Madame la Présidente, je suis heureux d'avoir l'occasion aujourd'hui de parler du projet de loi C-3.
Avant d'être élu, j'ai eu l'occasion de siéger au conseil d'administration du Saffron Centre, un organisme qui se trouve dans ma circonscription, et je tiens à souligner l'excellent travail qu'il accomplit en fournissant des conseils et de la sensibilisation sur l'intimidation, la violence sexuelle, les limites et des sujets connexes. J'ai siégé au conseil d'administration de cet organisme avant la naissance du mouvement #MoiAussi. À l'époque, les membres du conseil d'administration tenaient des discussions sur le manque de sensibilité à ces questions sociales et sur certaines des difficultés que posaient la collecte de fonds et la mobilisation en vue de soutenir l'organisme dans le contexte du degré de sensibilisation de la société à ce moment-là.
Il reste encore beaucoup à faire, mais je crois que les choses ont beaucoup changé. Le mouvement #MoiAussi a favorisé la croissance, la sensibilisation et la reconnaissance. J'ai eu l'occasion de discuter avec certains membres de l'organisation une fois que le mouvement #MoiAussi a été lancé. Ces personnes m'ont confié que les demandes de counselling avaient grandement augmenté. Bon nombre de ces demandes concernaient des traumatismes liés à des événements s'étant déroulés dans le passé, pour des personnes ayant subi du harcèlement sexuel ou de la violence sexuelle, peut-être des décennies auparavant, mais dont elles n'étaient pas parvenues à parler. Ces personnes ont réussi à demander de l'aide, grâce à ce qu'elles ont entendu dans les médias traditionnels ou sociaux, où d'autres parlaient de leurs expériences. Nous avons probablement tous des histoires à raconter à propos d'organismes communautaires œuvrant dans notre circonscription. À voir comment les discussions publiques entourant le mouvement #MoiAussi ont encouragé les gens à demander du counselling et du soutien pour des traumatismes liés à des événements s'étant déroulés dans le passé, on réalise toute l'importance de ces discussions.
Nous avons consacré une partie du débat à débattre du débat lui-même, et certains députés en face ont remis en question la nécessité de ce débat et ont demandé pourquoi nous ne pouvions pas tout simplement accorder un consentement unanime à toutes les étapes du projet de loi. Il est arrivé que des projets de loi qui n'avaient qu'un seul objectif n'atteignent pas cet objectif ou que les travaux d'un comité permettent de les renforcer d'une manière ou d'une autre. Le processus parlementaire s'avère donc important. Nous avons également constaté, même aujourd'hui, que les discussions entourant ces questions peuvent se montrer importantes et inspirantes pour les gens. Il est donc important que nous, les députés de la Chambre, discutions de ces questions pour soutenir le projet de loi C-3 et pour contribuer à le faire avancer.
En 2017, notre ancienne chef conservatrice, Rona Ambrose, avait présenté la loi juste, un projet de loi qui cherchait à obliger les avocats qui souhaitaient devenir juges à recevoir une formation sur les agressions sexuelles, ainsi qu’à obliger les tribunaux à fournir des motifs écrits dans les décisions d'agressions sexuelles. Ce projet de loi a été adopté à l'unanimité par la Chambre des communes, mais malheureusement il a été retardé au Sénat, et en conséquence la loi juste n'a jamais été adoptée.
Au Canada, on estime qu'une femme sur trois et un homme sur huit seront victimes de violence sexuelle au cours de leur vie. Ceci veut dire qu'environ 5,73 millions de femmes et 2,3 millions d'hommes canadiens seront des victimes. Nous pouvons tous convenir que ces nombres sont trop élevés, et, malheureusement, Statistique Canada a signalé en 2014, que seulement 5 % des agressions sexuelles avaient été signalées à la police. Cela signifie que moins de 5 % des prédateurs feront face à la justice qu'ils méritent pour leurs actes méprisables.
Ce faible nombre de cas signalés est dû au fait que les victimes d'agression sexuelle n'ont plus confiance en notre système de justice. Un rapport publié par le ministère de la Justice intitulé « Enquête menée auprès des survivantes de violence sexuelle dans trois villes canadiennes » a révélé que deux femmes sur trois faisaient peu ou pas confiance au processus judiciaire. C'est à cause des cas où les juges qui présidaient les affaires d'agression sexuelle n'avaient aucune connaissance des lois canadiennes sur les agressions sexuelles. Cela a donné lieu à des incidents où des juges ont injustement remis en question les caractères des victimes et ont complètement ignoré nos lois sur les agressions sexuelles.
La loi juste aurait amélioré la situation. Lundi passé, les libéraux ont décidé de déposer de nouveau ce projet de loi. Comme la loi juste, le projet de loi C-3 exigerait que tous les juges des cours supérieures provinciales nouvellement nommés participent à une formation sur les agressions sexuelles et modifierait le Code criminel pour obliger les juges à fournir des motifs écrits ou à consigner les motifs au dossier lorsqu'ils prennent une décision sur un procès d'agression sexuelle.
Mettons de côté la politique. Je suis heureux que l'initiative ait été reprise pour protéger les vulnérables victimes d'agression sexuelle. Cependant, je pense que nous devons profiter de cette occasion pour aller plus loin. En février dernier, j'ai dit à la Chambre qu'il serait utile d'inclure également une formation sur les agressions sexuelles pour les agents de libération conditionnelle. J'aimerais que le gouvernement ajoute cela à ce projet de loi.
Nous savons qu'il y a eu des problèmes dans le passé avec la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Des criminels dangereux ont été mis en liberté conditionnelle et ont ensuite commis davantage de crimes. Un exemple de cela est le cas de Eustachio Gallese, un meurtrier condamné qui a poignardé une femme après avoir obtenu une libération conditionnelle. Il s'agit d'un incident qui aurait pu être totalement évité si la Commission des libérations conditionnelles du Canada avait fait preuve de bon jugement. Je crains qu'un incident similaire puisse se reproduire avec un prédateur mis en liberté conditionnelle. C'est pourquoi il est essentiel que nous donnions aux agents de libération conditionnelle une formation sur les agressions et les prédateurs sexuels. Les victimes doivent être protégées.
Je sais que le gouvernement libéral actuel aime se vanter d'être féministe. Voici une occasion parfaite de montrer aux Canadiens que leur approche féministe est légitime et pas seulement un point de discussion politique. Aller au-delà de la proposition précédente en ajoutant d'autres mesures qui protégeront les victimes d'agression sexuelle serait une bonne initiative. Je sais que nous voulons tous assurer que les femmes et les hommes canadiens sont protégés contre les prédateurs.
En tant que législateurs de ce Parlement minoritaire, il est important à mon avis que nous travaillions ensemble pour nous assurer qu'une bonne législation complète est adoptée. J'ai hâte de discuter avec mes collègues de tous horizons politiques de la nécessité d'une formation en matière d'agression sexuelle pour nos juges et également pour nos agents de libération conditionnelle.
Maintenant que nous avons abordé le fond et l'historique de ce projet de loi et que nous avons discuté de certains enjeux connexes, je veux ajouter quelques observations générales à propos du travail crucial qui consiste à lutter contre les agressions sexuelles. Je répondrai en outre à certains des autres commentaires exprimés jusqu'à maintenant au cours du débat.
Bien qu'il nous faille reconnaître l'importance des initiatives en matière de sensibilisation, il ne faut pas oublier leurs limites inhérentes. Certes, l'ignorance peut engendrer des comportements criminels chez certains et de l'insensibilité ou de l'indifférence chez d'autres. Bien qu'on puisse combattre l'ignorance par l'éducation, elle ne peut pas expliquer tout comportement répréhensible. En effet, certaines personnes qui n'ont aucune difficulté à différencier le bien du mal commettront tout de même des crimes haineux ou se montreront indifférentes à la souffrance d'autrui. Pour ces personnes, le problème n'est pas un manque de sensibilisation, mais plutôt l'incapacité de contrôler certaines propensions ou tendances comportementales.
Il peut s'agir aussi d'un manque de compassion. Pour ceux à qui celle-ci fait défaut, on aura beau les informer, leur comportement ne changera jamais. Comme l'a déjà fait observer l'auteur C.S. Lewis: « Une éducation sans valeurs, aussi utile soit-elle, semble plutôt faire de l'homme un diable plus intelligent. » L'argument de Lewis mérite réflexion alors que nous examinons l'importance, mais aussi les limites, de prescrire l'éducation et la formation comme remèdes aux agressions sexuelles et au harcèlement. Nous devons nous demander ce que nous pouvons faire et ce que d'autres institutions peuvent faire pour encourager les comportements positifs plutôt que négatifs et pour développer l'empathie. Sans le développement des qualités essentielles que sont la moralité et la vertu, une éducation plus poussée sur les aspects juridiques de la question s'avérera inefficace.
Il est également possible d'étudier cette question sous un autre angle, soit l'éternel débat entre l'éthique de la vertu et l'éthique déontologique. L'éthique déontologique considère l'éthique en termes de respect des règles. Dans le cas qui nous occupe, c'est une règle du type « Ne pas agresser ni harceler autrui » qui s'applique.
L'éthique de la vertu, de son côté, aborde l'éthique du point de vue de la nécessité de développer des traits de caractère positifs permettant aux individus à la fois de savoir ce qui est bien et aussi de se servir de cette connaissance dans différents contextes. L'éthique de la vertu prête davantage attention au développement de vertus telles que la justice et la maîtrise de soi. Une personne qui a développé chez elle les vertus de la justice et de la maîtrise de soi n'adoptera jamais de comportements qui pourraient blesser ou menacer les autres, puisque la justice consiste à donner aux autres ce à quoi ils ont droit et que la maîtrise de soi consiste à pouvoir dominer ses désirs et ses envies.
Ces deux cadres de l'éthique, l'éthique déontologique et l'éthique de la vertu, ne sont pas mutuellement exclusifs, mais il y a une question de subordination. Personnellement, je crois que l'éthique de la vertu est plus importante, parce qu'elle ne fait pas qu'aborder la question de la façon dont nous devrions nous comporter, mais aussi de la façon d'acquérir la capacité de toujours nous comporter de la bonne façon.
Les efforts en vue de combattre l'agression sexuelle ne doivent pas seulement tenir à l'éducation sous forme de communication de renseignements sur les normes de conduite et les cadres législatifs. Ils doivent également comprendre la promotion positive de traits de caractère tels que la justice et la maîtrise de soi. En grandissant, je ne me souviens pas que l'on m'ait appris précisément qu'il est mal de harceler sexuellement ou d'agresser une personne. Plutôt, on m'a appris à reconnaître la dignité foncière de chacun et à maîtriser mes impulsions. Lorsque la justice et la maîtrise de soi sont pleinement assimilées, la règle précise semble, dans ce cas-ci, plutôt évidente.
En tant que père, je réfléchis bien sûr beaucoup à la façon d'élever mes propres enfants afin qu'ils deviennent de bonnes personnes et de bons citoyens. Mes enfants sont trop jeunes pour que je discute avec eux de violence sexuelle, mais j'essaie déjà de favoriser leur acquisition des vertus de la justice et de la maîtrise de soi, de même que de l'esprit de solidarité et de l'empathie. Espérons que l'acquisition de ces traits intellectuels et pratiques fera en sorte qu'ils sauront sans hésiter comment se comporter, quelles que soient les situations dans lesquelles ils se trouveront dans le futur.
On parle beaucoup de la notion de masculinité toxique. À mon avis, il est important que nous cherchions à la remplacer par une masculinité redéfinie. La masculinité toxique englobe le fait de chercher à détenir le pouvoir sur les autres, mais un concept redéfini de la masculinité signifie le fait d'avoir le pouvoir sur soi-même, de se maîtriser, de maîtriser ses envies et d'avoir le courage de s'employer à protéger les personnes vulnérables et à promouvoir la justice.
Winstor Churchill a un jour fait remarquer que le pouvoir de l'homme s'est accru dans tous les domaines, sauf sur lui-même. Par cette remarque, Churchill met le doigt sur l'un des plus graves problèmes de notre époque: les gens qui savent peut-être ce qui est juste et qui sont pleinement instruits sur ce qui est juste n'ont pas toujours la volonté ou les qualités requises pour maîtriser leurs caprices ou leurs appétits. Le pouvoir sur soi est d'une importance vitale pour être une bonne personne et un bon citoyen. Une personne qui ne possède pas les qualités de justice et de la maîtrise de soi ne pourra jamais être réellement heureuse ou résiliente.
Une masculinité redéfinie se fonderait sur la justice et la maîtrise de soi et non sur la gratification personnelle et la domination d'autrui. Je crains que dans de nombreux domaines, les gouvernements modernes mettent l'accent sur les règlements plutôt que sur les vertus, et sur la formation, plutôt que sur le développement du caractère. Nous devons accorder plus d'importance aux leçons qui peuvent nous être enseignées par l'éthique de la vertu pour combattre les fléaux que sont le harcèlement et les agressions sexuelles. J'espère que ceux qui élaborent les programmes de formation pour les juges, mais aussi pour les jeunes, les éducateurs, les anciens délinquants, etc., tiendront compte des enseignements importants qui découlent de la tradition de la vertu.
J'aimerais utiliser le temps qui me reste aujourd'hui pour répondre à certains des commentaires qui ont été faits. Ma collègue de Sarnia—Lambton a parlé avec beaucoup d'éloquence de différents sujets. Elle a parlé de l'importance des champs de compétences. Ce projet de loi est de compétence fédérale, mais il nous rappelle aussi que d'autres mesures doivent être prises par d'autres ordres de gouvernement. Espérons que le débat que nous avons aujourd'hui donnera lieu à d'autres conversations.
Ma collègue de Sarnia—Lambton a aussi parlé de la culture du viol. Je pense qu'il est important de revenir sur l'important travail commencé, pendant la dernière législature, par mon collègue, le député de Peace River—Westlock, pour bien comprendre les conséquences des images de violence sexuelle sur les jeunes hommes qui les consomment. Il faudrait des changements de politique pour combattre en particulier la culture du viol, par exemple l'obligation d'une vérification réelle de l'âge sur Internet. On ne devrait pas permettre à de jeunes garçons d'avoir accès à des images de violence sexuelle sur Internet. En mettant en place des mécanismes de vérification poussée de l'âge, on s'assurerait que la sexualité des garçons, dans leurs jeunes années, n'est pas façonnée par ces aspects de la culture du viol.
J'aimerais saluer le travail que les députés de Sarnia—Lambton et de Peace River—Westlock ont fait dans ce dossier. J'espère que des mesures concrètes, comme une vérification poussée de l'âge, seront prises. J'y reviendrai lorsque nous reprendrons le débat à ce sujet.