Madame la Présidente, c'est avec beaucoup d'humilité que je prends la parole à la Chambre aujourd'hui pour parler du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel en lien avec l'aide médicale à mourir.
Beaucoup de députés ont des histoires bien personnelles au sujet de la fin de vie de l'un de leurs proches. En tant que porte-parole du Bloc québécois pour les aînés, il est évident que j'en ai entendu parler. Je rappellerai donc dans mon exposé le travail effectué par le Bloc sur cette question, la sensibilité toute québécoise quant à l'aide médicale à mourir et, finalement, la position de certains groupes d'aînés et de femmes qui sont venus me rencontrer.
Rappelons d'abord le contexte. En septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a donné raison à Mme Nicole Gladu et à M. Jean Truchon, tous deux atteints d'une maladie dégénérative grave, en affirmant qu'un des critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir est trop restrictif. Ce critère, celui de « mort naturelle raisonnablement prévisible », est présent dans la Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois relativement à l'aide médicale à mourir, du gouvernement fédéral, ainsi que dans la Loi concernant les soins de fin de vie, du gouvernement provincial.
La juge Christine Baudouin le dit très bien dans son jugement: « Le Tribunal n'entretient aucune hésitation à conclure que l'exigence de la mort naturelle raisonnablement prévisible brime les droits à la liberté et à la sécurité de M. Truchon et de Mme Gladu, garantis par l'article 7 de la Charte. » Ces deux personnes contestaient qu'on leur ait refusé l'aide médicale à mourir parce que leur mort n'était pas imminente.
Rappelons maintenant la position du Bloc québécois et soulignons le travail exceptionnel du député de Montcalm, à qui j'offre d'ailleurs mes plus sincères sympathies. Je le remercie de son travail dans ce dossier, car, comme il l'a si bien remarqué, les législateurs n'ont pas fait leur travail avec le projet de loi C-14. La conséquence est que l'on judiciarise des questions qui sont sociales et politiques. Nous devons éviter que des personnes souffrant de maladies graves et irréversibles soient dans l'obligation d'utiliser les tribunaux pour avoir accès à l'aide médicale à mourir, ce qui serait dramatique. Or, si nous n'arrivons pas à couvrir les maladies cognitives dégénératives, ce genre de situation va arriver.
Cependant, nous sommes d'avis qu'il faut être très prudent avant de se prononcer sur les questions de santé mentale. C'est pourquoi nous sommes soulagés de constater que le projet de loi ne traite pas de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement de maladies mentales. En effet, cette question nécessite davantage de réflexion, d'études et de consultations, ce qui sera fait notamment au Comité permanent de la santé après l'adoption d'une motion déposée par mon collègue de Montcalm.
En deuxième partie de mon discours, je vais parler de la sensibilité québécoise à toute cette question. En effet, c'est le Québec qui a adopté en premier au Canada une loi portant sur l'aide médicale à mourir. Wanda Morris, d'un groupe pour le droit de mourir dans la dignité en Colombie-Britannique, a d'ailleurs souligné que le comité ayant étudié la question avait recueilli l'unanimité de tous les partis à l'Assemblée nationale, ce qui est un modèle pour le reste du Canada.
Mme Morris se disait confiante en voyant que cela fonctionnerait au Québec et que les gens étaient heureux de cette possibilité de mourir dans le respect. La loi québécoise, pilotée par Mme Véronique Hivon, était le fruit de plusieurs années de recherches et de consultations auprès de médecins, d'éthiciens, de patients et de citoyens. D'ailleurs, 79 % des Québécoises et des Québécois seraient en faveur de l'aide médicale à mourir, contre 68 % dans l'ensemble du Canada.
Comme l'a déclaré Véronique Hivon lorsque les partis politiques rassemblés à l'Assemblée nationale ont salué à l'unanimité, en 2015, le jugement de la Cour suprême sur l'aide médicale à mourir:
C’est vraiment un grand jour pour les personnes malades, pour les personnes qui sont en fin de vie, pour le Québec et pour tous les Québécois qui ont participé à [...] ce débat profondément démocratique que l'Assemblée nationale a eu le courage de mettre en place en 2009 [...] Je pense que, collectivement, le Québec a vraiment tracé la voie, et on l'a fait de la plus belle manière possible: de manière non partisane, totalement démocratique.
En troisième lieu, j'aimerais vous faire rapport d'une rencontre que j'ai eue avec l'Association féminine d'éducation et d'action sociale, l'AFEAS, dans le cadre de mes fonctions de porte-parole des aînés et de la condition féminine. Durant cette rencontre, l'AFEAS m'a fait part de ses préoccupations par rapport à l'aide médicale à mourir. Je cite ici le guide d'animation 2018-2019 de l'AFEAS:
Est-ce que l'aide médicale à mourir fait partie de la qualité de vie? Pour les personnes qui n'en peuvent plus d'attendre la fin et qui répondent aux nombreux critères que l'on doit rencontrer pour obtenir cette aide, cette occasion d'exprimer leurs dernières volontés est sans doute bienvenue. Ce sursaut d'autonomie peut être rassurant et peut permettre d'envisager la mort plus sereinement [...] Les procédures pour obtenir l'aide médicale à mourir étant très contraignantes, les personnes qui y ont recours le font probablement pour une raison bien simple: elles n'ont plus d'espoir [...] Cette procédure n'est pas accessible aux personnes qui ne sont pas en fin de vie [...] Des personnes qui sont atteintes de maladies dégénératives, qui souffrent dans leurs corps et dans leurs têtes, n'ont pas accès à l'aide médicale à mourir.
Plusieurs personnes ne sont pas admissibles à l'aide médicale à mourir en raison de cette loi fédérale qui encadre cette pratique qui avait été imposée par une décision de la cour en février 2015. Des citoyens lourdement hypothéqués par des maladies dégénératives sont forcés de recourir aux tribunaux pour mettre fin à leurs souffrances, quatre ans après l'arrêt Carter.
En février 2015, la Cour suprême a même invalidé deux articles du Code criminel qui interdisaient aux médecins canadiens de prodiguer l'aide médicale à mourir. Dans l'arrêt Carter, le plus haut tribunal déclarait admissibles à l'aide médicale à mourir les adultes en mesure de consentir clairement à mettre fin à leur vie, si la personne est « affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables [...] lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition ».
Toujours selon l'AFEAS, les critères de la Cour suprême étaient très larges. Le gouvernement canadien a inséré, dans les critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir, le concept de mort naturelle raisonnablement prévisible, uniquement pour les personnes en fin de vie, ce qui exclut énormément de personnes qui souffrent atrocement, physiquement et moralement.
Tout le processus est basé sur l'intensité de la souffrance évaluée par un médecin et un comité d'experts. On ne tient pas toujours compte de l'évaluation de la personne malade. Dans les exigences requises pour avoir droit à l'aide médicale à mourir, il n'existe aucun critère de compassion. Une personne peut être en fin de vie et être incapable de faire la demande elle-même, étant dans l'incapacité de pouvoir communiquer. La loi ne touche que les personnes qui sont en mesure de donner leur consentement lucide et éclairé jusqu'à la toute fin, ce qui peut donner lieu à de véritables drames, voire de la cruauté pour ceux et celles qui souffrent pendant des années.
En ce qui concerne le consentement préalable, l'AFEAS parlait du cas d'Audrey Parker, une femme d'Halifax décédée le 1er novembre 2018 sous assistance médicale qui a laissé une vidéo tourner trois jours avant sa mort. Dans un clip de trois minutes, elle disait qu'elle n'aimerait rien de plus que se rendre à Noël, mais que, si elle devenait inapte en cours de route, elle perdrait son choix d'une mort belle, paisible et, encore plus important, sans douleur.
Le Barreau du Québec croit que la loi devrait être modifiée pour respecter les critères de l'arrêt Carter et ainsi éviter des contestations judiciaires qui devront être menées par des personnes qui ne devraient pas avoir à supporter un tel fardeau.
Un comité d'experts s'est penché sur ce dossier et recommande sous certaines conditions d'abréger les souffrances des malades qui ont préalablement exprimé leur volonté de recevoir l'aide médicale à mourir, mais qui deviennent par la suite inaptes à exprimer leur consentement, notamment les personnes atteintes de diverses formes de démence ou de pertes cognitives comme la maladie d'Alzheimer. C'est pourquoi l'AFEAS demande, en ce qui a trait aux droits de la personne, que le processus de l'aide médicale à mourir s'appuie davantage sur les droits des personnes et sur le respect de leurs volontés.
En ce qui concerne la mort naturelle raisonnablement prévisible, elle demande que la mention « mort naturelle raisonnablement prévisible » soit enlevée des critères d'admissibilité. Quant au consentement préalable, elle demande que le consentement éclairé de la personne soit respecté et qu'il puisse se donner à l'avance. D'ailleurs, toujours au sujet du consentement préalable, elle demande que le consentement anticipé, énoncé et enregistré par la personne elle-même soit reconnu.
En conclusion, le débat d'aujourd'hui montre bien la nécessité d'agir pour que les personnes souffrant de maladies dégénératives et incurables ne soient plus obligées de passer par les tribunaux pour contester les modalités entourant l'admissibilité à l'aide médicale à mourir et pour assurer le meilleur continuum de soins possibles.
Pour que chacun puisse mourir dans la dignité, agissons.