Aaniin.
Je voudrais d'abord reconnaître que je suis ici sur le territoire traditionnel des Mississaugas de New Credit, qui sont visés par le Traité du wampum à deux rangs.
Je représente Sextrade101 et les nombreuses femmes et filles anishinabées qui sont réduites à l'état d'esclaves en raison de la prostitution ou de la traite de personnes.
Je m'appelle Wasayakwe. Mon nom anglais est Bridget Perrier. Je suis née à Thunder Bay, en Ontario, et j'ai été placée en adoption. J'ai été adoptée par une bonne famille qui a tenté de m'élever le mieux possible, mais en grandissant, les effets du colonialisme, du traumatisme intergénérationnel et de la violence sexuelle subie dans l'enfance ont fait de moi une candidate parfaite pour la prostitution.
J'ai été séduite et attirée vers la prostitution à l'âge de 12 ans alors que je résidais dans une maison de groupe tenue par un organisme de protection de l'enfance. Je suis demeurée esclave de la prostitution pendant 10 ans. On m'a vendue à des hommes qui se sentaient privilégiés de me voler mon innocence et d'envahir mon corps. J'ai dû parader comme une vache de concours devant des hommes qui pouvaient m'acheter, et aucune petite fille ne devrait avoir à poser des gestes que j'ai dû poser au Canada, une terre de liberté.
À cause des hommes, je ne peux pas avoir d'enfant normalement en raison d'un traumatisme à mon col de l'utérus. Aujourd'hui encore, je fais des cauchemars et je dors parfois avec la lumière allumée. Mon traumatisme est profond et j'ai parfois l'impression d'être gelée ou pire, endommagée et sans valeur.
J'ai été vendue dans des établissements légaux, sur des coins de rue et dans des clubs de strip-teaseuse. À l'âge de 13 ans, j'ai même effectué quelques périples autour des Grands Lacs pour offrir mes services aux hommes d'équipage de navires. Ce qu'il m'est arrivé de plus effrayant, c'est d'avoir été, à l'âge de 14 ans, gardée en captivité pendant 43 heures et violée et torturée à répétition par un prédateur sexuel qui s'en prenait aux filles exploitées.
Ceux qui m'exploitaient ont fait beaucoup d'argent et ont tenté de me briser, mais je me suis battue pour ma vie. Ma première proxénète était une femme qui tenait un bordel légal, où j'ai appris à prétendre que j'étais sa nièce ou l'amie de sa fille si la police m'interrogeait. Mon deuxième proxénète m'a été présenté quand j'étais à Toronto, où je me prostituais pour de l'argent. Il était censé être un garde du corps, mais cela s'est avéré être un gros mensonge. Ces deux proxénètes sont encore en activité, exploitant d'autres petites filles au Canada.
Après de nombreuses années, j'ai pu fuir la prostitution et reconstruire ma vie, et mon éducation est alors devenue un outil. Je me suis fait connaître par la ténacité et ma force, et je peux maintenant être un atout pour ma communauté et mon peuple. Je suis une mère, une grand-mère, une activiste et une guerrière. Mes expériences entraînent peut-être parfois des sacrifices, mais je les faits pour les femmes et les filles anishinabées qui sont achetées et vendues, qui ont disparu ou qui ont été assassinées.
Nous devons voir qui est derrière tout cela. Ce sont les hommes.
J'ai une lettre. La mère biologique de ma fille aînée a été assassinée par Robert Pickton, et ma fille m'a demandé de vous lire ce qui suit.
Cher Sénat,
Je m'appelle Angel Wolfe. Ma mère biologique, qui s'appelait Brenda Wolfe, a été assassinée par Robert Pickton.
Son meurtre est le sixième pour lequel il a été accusé. J'avais 6 ans quand elle a été assassinée et 9 ans quand sa mâchoire a été trouvée dans une auge à cochon. Je fais partie des 98 enfants devenus orphelins à cause de ce monstre.
Je blâme le service de police de Vancouver et la GRC. Je pense que les mesures législatives comme la [Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation] sauveront les femmes vulnérables comme ma mère. Je suis indignée que la mort de ma mère ait été utilisée pour légitimer un tel outrage et une telle tristesse.
Je suis aussi indignée par le terme « projet de loi Pickton ». C'est une insulte et une gifle au visage des 98 orphelins, et les organisations et le mouvement de lobbyisme en faveur du travail du sexe devraient réellement avoir honte de parler au nom des familles qui ont perdu un être cher.
Je blâme la prostitution, la dépendance et la maladie mentale pour la mort de ma mère, et au nom des 98 orphelins, je clame que nous ne voulons pas que la mort de nos mères soit la raison de la légalisation de la prostitution.
Je ferai ma mission de vie de raconter son histoire et d'éduquer les gens à propos de la dépendance, de la prostitution et des femmes disparues ou assassinées.
Bien à vous. Angel Wolfe
La Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation protégera mes filles, mes petites-filles et d'autres jeunes filles autochtones de prédateurs qui ont le culot d'acheter des services sexuels en public. La semaine dernière, j'étais à Thunder Bay où le service de police, le MAG ou d'autres organisations ne se préoccupent pas de l'achat de femmes vulnérables.
Si la prostitution était une activité saine, pourquoi ceux qui achètent des services sexuels ne révèlent-ils pas à leur conjointe, à leurs filles et à leur famille qu'ils recourent ou ont recouru aux services sexuels de prostituées?
Sextrade101 considère que la prostitution n'est pas un choix, mais une absence de choix qui réduit les femmes et les filles à l'esclavage. Nous pensons que tout le monde devrait se voir proposer un moyen d'abandonner le travail du sexe et ne pas être encouragé à y rester. Il faut aider les femmes à comprendre toutes les répercussions de la prostitution sur leur vie avant qu'elles ne s'y adonnent et les aider à en sortir en vie avec leur esprit, leur corps et leur âme intacts. Collectivement, nous avons toutes été effrayées, violées, battues, vendues et traitées comme des moins que rien. La plupart d'entre nous ont aussi été oubliées, négligées, maltraitées, utilisées, leurrées, abandonnées et non protégées pendant leur enfance.
Les défenseures et les membres de Sextrade101 sont des prostituées ou d'anciennes prostituées. La criminalisation des femmes et des filles qui se prostituent nous préoccupe grandement. Nous avons constaté que les programmes de déjudiciarisation des femmes et des filles qui se prostituent ne constituent pas la seule solution pour tout le monde. Nous avons également vu que des fonds substantiels ont été accordés aux services de soutien, mais nous sommes encore dans une sorte de silo.
Environ 85 % des défenseures et des membres de Sextrade101 ont été violentées par leur proxénète. C'est très éloigné du tableau brossé par la Cour suprême du Canada, qui dépeint les proxénètes comme de braves types. Ce sont les proxénètes et les clients, le problème. Ce sont eux qui maltraitent et tuent parfois des femmes.
J'ai soutenu ma fille tout au long de l'enquête sur les femmes disparues, qui a mené au constat suivant: nos mères, nos sœurs et nos filles ne sont pas nées pour être utilisées et vendues afin de satisfaire les besoins sexuels des hommes. Nous ne sommes pas des marchandises.
En outre, nous voulons parler de linguistique. Il n'y a rien dans la langue autochtone qui décrit la vente de services sexuels. Si cela ne fait pas partie de notre langue, ce n'est pas pour nos femmes.
Je félicite l'ancien ministre MacKay de l'élaboration du projet de loi C‑36, car il a admis la maltraitance et les dangers inhérents auxquels les prostituées sont confrontées. Ce projet de loi était une victoire pour les survivantes et celles qui sont prisonnières d'un cercle vicieux d'indignité et de douleur.
Nous devons examiner les chiffres, lesquels indiquent que 52 % des victimes de la traite de personnes sont autochtones et que l'âge moyen des filles autochtones exploitées est de 12 ans. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des femmes avec lesquelles Sextrade101 a travaillé ont affirmé avoir voulu abandonner la prostitution à un moment donné.
À titre de survivante du travail du sexe, je vous remercie beaucoup de m'offrir l'honneur de parler au nom des survivantes membres de Sextrade101 et de toutes les survivantes anishinabées du Canada, qu'elles travaillent encore comme prostituées ou qu'elles aient quitté le milieu.
Nous constatons qu'un nombre croissant de filles utilisent les médias sociaux comme outil pour leur exploitation à titre de filles de joie. Comme Mme Baptie l'a fait remarquer, il existe maintenant un créneau pour les filles autochtones. Quand j'étais dans le métier, nous ne révélions jamais nos origines autochtones, car nous savions que si nous le faisions, nous aurions des ennuis. Nous pouvions nous faire agresser ou être victimes d'autres formes de violence. Nous cachions donc notre identité.
La semaine dernière, j'ai invité une jeune femme du Nord de l'Ontario à dormir sur mon divan parce que le personnel du centre de désintoxication auquel nous avions versé 20 000 $ pour un traitement privé de la toxicomanie et de l'alcoolisme lui a jeté un coup d'œil et a déclaré qu'elle n'était pas en état de suivre son programme. Nous n'avions nulle par où l'envoyer, et à ce moment‑là, après avoir passé 15 ans à s'injecter des drogues, elle voulait seulement... Elle était au bout du rouleau. Nous avons dû penser autrement et trouver une solution sans tarder.
On investit des sommes substantielles à cet égard, mais on agit peu. Il n'existe aucune maison sécuritaire pour les femmes autochtones au Ontario. Il y a un grand nombre de centres relevant d'autorités religieuses, mais — je suis désolée — ils ne conviennent pas à mes filles, aux filles autochtones. Chaque semaine, quelqu'un m'appelle pour m'annoncer qu'une survivante correspond à nos critères. Pourquoi? Parce qu'elle est autochtone et qu'elle a dit ce qu'elle considérait comme étant le mieux pour elle.
Je ne sais pas où les caser. Je ne sais pas quoi en faire et je fais courir des risques à mes enfants en les accueillant chez moi, mais je ne peux les envoyer nulle part ailleurs. Nous accueillons donc cette jeune femme qui en a vu de toutes les couleurs sur la rue pendant 15 ans. Elle a survécu à une tentative de meurtre. Je peux raconter son histoire ici et déclarer qu'elle s'en sort bien. Nous l'avons envoyée dans un camp forestier et elle ne consomme plus de drogues, ce qui est un grand exploit. Je lui ai indiqué qu'en 35 jours, son cerveau allait se rétablir.
Nous sommes en crise. J'ai été à Thunder Bay, et des hommes achetaient des femmes à droite et à gauche. La police de Thunder Bay ne veut pas s'occuper du problème d'exploitation ou simplement admettre qu'il y a de la traite de personnes, alors que de jolies filles autochtones sont emmenées dans le Sud de l'Ontario et sont vendues dans toute la région du Golden Horseshoe.
À l'instar de Mme Baptie, je déplore que nous enterrions nos filles. J'ai vu des filles avec lesquelles j'ai travaillé et maintenant je vois leurs filles. Le problème est intergénérationnel. Si nous ne les aidons pas à découvrir leur potentiel, nous préparons le terrain pour la prochaine génération. C'est ce qui se passe actuellement. Je vois maintenant des grand-mères, des mères et des petites-filles. Avec la pandémie et la crise des opioïdes qui aggravent les choses, la situation est parfaite pour l'exploitation.
Quand une prostituée autochtone est assassinée, nous voyons ce qui se passe, comme dans l'affaire Cindy Gladue et d'autres drames.
Je suppose que je tente de dire que nous sommes en crise ici, particulièrement dans le Nord de l'Ontario. Je ne suis dans cette région qu'une semaine par mois. Je vais à Thunder Bay. Cela fait partie de mon travail. Personne ne sait où aller et les personnes qui offrent de l'aide en première ligne prennent des risques pour aider les femmes à abandonner la prostitution. Si seulement nous dispositions d'un endroit où les envoyer, comme un guichet unique, ce serait beaucoup plus facile.
Les membres de Sextrade101 tentent d'agir à titre de mentors auprès de ces femmes. Nous ne disposons toutefois pas du financement de base nécessaire. Nous devons obtenir des fonds par l'entremise d'une autre organisation. À ce jour, toutefois, notre taux de retour à la prostitution n'est que de 4 %. À l'évidence, nous faisons quelque chose de correct.
Sur ce, je vous dirai meegwetch. Je suis prête à répondre aux questions.
Je vous remercie.