Madame la Présidente, je vais partager mon temps de parole avec la charmante députée de Repentigny.
Je vais essayer de garder un ton cordial, puisque je constate depuis quelques minutes qu'il y a une énorme tension à la Chambre. J'espère que mes amis conservateurs sauront garder le même ton cordial que celui que je vais employer pendant cette courte allocution.
En venant ici, je réfléchissais à ce qu'on allait faire ce soir. Pour être franc, je me demande pourquoi nous participons ce soir à un débat d'urgence. Dans les faits, l'abandon du projet minier Frontier de Teck découle de la décision d'une entreprise privée qui voit que son projet est non viable sur le plan économique dans le contexte actuel. Elle a pris la décision de mettre fin à des investissements, qui sont, je le consens, assez énormes, afin de ne pas tomber dans un gouffre financier.
Selon moi, le Parti conservateur a toujours été le parti d'une certaine forme de capitalisme. C'est un parti qui comprend très bien ce que supposent les lois du marché. Je ne comprends pas pourquoi ce parti, qui s'inspire constamment des lois du marché, du libre-marché et du désengagement de l'État, demande aujourd'hui à la Chambre d'intervenir lorsqu'une entreprise privée prend une décision. Je trouve cela assez curieux.
En 2011, cette entreprise privée basait ses analyses sur le prix du baril de pétrole, qui tournait autour de 100 $. Pour être viable, il aurait fallu que le prix du baril de pétrole se situe présentement entre 80 $ ou 90 $. Comme on le sait, le prix du pétrole tourne plutôt autour de 50 $ ou de 55 $. Je me demande donc si mes amis du Parti conservateur souhaitent en fin de compte que ce soit l'État canadien qui soutienne le projet minier Frontier de Teck, puisque le marché ne semble pas être présent pour ce type d'exploitation de ressources fossiles présentement. Il y a donc un gros point d'interrogation au-dessus de ma tête. Je suis sûr que mes amis du Parti conservateur se feront un plaisir de me répondre.
Il y a un autre élément assez essentiel. Je ne sais pas si on a pris connaissance de cela, mais la majorité des grands fonds d'investissement se retire des énergies fossiles. Ils sont conscients que la crise climatique est avérée et que, dans les prochaines années, aucun développement économique ne sera basé sur les énergies fossiles. On cherche plutôt à investir dans la transition énergétique. Il me semble qu'il faut qu'il y ait une prise de conscience à cet égard.
L'économie du futur ne réside peut-être pas dans les hydrocarbures, mais plutôt dans des énergies qui seraient plus propres et dans la transition énergétique. Cette prise de conscience est quand même assez importante, et je pense que les milieux financiers l'ont faite. À mon avis, si les principales provinces productrices de pétrole ne la font pas, elles sont vouées à vivre dans l'avenir le même type de crise que celle qu'elles vivent aujourd'hui.
La crise climatique n'est pas un mythe. Certaines personnes parlent même de l'ère de l'anthropocène. L'être humain serait en train de saccager la planète à un point tel qu’il peut la rendre invivable un jour ou l'autre. Personnellement, je ne veux pas vivre avec un passif. Je pense à la planète que je veux laisser à mon fils. Souvent, les conservateurs calculent et parlent beaucoup de dettes publiques en disant qu'ils vont laisser une dette publique à nos enfants. À mon avis, il y a une dette beaucoup plus importante qu'on peut laisser à nos enfants, soit la dette environnementale. Si on est dans un milieu de vie où le climat change constamment et où l'air ambiant est irrespirable, on ne laisse pas grand-chose à nos enfants. Je conseillerais cette démarche à nos amis conservateurs.
Je crois savoir sur quoi porte le débat de ce soir. Nous allons peut-être dire la même chose, mes amis du Parti conservateur et moi. J'ai l'impression que, dans l'Ouest, il y a un sentiment d'aliénation. J'ai l'impression que les provinces de l'Ouest ont le sentiment que le gouvernement fédéral les a laissé tomber. On peut s'entendre à ce sujet, parce que nous, au Québec, nous avons déjà joué dans ce film-là. Pour revenir sur ce sentiment d'aliénation qui est ressenti par les provinces de l'Ouest, je pourrais leur parler du cas particulier du Québec et surtout des répercussions qu'ont eues les énergies fossiles sur notre économie.
Il faut savoir, et c'est quand même assez important, que du début des années 1970 à 2015, le gouvernement canadien a semble-t-il investi 70 milliards de dollars — c’est le chiffre que nous avons, mais nous ne réussirons jamais à avoir le véritable montant — pour rentabiliser la technologie permettant d'exploiter les sables bitumineux. De ces 70 milliards de dollars, 14 milliards de dollars provenaient du Québec, mais cet investissement ne nous a servi à absolument rien et n’a rien apporté à notre économie.
Il y a un autre politicien néo-démocrate que j’aime bien, Thomas Mulcair. Avant la campagne électorale de 2015 et avant qu'il ne caresse l’idée de devenir premier ministre en constatant sa montée dans les sondages, M. Mulcair parlait du mal hollandais. De quoi s'agit-il? Le mal hollandais décrit ce phénomène en vertu duquel l'augmentation de la valeur de notre dollar rend les exportations plus difficiles pour nous et se traduit par une baisse de la vigueur de notre secteur manufacturier, lequel est principalement basé au Québec. Ainsi, à partir du moment où l'on exploite abondamment les ressources naturelles comme le pétrole, l’économie québécoise s’affaisse. C’est ce qui est arrivé.
Nous avons donc dépensé 14 milliards de dollars pour provoquer l'affaissement du secteur manufacturier du Québec. C’est un fait avéré. On peut parler du mal hollandais à plusieurs personnes et elles seront conscientes de cette logique.
Je me dis rapidement que si le problème que nous avons aujourd’hui est lié à un sentiment d’aliénation des gens de l’Ouest et à une impression d’être maltraités par la fédération canadienne, je pourrais leur parler du cas spécifique du Québec.
Premièrement, je pourrais leur faire remarquer qu'à deux reprises lors de négociations constitutionnelles, c'est-à-dire lors de la signature des accords du lac Meech et de Charlottetown, nous avons cherché à obtenir une reconnaissance qui n’est jamais venue. Non seulement le Québec n’a-t-il pas eu la reconnaissance qu’il demandait à ces deux occasions, mais il a aussi frappé un mur.
Deuxièmement, je pourrais faire remarquer à mes collègues de l’Ouest qu’en 1982, on a rapatrié la Constitution sans notre consentement. Le Québec n’a jamais signé la Constitution canadienne.
Troisièmement, je pourrais faire remarquer à mes collègues qu’en 1969, le gouvernement du Canada s’est lancé dans une vaste consultation sur le bilinguisme et le biculturalisme, pour constater au bout du compte que faire du Canada un pays biculturel accorderait au Québec une reconnaissance de son statut particulier. On a donc décidé de jeter cela à la poubelle et de faire du Canada un pays multiculturel, évitant ainsi d'offrir au Québec cette reconnaissance qu'il demandait.
Donc, à quatre ou cinq occasions, le Québec s’est clairement fait dire non par la fédération canadienne. Si mes amis du Parti conservateur veulent parler de sentiment d’aliénation ce soir, je peux tout à fait les comprendre puisque cela nous est arrivé à plus d’une reprise.
Dans le cas qui nous préoccupe, ce sentiment d’aliénation est plutôt nourri par des intérêts économiques. J'entends dire tous les jours à la Chambre que le Canada n’en aurait pas suffisamment fait pour soutenir le secteur des sables bitumineux. Mes amis du Parti conservateur y reviennent constamment et ne cessent de demander que l'on construise un pipeline.
Je trouve drôle que nous ne nous soyons jamais mis à demander que l’on construise des pylônes. Pourtant, Hydro-Québec n’a jamais reçu un sou du gouvernement fédéral pour l’aider à mettre en place ses infrastructures, lesquelles contribuent à acheminer de l’énergie verte dans l’ensemble du Québec, énergie que l’on pourrait aussi utiliser pour les autres provinces, et même exporter aux États-Unis. Étonnamment, nous ne tenons pas ce discours ici.
Quand je regarde tout ce qui a été fait par le gouvernement canadien, je me pose une question. Pensons à Trans Mountain: cet oléoduc a été acheté au prix de 4,7 milliards de dollars. Au début, on nous a dit qu’il allait falloir verser 7 milliards de dollars supplémentaires pour rendre l’oléoduc fonctionnel, mais ce montant est maintenant de 12 milliards de dollars. Donc, au bas mot, cet oléoduc nous aura coûté 16 milliards de dollars. Quand nous entendons aujourd’hui l'Ouest se plaindre d'aliénation et dire que le gouvernement fédéral n’en fait pas assez, je trouve que c’est fort de café, personnellement.