J’en ai effectivement une.
J’aimerais tout d’abord revenir sur ce qu’a dit M. Viersen. J’ai eu l’impression qu’il décrivait une partie de ma vie. On m’a fait prendre une fois du Temazepam, ce qui m’a rendue inconsciente, et on en a profité pour me filmer. Je comprends donc fort bien ce dont il s’agit. Je vois également l’autre côté de la médaille.
Un problème important avec les activités en ligne des travailleuses et travailleurs du sexe est que, actuellement, ces sites Web ne respectent pas les dispositions de la LPRPDE, la législation sur la protection de la vie privée dont le Canada s’est déjà doté pour les organismes qui s’adonnent à des activités commerciales. Cette loi prévoit déjà des amendes pour les entreprises, et la nouvelle Loi sur la mise en oeuvre de la Charte numérique de 2020, déposée en décembre, aura pour effet d’augmenter sensiblement le montant de ces amendes.
Ce n’est toutefois pas là le coeur du problème. La difficulté est qu’en empêchant les contenus en ligne d’être hébergés par les sites Web plus sécuritaires, nous obligeons en vérité les gens à passer sur des plateformes chiffrées et anonymisées qui se trouvent sur le Web caché. Pour vous aider à bien le comprendre, permettez-moi une métaphore: c’est comme si vous tiriez une flèche dans une pièce qui se trouve dans le noir. C’est le Web caché. Lorsque nous détectons des cas d’exploitation, de trafic des personnes, de violence ou de quoi que ce soit d’autre sur l’Internet caché, on peut l’assimiler à tirer une flèche dans une pièce plongée dans le noir. Nous ne pouvons pas voir où la flèche se rend. Nous ne pouvons relever que des actions ponctuelles; donc lorsque nous cliquons sur un lien ou lorsque cela déclenche une action, nous pouvons parfois observer ce phénomène.
C’est vraiment comme tirer une flèche dans une pièce plongée dans le noir. Ce que nous faisons maintenant est de forcer des gens, qui s’adonnent de façon consensuelle à des activités sexuelles dans un cadre commercial, à se retirer de la partie visible du Web. Nous pouvons assimiler le Web à un iceberg et j’en fais état dans mon dernier mémoire. Quand nous quittons la partie visible du Web pour plonger dans le Web caché, cela sature le marché sur le Web caché avec des vidéos ou d’autres productions consensuelles et d’autres fondées sur l’exploitation d’autrui. Si nous parvenions à faire la publicité des productions consensuelles, et à ce que celles-ci soient hébergées dans des régions visibles du Web, alors les fois où vous tireriez une flèche dans la pièce et toucheriez quelque chose, vous auriez davantage de chances d’attraper quelqu’un en train de commettre un crime, plutôt que de perdre du temps, des ressources et des moyens juridiques à essayer de suivre cette personne qui produit ou participe à quelque chose de consensuel.
Je passe actuellement une partie importante de mon temps de travail en ligne. Ce qui me paraît le problème le plus important pour les travailleurs et les travailleuses du sexe est que ces lois, et le fait d’empêcher les gens de faire de la publicité ou d’héberger du matériel sur ces sites Web, ont pour effet de retirer les possibilités de paiement par Visa, PayPal et Mastercard. Les gens passent alors aux cryptomonnaies. Celles-ci ne permettent pas de suivre l’argent parce qu’elles sont cryptées sur un système différent de routeurs. Ces transactions commencent par passer par un noeud, le noeud centralisateur, après lequel vient toute une série de noeuds relais. Je peux vous fournir un diagramme et j’en ai d’ailleurs inséré un dans mon mémoire.
Nous obligeons donc les gens à utiliser des cryptomonnaies, qui sont décentralisées et pour lesquelles on ne dispose pas de traces documentaires. En procédant ainsi, nous rendons plus difficile toute intervention et toute cueillette d’éléments de preuve. Si l’exploitation d’une personne pose un problème, et qu’il s’avère nécessaire de faire quelque chose à ce sujet, on ne parvient pas à trouver de preuves documentaires.
À mon avis, en contraignant les gens à passer sur des plateformes du Web caché cryptées et anonymisées qui utilisent des cryptomonnaies, ce que nous faisons en réalité est de contraindre les gens à se cacher encore plus que jamais auparavant.
C’est, à mes yeux, la plus importante préoccupation parce que, actuellement, en ayant accès à Pornhub et à son contenu, nous pouvons voir ce qui s’y passe. C’est une chose que d’aller sur Internet et de dire: « Oh regardez, il y a une vidéo de moi. » C’en est une autre que de recevoir du Web caché des courriels anonymisés au sujet d’une vidéo que vous ne pouvez même pas voir parce quelle se trouve sur le Web caché. C’est encore pire, bien pire. En contraignant les gens à se cacher, c’est le genre de scénario dont nous facilitons l’apparition.
Je voulais répondre à vous deux sur ce sujet-là.