Comme je l'avais déjà mentionné dans mon discours du 8 mars, la pandémie a donné plusieurs tapes sur la gueule des femmes et des filles. Je ne parle pas seulement au sens figuré, avec une hausse du travail invisible, la charge mentale et le travail en première ligne dans notre système de santé. Je parle aussi et surtout au sens propre, avec une hausse marquée des cas de violence conjugale causant la mort de beaucoup trop de femmes. Durant la pandémie, 10 % des femmes craignaient d'être victimes de violence conjugale. Pour les femmes autochtones, on pouvait multiplier ce pourcentage par trois.
Ce soir, j'ai le goût de laisser les faits parler d'eux-mêmes. On déplore qu'une femme sur trois soit victime de violence conjugale. En tout, 90 % des femmes qui vivent de la violence conjugale en garderont des séquelles, allant de traumatismes psychologiques à des traumatismes crâniens provoqués par des coups portés à la tête et des commotions cérébrales.
Dans une entrevue récente, Jean-François Landry, ancien membre du Groupe d'aide pour les personnes impulsives, donnait l'exemple d'un homme violent:
Il pouvait être le plus gentil des conjoints, mais sans crier gare, se fâcher et avoir une réaction violente en criant et en lançant des objets. C’était normal d’avoir ce genre de comportements, car il avait élevé comme ça. Il ne frappait personne, mais il défoulait sa colère sur les murs par exemple. Il était également assez explosif avec les enfants. Il ne se mettait pas en colère au travail, ce qui faisait en sorte que toute cette colère éclatait plutôt à la maison envers sa famille. Ironiquement, les gens qui le connaissaient seulement en tant que connaissance ou ami ne se serait jamais douté qu’il était violent à la maison.
L'élément que je retiens de cet exemple est l'importance d'inclure les hommes dans ce discours, dans ce débat.
De son côté, la vice-première ministre du Québec et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a affirmé en entrevue ce qui suit:
C'est dramatique ce qui se passe depuis cette semaine. C'est quelque chose qu'on ne peut pas accepter et qui est extrêmement bouleversant et choquant. On a cette responsabilité comme gouvernement et comme société de lutter contre la violence faite aux femmes. Cette lutte doit se faire par la prévention, par la répression, mais d’abord et avant tout, par la responsabilisation. Encourager les hommes à aller demander de l'aide quand ils sont violents ou à risque d'être violents, et évidemment, évidemment, rappeler aux femmes qu'elles peuvent et doivent demander de l'aide.
Il est inacceptable que l'on doive attendre des semaines avant de pouvoir aider les hommes à prévenir la violence conjugale. Il faudra aussi que le gouvernement s'assure de donner de l'argent aux organismes de prévention parce que le budget, administratif au départ, sera probablement adapté pour inclure un montant permettant de contrer et de prévenir la violence faite aux femmes. Il faut dénoncer cette problématique, il est bon de le faire, mais cela ne règlera pas tout. Il faut que la société répète et martèle ce message pour changer les mentalités.
Au-delà de ces sept féminicides au Québec en six semaines, plus de 300 femmes ont été, l'an dernier seulement, victimes d'une tentative de meurtre, un chiffre à faire dresser les poils. Il faut continuer de faire pression sur le gouvernement, mais il ne faut pas non plus oublier que c'est toute la société qui doit collaborer pour régler le problème de la violence conjugale. Il faut prendre acte de la situation.
Je dois saluer l'exercice qui s'est récemment tenu au Québec, alors qu'un comité d'experts s'est penché sur la violence faite aux femmes. Au-delà de la feuille de route, il faudra aussi que le fédéral collabore en transférant rapidement des sommes substantielles aux organismes. Il faut aussi, collectivement, trouver la volonté et continuer de faire pression sur le gouvernement parce que, en plus du budget déposé aujourd'hui, le gouvernement du Québec a la volonté d'investir pour contrer la violence faite aux femmes.
Ce que certains qualifient de crise sociale nous permettra, je l'espère, de comprendre que la violence conjugale ne veut pas seulement dire « battre sa femme » et qu'elle concerne également les agissements de la société dans son ensemble. Il faudra donc travailler en amont et comprendre que la violence psychologique et le contrôle coercitif peuvent avoir des conséquences et être des signes précurseurs de violence. À ce sujet, je tiens à souligner le travail de Myrabelle Poulin, dont le blogue Les mots de Myra recueille des témoignages sur cette question. Il faudra aussi sortir les femmes du cercle de la pauvreté qui les maintient trop souvent dans un état de vulnérabilité.
La responsable des dossiers de violence conjugale au SPVM, Anouk St-Onge, rappelait récemment qu'il y a eu une augmentation de 12 % des cas rapportés de violence conjugale à Montréal. Elle a déploré que plus de 1 500 cas de violence conjugale aient été rapportés pour la seule année 2020, une hausse en comparaison à 2019.
On voit que la pandémie a coupé les victimes de leur système de soutien social et les a isolées, aggravant les situations de violence conjugale. Être prise 24 heures sur 24 avec son agresseur est forcément une situation aggravante. À certains moments durant la pandémie, la baisse du nombre de dénonciations n'était pas une bonne nouvelle.
De plus, une discussion beaucoup plus large s'impose sur le fait que la violence conjugale est plus que battre une femme. Comme je l'ai dit, elle englobe aussi la violence verbale et la violence psychologique, comme le fait d'épier les textos de son ou de sa partenaire. Les signalements de violence conjugale sont en hausse, mais les places en refuges manquent au Québec, nous l'avons notamment vu durant la pandémie.
Bien entendu, les partis de l'opposition à l'Assemblée nationale réclament de nouvelles sommes pour répondre aux besoins croissants en matière de violence conjugale. Or, afin que le Québec puisse lutter adéquatement contre la violence conjugale en réinvestissant dans les organismes sous-financés de prévention de la violence conjugale, comme les maisons d'hébergement, il faudra une hausse des transferts, que les sommes ne soient pas retenues et que les ententes soient plus rapides.
Tel qu'il a été démontré récemment dans le cadre de l'étude des crédits au Comité permanent de la condition féminine, les sommes octroyées à Québec ont finalement été versées plus de cinq mois plus tard que dans les provinces du Canada. Ce soir, il peut être aussi pertinent de se questionner à savoir si, oui ou non, les interventions du fédéral en matière de santé s'alignent sur les priorités du Québec.
Si le passé est garant de l'avenir, il convient de s'inquiéter. En effet, en 2014, un comité d'experts sur les interventions fédérales dans le secteur de la santé et des services sociaux de 2002 à 2013 a présenté un rapport fort intéressant au gouvernement du Québec. Ici, je ne vais parler que de quelques conclusions du rapport.
[L]es interventions du gouvernement fédéral en santé et en services sociaux sont principalement le fait de ce qu'il est convenu d'appeler le « pouvoir de dépenser » [et, dans certains cas, je l'appellerai même malheureusement le pouvoir de ne pas dépenser ]. Ces interventions peuvent alors rejoindre en partie les orientations, les objectifs et les priorités du Québec [...] mais, la plupart du temps, elles proposent, sinon imposent, des cibles et des façons de faire différentes de celles qu'ont déjà retenues les autorités québécoises.
Le gouvernement fédéral poursuit en général des objectifs qui lui sont propres, sans doute influencés par une analyse pancanadienne des besoins de la population et de l'état des systèmes des provinces [du Québec] et des territoires. Selon le cas, l'écart avec les orientations, les priorités et les approches du Québec peut être assez grand. Plusieurs des personnes rencontrées ont d'ailleurs indiqué que, si elles pouvaient gérer elles-mêmes les sommes dépensées par le gouvernement fédéral, elles ne les utiliseraient pas de la même manière. Leurs priorités et leurs stratégies ne seraient pas les mêmes.
Le Québec connaît ses organismes; « le financement consacré par le gouvernement fédéral à ses interventions en santé et en services sociaux s'avère nettement inéquitable pour le Québec », notamment « lorsqu'il ne tient pas compte des investissements déjà consentis par une province ou un territoire sur le même objet. »
Nous devons en tenir compte pour des programmes mieux adaptés à chaque région du Québec et du Canada. Lors de mon intervention au Comité permanent de la condition féminine l'été dernier, j'ai parlé des CALACS de chez moi qui m'ont contacté. Au Québec, sur sept CALACS, trois seulement ont réussi à se qualifier, en pleine pandémie, à un programme qui venait en aide directement aux survivantes. C'est inacceptable.
Les organismes ont besoin de prévisibilité, ce qui manque dans les programmes fédéraux. L'aide à long terme ne vient pas.
Une dernière chose: il faut faire attention. Si on veut vraiment se dire un gouvernement féministe, il ne faut plus endurer les violences envers les femmes autochtones et appliquer les conclusions du rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Il faut également agir, après plus de trois ans d'allégations d'inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes qui sont restées sans réponses. Il ne faut plus perpétuer cette culture du silence. Il faut travailler à améliorer le projet de loi sur le contrôle des armes à feu. Ce n'est pas après la crise que le gouvernement devra agir, mais maintenant.
Cependant, il faut faire attention à ne pas politiser cet enjeu, car ce n'est pas cela qu'il faut. Pour pouvoir protéger les femmes et les filles du Québec, des provinces et des territoires, au-delà des statistiques macabres qui ne doivent pas augmenter, parce que chaque mort en est une de trop, agissons.