propose que le projet de loi C-6, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Madame la Présidente, je suis heureux de commencer le débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-6, qui propose de criminaliser certains comportements liés à la thérapie de conversion, un exercice cruel qui stigmatise les communautés lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre, queer et bispirituelle et qui est discriminatoire à leur égard.
Le projet de loi C-6 est identique à l'ancien projet de loi C-8, que j'ai présenté le 9 mars 2020. Les deux marquent l'engagement soutenu du gouvernement à éradiquer une pratique discriminatoire qui va à l'encontre des valeurs canadiennes.
Notre gouvernement s'est engagé à protéger la dignité et l'égalité des membres de la communauté LGBTQ2 en mettant fin aux thérapies de conversion au Canada.
Le projet de loi respecte cet engagement et s'ajoute à d'autres mesures, notamment à l'ancien projet de loi C-16, qui offre une protection accrue pour les personnes transgenres dans le Code criminel et dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Je suis heureux de présenter une autre initiative qui protégera davantage les personnes LGBTQ2 contre les pratiques discriminatoires.
La soi-disant thérapie de conversion s'entend des efforts malavisés qui visent soit à transformer une personne bisexuelle, gaie ou lesbienne en une personne hétérosexuelle ou cisgenre, soit à réprimer ou à réduire toute attirance ou tout comportement sexuel non hétérosexuels. La thérapie de conversion peut prendre de nombreuses formes, dont le counseling, la modification du comportement et la thérapie par la parole, et peut être offerte par des professionnels, des responsables religieux ou des laïcs.
Cette pratique est une manifestation des mythes et des stéréotypes concernant les personnes LGBTQ2. Plus particulièrement, elle véhicule l'idée que les orientations sexuelles autres qu'hétérosexuelles et que les identités de genre autres que ces genres peuvent et doivent être corrigées. Ce genre de message discriminatoire stigmatise les personnes LGBTQ2 et porte atteinte à leur dignité et à leur droit à l'égalité.
La thérapie de conversion a également été discréditée et dénoncée par de nombreuses associations professionnelles comme étant dangereuse, en particulier pour les enfants. Par exemple, en 2014, dans son énoncé de principes sur les soins de santé mentale à l'intention de la communauté LGBTQ2, l'Association des psychiatres du Canada indiquait s'opposer à la thérapie de conversion, car cette pratique repose sur le postulat voulant que les personnes LGBTQ2 souffrent d'un trouble mental et qu'elles devraient ou pourraient changer d'orientation sexuelle ou d'identité de genre. Selon la Société canadienne de pédiatrie, cette pratique est manifestement « contraire à l'éthique ». Quant à la Société canadienne de psychologie, elle s'oppose à cette pratique dans son énoncé de politique sur la thérapie de conversion, en précisant que « [l]a recherche scientifique [en] nie l'efficacité ».
La position de ces associations professionnelles, ainsi que de nombreuses autres associations canadiennes ou internationales, reflète les nombreuses preuves scientifiques voulant que les personnes soumises à cette pratique doivent composer avec des séquelles comme la détresse, l'anxiété, la haine de soi, la dépression, les idées suicidaires et les tentatives de suicide.
Certaines études tendent à démontrer que les enfants sont plus susceptibles de souffrir des effets négatifs de ce type de thérapie. Par exemple, outre les résultats négatifs sur le plan de la santé mentale dont j'ai déjà parlé, les recherches démontrent que l'exposition à la conversion de thérapie chez les jeunes adultes entraîne notamment des taux élevés de dépression, un plus faible degré de satisfaction dans la vie, une baisse du soutien social et un statut socioéconomique inférieur.
Que savons-nous au juste au sujet de la conversion de thérapie au Canada?
L'enquête Sexe au présent nous permet d'avoir une meilleure idée des personnes les plus affectées par la thérapie de conversion. Selon les plus récents résultats de cette enquête, en 2019-2020, presque 20 % des répondants, soit une personne sur cinq, avaient été exposés à cette pratique. Nous savons donc qu'il s'agit d'une pratique nuisible qui a cours en ce moment au Canada. Par ailleurs, selon un article récent publié dans la Revue canadienne de psychiatrie et dans lequel on interprétait les résultats de l'enquête Sexe au présent des années précédentes, les personnes transgenres, autochtones, issues d'une minorité raciale ou ayant un faible revenu sont représentées de façon disproportionnée parmi les personnes exposées à la thérapie de conversion. On peut aussi y lire que cette surreprésentation des transgenres peut s'expliquer par le double préjugé dont sont victimes les personnes qui appartiennent à la fois à une minorité sexuelle et de genre.
Ces données à elles seules sont préoccupantes. Donc, en plus d'avoir un effet négatif sur les personnes marginalisées, la thérapie de conversion nuit encore davantage aux personnes les plus marginalisées au sein de ce groupe.
Compte tenu de la cruauté inhérente à la thérapie de conversion et des preuves de ses effets non seulement néfastes, mais discriminatoires sur les plus marginalisés d'entre nous, le projet de loi C-6 propose des amendements afin de mettre fin à cette pratique.
D'abord, le projet de loi définirait la thérapie de conversion, aux fins du Code criminel, comme une pratique, un traitement ou un service qui vise à rendre une personne hétérosexuelle ou cisgenre, ou à réprimer ou à réduire toute attirance ou tout comportement sexuel non hétérosexuels.
Soulignons que la définition de « thérapie de conversion » proposée dans le projet de loi C-6 s'entend seulement d'une pratique, d'un traitement ou d'un service qui a un objectif particulier, soit celui de changer un élément fondamental de l'identité d'une personne. Par conséquent, les pratiques, les traitements et les services conçus pour atteindre d'autres buts ne seraient pas couverts par cette définition; c'est le cas, par exemple, des traitements qui visent à aider une personne à concrétiser son choix de faire correspondre son apparence et ses caractéristiques physiques à son identité de genre, et des thérapies qui aident une personne à explorer son identité, qu'on appelle parfois des traitements d'affirmation du genre.
Afin que ce soit très clair, le projet de loi précise que la définition ne vise pas certaines pratiques, certains traitements ou certains services, plus précisément ceux qui se rapportent:
a) à la transition de genre d’une personne;
b) à l’exploration ou à la construction de son identité.
Cet article répond aux préoccupations selon lesquelles la définition risquerait d'être interprétée comme comprenant des pratiques légitimes liées à l'affirmation du genre, qui aident des personnes à explorer leur identité ou à concrétiser leur désir de changer de genre. Il concorde aussi avec le rapport produit en 2009 par le groupe de travail de l'American Psychological Association sur les réponses thérapeutiques appropriées dans le domaine de l'orientation sexuelle, qui décrit des interventions thérapeutiques positives à l'intention des personnes qui sont en détresse, par exemple parce qu'elles ressentent une attirance sexuelle pour les personnes de leur sexe. Le rapport montre, plus précisément, que les interventions légitimes visent à explorer les préjugés et les stéréotypes qui peuvent nuire au moi psychologique d'une personne, à les désamorcer, et à considérer une vaste gamme de choix comme acceptables. Bref, les interventions légitimes axées sur l'affirmation du genre n'ont pas le même but que les traitements conçus pour changer ou supprimer un pan de l'identité d'une personne.
Par conséquent, les infractions proposées par le projet de loi C-6 ne visent pas les thérapies reconnues puisque, premièrement, les traitements d'affirmation de genre n'ont pas pour but premier de changer l'orientation sexuelle pour l'hétérosexualité ni de confiner l'identité de genre à uniquement cisgenre, ni de réprimer ou de réduire l'attraction ou le comportement sexuel. Juste au cas où cela n'est toujours pas clair, les mesures législatives proposées, spécifiques à ces types de pratique, ne sont pas incluses dans la définition de « thérapie de conversion ».
Puisque cela semble très important pour le chef de l'opposition, je veux le rassurer explicitement: ce projet de loi n'interdit pas les conversations entre une personne et ses parents, un membre de la famille, un chef spirituel ou n'importe qui au sujet de sa sexualité. La mesure législative dont il est question aujourd'hui n'interdit pas les conversations, mais elle criminalise une pratique odieuse qui n'a pas sa place dans notre pays.
En s’appuyant sur une définition claire de ce qui constitue une thérapie de conversion, le projet de loi crée également cinq nouvelles infractions au Code criminel: faire suivre une thérapie de conversion à un enfant; agir en vue de faire passer un enfant à l’étranger pour qu’il y suive une thérapie de conversion; faire suivre une thérapie de conversion à une personne contre son gré; bénéficier d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, provenant de la prestation de thérapies de conversion; et faire de la publicité en vue d’offrir de la thérapie de conversion.
Cette approche protégera tous les mineurs qui sont touchés de façon disproportionnée par les thérapies de conversion, qu'elles soient fournies au Canada ou ailleurs. Personne ne pourrait offrir une thérapie de conversion aux mineurs et personne ne serait autorisé à amener des enfants résidant habituellement au Canada à l'étranger pour suivre une thérapie de conversion.
Le projet de loi permet également de protéger les personnes susceptibles d’être forcées de suivre une thérapie de conversion. En vertu de celui-ci, personne ne pourra obliger quelqu’un à suivre une telle thérapie.
De plus, le projet de loi protège tous les Canadiens contre la commercialisation des thérapies de conversion. Nul n’aura le droit de tirer profit de cette pratique, qu’elle soit administrée à un enfant ou à un adulte.
Enfin, le projet de loi protège tous les Canadiens contre des messages publics laissant entendre que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne devrait être modifiée. Nul n’aura le droit de faire de la publicité sur des thérapies de conversion, qu’elles soient gratuites ou non. Les tribunaux auront le droit d’ordonner la saisie ou la confiscation des publicités sur les thérapies de conversion ou leur retrait de l’Internet, comme c’est déjà le cas avec la propagande haineuse.
Je ne saurais trop insister sur le fait que nul n’a le droit de dire à une personne qu’elle ne peut pas vivre comme elle l’entend. Le faire est un acte on ne peut plus répréhensible. L’approche équilibrée qui a été adoptée dans le projet de loi permet de tenir compte des intérêts de toutes les personnes en cause.
Soyons clairs: l’objectif principal du projet de loi est de protéger les droits à l’égalité des personnes marginalisées dans la société canadienne, car nous savons que les thérapies de conversion font du tort non seulement aux individus qui y sont soumis, mais aussi à l’ensemble de la société en laissant entendre qu’un élément fondamental d’une personne, c’est-à-dire son orientation sexuelle ou son identité de genre, est un état temporaire qui peut et qui doit être modifié. Un tel message va à l’encontre des valeurs canadiennes, telles qu’elles sont énoncées dans la Charte, laquelle protège les droits à l’égalité de tous les Canadiens, y compris ceux qui appartiennent aux communautés LGBTQ2. Respecter l’égalité, cela signifie promouvoir une société dans laquelle tous les individus sont reconnus par la loi comme ayant droit au même respect et à la même considération. Il faut commencer par promouvoir une société dans laquelle chacun doit pouvoir assumer son identité en toute sécurité. La loi doit accorder la même protection à tous, y compris à la population LGBTQ2.
Promouvoir ces valeurs signifie que la loi doit décourager et dénoncer une pratique qui cause du tort aux personnes LGBTQ2 et propage des mythes et des stéréotypes à leur sujet.
Comme le préambule du projet de loi le stipule, c'est notre devoir de décourager et de dénoncer les thérapies de conversion, compte tenu des préjudices sociaux et individuels causés. C'est notre devoir de protéger la dignité humaine et l'égalité de tous les Canadiens. C'est exactement ce que nous faisons avec le projet de loi C-6.
Nous reconnaissons que les amendements proposés limitent certains choix, notamment en ce qui concerne les mineurs matures. Nous avons pris cette décision parce que les études montrent que tous les mineurs, quel que soit leur âge, sont particulièrement vulnérables aux dangers des thérapies de conversion. De plus, si les mineurs matures étaient autorisés à donner leur consentement pour suivre une thérapie de conversion, il incomberait alors aux thérapeutes de déterminer si l’enfant a la maturité nécessaire pour donner son consentement. Or, la plupart de ces prétendus thérapeutes ne sont pas des professionnels de la médecine et, par conséquent, ils ne sont pas en mesure de déterminer si un mineur est vraiment capable de prendre des décisions sur son propre traitement. C’est la raison pour laquelle nous avons fixé la borne à 18 ans. C’est la meilleure façon de protéger les plus vulnérables parmi ceux qui sont susceptibles d’être soumis à cette pratique odieuse.
Nous reconnaissons également qu’en criminalisant le fait de tirer profit d’une thérapie de conversion, nous faisons en sorte que les adultes consentants ne pourront avoir accès qu’à des thérapies de conversion gratuites. Il faut comprendre que, pour empêcher cette pratique odieuse, il est nécessaire d’en limiter l’offre, ce qui permet aussi d’éviter les dommages psychologiques que risquent de subir les individus qui sont soumis à ce genre de thérapie, sans parler des torts causés à la dignité et aux droits à l’égalité d’un groupe marginalisé.
En criminalisant la publicité sur les thérapies de conversion, on renforce cet important objectif et on réduit la circulation de messages publics discriminatoires.
J’insiste sur le fait que rien dans le projet de loi ne limite le droit d’une personne d’exprimer son point de vue sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, dans le cadre, par exemple, de conversations privées entre un individu qui a des hésitations sur son orientation sexuelle ou son identité de genre et des conseillers, des membres de la famille, des amis ou des représentants religieux qui veulent l’aider. Dans une société libre et démocratique, il est fondamental de permettre à quiconque d’exprimer son point de vue, qu’il soit partagé ou non par les autres.
Maintenant que j'ai décrit les amendements proposés, ce qu'ils empêcheront et ce qu'ils n'empêcheront pas, je voudrais saluer le leadership de l'ancien sénateur Joyal sur cette question. Il a déposé l'ancien projet de loi d'intérêt du public S-202, Loi modifiant le Code criminel concernant la thérapie de conversion, anciennement le projet de loi S-260, parrainé par le sénateur Cormier lorsque le sénateur Joyal a pris sa retraite.
Les infractions proposées dans le projet de loi comblent une lacune du droit pénal car, à l’heure actuelle, aucune infraction ne porte directement sur la pratique odieuse des thérapies de conversion. Avec les infractions qui existent déjà, celles que nous créons dans ce projet de loi permettront de muscler la législation face aux torts causés par les thérapies de conversion.
N’oublions pas que ces dispositions pénales s’ajoutent aux dispositifs qui existent déjà au niveau des provinces et des municipalités. Trois provinces, l’Ontario en 2015, la Nouvelle-Écosse en 2018, et l’Île-du-Prince-Édouard en 2019, ont adopté une loi, dans leur sphère de compétence, sur des questions liées à la santé. Cette loi précise que les thérapies de conversion ne sont pas remboursées par l’assurance médicale, et elle interdit aux thérapeutes d’administrer des thérapies de conversion à des mineurs.
D’autres provinces et territoires sont en train de leur emboîter le pas. Cette année, le Yukon et le Québec ont présenté des projets de loi qui visent à mettre en place des réformes similaires. Même si le projet de loi C-6 concerne précisément le droit pénal, puisqu’il modifie le Code criminel, il est compatible avec les réglementations provinciales en matière de santé.
Certaines municipalités canadiennes, notamment Vancouver, Calgary et Edmonton, ont également interdit aux entreprises de fournir une thérapie de conversion sur le territoire de leur ville. Au Canada, il est clair que tous les ordres de gouvernement ont un rôle à jouer pour mettre fin à cette pratique néfaste. J'ai eu le plaisir de recevoir l'appui de mes collègues provinciaux et territoriaux lorsque nous nous sommes entretenus en janvier relativement à des réformes au droit pénal concernant les thérapies de conversion.
Il n'y a aucune raison que quelqu'un à la Chambre s'oppose à ce projet de loi.
Nous nous réjouissons que les choses avancent vite au Canada pour lutter contre cette pratique délétère. Sur cette question, le Canada est à l’avant-garde de la communauté internationale. Par exemple, Malte est le seul pays à avoir criminalisé certains aspects de la thérapie de conversion. Il criminalise la thérapie de conversion pour les personnes vulnérables, lesquelles sont définies comme étant les personnes de moins de 16 ans, les personnes souffrant de troubles mentaux ou les personnes considérées par le tribunal comme étant vulnérables. Malte criminalise aussi la publicité sur les thérapies de conversion ainsi que les thérapies de conversion forcées.
L'approche que nous proposons va plus loin. Nous proposons de protéger tous les enfants de moins de 18 ans de la thérapie de conversion offerte au Canada ou à l'étranger. Nous proposons également de protéger tous les Canadiens et les Canadiennes des messages négatifs associés à la publicité de cette pratique néfaste et de ceux qui en profitent.
J’espère que d’autres pays nous emboîteront bientôt le pas. Par exemple, en mars 2018, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les thérapies de conversion et invitant les membres de l’Union européenne à interdire la pratique. Peu de temps après, en juillet 2018, le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé qu’il avait l’intention de présenter des propositions visant à interdire les thérapies de conversion. Je crois comprendre que le travail à cet égard se poursuit.
Bref, on reconnaît de plus en plus, à l’échelle internationale, que cette pratique est délétère, et que l’adoption de dispositions pénales est une façon appropriée de la circonscrire.