propose que le projet de loi C‑273, Loi concernant l’établissement d’une stratégie nationale sur le revenu de base garanti, soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, je suis sincèrement honorée de prendre la parole à la Chambre au sujet de mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C‑273, Loi concernant l’établissement d’une stratégie nationale sur le revenu de base garanti. Je remercie le comotionnaire, le député de Malpeque, qui se fait le champion d'un projet pilote de revenu de base garanti dans sa province, l'Île‑du‑Prince‑Édouard. Je remercie également le député de Beaches—East York, un véritable progressiste qui m'a cédé sa place dans l'ordre de priorité des affaires émanant des députés pour que je puisse amorcer aujourd'hui le débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C‑273. Je me sens privilégiée de le compter parmi mes collègues et amis.
Le revenu de base n'est pas une idée nouvelle. Cette idée circule au Canada depuis des décennies. Le projet de loi est présenté après bien des années de militantisme, de recherche et de travail accomplis par de nombreux chefs de file, dont les suivants: la professeure Evelyn Forget; l'honorable Hugh Segal, ancien ministre, député et sénateur; Ron Hikel, qui a dirigé le Programme expérimental manitobain de revenu annuel de base; Sheila Regehr, présidente du Réseau canadien pour le revenu garanti; Floyd Marinescu, directeur général d'UBI Works; l'honorable Art Eggleton, ancien sénateur, député et ministre; la sénatrice Kim Pate, à l'instar de nombreux autres sénateurs actuels. Nous leur devons beaucoup. C'est grâce à leurs efforts que le projet de loi existe.
Même si une motion sur le revenu de base a été présentée à la Chambre par la députée de Winnipeg-Centre, le projet de loi C‑273 est la première mesure législative présentée sur cette question, à la Chambre des communes, et c'est un véritable honneur pour moi de prendre la parole à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi.
Nous sortons lentement d'une pandémie exceptionnelle et nous nous demandons tous quelle sorte de monde nous aimerions retrouver. Nous nous interrogeons sur notre mode de vie ainsi que sur les modèles et les systèmes actuels. Nous jetons un regard neuf sur le modèle économique qui sert de fondement à la croissance mondiale. Nous comprenons beaucoup mieux les répercussions des activités humaines sur la planète, c'est-à-dire l'accélération des changements climatiques. Nous demandons comment modifier notre mode de vie. Nous voyons mieux les conséquences disproportionnées de la pandémie et des autres facteurs de dérèglement sur les personnes les plus vulnérables. Nous nous questionnons sur nos obligations envers ceux qui ont moins de chance que nous.
Pour rebâtir en mieux, dans quel monde souhaitons-nous vivre? Alors que nous traçons une nouvelle voie vers l'avenir, je crois que nous devons adopter une approche du XXIe siècle, qui procure de la stabilité et de meilleures mesures d'aide aux Canadiens, qui s'attaque à l'inégalité des revenus, qui augmente la productivité et qui propulse la croissance économique et l'innovation.
Le projet de loi C‑273 propose de créer un nouveau modèle qui servirait de fondement au régime d'aide sociale. Le projet de loi consiste essentiellement à lancer des projets pilotes dans des provinces ou territoires afin de mettre à l'essai divers modèles de mise en œuvre d'un programme de revenu de base garanti qui se conformerait à des normes établies par le gouvernement national. Le but du projet de loi n'est pas de vérifier si un revenu de base est une bonne idée. Il existe déjà des données solides et substantielles qui montrent l'efficacité d'un revenu de base garanti, mais il existe beaucoup moins d'informations nous permettant de savoir quels seraient les meilleurs modèles de mise en oeuvre à grande échelle d'un système de revenu de base.
Le projet de loi C‑273 nous permettrait d'obtenir les réponses et les données nécessaires, et ce, par la conception, la mise à l'essai et l'évaluation de divers modèles. Les résultats de ces projets pilotes serviraient en fin de compte à la création d'un modèle national de revenu de base garanti. Le projet de loi n'indique pas quel modèle de revenu de base devrait être utilisé, qu'il s'agisse de l'impôt négatif sur le revenu, du modèle de l'Ontario ou du modèle MINCOME. Il n'indique pas non plus quels seraient les coûts et ne propose pas d'éliminer des programmes gouvernementaux de soutien ou d'aide au revenu.
Le projet de loi C‑273, s'il est adopté, permettrait de régler tous les détails entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Les provinces ou les territoires intéressés pourraient créer et mettre à l'essai un programme en choisissant celui qui convient le mieux à leur population. Ce projet de loi permettrait également de recueillir des données sur trois aspects principaux: l'effet sur l'administration publique, l'effet sur les bénéficiaires et les bienfaits pour le milieu de vie des bénéficiaires. Il propose aussi la création d'un cadre de normes nationales.
Pourquoi ai-je décidé de proposer un projet de loi sur l'établissement d'un revenu de base garanti? Le système d'aide sociale du Canada, qui a été créé dans les années 1940 et modernisé dans les années 1970, demeure la pierre d'assise du système d'aujourd'hui. Peu importe le nombre de modifications qui y sont apportées, trop de Canadiens continuent d'être laissés pour compte. Des centaines de programmes d'aide et de soutien du revenu sont offerts aux Canadiens par l'entremise de dizaines de services et de ministères. En raison de cette complexité, le modèle actuel ne vient pas en aide à beaucoup de Canadiens parmi ceux qui en ont le plus besoin. Il met trop souvent l'accent sur le traitement des demandes des Canadiens et leur vérification au lieu de leur fournir l'aide dont ils ont besoin. Les programmes existants n'empêchent pas l'inégalité des revenus de se creuser, malgré toute notre bonne volonté lorsque nous tentons d'y remédier.
Je suis si fière des nombreuses démarches entreprises ces cinq dernières années par le gouvernement fédéral libéral pour lutter directement contre l’inégalité des revenus et réduire la pauvreté, notamment l’augmentation des impôts du centile le plus riche de la population, la diminution des impôts de la classe moyenne, la mise en place de l’Allocation canadienne pour enfants, et l’augmentation de l’Allocation canadienne pour les travailleurs et du Supplément de revenu garanti pour les personnes âgées. Nous avons grandement réduit la pauvreté au Canada pour plus de 1 million de personnes, mais l’inégalité des revenus reste un problème. Voilà pourquoi j’estime qu’il est temps de repenser les bases de notre système d’aide sociale afin de l’adapter au XXIe siècle. Je suis convaincue que ce nouveau modèle de service pourrait prendre la forme d’un programme de revenu de base garanti, qui nous permettrait de simplifier nos prestations sociales tout en améliorer le soutien apporté à la population.
Même avant la pandémie, presque la moitié des familles canadiennes étaient à 200 $ près de ne pas pouvoir payer leurs factures mensuelles. Les gens comptent sur des emplois qui ne sont plus ce qu’ils étaient. Avant, ils se tournaient vers des emplois temporaires ou à temps partiel seulement en dernier recours, quand les temps étaient durs. Aujourd’hui, ils sont nombreux à avoir plusieurs emplois uniquement pour payer les factures et s’acquitter de leurs responsabilités.
Le monde du travail évolue plus rapidement que jamais. De plus en plus de travailleurs se tournent vers l'économie de petits boulots, il y a plus d'emplois temporaires et à court terme et l'automatisation et l'intelligence artificielle ont éliminé de nombreux emplois, que ce soit des emplois de cols bleus ou de cols blancs. De plus, l'économie est perturbée à un rythme accéléré, plus rapidement et plus fréquemment, ce qui fait que davantage de Canadiens travaillent plus fort et plus longtemps et ont l'impression qu'il est plus difficile d'améliorer leur sort.
Tout au long de l'histoire, l'être humain a dû s'adapter à des perturbations majeures comme celles que nous vivons actuellement, notamment la pandémie de COVID, la transition vers l'économie numérique et j'en passe, et nous finissons par nous adapter. Cependant, la période de changement peut être dure, voire impitoyable, et laisser pour compte d'innombrables travailleurs, dont beaucoup ne s'en remettront jamais. Notre filet de sécurité sociale n'est pas bien conçu pour aider les Canadiens à traverser des périodes de transition. À mon avis, nous avons donc besoin d'un nouveau modèle qui offre de la stabilité aux gens qui sont pris dans un cycle de pauvreté ou qui risquent de sombrer dans la pauvreté et à ceux de la classe moyenne qui sont menacés par les perturbations.
Les travailleurs ne peuvent pas surmonter les bouleversements économiques s'ils ne jouissent pas d'une stabilité financière. De trop nombreux emplois ne procurent plus cette stabilité. Les emplois peu rémunérés empêchent les gens d'améliorer leur situation, car ces derniers ne peuvent pas prendre le temps d'obtenir la formation nécessaire pour réussir sur le marché de l'emploi de demain ou pour transformer leurs idées en entreprise qui emploie d'autres personnes. Les gens ont besoin de liberté financière pour monter dans l'échelle économique et innover.
Les jeunes savent à quel point l'avenir est incertain, puisqu'ils sont déjà confrontés à cette incertitude. Ils savent que les garanties qui leur ont été faites se sont évaporées. On a promis aux Canadiens un niveau de vie de la classe moyenne s'ils faisaient des études et travaillaient fort, mais on leur lègue plutôt une économie qui subit constamment des perturbations. Ils sont obligés de se tourner vers les petits boulots ou les emplois temporaires, ou ils doivent faire concurrence à l'automatisation. Le système d'aide sociale du Canada doit être plus adapté aux besoins de la population, moins complexe et plus flexible, et il doit être mieux en mesure de gérer les changements, les perturbations et les transitions liées au travail. L'établissement d'un programme de revenu de base pourrait être la solution.
Enfin, selon moi, le revenu de base garanti constitue la pierre angulaire de la stratégie du Canada en matière d'innovation et de croissance économique. Offrir à tous les Canadiens les mêmes chances de réussir est l'une des valeurs fondamentales au cœur du projet de loi C‑273. Il nous faut un système qui élimine tous les obstacles liés à l'égalité des chances et qui permet aux gens de se réaliser pleinement. L'économie et la prospérité du Canada dépendent de notre capacité d'innover. C'est seulement en permettant à tous les Canadiens de réaliser leur plein potentiel que le Canada réalisera son plein potentiel économique.
Il est vraiment important de comprendre que la manière dont un programme de revenu de base garanti fonctionne est essentielle à son succès. Selon Ron Hikel, directeur du programme MINCOME, ou Manitoba Basic Annual Income Experiment, au Manitoba, un système doit posséder trois caractéristiques essentielles pour pouvoir fournir un revenu suffisant et prendre en compte la variabilité du revenu: il doit encourager fortement à travailler, réduire au minimum la fraude et réduire les coûts publics. La conception d'un modèle de revenu de base garanti ou d'un projet pilote de mise en oeuvre d'un revenu de base doit être réfléchie et adaptée au fil des projets pilotes pour garantir les résultats souhaités.
Il y a trois idées fausses communément répandues à propos du revenu de base. La première, c'est qu'il encourage les gens à rester chez eux et à ne pas travailler; la deuxième, c'est que les programmes sociaux qui sont utiles seront supprimés et la troisième, c'est qu'il coûtera trop cher.
Des projets pilotes d'instauration d'un revenu de base ont été menés dans le monde entier, au Japon, en Finlande, en Iran et aux États-Unis, par exemple. La conclusion, c'est qu'un revenu de base permet de réduire la pauvreté sans réduire le désir de travailler des gens. Certaines personnes ont du mal à croire à cela, même si on constate que les bénéficiaires du revenu de base dans les pays où les projets pilotes ont été menés continuent à travailler. Cela s'explique par le fait que la plupart des modèles de revenu de base ne couvrent pas tous les coûts, mais apportent la stabilité nécessaire aux bénéficiaires pour améliorer leurs choix. Les bénéficiaires d'un revenu de base ne considèrent pas cela comme une aumône, mais comme une ressource qu'ils utilisent pour se recycler, reprendre des études ou chercher un emploi à temps plein, et lorsqu'ils le font, ils trouvent souvent un meilleur emploi, gagnent plus et restent plus longtemps dans leur emploi.
Par ailleurs, certains croient que le coût d'une telle mesure est trop élevé. En réalité, l'inaction coûte plus cher. Quel est le coût de ne pas modifier un système désuet? Quel est le coût de ne pas aider les Canadiens à être productifs et à donner le meilleur d'eux‑mêmes? Au bout du compte, on pourrait conclure à la rentabilité de la mesure si la valeur générée par les projets pilotes est supérieure à leurs coûts.
Avant la pandémie, notre filet de sécurité sociale comportait déjà des lacunes. La pandémie n'a fait que les mettre en lumière. Au cours des mois à venir, les mesures de soutien liées à la pandémie prendront fin, et les familles devront recommencer à espérer que leurs économies mensuelles limitées seront suffisantes pour joindre les deux bouts. Nous savons que ce ne sera probablement pas le cas.
De grandes questions se posent alors que nous sortons de la pandémie, que nous comptabilisons les coûts et que nous sommes confrontés aux dures vérités que les 16 derniers mois ont exposées. Le regretté Shimon Peres, ancien président et premier ministre d'Israël, a déclaré en 2014, lors du Forum économique mondial de Davos, que le monde changeait plus vite que jamais, mais que l'occasion qui se présentait à nous était de façonner le monde dans lequel nous voulions vivre. Alors, quel est ce monde dans lequel nous voulons vivre? Au Canada, quel genre de société voulons-nous créer?
Mark Carney nous dit que les crises que connaît le monde aujourd'hui découlent de la priorité accordée aux prix et à la rentabilité, au détriment de l'équité et de l'égalité des revenus. Étant donné que les modèles actuels ne favorisent pas un monde plus juste et plus équitable, quelles sont les bonnes valeurs que le Canada doit poursuivre aujourd'hui?
Peut-être que nous voulons créer un ensemble de principes qui sont les fondements de notre société: que tous les Canadiens aient accès à de la nourriture, qu'ils aient un toit au-dessus de leur tête, qu'ils puissent se faire soigner, qu'ils soient à l'abri de la violence, qu'ils puissent faire de meilleurs choix et aient accès à toutes les possibilités. Peut-être que nous voulons trouver un équilibre entre les décisions de politique qui ont pour seul but d'augmenter la productivité, l'efficience et la création d'emplois et celles qui offrent aux Canadiens la stabilité, la dignité et la croissance personnelle qui favorisent l'atteinte de ces objectifs. Peut-être que nous voulons jeter de nouvelles bases pour le système d'aide sociale, afin qu'il offre aux Canadiens la stabilité, la dignité et les bons incitatifs pour les soutenir afin qu'ils puissent contribuer à la société au meilleur de leurs capacités.
Nous l'avons déjà fait. Après la dépression et après la Première Guerre mondiale, Tommy Douglas, un homme rempli de compassion, a imaginé le système de soins de santé pour tous, y compris les nombreuses personnes qui étaient à la rue. Bon nombre avaient servi pendant la guerre, mais, lorsqu'elles sont rentrées au pays, elles n'avaient pas les moyens de payer pour leurs soins de santé et elles étaient démunies. Tommy Douglas a imaginé un système de santé gratuit pour tous et il en a mis un sur pied, d'abord dans une seule province, pour montrer que c'était possible et montrer ce qu'il fallait faire pour y arriver correctement. Le système de santé a ensuite été étendu à l'ensemble du Canada et le pays ne s'en est pas appauvri; le pays est plus riche grâce à ce système. Nous avons fait la même chose dans le cas des pensions publiques et de la Sécurité de la vieillesse pour les aînés. Dans ces cas-là aussi, le pays s'est enrichi et est devenu meilleur et plus équitable grâce à ces programmes.
En conclusion, le monde est en transition, et le moment est venu pour les gouvernements d'intervenir pour créer le monde dans lequel nous souhaitons vivre. Ce moment est venu. Notre infrastructure sociale vieillissante est mal adaptée pour répondre aux besoins actuels des Canadiens. Trop de gens n'ont plus une chance réelle de s'en sortir. La création d'un nouveau modèle offrant de la stabilité peut rétablir un certain équilibre pour tous qui stimulerait l'innovation et le potentiel économique. Un revenu de base garanti comme le prévoit le projet de loi C‑273 est le moyen le plus simple, le plus rapide et le plus efficace d'y parvenir.