. C'est gênant. Le premier ministre devrait au contraire s'assurer que le président catalan en exil, M. Carles Puigdemont, peut venir librement au Canada et au Québec rencontrer les citoyens, les institutions et les médias. Pour lui avoir parlé lors de conversations inspirantes, j'assure à la Chambre que l'on ne peut trouver homme plus pacifique, bienveillant et amoureux des arts, de la culture et de la diversité.
Enfin, on ne retrouve pas dans le discours du Trône le mot « pétrole », alors que le débat sur ce sujet divise profondément le territoire canadien, opposant ceux qui ne voient pas d'autre solution que le pétrole à ceux qui soulignent l'urgence de s'en affranchir. Bien sûr, la seule avenue est celle de la collaboration et des alternatives technologiques.
Je comprends que le premier ministre ait voulu plaire à un peu tout le monde. Son gouvernement étant minoritaire, je comprends qu'il l'ait fait davantage avec des intentions floues et des silences persistants.
En revanche, nous, au Bloc, avons un programme tellement clair que l'on nous a souvent demandé pourquoi nous avions été si précis alors que nous n'aspirions évidemment pas à former un gouvernement. C'est parce que les Québécois, les Canadiens et les élus de la Chambre savent ce que nous portons comme valeurs et comme idées. Il n'y aura pas de surprise. Voici qui nous sommes. Voici ce pour quoi 32 circonscriptions du Québec nous ont mandatés pour faire progresser ces idées.
Nous croyons en une conversation saine et courtoise. Nous offrons donc dès aujourd'hui la même collaboration bienveillante que celle qui marquera notre relation le jour où elle aura été profondément transformée, la même collaboration que celle qui marquera notre relation lorsque nous serons deux nations égales, amies et souveraines.
En conséquence, je propose:
Que l'amendement déposé par le Parti conservateur soit modifié par substitution, aux mots suivant les mots « unité nationale qui requiert », de ce qui suit:
« le respect des compétences provinciales notamment en n'autorisant aucun projet qui ne respecte pas les lois des provinces et du Québec relatives à la protection de l'environnement à l'aménagement du territoire;
d) le sous-financement du système de santé qui requiert une augmentation des transferts;
e) une crise sans précédent des médias et des créateurs qui doivent être soutenus grâce à l'imposition de redevances aux géants du web;
f) des brèches dans le système de la gestion de l'offre qui doit être protégé par voie législative ».