Madame la Présidente, le premier ministre croit qu’il a découvert une véritable corne d’abondance. Au cours du dernier exercice, le déficit s’est chiffré à 354 milliards de dollars. Entre février 2020 et février 2021, la Banque du Canada a augmenté la masse monétaire de, ô surprise, 354 milliards de dollars. Le premier ministre pense que c'est formidable: c’est de l’argent facile. Il commence à devenir accro à l’idée de voir des billets sortir à toute vitesse des machines à imprimer et de nouvelles pièces de monnaie jaillir du dernier étage de l’édifice de la Banque du Canada, à quelques minutes d’ici.
Je soulève la question aujourd’hui, car un débat très intéressant sur la cible d’inflation de la Banque du Canada n’a pas lieu, bien que l'échéance approche à grands pas. À partir de 1991, la Banque et le gouvernement ont signé une entente selon laquelle la cible d’inflation s’établirait entre 1 % et 3 %; ils l'ont appelée le « cadre de conduite de la politique monétaire ». Ce sont des mots ennuyeux pour désigner ce qui peut avoir une incidence sur la santé financière des Canadiens plus que tout ce qui se produit ici, au Parlement. Cette entente concernant la cible d’inflation est renouvelée tous les cinq ans; elle le sera le 24 octobre de cette année. Le premier ministre a clairement indiqué qu’il allait déclencher des élections hâtives cet été, ce qui veut dire que s’il gagnait, il pourrait imposer une nouvelle règle sur l’inflation sans que les Canadiens aient un mot à dire. Je soupçonne que 99 % des Canadiens ne savent même pas que cela peut être débattu, mais voici pourquoi c’est important.
Si le premier ministre modifiait le mandat de la Banque du Canada en octobre, il pourrait commencer à financer de manière permanente de plus grandes parts des dépenses du gouvernement à l’aide de l'argent imprimé par la Banque du Canada, même si cela entraîne une inflation supérieure à 3 %, comme c’est le cas actuellement. Cela aurait été impossible avant la pandémie. Selon des ententes avec la Banque, nous, les Canadiens, étions protégés contre une augmentation indue des prix et une création monétaire inacceptable et injustifiable. Toutefois, compte tenu du renouvellement de cette entente, qui n'a fait l’objet d’aucun débat à la Chambre des communes ni au comité des finances, le premier ministre pourrait procéder à la plus forte augmentation de taxe non approuvée de l’histoire du pays: la taxe d’inflation.
Qu'est-ce que la taxe d'inflation? C'est très simple. Quand la Banque du Canada imprime de l'argent pour financer le gouvernement, cela procure au gouvernement une nouvelle source de revenus. L'an dernier, l'argent neuf imprimé par la Banque du Canada a été la principale source de revenus du gouvernement. Pas les impôts, pas la TPS, pas les droits de douane, pas même l'emprunt auprès des prêteurs du secteur privé, mais bien la production de nouveaux billets pour un total de 303 milliards de dollars comme source de revenus pour le gouvernement actuel. Le premier ministre pourrait vouloir poursuivre sur cette lancée à l'avenir. Or, cela cause un sérieux problème d'augmentation non seulement des impôts, mais du coût de la vie pour les Canadiens. Cette taxe sera payée sous forme d'augmentation des prix. Le prix des maisons a augmenté de 30 % tandis que le prix de la nourriture, du bois d'œuvre, des automobiles et des transports ont tous fracassé des records par rapport à ce qu'ils étaient dans les dernières années. Voilà la conséquence naturelle quand le gouvernement inonde le pays avec de l'argent bon marché. Quand l'argent n'a pas une grande valeur, la valeur de tout le reste augmente soudainement.
Nous pourrions demander à des experts s'ils pensent que cela constitue une taxe déguisée. Si vous me le permettez, je vous cite quelques experts, un à la fois.
Dans un discours prononcé en 1978, Milton Friedman, récipiendaire du prix Nobel d'économie a déclaré ce qui suit:
Dans toute l'histoire, il n'y a jamais eu d'inflation sans une augmentation extrêmement rapide de la quantité d'argent. On n'a jamais vu une augmentation extrêmement rapide de la quantité d'argent sans inflation [...]
C'est pourquoi M. Friedman a écrit, dans son étude détaillée intitulée « Une histoire monétaire des États‑Unis, 1867-1960 », que « l'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire ». Il a aussi dit que « l'inflation, c'est comme une taxe imposée sans une loi », ce qui contrevient au principe fondamental selon lequel le Parlement devrait approuver toutes les taxes avant que le gouvernement puisse les imposer.
Certains pourraient dire que ce n'est qu'une vision classique de l'économie. Or, John Maynard Keynes, qu'on ne peut certainement pas qualifier d'économiste classique, a dit ceci:
Par un processus d'inflation continu, les gouvernements peuvent confisquer, secrètement et en cachette, une part importante de la richesse de leurs citoyens. Par cette méthode, non seulement ils confisquent, mais ils confisquent de manière arbitraire; et même si le processus appauvrit beaucoup de gens, quelques-uns s'en trouvent tout de même enrichis.
Ce processus a été démontré. L'inflation profite effectivement aux gens extrêmement fortunés. C'est pourquoi, dans la dernière année, où l'augmentation de la masse monétaire a contribué à l'inflation, nous avons vu les inégalités économiques entre les riches et les pauvres se creuser de façon considérable. Dans les six premiers mois où la banque centrale a fait marcher la planche à billets à toute allure, les 28 Canadiens les plus riches ont vu leur fortune augmenter de 32 %, alors que l'économie du pays accusait un déficit de 120 milliards de dollars.
Où ont-ils trouvé tout cet argent? La banque a imprimé de l’argent, ce qui a fait gonfler l’actif du super-riche tout en dévaluant le salaire du travailleur pauvre. Voilà une des raisons pour lesquelles nous préconisons le principe « pas de taxation sans représentation »: il ne suffit pas d’approuver la quantité de taxes et d’impôts, mais il faut en considérer la composition. La quantité renvoie à la valeur en dollars. Naturellement, cela a été énorme l’an dernier, mais la composition renvoie à celui qui paie.
Nous savons que le pauvre assume une part disproportionnée de la taxe d’inflation. Le gouverneur de la Banque du Canada a reconnu ce fait devant moi lorsqu’il a comparu devant le comité des finances. Il a déclaré que le pauvre paie plus en inflation parce qu’il transige plus avec de l’argent comptant. Il ne peut pas protéger sa richesse limitée dans des actifs à l’abri de l’inflation, comme de l’or, des propriétés foncières, des actions, des obligations, etc. La très petite somme d’argent dont il dispose lui sera donc subtilisée par ce voleur silencieux appelé l’inflation.
Aucun de nous dans cette enceinte ne pourrait se faire réélire s’il votait pour une augmentation d’impôt qui frapperait le travailleur pauvre et utilisait l’argent de façon disproportionnée pour accroître la richesse du super-riche. Voilà pourquoi aucun vote de ce genre n’a été tenu. Le gouvernement a simplement refilé le processus à la Banque du Canada pour qu’elle imprime de l’argent et fasse le sale travail à sa place.
Je vais paraphraser de nouveau Milton Friedman, un lauréat d’un prix Nobel, selon lequel l’inflation est la seule forme d’impôt qui peut être levé sans l’adoption d’une loi. Naturellement, il parlait en qualité d’économiste. Je vais démontrer que la taxe d’inflation a été un choix délibéré et que cette mesure a été prise sans l’approbation des Canadiens par la voix du Parlement. Je vais le démontrer en me reportant aux données empiriques indéniables produites par Milton Friedman.
Il avait démontré l’existence d’une corrélation parfaite entre l’augmentation de l’indice des prix à la consommation et l’augmentation de la masse monétaire pour chaque unité d’extrant économique qu’il a observée aux États‑Unis, au Royaume‑Uni, au Japon, en Allemagne et au Brésil. Autrement dit, dans ces cinq pays répartis sur quatre continents, l’inflation a connu une augmentation presque identique à l’augmentation de la masse monétaire. Voilà une preuve empirique qui démontre au-delà de tout doute que lorsque nous imprimons de l’argent, nous augmentons les prix au profit du riche et aux dépens du pauvre.
Les spécialistes du secteur financier moderne abondent dans le même sens. Le conseiller économique principal de HSBC, Steven Green, a écrit dans le Financial Times l’an dernier que l’inflation et les impôts sont, à bien des égards, les deux côtés de la même médaille. Il a ajouté qu’il en est ainsi parce qu’une inflation plus élevée que prévu sert à redistribuer la richesse, qui passe ainsi des créditeurs privés, comme les pensionnés, à des débiteurs publics. À cette étape, nous bouclons la bouche: la distinction entre la planche à billets et les impôts commencent à disparaître.
Warren Buffett, le plus grand investisseur de l'histoire, a dit ceci:
Les chiffres indiquent clairement que l'inflation est une taxe bien plus dévastatrice que tout ce qui a été adopté par notre assemblée législative. La capacité de consommation de capitaux de la taxe d'inflation est tout simplement extraordinaire. Prenons l'exemple d'une veuve qui place ses économies dans un compte sur livret au taux de 5 %. Qu'elle paie un impôt sur le revenu de 100 % sur ses revenus d'intérêts durant une période où l'inflation est à zéro ou qu'elle ne paie aucun impôt sur le revenu pendant des années où l'inflation s'élève à 5 %, cela ne changera rien pour elle. D'une façon ou d'une autre, son fardeau fiscal sera tel qu'il ne lui restera plus de revenu réel. Tout argent qu'elle dépense sortira directement de ses capitaux. Elle jugerait exorbitant un impôt sur le revenu de 120 %, mais ne semble pas être consciente qu'un taux d'inflation de 5 % est équivalent.
Disons qu'une veuve a réalisé des économies de l'ordre de 100 000 $. Si elle touche des revenus de 5 % là‑dessus, et que le taux d'inflation est de 5 %, elle ne gagnera rien. Tous ses revenus d'épargne se volatiliseront à cause de l'inflation. C'est comme si le Parlement du Canada adoptait un projet de loi imposant une taxe de 100 % sur tous ses revenus d'épargne, ce que nous ne ferions jamais. Cependant, c'est ce que fait la banque centrale, sans qu'on puisse demander des comptes aux politiciens.
Le célèbre Charlie Munger, partenaire d'affaires de M. Buffett, a dit ceci:
Je crois que les démocraties sont prédisposées à l'inflation parce que les politiciens y dépensent de façon démesurée, qu'ils ont accès à une presse à billets et qu'ils utilisent cet argent pour obtenir des votes. Si on regarde l'inflation sous l'Empire romain, où le règne des dirigeants était absolu, l'inflation était beaucoup plus importante, donc nous n'établissons pas de record. C'est un phénomène de longue haleine, peu importe le type de gouvernement.
Poursuivons avec John Kenneth Galbraith, célèbre économiste canadien de gauche qui a déclaré que rien n'affaiblit un gouvernement comme une inflation soutenue.
Pour leur part, Nouriel Roubini et David Backus, deux autres économistes de renommée mondiale, affirment que, puisque le gouvernement acquiert des biens et des services grâce à l'impression de billets, le seigneuriage est en fait un impôt du gouvernement sur des agents privés. On appelle aussi ce seigneuriage un impôt prélevé par l'inflation. Ils expliquent ensuite l'incidence de cet impôt, surtout sur les plus pauvres.
Ce n'est pas qu'un simple point de vue. C'est un fait mathématique qui est confirmé par certains des économistes les plus réputés de la planète, dont un bon nombre de lauréats du prix Nobel qui cumulent des centaines d'années de recherche inductive qui prouve que l'impôt a une incidence sur l'inflation. Il s'agit des réflexions de certains des plus grands investisseurs de notre ère. Ils s'entendent tous pour dire que l'inflation, quand elle est le fruit des fonds injectés dans l'économie par la banque centrale, n'est rien d'autre qu'un impôt.
C'est le genre de taxe qui a été imposée par les pires dirigeants qui soient. Pensons à Henry VIII, par exemple. Il avait la réputation d'être dépensier. Malgré l'immense fortune dont il avait hérité de son père — et je me demande si cela rappelle quelqu'un aux députés —, ses coffres étaient vides. Il était toujours à sec, et la livre britannique, qui correspondait littéralement à une livre d'argent, se faisait de plus en plus rare pour lui.
Il avait besoin de plus de pièces de monnaie, mais il n'avait pas suffisamment d'argent pour fabriquer tout ce dont il avait besoin, alors il a fait fondre les pièces existantes pour en fabriquer d'autres en cuivre, mais en les recouvrant d'une mince, très mince couche d'argent. Son visage se trouvait sur les pièces, bien entendu, tout égocentrique qu'il était, et son visage pointait à l'extérieur de la pièce; il ne s'agissait pas d'un portrait de profil. Comme son nez était protubérant sur la pièce, il frottait à l'intérieur des poches et des sacs d'argent, et la couche d'argent disparaissait et faisait apparaître un nez de cuivre rouge. Tout le monde savait donc que le roi Henry leur avait donné une pièce d'argent fausse, frauduleuse, puisque son nez était rouge. On dit que c'est la longueur du nez d'un politicien qui trahit ses mensonges. Dans le cas d'Henry VIII, c'était la couleur de son nez.
En fait, il a procédé à une dévalorisation massive de la monnaie. Au début de son règne, la livre britannique était composée à 92 % d’argent. La teneur a été réduite à 75 %, puis à 50 %, ensuite à 33 % et était rendue à 25 % en 1551. Son successeur l’a réduite encore davantage. Au bout du compte, la teneur en argent de chaque pièce a diminué d’environ 87 %, et on peut deviner ce qui est arrivé aux prix: ils ont grimpé d’environ 75 %. Tout coûtait de plus en plus cher. La vie s’est améliorée pour lui. Bien sûr, chacun sait qu’il souffrait de la maladie des rois, la goutte, qui résulte des excès de table et de boisson. Par conséquent, la vie était très agréable à la cour du roi, car il avait créé tout cet argent factice qui les enrichissait, lui et ses amis, mais c’était terrible pour les paysans et les gens ordinaires qui travaillaient à la sueur de leur front. Ils s’appauvrissaient à mesure que leur argent perdait de la valeur.
C’est la taxe par l’inflation. On voit bien que l'actuel premier ministre ne nous apprend rien de nouveau. L’idée n’est pas nouvelle. En fait, l’histoire nous enseigne, en matière d’économie, que les dirigeants répètent sans cesse les mêmes erreurs. Je cite Kipling:
Tant le chien retourne à son vomi et la truie à son bourbier,Tant les doigts bandés de l’imbécile vacillent et retournent se brûler [...]
Ainsi, nous nous brûlons encore et encore en reproduisant les mêmes erreurs que nos prédécesseurs.
Cela me ramène à la Banque du Canada. Les représentants de la Banque ont récemment abordé divers sujets qui n’ont rien à voir avec son mandat. L’ancien gouverneur Stephen Poloz, par exemple, s’est régulièrement prononcé sur des questions qui ne sont pas du tout de sa compétence, notamment en matière de politique sociale, lorsqu’il a proposé que le gouvernement prenne en charge les services de garde d’enfants. Cela dépasse largement le mandat de la Banque du Canada. Récemment, nous avons vu des gouverneurs et des sous-gouverneurs de la Banque du Canada commenter toutes sortes de sujets, de la politique fiscale à la politique environnementale, en passant par une foule de dossiers qui n’ont rien à voir avec le mandat de la Banque. Sur le site Web de la Banque, on peut même trouver un exposé du sous-gouverneur Paul Beaudry sur « le grand renouveau », selon ses propres mots, quel qu’en soit le sens. Il estime que cela relève du mandat de la Banque du Canada, alors que ce n’est évidemment pas le cas.
Il est à craindre que la Banque ne devienne qu’un instrument politique au service d’un gouvernement de gauche, qui tenterait d’accomplir de façon non démocratique ce qu'il ne pourrait jamais faire accepter aux Canadiens de façon démocratique.
Les Canadiens n’appuieraient jamais une hausse massive des impôts des pauvres qui servirait à financer les fantaisies idéologiques et l’enrichissement des super riches et de la super élite. C’est pourquoi nous, au Parlement, devons reprendre nos pouvoirs, les pouvoirs dont cette Chambre et celles qui l’ont précédée au Parlement britannique ont été investies depuis 800 ans, afin que les gouvernements, y compris les banques centrales, ne puissent prélever une taxe que les députés n’ont pas approuvée, que le principe du gouvernement responsable demeure, que le Parlement règne en maître, et que le citoyen passe avant l’État, et le peuple, avant la Couronne.