Monsieur le Président, je vous indique d'entrée de jeu que je vais partager mon temps de parole avec le député de Jonquière.
La raison pour laquelle nous sommes ici ce soir n'a rien de banal. La fermeture de la canalisation 5 est-elle vraiment si imminente compte tenu du traité entre le Canada et les États-Unis sur les pipelines transfrontaliers? En gros, ce traité prévoit que les pays ne prendront pas de mesures unilatérales en ce qui a trait aux pipelines existants.
On pourrait aussi se poser une autre question. En cas de fermeture, la réalité est-elle aussi effrayante que le portrait que dresse l'opposition officielle dans son scénario catastrophe?
L'enjeu de la canalisation 5 d'Enbridge nous donne l'occasion d'aborder la transition énergétique nécessaire dans laquelle le Canada doit s'engager et de mettre en perspective les motifs légitimes des actions de la gouverneure Whitmer, qui n'ont rien de spontané ou d'imprévisible.
Le problème à l'origine du débat sur la canalisation 5 d'Enbridge est un problème lié à la sécurité environnementale. Nous devrions avoir l'heure juste sur la sécurité de la canalisation. Vu le déversement, en 2010, de l'équivalent de 20 000 barils de pétrole dans la rivière Kalamazoo, au Michigan, la population et les pouvoirs publics sont en droit de s'inquiéter pour la santé et la sécurité des cours d'eau.
La gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer reproche à l'entreprise d'avoir violé plusieurs fois les critères du droit de passage et de ne pas en faire assez pour protéger les Grands Lacs, contrairement à ce que le ministre des Ressources naturelles disait tantôt à propos de cette compagnie.
La gouverneure a dit qu'Enbridge avait régulièrement refusé de prendre des mesures pour protéger les Grands Lacs et les millions d’Américains qui en dépendent pour de l’eau potable et de bons emplois. Elle a aussi dit qu'ils ont ignoré à maintes reprises les termes de la servitude de 1953 en ignorant les problèmes structurels qui mettent les Grands Lacs et les familles en danger.
Les doléances des intervenants américains ne datent donc pas d'hier. D'ailleurs, les préoccupations de l'État du Michigan sont antérieures à Mme Whitmer. C'est simplement qu'elle a décidé d'agir. Forcément, cela génère du mécontentement et des inquiétudes. Cela force cette société pétrolière à revoir ses priorités parce que, soudainement, il y a une fin de non-recevoir, une limite qui a été franchie par la compagnie.
D'ailleurs, pourquoi la compagnie Enbridge a-t-elle régulièrement refusé d'être proactive dans la gestion de sa canalisation 5, particulièrement dans le sensible détroit de Mackinac? Lorsque la compagnie a elle-même rapporté des lacunes dans le revêtement protecteur de sa structure, les constats d'érosion et les dommages causés par des remorqueurs commerciaux, pourquoi n'a-t-elle pas démontré sa probité?
Il se pourrait aussi que le Michigan brandisse la menace de la fermeture pour forcer Enbridge à rénover son foutu pipeline en vue de le rendre plus sécuritaire. La compagnie, n'ayant pas envie de faire cette dépense, utilise tous les outils à sa disposition, incluant le lobbyisme des politiciens. Le ras-le-bol de la gouverneure du Michigan, c'était écrit dans le ciel depuis longtemps.
Entre 1996 et 2014, la compagnie Enbridge a été responsable de 1 276 déversements, totalisant près de 10 millions de gallons d'hydrocarbure liquide, tant aux États-Unis qu'au Canada. Ces données sont conservatrices. Pourquoi? C'est parce qu'elles sont fournies par Enbridge elle-même. Qu'on ne les cherche pas sur le site Web de la société; elles y étaient à une époque, mais elles ont été retirées. Les documents consultés, fort bien référencés, dénotent un autre élément préoccupant, celui de la puissance de cette industrie devant les organismes de réglementation canadiens.
Je suggère une recherche des mots « office national de l'énergie » et « Enbridge » dans l'édition du 2 mai 2016 du Canada's National Observer. Les députés verront qu'ils vont en apprendre; c'est édifiant.
Du côté du Bloc québécois, nous ne pouvons pas cautionner les comportements et les réactions d'Enbridge et du ministère des Ressources naturelles face à l'annonce de la gouverneure Whitmer. Les inquiétudes sont légitimes. L'État du Michigan a déjà été marqué, en 2010. La gouverneure a décidé de ne pas agir de manière curative, mais bien préventive.
Je veux être claire: nous avons de la considération pour les répercussions qui découleront de cette mesure si elle se concrétise. Nous avons aussi des inquiétudes. Nous ne favorisons en rien les oléoducs et nous ne voulons certainement pas maintenir notre dépendance aux énergies d'une autre époque.
De telles transitions se font dans le temps, avec de la planification. Lorsque l'on planifie des changements et que l'on anticipe les défis et les solutions, une sortie du pétrole est non seulement envisageable, mais elle est à portée de la main.
Nous savons qu'un bras de fer juridique, politique et diplomatique entre Enbridge, les instances américaines et le gouvernement du Canada ira en s'accentuant. Nous tenons à rappeler que les raffineries du Québec ont la capacité d'exécuter un plan B rapidement et d'aller vers d'autres sources d'approvisionnement. Rappelons aussi que Terre-Neuve-et-Labrador est au troisième rang des provinces canadiennes productrices, et, selon ce qui advient de la canalisation 5, envisager un approvisionnement de cette région serait sage.
Néanmoins, les canalisations qui traversent nos fleuves et nos rivières vont continuer de se poser en risque à la sécurité environnementale, et le transport du gaz et du pétrole par oléoduc et gazoduc continuera de faire l'objet d'opposition politique, à juste titre.
Les circonstances actuelles devraient nous inciter à nous propulser vers la transition énergétique. Au Québec, le secteur des transports porte l'odieux bilan des gaz à effet de serre, comptant pour plus de 80 % des émissions totales. La filière électrique québécoise est en pleine expansion, et l'expertise que nous avons et dont nous priorisons l'essor devrait servir d'exemple ailleurs au Canada.
Au Québec, on ne fabrique pas de voitures, mais on fait des trains, des autobus, des tramways, des métros et des véhicules de transport collectif qui sont tout indiqués pour la technologie électrique zéro émission. Nous sommes sur la bonne voie pour réduire ce bilan des gaz à effet de serre lié au transport.
D'ailleurs, une loi fédérale zéro émission doit se concrétiser. Plus le transport électrique se développe, moins nous serons dépendants du pétrole. Les enjeux d'approvisionnement seront réduits graduellement et notre argent sera conservé à l'intérieur de notre économie.
Oui, il y a des coûts à la transition. L'argument économique est amplement utilisé pour convaincre de la nécessité de poursuivre dans la logique fossile, mais la vérité doit être dite haut et fort concernant le réel prix de l'énergie et de l'essence. Ce prix est beaucoup plus élevé que ce que nous payons à la pompe, car, pour avoir le juste prix, il faut y ajouter les coûts environnementaux, en amont et en aval, de l'extraction mégapolluante qui provoque des dommages environnementaux, la contamination des terrains, des dangers pour la faune, de même que ce qu'ils génèrent lorsque brûlés ici et à l'étranger, avec, en surplus, la pollution atmosphérique qui s'en suit.
Il faudrait y rajouter les coûts sociaux, incluant les coûts pour nos systèmes de santé, attribuables à la prévalence de maladies directement reliées à la pollution de l'air, en particulier, le nombre croissant d'enfants et même de bébés affectés sur le plan pulmonaire et respiratoire. Il faudrait rajouter tout l'argent public remis en subventions et avantages fiscaux à l'industrie pétrolière et gazière pour faire vivre une industrie appelée à disparaître, à commencer par l'indécent oléoduc Trans Mountain.
Que dire aussi des coûts de dépollution? Comment qualifier les pertes subies lors de déversements de pétrole? Selon le Fonds monétaire international, à l'échelle mondiale, les externalités négatives se chiffreraient, pour la seule année 2017, à plus de 2 000 milliards de dollars américains.
Nous le répétons, le territoire canadien est propice aux énergies propres et renouvelables. Les industries éoliennes, solaires et géothermiques tendent la main au gouvernement, et il suffit de la prendre. La technologie est là et les ressources sont là.
Si les conservateurs sont résolument défaitistes quant à leur sortie de la logique extractiviste et que, de l'autre côté, les libéraux persistent à alimenter la dépendance aux énergies fossiles en prétendant favoriser un virage vert, nous ne sommes pas dupes, il s'agit plutôt d'un mirage vert.
Les choix politiques de l'État du Michigan devraient nous ouvrir les yeux. Ils surprennent sans doute la société Enbridge et les puissants lobbys de leur secteur. Leur bilan, le non-respect de leurs engagements, le laxisme démontré dans l'entretien de leurs installations, l'arrogance qui provient du fait de se sentir intouchable, viennent de les rattraper.
Le Canada, le pays du G7 qui subventionne le plus la production pétrolière et gazière par rapport à son produit intérieur brut, le pays qui déclare sur la scène internationale être résolu dans sa lutte contre les changements climatiques et qui, le lendemain, autorise des forages pétroliers en zone maritime protégée, aurait peut-être pu éviter une crise diplomatique et ce qui se passe aujourd'hui, s'il était intervenu avec Enbridge avant.
Quand on donne tout aux pétrolières, elles finissent par croire que ce sont elles qui mènent. Gretchen Whitmer leur a démontré que ce n'était plus le cas.